AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 10/03738
[E]
C/
SAS EMERSON PROCESS MANAGEMENT
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 06 Mai 2010
RG : F 08/04681
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 09 MARS 2011
APPELANTE :
[W] [E]
née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 5] (59)
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 3]
comparant en personne, assistée de Me LAMBERT-VERNAY, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SAS EMERSON PROCESS MANAGEMENT
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assistée de Me Dominique CLOUET D'ORVAL, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 31 Janvier 2011
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président
Hervé GUILBERT, Conseiller
Mireille SEMERIVA, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 09 Mars 2011, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Déjà présente dans le groupe EMERSON depuis 1997, [W] [E] a été engagée par la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT, filiale de la société américaine Emerson Electric Company, en qualité de directeur des ventes Afrique francophone (cadre, position III A, indice 135) suivant contrat écrit à durée indéterminée du 12 novembre 2003 à effet du 1er janvier 2004.
Sa rémunération comprenait un salaire mensuel brut forfaitaire de 4 630 € sur treize mois pour 214 jours travaillés et une rémunération variable représentant, à objectifs atteints à 100%, 20% de sa rémunération annuelle brute.
Son contrat de travail était soumis à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie et à la convention collective de la métallurgie du Rhône.
La salariée était placée sous la responsabilité hiérarchique de [O] [Y] et fonctionnelle de [Z] [G]. En avril 2007, ce dernier a été remplacé par [A] [R], nouveau directeur général ventes et marketing France.
Par avenant du 15 mai 2008 au contrat de travail, la classification de [W] [E] est devenue : cadre, position III B, indice 180.
Son salaire mensuel brut a été porté à 7 971 € pour un forfait tout horaire, outre un bonus représentant, à objectifs atteints à 100%, 15% de sa rémunération annuelle brute.
[W] [E] demeurait placée sous la responsabilité hiérarchique du vice-président ventes et marketing Europe du Sud, [O] [Y].
Par lettre recommandée du 28 mai 2008, [O] [Y] a notifié à [W] [E] un avertissement en raison d'un manquement inacceptable aux consignes et aux règles établies par l'entreprise, de nature à faire courir un risque majeur à l'entreprise, mettant en jeu sa réputation et pouvant entraîner des poursuites, et ce en dépit d'une consigne signifiée à plusieurs reprises.
Le vice-président ventes et marketing Europe du Sud a ajouté que si de tels faits venaient à se reproduire, le niveau de sanction à envisager ne pourrait permettre la poursuite de la collaboration.
En résumé, il était reproché à [W] [E] d'avoir signé et antidaté le renouvellement d'un contrat d'agent en Tunisie alors que la société tunisienne n'avait pas encore répondu au 'due diligence questionnaire' (DDQ) prescrit.
Le 12 juin 2008, la salariée a fait une déclaration en main courante au commissariat de police de [Localité 4]. Selon ses dires, elle était victime d'un harcèlement sexuel de la part de son supérieur, dont elle ne voulait pas donner le nom.
Par lettre recommandée du 14 juin 2008, [W] [E] a demandé en vain le retrait de l'avertissement en faisant valoir que l'absence de respect de la procédure ne pouvait lui être imputé puisqu'il n'existait pas de procédure écrite et à jour pour faire établir et valider les contrats de représentants et les DDQ correspondants.
Par lettre remise en main propre le 24 septembre 2008, la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT a convoqué [W] [E] le 8 octobre 2008 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.
Par une seconde lettre remise en main propre le même jour, elle a notifié à la salariée sa mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée du 14 octobre 2008, la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT a notifié à [W] [E] son licenciement pour faute grave aux motifs suivants :
Non respect récurrent des règles de l'entreprise et des procédures internes à l'Entreprise pouvant entraîner des risques pour la société d'interdiction d'exercer son activité et/ou pouvant conduire à des sanctions pécuniaires voire pénales. Ce non respect systématique des règles de l'entreprise s'est renouvelé dernièrement dans les exemples suivants, et cela, malgré l'avertissement qui vous avait été adressé le 28 mai 2008 pour des faits similaires.
Vous avez confirmé le 02 septembre 2008 à Monsieur [Y], suite à ses diverses demandes d'explications, avoir conduit une démonstration avec des produits 'Wireless' en Tunisie auprès d'un client, sans avoir obtenu l'autorisation d'importer légalement ce matériel et sans autorisation expresse de l'Entreprise, et cela malgré les différentes notifications que vous avez reçues confirmant la nécessité d'obtenir une autorisation pour utiliser ce type de matériel sur le territoire tunisien. Vous alléguez ne pas avoir reçu de retour formel à votre demande (et pour cause) et ne pas avoir eu une connaissance assez précise des règles, rejetant la responsabilité sur vos collègues. Ce non-respect des instructions et règles de l'Entreprise est inacceptable et met la société à risque de perdre ses autorisations de vendre et installer du matériel sur les territoires concernés.
Vous avez donné délégation à un salarié du bureau algérien de signer un contrat commercial pour le dossier GZ1, le 7 mai dernier, alors que vous saviez pertinemment que le statut de bureau de liaison de notre structure algérienne permet aux salariés de ce bureau uniquement d'exercer une activité de représentation commerciale, sans droit de signer des contrats ou d'exercer d'autres types d'activité. Ce non respect des délégations d'autorité en vigueur dans l'entreprise s'est reproduit le 9 septembre 2008 lors de l'ouverture de l'appel d'offres GL2Z où vous avez insisté de donner délégation à une personne de votre équipe pour assurer cette mission en sachant pertinemment qu'il ne remplirait pas ce rôle, étant en déplacement sur une autre région avec vous, et que cette délégation serait assurée par une entreprise extérieure. Ces procédures de délégation d'autorité sont en place pour protéger les intérêts de l'entreprise et veiller au respect des réglementations en vigueur dans les pays où nous intervenons. Les manquements ci-dessus risquent d'avoir de graves répercussions en terme fiscal et/ou de continuité de nos activités en Algérie.
Enfin, vous bénéficiez d'une avance sur frais de 2 500 € et avez bénéficié pendant 2 années d'un paiement erroné (qui vous a été notifié dès octobre 2005) de 4 380,78 € que vous avez finalement remboursé à la compagnie en Juillet 2008. Cependant, après remboursement de cette somme par vos soins, nous nous sommes aperçus que vous aviez à 3 reprises demandé le remboursement de frais bancaires liés soit-disant à la lenteur de remboursement de la société. Votre manque de diligence dans le remboursement de cette somme et votre mauvaise foi flagrante de demander dans le même temps la prise en charge de vos agios par la société nous font douter du niveau de confiance et rigueur que nous sommes en droit d'attendre d'un Directeur encadrant une équipe conséquente et en charge d'une activité stratégique pour l'entreprise.
Ces comportements fautifs peuvent nuire gravement à l'entreprise, sa pérennité et son image et ont rendu votre présence intolérable durant le déroulement de la procédure. Ils sont d'autant plus graves que nous avons eu à vous recadrer à maintes reprises sur ces comportements inappropriés allant jusqu'à vous adresser un avertissement sans effet sur votre comportement, ni réelle prise de conscience de votre part. C'est pourquoi nous vous notifions cette décision.
Etant donné la gravité des conséquences de votre comportement, la poursuite du contrat de travail est devenue impossible, aussi, votre départ intervient dès réception de la présente.
[W] [E] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 24 décembre 2008.
Le 28 janvier 2009, elle a saisi le procureur de la république d'une plainte pour harcèlement sexuel contre [O] [Y] et pour harcèlement moral contre [A] [R]. Cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite.
* * *
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté par [W] [E] le 20 mai 2010 du jugement rendu le 6 mai 2010 par le Conseil de prud'hommes de LYON (section encadrement) qui a :
1°) jugé que le licenciement ne repose pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse,
2°) condamné la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à payer à [W] [E] les sommes suivantes :
30 377,43 € au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
3 037,74 € au titre des congés payés afférents,
6 224,18 € à titre de mise à pied du 24 septembre au 15 octobre 2008,
622,41 € à titre de congés payés afférents,
9 788,29 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
14 347,80 € à titre de bonus 2008,
1 434,78 € à titre de congés payés afférents,
outre intérêts de droit à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes,
1 400,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
3°) débouté [W] [E] du surplus de ses demandes,
4°) fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires à la somme de 10 125,81 €, pour application des dispositions de l'article R 1434-28 du code du travail ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 31 janvier 2011 par [W] [E] qui demande à la Cour de :
- réformer partiellement le jugement entrepris,
- dire et juger que le licenciement subi par [W] [E] en 2002 est dénué de cause réelle et sérieuse,
- dire et juger que [W] [E] a subi des pratiques de harcèlement sexuel et des pratiques de harcèlement moral,
- dire et juger que le licenciement notifié à [W] [E] le 14 octobre 2008 est nul et à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse,
- dire et juger que les circonstances de son licenciement (du 14 octobre 2008) sont vexatoires,
- en conséquence, condamner la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à payer à [W] [E] les sommes suivantes :
dommages-intérêts au titre du licenciement verbal du 25 février 200248 943,67 €
dommages-intérêts au titre de l'exécution fautive du contrat de travail 80 000,00 €
(harcèlement moral et harcèlement sexuel)
dommages-intérêts au titre du licenciement nul
ou à tout le moins dénué de cause réelle et sérieuse260 652,00 €
indemnité conventionnelle de licenciement
* principalement10 498,48 €
* subsidiairement38 936,89 €
indemnité compensatrice de préavis32 581,50 €
congés payés afférents3 258,15 €
rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire
( 24 septembre au 15 octobre 2008)8 326,38 €
congés payés afférents832,63 €
rappel de salaire au titre du bonus 200814 347,80 €
congés payés afférents1 434,78 €
dommages-intérêts au titre des circonstances vexatoires du licenciement.... 20 000,00 €
avec intérêts au taux légal à compter de la première demande avec capitalisation en application de l'article 1154 du code civil,
article 700 du code de procédure civile 5 000,00 €
- condamné la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à lui remettre une attestation destinée à PÔLE EMPLOI, un certificat de travail et des bulletins de salaire rectifiés en fonction des condamnations qui seront prononcées, sous astreinte de 50,00 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt devant intervenir ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales par la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT qui demande à la Cour de débouter [W] [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et à titre reconventionnel, de la condamner à verser à la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT la somme de
5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur la demande de dommages-intérêts au titre d'un prétendu licenciement verbal en 2002 :
Attendu que [W] [E] a été engagée par la S.A. FISHER-ROSEMOUNT en qualité d'ingéneur commercial export par contrat écrit à durée indéterminée du 7 février 1997 ; que son lieu de travail a été fixé à [Localité 9] ; que [W] [E] a ensuite été détachée à [Localité 8] (Etats-Unis) en avril 2000 sans conclusion d'un contrat de travail de droit local ; qu'elle est restée salariée de la filiale française qui l'a rémunérée ; que le 1er février 2002, elle est passée au service de la filiale suisse du groupe Emerson , Fisher-Rosemount AG ; que l'appelante fait valoir que la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT a mis fin une première fois à son contrat de travail sans respecter aucune des règles légales ; que selon la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT, la salariée a mis fin en toute connaissance de cause à ses relations contractuelles avec la société française pour signer un contrat de travail avec la société suisse ;
Mais attendu que la langue des débats et des décisions judiciaires est le français ; que [W] [E] a communiqué un 'contract of employment between Emerson Process Management / Fisher-Rosemount AG, CH-6341 Baar and [W] [E]' (pièce n°3) qui n'est accompagné d'aucune traduction ; que de son côté, la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT a communiqué un 'agreement between [W] [E], 19.06.1963, 3054 Schüpfen and Emerson Process Management AG 6341 Baar' (pièce n°38) auquel sont annexées quatre page de courriers électroniques en langue anglaise, non traduits ; qu'il y a lieu de renvoyer chaque partie à faire traduire la pièce en langue anglaise qu'elle produit ;
Sur l'allégation de harcèlement sexuel :
Attendu qu'aux termes de l'article L 122-46 du code du travail, devenu L 1153-1 et L 1153-2, les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits ; qu'aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ;
Attendu que selon l'article L1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ;
Qu'au niveau de la hiérarchie de l'entreprise où se situaient les emplois de [O] [Y] et de [W] [E], et compte tenu du faible écart hiérarchique séparant ces emplois, le fait pour le premier, qui était basé en Suisse et descendait à l'hôtel lors de ses passages à [Localité 7] et [Localité 6], d'inviter alors dans des restaurants en rapport avec l'importance de ses fonctions un cadre qui lui était directement subordonné n'est pas de nature à permettre de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ; qu'au demeurant, la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT communique des couriels de [W] [E] à [O] [Y] qui démontrent l'adhésion de la première à ce mode de rencontres :
vous me manquez bien !!! pourrait-on se voir courant septembre ou début octobre ' (31 août 2007) ;
je vous remercie pour l'agréable soirée passée ensemble (13 septembre 2007) ;
le temps de prendre une douche et me changer et je vous rejoindrai dans [Localité 7] [...] envoyez-moi SVP l'adresse du restaurant ou de l'hôtel où vous serez sur mon blackberry (13 décembre 2007) ;
je peux donc me libérer pour notre meeting, mercredi en fin d'après midi pour notre réunion et ensuite dîner avec vous si vous êtes disponible (2 avril 2008) ;
ok pour ce soir à 20 heures 30, dites- moi dans quel restaurant on se retrouve (9 avril 2008) ;
Que les articles L 1153-1 et L 1153-2du code du travail distinguent les agissements de harcèlement sexuel et les mesures discriminatoires consécutives au refus de subir de tels agissements ; que le caractère discriminatoire des mesures implique la réalité du harcèlement ; que celle-ci ne peut donc se déduire seulement des conséquences prétendues du refus (restriction dans la prise en charge de frais professionnels, avertissement, licenciement) ;
Qu'il résulte enfin des règles de preuve énoncées à l'article L 1154-1 que le salarié n'est pas fondé à faire sommation à l'employeur de communiquer des pièces de nature, selon lui, à établir l'existence d'un harcèlement sexuel lorsqu'il n'a pas préalablement établi lui-même des faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement ;
Sur l'allégation de harcèlement moral :
Attendu qu'aux termes de l'article L 122-49 du code du travail, devenu L1152-1 et L 1152-2, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;
que les règles de preuve sont les mêmes qu'en matière de harcèlement sexuel ;
Que selon [I] [B], ancien vice-président grands comptes clients, [W] [E] avait 'un lien hiérarchique en pointillé avec [A] [R], le directeur général d'EMERSON France', ce qui est pour le moins imprécis ; que la thèse de la salariée selon laquelle [A] [R], ayant pris ombrage de ce que le service export Afrique n'était pas placé sous sa responsabilité, se serait mis à intervenir directement dans l'activité export sans prévenir [W] [E] et n'aurait cessé de harceler celle-ci dès qu'il s'était rendu compte de ce qu'elle n'avait plus le soutien de [O] [Y] ne repose sur aucun élément objectif ; que l'imputation de harcèlement moral apparaît d'ailleurs encore plus tardivement que celle du harcèlement sexuel, même si les deux formes de harcèlement finissent par converger en juin 2008 ; qu'en effet, selon l'appelante, [A] [R] et [O] [Y] l'avaient alors privée de la classe affaires à l'occasion d'un vol vers le Gabon, ce qui constituait à la fois un acte de harcèlement moral de la part de [A] [R] et une conséquence du refus de la salariée de subir le harcèlement sexuel de [O] [Y] ; que cette construction très interprétative laisse de côté la question du mobile des deux conjurés, qui était simplement le souci de la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT de revenir à une certaine maîtrise des frais professionnels ;
Que [W] [E] n'établit pas de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ou d'un harcèlement moral, et a fortiori de l'un et de l'autre ; qu'en conséquence, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une exécution fautive du contrat de travail ;
Sur les motifs du licenciement :
Attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis ;
Attendu que la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT ne communique aucune pièce de nature à étayer le grief relatif au remboursement des frais ; qu'elle ne justifie d'aucune demande de remboursement d'un trop-perçu de 4 380,78 € antérieure au 25 juillet 2008, alors que les versements indus auraient été constatés dès octobre 2005 ; que si la demande de remboursement de frais bancaires liés soit-disant à la lenteur de la prise en charge des frais professionnels n'est pas formellement contestée par [W] [E], la date de cette demande et le montant des agios ne sont pas connus ; que le lien établi tardivement entre un trop-perçu négligé par la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT pendant plus de deux ans et une demande de remboursement de frais bancaires qui n'a pas abouti est purement artificiel ; que ces faits ont paru négligeables à l'employeur aussi longtemps qu'il n'avait pas d'autre grief à faire à la salariée ; que la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT ne démontre pas l'intention délibérée de [W] [E] d'obtenir et de conserver des versements indus au préjudice de la société intimée ; que ce grief sera donc écarté en l'absence de faute caractérisée imputable à l'appelante ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'il suffit donc d'un fait fautif commis moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires pour que l'employeur puisse sanctionner à la fois ce fait nouveau et des faits plus anciens ;
Qu'en l'espèce, le fait le plus récent est daté du 9 septembre 2008 et n'a pas déjà été sanctionné par un avertissement ; qu'en effet, le courrier électronique adressé le 10 septembre 2008 par [D] [BW], directeur financier, à [W] [E] et à [X] [C] n'est qu'un rappel des règles de procédure applicables dans l'entreprise et perdues de vue ; qu'il ne formule aucun reproche personnalisé à l'adresse de l'un ou l'autre des destinataires ; que rien n'établit d'ailleurs que [D] [BW] était investi d'un pouvoir de sanction ; qu'il ressort des pièce communiquées qu'à l'ouverture des plis sur l'appel d'offres de GLZ2, la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT était représentée à Oran par [J] [F] qui appartenait à la société BMGI et non à la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT ; que les procédures établies par celle-ci n'ont donc pas été observées ; qu'en effet, il ne s'agissait pas d'effectuer une simple opération de portage susceptible d'être confiée à un coursier, mais d'assurer la représentation commerciale de la société intimée ; que l'ouverture des plis n'a pas été confirmée au dernier moment comme le soutient [W] [E] ; que la faute de celle-ci consiste à avoir demandé le 29 août à [NR] [AT] d'établir la procuration de [A] [R] au nom d'[X] [C], alors qu'elle savait depuis le 27 août au moins que celui-ci ne pourrait être présent puisqu'il se rendait avec elle le même jour à [L] [H] ; qu'à [NR] [AT], qui connaissait cette difficulté, [X] [C] avait fait croire qu'il se rendrait à Oran avant de faire le voyage de [L] [H] ; que la bonne foi de [A] [R] et celle de l'assistante qui a préparé la procuration ont été abusées ; que la faute imputée à [W] [E] est établie ;
Que les faits du 7 mai 2008 sont de même nature que ceux du 9 septembre 2008 ; que [W] [E] ne conteste pas avoir signé la délégation de pouvoir qui constitue la pièce n°45 de la société intimée ; qu'en signant ce document, l'appelante a donné pouvoir à [X] [C], direction des opérations, EMERSON Process Management Algérie, de la représenter à la réunion du 7 mai 2008 à Arzew et de signer le contrat correspondant à la consultation restreinte pour la fourniture, l'installation et la mise en service de vannes régulatrices pour le terminal GZ1 40 ; qu'elle communique :
le pouvoir du 20 mai 2008 par lequel [XV] [HP], président de la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT, a délégué à [A] [R] tout pouvoir afin de répondre à l'appel d'offre du projet de fourniture, installation et mise en service de vannes régulatrices pour le terminal GZ1 40,
le pouvoir du 5 mai 2008 par lequel [A] [R] a délégué à [X] [C] le pouvoir de représenter la société, de remettre, parapher et signer tous documents relatifs au dossier 'terminal GZ1 40",
la délégation de pouvoir du 4 juin 2008 par laquelle [A] [R] a autorisé [X] [C] à retirer la caution de soumission relative à cette affaire ;
Qu'au regard des délégations de pouvoir consenties par [A] [R] à [X] [C], il appartenait à la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT de rapporter la preuve certaine des attributions dont les salariés du bureau de liaison de la structure algérienne EMERSON pouvaient être régulièrement investis ; que dans un courriel du 25 septembre 2008, [K] [FG], qui venait de recevoir 'par hasard' copie du contrat signé, a fait savoir à [U] [S] qu'[X] [C] n'était pas autorisé à signer ce contrat, même s'il avait obtenu en interne une délégation ; que les fonctions exactes de l'expéditeur et du destinataire de ce courrier électronique ne sont pas connues de la Cour ; que l'origine de la règle énoncée par [K] [FG] n'est pas davantage précisée ; que ce grief, sur lequel la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT est avare d'explications, sera donc écarté ;
Que pour ce qui concerne le grief relatif à la démonstration faite en Tunisie avec des produits 'Wireless', il ressort d'un courriel adressé le 27 février 2008 par [M] [ET] à [T] [P] et à [N] [YC] que l'expéditeur du message avait fait une demande à un conseil extérieur pour expédier du matériel sans fil en Tunisie, à titre temporaire, pour une démonstration chez British Gas ; que [M] [ET] ajoute qu'il y a lieu d'envisager l'éventualité de devoir retirer le matériel avant l'expédition finale si l'autorisation n'est pas délivrée ; qu'il faudra, selon lui, prévoir une plus grande marge pour le futur lorsqu'il s'agira de produits hautement contrôlés, tombant sous des mesures de sécurité nationale ; que même si [T] [P] n'était pas la collaboratrice de [W] [E], celle-ci n'ignorait pas la nécessité d'une autorisation parce que :
d'une part, [W] [E] a écrit le 14 février 2008 que l'autorisation de faire la démonstration du sans fil restait à résoudre, ce qui implique qu'une autorisation n'était pas seulement nécessaire pour vendre, mais aussi pour présenter le produit en Tunisie,
d'autre part, [RA] [V] lui a écrit le 9 avril 2008 qu'elle ne pouvait vendre de solutions Wireless en Afrique pour le moment ;
Qu'à l'époque, [W] [E] n'était pas confrontée à l'absence de clarté des directives de la division Rosemount, comme elle l'a soutenu a posteriori dans de tardives et laborieuses explications adressées à [O] [Y] le 2 septembre 2008 ; qu'elle n'avait aucun doute sur la nécessité d'une autorisation ; que le 24 juin 2008, [A] [R] a expliqué à [O] [Y] qu'en l'absence d'autorisation, il avait refusé de signer le carnet ATA pour le Cactus comprenant du sans fil et demandé que l'équipement sans fil soit retiré de la cargaison ; que selon lui, ses instructions n'avaient pas été suivies, [W] [E] ayant signé le carnet ATA et transporté l'équipement en Tunisie ; que pour le reste, le déroulement des événements est retracé dans un courriel adressé le 24 juin 2008 par [NR] [AT] à [A] [R] :
Je vous confirme que le Cactus a été exporté avec du matériel Wireless alors que nous n'avions pas obtenu l'autorisation. J'ai attiré l'attention de [W] sur ce point et elle m'a répondu : 's'il faut attendre l'accord de tout le monde, on ne fera jamais rien'. C'est la raison pour laquelle j'ai fait plus attention à l'expédition en Algérie ;
Que [W] [E] ne démontre pas qu'elle avait obtenu l'autorisation de la douane tunisienne qui avait visé selon elle le carnet ATA ; que cette explication est d'ailleurs en contradiction avec l'assurance donnée le 2 septembre 2008 à [O] [Y] de ce qu'en attendant d'avoir les autorisations de vente du sans fil en Afrique, elle n'emportait plus le matériel de démo correspondant ; qu'il ressort des pièces et des débats que [W] [E] s'est affranchie d'une règle dont elle avait une parfaite connaissance et dont elle cherche en vain à minimiser la clarté et le caractère impératif ;
Qu'ainsi, à trois reprises en quelques mois, [W] [E] a préféré contourner les obstacles en éludant les procédures applicables au sein de la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT ; qu'elle a abusé de la très large autonomie de jugement et d'initiative inhérente à la position III B qu'elle occupait dans la classification conventionnelle ; que dans ces conditions, la perte de confiance de la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT reposait sur des raisons objectives ; que si chacune des fautes retenues par la Cour n'aurait pu à elle seule justifier la rupture du contrat de travail, leur cumul sur une courte période constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'en revanche, l'importance de ces fautes n'était pas telle que l'exécution du préavis en était rendue impossible ;
Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse ;
Sur l'indemnité compensatrice de préavis :
Attendu que le Conseil de prud'hommes a fait une exacte application des dispositions de l'article 27 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie ; que [W] [E] n'explique pas la modification de ce chef de demande en cause d'appel ;
Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement :
Attendu que le sort de ce chef de demande est suspendu à la solution donnée à la question de savoir si le premier contrat de travail de [W] [E] a été rompu ou suspendu ; que la Cour n'est donc pas en mesure de statuer ;
Sur la demande de rappel de salaire sur la période de mise à pied :
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L 1332-3 du code du travail que seule une faute grave peut justifier le non-paiement du salaire pendant une mise à pied conservatoire ;
que le jugement qui a alloué à [W] [E] le rappel de salaire qu'elle sollicitait sur la période de mise à pied sera donc confirmé ;
Sur le bonus 2008 :
Attendu que la qualification de faute grave a été écartée ; qu'il en résulte que [W] [E] aurait dû être présente dans l'entreprise en décembre 2008, date de versement du bonus sur la période d'octobre 2007 à septembre 2008 ; qu'il y a lieu de lui allouer à ce titre la somme de 13 909,39 € avec les congés payés incidents ; qu'en effet, la somme de 14 347,80 € sollicitée et allouée par le Conseil de prud'hommes ne tient pas compte du fait que la rémunération annuelle brute de [W] [E] n'a été portée à 95 652 € qu'au 1er janvier 2008, c'est-à-dire pendant la période de référence prise en compte pour le calcul du bonus ;
Sur la demande de dommages-intérêts au titre des circonstances vexatoires du licenciement :
Attendu que les circonstances de la rupture peuvent constituer une faute ouvrant droit pour le salarié à la réparation de son préjudice moral ;
Qu'en l'espèce, non seulement la mise à pied conservatoire de [W] [E] n'était pas légalement possible en l'absence de faute grave, mais elle n'était pas justifiée en fait ; que la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT est incapable d'avancer des éléments concrets démontrant que le maintien de la salariée dans l'entreprise pendant la procédure de licenciement comportait un risque immédiat de réitération de faits fautifs ; qu'il s'est agi pour la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT d'une simple mesure de confort qui s'est traduite par l'éviction abrupte d'un cadre ayant plus de dix ans d'ancienneté dans le groupe EMERSON ; que la faute ainsi commise par la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT a causé à [W] [E] un préjudice moral qui sera réparé par l'octroi d'une somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts ;
PAR CES MOTIFS,
Reçoit l'appel régulier en la forme,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
1°) jugé que le licenciement ne repose pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse,
2°) condamné la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à payer à [W] [E] les sommes suivantes :
30 377,43 € au titre d'indemnité compensatrice de préavis,
3 037,74 € au titre des congés payés afférents,
6 224,18 € à titre de mise à pied du 24 septembre au 15 octobre 2008,
622,41 € à titre de congés payés afférents,
1 400,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ainsi qu'aux dépens de première instance ;
Infirme le jugement entrepris sur le montant du bonus 2008,
Statuant à nouveau :
Condamne la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à payer à [W] [E] :
la somme de treize mille neuf cent neuf euros et trente-neuf centimes (13 909,39 €) au titre du bonus 2008,
la somme de mille trois cent quatre-vingt-dix euros et quatre-vingt-treize centimes
(1 390,93 €) au titre des congés payés afférents ;
Y ajoutant :
Condamne la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT à payer à [W] [E] la somme de vingt mille euros (20 000 €) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif aux conditions vexatoires du licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt,
Dit que les intérêts échus des sommes allouées produiront eux-mêmes des intérêts au taux légal par années entières, en application de l'article 1154 du code civil ;
Réserve les autres demandes,
Enjoint la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT de faire traduire par un expert judiciaire inscrit l'intégralité de sa pièce numéro 38 (4 feuillets), dont la première page porte en titre 'Agreement between [W] [E], 19.06.1963, 3054 Schüpfen and EMERSON Process Management AG 6341 Baar',
Enjoint la S.A.S. EMERSON PROCESS MANAGEMENT de communiquer l'original de la première page de sa pièce numéro 38,
Enjoint [W] [E] de faire traduire par un expert judiciaire inscrit sa pièce numéro 3 (2 feuillets), dont la première page porte en titre 'Contract of employment between EMERSON Process Management / Fisher-Rosemount AG, CH-6341 Baar and [W] [E]',
Dit que chacune des parties supportera la charge des frais de traduction de la pièce qu'elle a communiquée,
Ordonne la reprise des débats à l'audience collégiale du 19 septembre 2011 à 9 heures, salle 1, la notification du présent arrêt valant convocation à ladite audience,
Réserve les dépens d'appel.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY