COUR D'APPEL DE LYON Troisième Chambre Civile ARRÊT DU 24 mars 2005
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de SAINT-ETIENNE du 04 décembre 2003 - N° rôle : 2002/1704 N° R.G. :
04/00538
Nature du recours : Appel
APPELANTE : Madame Andrée X... épouse Y... exerçant à l'enseigne BOUTIQUE PASSION. représentée par la SCP BAUFUME-SOURBE, avoués à la Cour assistée de la SCP GRANGE-JULIEN-PUTIGNIER, avocats au barreau de SAINT-ETIENNE (bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2004/1998 du 22/04/2004 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMEE : Société ALARM N°1 - CEDI SÉCURITÉ, S.A. représentée par la SCP AGUIRAUD-NOUVELLET, avoués à la Cour assistée de Me Laurence BREMENS, avocat au barreau de LYON Instruction clôturée le 17 Décembre 2004 Audience publique du 20 Janvier 2005 LA TROISIÈME CHAMBRE DE LA COUR D'APPEL DE LYON, DÉBATS en audience publique du 20 janvier 2005 tenue par Monsieur ROBERT, Président, chargé de faire rapport, sans opposition des Avocats dûment avisés, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré : Monsieur ROBERT, Président Monsieur SIMON, Conseiller, Madame MIRET, Conseiller, GREFFIER : la Cour était assistée de Mademoiselle Z..., Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt, ARRÊT : CONTRADICTOIRE prononcé à l'audience publique du 24 mars 2005 Par Monsieur ROBERT, Président, qui a signé la minute avec Mademoiselle Z..., Greffier.
EXPOSE DU LITIGE - PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 6 janvier 2004, Andrée Y... a relevé appel d'un jugement du 4 décembre 2003 par lequel le tribunal de commerce de Saint-Étienne, qu'elle avait saisi à l'encontre de la société CEDI SECURITE d'une action en réparation des conséquences dommageables d'un cambriolage commis le 22 octobre 1996 dans le magasin qu'elle exploite à l'enseigne Boutique Passion , a condamné cette société à lui payer la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts avec le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par ses conclusions du 21 mai 2004, Andrée Y... sollicite la condamnation de la société CEDI SECURITE à lui payer la somme de 33
542 euros en principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi qu'une indemnité de procédure de 2000 euros.
Elle expose qu'elle avait fait installer dans son magasin, courant juillet 1997, un système dit Alarme Sécurité par la société CEDI SECURITE et qu'un cambriolage ayant été commis la nuit du 22 octobre 1996, il s'est avéré que cette alarme n'a pas fonctionné, de sorte que le système n'a eu aucun effet dissuasif ou protecteur. Elle ajoute que les auteurs du cambriolage n'ont pas été retrouvés et que son assureur a refusé de prendre en charge le coût des marchandises volées, en raison de la défaillance dans le système de sécurité imposé par le contrat.
Elle s'estime donc fondée, sur la base des articles 1147 et suivants du Code civil, à obtenir une indemnisation de la société CEDI SECURITE qui, selon elle, n'a pas rempli l'obligation de sécurité à laquelle elle est tenue pour ce qui concerne le fonctionnement du système d'alarme ; elle considère qu'à tout le moins, cette défaillance lui a fait perdre une chance de limiter les conséquences du vol. Elle ajoute qu'au plan des faits, il importe peu que le
système se soit déclenché, puisque comme en témoignent les voisins, aucune mise en route de l'alarme sonore n'a eu lieu.
À propos de son préjudice, Andrée Y... indique avoir recherché avec son comptable le détail du stock qui a été dérobé ; elle précise qu'au regard de ses livres de caisse, les marchandises volées représentent une valeur de 220
021 F soit 33
542 euros. Elle souligne que se trouvant dans l'impossibilité de poursuivre son activité professionnelle à défaut de pouvoir reconstituer son stock, elle a dû fermer son commerce pendant six mois tout en continuant à en assumer les frais.
Elle sollicite en conséquence la réformation du jugement en ce qu'il a limité à 3000 euros l'estimation de son préjudice.
De son côté, par des écritures du 12 novembre 2004, la société CEDI SECURITE demande à la cour, à titre principal, de constater que la destruction du système de sécurité par les cambrioleurs constitue pour elle un cas exonératoire de responsabilité et de rejeter en conséquence toutes les prétentions d'Andrée Y...
Se prévalant de diverses jurisprudences, elle soutient que si l'installateur d'un système d'alarme est tenu d'une obligation de résultat pour ce qui concerne le fonctionnement de cette alarme, sa responsabilité peut toutefois être écartée notamment s'il existe un fait extérieur exonératoire : elle considère qu'en l'espèce, ainsi qu'il résulte de la fiche d'intervention technique établie par son préposé le 22 octobre 1996, à la demande et avec la signature d'Andrée Y... six, les cambrioleurs ont détérioré le système à coups de
marteau, cassant ou arrachant l'ensemble des composants de l'installation, ce qui a empêché l'alarme de retentir.
À titre subsidiaire si une part de responsabilité lui était attribuée, la société CEDI SECURITE relève qu'Andrée Y... ne saurait prétendre à la réparation intégrale des conséquences du vol, puisque son préjudice ne consiste qu'en une perte de chance et qu'il lui appartient à cet égard de prouver que l'absence de fonctionnement de l'installation a rendu plus importants les effets du cambriolage ; or elle estime que même si l'alarme avait assuré sa fonction de dissuasion, elle n'aurait pas empêché les cambrioleurs d'agir rapidement pour subtiliser les articles d'habillement avant l'arrivée l'intervention des forces de police. Elle en déduit que c'est seulement une indemnisation symbolique qui pourrait être accordée à Andrée Y... et sollicite donc la réformation du jugement sur ce point.
Plus subsidiairement, elle souligne qu'aucun constat objectif et contradictoire des dommages subis n'a été établi, et qu'Andrée Y... se borne à communiquer un récapitulatif manuscrit non certifié par son expert-comptable, de sorte qu'elle ne justifie pas de l'étendue de son préjudice, pas davantage qu'elle ne s'explique sur le refus de prise en charge de son assureur.
La société CEDI SECURITE requiert enfin l'allocation d'une indemnité de procédure de 2000 euros. SUR CE, LA COUR:
Attendu qu'il ressort des deux bons de commande des 21 novembre 1989 et 20 juillet 1990 que la société CEDI SECURITE a installé dans le magasin d'Andrée Y... un système complet de protection, détection anti intrusion et alarme comportant en particulier une centrale autoprotégée avec système antibrouillage, l'ensemble pour un coût total de plus de 32
000 F ; que même si aucune des parties n'a communiqué d'autres documents contractuels permettant de mieux déterminer la définition du système de protection et d'alarme et il
apparaît néanmoins que la société CEDI SECURITE a ainsi contracté l'obligation de parvenir à la détection des intrus et de déclencher l'alarme sonore, afin de pouvoir d'une part prévenir la personne responsable du magasin ou les services de police et d'autre part perturber l'action d'éventuels cambrioleurs ;
Qu'il apparaît que ce résultat n'a pas été atteint puisque deux personnes habitant l'immeuble, 22 rue Gambetta au Chambon Feugerolles, au-dessus du magasin, ont attesté que l'alarme sonore n'avait pas fonctionné au moment du cambriolage alors qu'elles avaient pu l'entendre à l'occasion d'essais ; que si le compte-rendu d'intervention dressé le 22 octobre 1996 par le technicien de la société CEDI SECURITE et signée par Andrée Y... fait apparaître que le système s'est déclenché mais que la centrale avait été détériorée à coups de marteau, d'autres éléments de l'installation étant arrachés et brisés, cette circonstance qui n'avait rien imprévisible pour un installateur professionnel de systèmes de protection , ne saurait s'analyser en une cause étrangère exonératoire ; qu'en effet comme il se déduit de la notion de centrale auto protégée figurant dans le contrat du 21 novembre 1989, il est de l'essence même d'un tel système de se mettre en fonctionnement de façon efficace, c'est-à-dire au moins par le déclenchement de l'alarme sonore, dès qu'il est porté atteinte à son intégrité, tant il est certain que la neutralisation du système d'alarme est le premier acte attendu de cambrioleurs ayant pénétré dans les lieux ;
Qu'ainsi, la société CEDI SECURITE, qui n'invoque aucune clause du contrat ayant restreint ses obligations à cet égard, doit répondre des conséquences dommageables du défaut de fonctionnement du système de protection installé par elle dans le local commercial d'Andrée Y...; Attendu toutefois qu'elle relève à juste titre, sans être réellement
contredite par l'appelante, que le préjudice de celle-ci tient à la perte d'une chance de limiter les effets du cambriolage, soit en permettant la mise en fuite de ses auteurs par l'intervention de toute personne ou des forces de l'ordre alertées par la centrale de télésurveillance soit, plus probablement, en provoquant la fuite des voleurs ou en gênant leur action ; que ce préjudice ne représente donc qu'une part des pertes matérielles éprouvées par Andrée Y... dont il importe de relever qu'elle ne fonde pas sa demande sur l'existence d'un lien de causalité entre le défaut de fonctionnement du système de protection et le refus de prise en charge du sinistre par son assureur, dont elle n'établit pas la cause ; que cette perte de chance sera appréciée en tenant compte de la nature des marchandises dérobées, constituées par une collection de vêtements pour femmes dont le volume a nécessité de disposer d'un moment pour en effectuer le chargement dans un ou plusieurs véhicules ; que la chance perdue est donc davantage caractérisée que s'il s'était agi, comme par exemple dans une bijouterie, d'articles de grande valeur unitaire dont l'appréhension ne nécessite que quelques instants;
Qu'en fonction de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de fixer à un tiers des dommages consécutifs au vol la proportion qui peut être imputée à la société CEDI SECURITE du fait du manquement à ses obligations contractuelles ;
Attendu que si que Andrée Y... ne verse au débat aucun état contradictoire du stock dérobé, elle communique en revanche les nombreuses factures afférentes aux collections des saisons précédentes ou en cours ainsi que son journal agenda sur lequel elle relevait au jour le jour puis avec un récapitulatif mensuel le montant de ses ventes ; que des lors qu'il est corroboré par ces documents, l'état manuscrit qu'elle a établi (pièce 56) peut être considéré comme un élément de preuve suffisant de son préjudice, à
défaut de toute donnée en sens contraire ; que compte tenu de la nature et des dimensions de son commerce, on ne saurait lui faire grief de n'avoir pas disposé d'un état permanent de son stock et d'avoir tenté de le reconstituer en confrontant ses achats et ses ventes ; que les prix unitaires portés sur l'état manuscrit correspondent effectivement à ceux mentionnés sur les factures des différents fournisseurs ;
Que dans ces conditions, il convient de lui allouer une somme de 11
180 euros ; que cette estimation étant faite sur la base de valeurs 1996, il y a lieu, comme elle le demande, de lui allouer à titre de complément de dommages-intérêts les intérêts au taux légal de cette somme à compter de l'assignation du 19 septembre 2002 ;
Attendu qu'Andrée Y... recevra une indemnité de procédure limitée à 750 euros, pour tenir compte de sa qualité de bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ;
Que la société CEDI SECURITE supportera les dépens ; PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Déclare recevable et partiellement fondé l'appel d'Andrée Y...;
Réformant le jugement du 4 décembre 2003, condamne la société CEDI SECURITE à payer à Andrée Y... la somme de 11
180 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2002 ;
La condamne encore au paiement d'une indemnité de procédure de 750 euros et dit qu'elle supportera les dépens de première instance et d'appel ;
Rejette le surplus des demandes.
LE GREFFIER,
LE PRESIDENT,
M.P. Z...
H. ROBERT