Délibéré au 3 mai 2002. FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Le fret (pneumatiques) du transport effectué par la S.A. Transports Jean-Michel X... pour le compte de la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN de ROANNE à LAUDAU (ALLEMAGNE) a été détourné et volé, dans la nuit du 20 mai au 21 mai 1998, sur l'aire d'autoroute A 6 à BEAUNE-MERCEUIL (Côte d'Or).
Par jugement rendu le 7 avril 2000, le Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE, écartant l'existence de la force majeure et l'application l'article 17)f de la convention de GENEVE dite C.M.R., a condamné la S.A. Transports Jean-Michel X... à payer à différents assureurs de la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN, représentés par le cabinet MARTIN etamp; BOULART, la contre-valeur en francs français de 101.559,36 "droits de tirage spécial", unités de valeur de la convention dite C.M.R., avec intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1999, outre la somme de 5.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La S.A. Transports Jean-Michel X... a régulièrement formé appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
La S.A. Transports Jean-Michel X... reproche aux premiers juges
d'avoir retenu comme circonstance excluant le fait exonératoire, la présence d'un coupe-batterie extérieur déconnecté par les agresseurs alors que ce fait est resté sans incidence dans la genèse du vol. La S.A. Transports Jean-Michel X... estime que les circonstances de l'agression et du vol l'exonérèrent totalement de la présomption de responsabilité pesant sur elle. La S.A. Transports Jean-Michel X... soutient subsidiairement qu'aucune faute lourde ne peut être articulée à son encontre et que la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN doit être déboutée de sa demande tendant à obtenir l'indemnisation de son préjudice sans application des limitations prévues par l'article 23-3 de la convention dite C.M.R.. Enfin, la S.A. Transports Jean-Michel X... sollicite l'application de l'article 7Oo du nouveau code de procédure civile à hauteur de 15.000 francs.
La S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs estiment que la force majeure ne peut être invoquée par le transporteur qu'autant qu'il ait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation du sinistre à l'origine de la perte des marchandises ; qu'en l'espèce trois éléments militent pour retenir la faute de la S.A. Transports Jean-Michel X... : absence de système anti-vol, choix hasardeux de l'aire de stationnement et organisation logistique insuffisante. La S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs soutiennent en outre que la S.A. Transports Jean-Michel X... a commis une faute lourde dans l'organisation du transport qui lui était confié en omettant de prendre des mesures de sécurité élémentaires pour échapper à l'agression d'une "pratique courante et d'une banalité contemporaine". La S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs sollicitent que la S.A.
Transports Jean-Michel X... soit condamnée à payer à la compagnie AXA GLOBAL RISKS, l'un des assureurs, la somme de 1.284.856,50 francs représentant la valeur de la marchandise dérobée, outre la somme de 40.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et celle de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts pour résistance
abusive et injustifiée.
MOTIFS ET DÉCISION
Attendu que selon l'article 17 de la Convention de Genève dite Convention C.M.R., le transporteur est déchargé de la responsabilité qui lui incombe de principe, si la perte de la marchandise a pour cause des circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter ou aux conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier ; que pour caractériser la force majeure exonératoire de toute responsabilité, notion équivalente à celle définie par l'article 17 sus-visé en matière de transport, l'irrésistibilité de l' événement invoqué est à elle seule, constitutive de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d'en empêcher les effets, sous réserve que le transporteur ait pris toutes les mesures pour éviter la réalisation de l'événement ;
Attendu qu'en l'espèce les circonstances du vol de la marchandise sont connues par la déclaration du chauffeur du poids-lourd, un procès-verbal succinct de Gendarmerie et deux rapports d'expertise amiable ; que le vol a été commis de nuit vers 1 heure 30, le 21 mai 1998, sur une aire de repos de l'autoroute A6 alors que le camion était stationnée à proximité d'une station-service éclairé (environ à
30 mètres) et que le chauffeur dormait à l'intérieur de la cabine ; que celui-ci a été tiré de son sommeil par le bruit provenant d'un groupe de sept individus en cagoule et munis de battes de base-ball qui lui ont fait ouvrir la cabine, l'ont fait descendre du véhicule et l'ont emmené dans une voiture pour le retenir environ une heure trente et s'emparer du camion ;
Attendu que le fait que le camion en question soit équipé d'un système de sécurité incendie type coupe circuit de batteries, extérieur et apparent ou "main rouge" actionné par les malfaiteurs ne constitue pas une négligence du transporteur ; que le fait que ce coupe circuit ait été actionné de l'extérieur par les agresseurs, n'a pas eu d'incidence dans la réalisation du vol dès lors qu'en raison de la rapidité et de l'effet de surprise, le chauffeur du poids lourd n'a pas eu le temps de tenter de démarrer son camion pour prendre la fuite ;
Attendu que le camion était équipé d'un Neiman ; que le chauffeur se trouvait dans la cabine du camion stationné sur une aire de repos d'une autoroute à proximité d'une station-service et d'un lieu de restauration éclairés ; que les agresseurs l'ont contraint, sous la menace du nombre et de battes de base-ball, à ouvrir la cabine ; que le choix du lieu de stationnement n'était pas en soi critiquable, le chauffeur ayant pris le soin particulier de remiser son camion à proximité d'un lieu éclairé et fréquenté ; qu'il ne peut être soutenu que le fait de s'arrêter dans un lieu prévu à cet effet sur une autoroute, mais offrant le désavantage, selon la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs, de se situer dans
le "couloir rhodanien, zone à grands risques" pour les transporteurs routiers, constitue une imprudence du chauffeur, sauf à admettre qu'aucun stationnement n'est possible sur une vaste zone ; qu'il est à observer que la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN se plaint de 14 vols similaires commis pour l'un d'entre eux en Haute Vienne, un autre dans le Cher, un autre dans l'Allier, ce qui étend la zone à risques au-delà du couloir rhodanien qui est effectivement un lieu de transit routier ;
Attendu que le chauffeur était astreint à la réglementation relative aux temps de conduite et devait prendre son temps de repos, comme ayant conduit depuis ROANNE (environ deux heures trente et auparavant à la prise du fret dans cette ville) ; qu'il ne peut être imputé un défaut d'organisation logistique dans le transport incriminé ; que le départ en fin de journée impliquant un arrêt de nuit n'est pas en soi une faute, s'agissant d'un transport international d'environ 900 kilomètres ;
Attendu enfin qu'il n'est pas démontré que les clefs étaient en place sur le dispositif de démarrage du camion lors du vol, si elles ont été retrouvées dans cette position lorsque le camion a été découvert après le vol ; que cette circonstance était indifférente eu égard à l'agression physique dont le chauffeur a été victime , celui-ci étant contraint, en toutes hypothèses, à remettre les clefs à ses agresseurs ;
Attendu que la S.A. Transports Jean-Michel X... ne pouvait pas
obvier aux conséquences de l'agression dont a été victime son chauffeur et avait pris toutes les mesures raisonnables pour assurer l'acheminement du fret à sa destination et se prémunir contre une éventuelle agression ; qu'il s'ensuit que la S.A. Transports Jean-Michel X... sera déchargée de sa responsabilité pour la perte du fret ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 7OO du nouveau code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 1.200 Euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Reçoit l'appel de la S.A. Transports Jean-Michel X... comme régulier en la forme,
Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau, déboute la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs de toutes leurs demandes formées contre la S.A. Transports Jean-Michel X....
Condamne in solidum la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs à porter et payer à la S.A. Transports Jean-Michel X... la somme de 1.200 Euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Condamne in solidum la S.A Manufacture FRANCE de Pneumatiques MICHELIN et ses assureurs aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître BARRIQUAND, Avoué sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.