AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
R.G : 11/02127
[C]
C/
SA SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 28 Février 2011
RG : F 09/03727
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 24 MAI 2012
APPELANT :
[E] [C]
né le [Date naissance 1] 1973
[Adresse 2]
[Localité 5]
comparant en personne,
assisté de Me Alexandre FURNO de la SELARL LEXIA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SA SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Monsieur [K] [X] (D.R.H.)
Muni d'un pouvoir spécial
assisté de Me Olivia LONGUET, avocat au barreau de LYON,
PARTIES CONVOQUÉES LE : 26 Mai 2011
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Février 2012
Présidée par Hervé GUILBERT, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Marie BRUNEL, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de Chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Françoise CARRIER, Conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Mai 2012 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Conseiller, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS
La S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX exerce une activité de transport routier de marchandises ;
Elle emploie plus de 150 salariés , dont les contrats de travail relèvent de la convention collective nationale des transports routiers ;
[E] [C] a été engagé par la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX suivant contrat de travail à durée déterminée le 5 juillet 2004, puis suivant contrat à durée indéterminée à compter du 4 octobre 2004, en qualité de conducteur poids lourds de transport de marchandises ;
Sa rémunération mensuelle s'est élevée à 2 035 euros ;
Le 29 janvier 2007, [E] [C] a été convoqué à un entretien fixé au 5 février 2007;
Le 5 mars 2007, un avertissement lui a été notifié pour : 'non respect des consignes d'exploitation';
Le 31 janvier 2007, [E] [C] a été victime d'un accident du travail, il a été arrêté jusqu'au 12 mars 2007;
Le 1er juin 2007, il a fait l'objet d'une rechute et a de nouveau été arrêté jusqu'au 17 septembre 2007 ;
Lors de sa reprise de poste, la médecine du travail a rendu l'avis d'aptitude partielle suivant: 'apte à la reprise des tournées régionales (éviter les longues distances) et en évitant les charges de plus de 500 à 600 kg par transpalette manuel ; A revoir si nécessaire et visite du poste à organiser' ;
Le 18 octobre 2007, [E] [C] a de nouveau été convoqué à un entretien préalable
Par lettre du 6 novembre 2007, [E] [C] a été mis à pied à titre disciplinaire pendant deux jours, il lui a été reproché les faits suivants: 'non respect des consignes d'exploitation, chargement non effectué sans prévenir l'exploitation, non réponse aux appels téléphoniques sur le portable entreprise pendant les heures de services';
Le 22 octobre 2007, la médecine du travail a rendu un avis complémentaire libellé comme suit: ' éviter les tournées de plus de 150 à 200 km par jours; - contre indication médicale au couchage dans le camion ; A revoir si nécessaire' ;
Le 22 octobre 2007, [E] [C] a adressé une lettre à la direction de la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX dans laquelle il s'est plaint d'une discrimination raciale de la part de [G] [F], son supérieur hiérarchique ;
La S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX lui a apporté la réponse suivante : 'Nous avons auditionné [G] [F] dont vous estimez avoir été victime d'une discrimination raciale de sa part. [G] [F] affirme qu'à aucun moment, il n'a eu de propos racistes et fait preuve d'un comportement pouvant laisser supposer un tel état d'esprit envers vous. Dans le même temps, nous avons également procédé à une enquête et auditionné le salarié de l'Agence, et aucun d'eux n'a reconnu avoir entendu de propos discriminatoires ou désobligeants à votre égard ou envers d'autres salariés;
Nous tenons à vous assurer que si nous constatons de tels manquements, nous prendrions toutes les sanctions appropriées envers les personnes responsables de ces actes. En aucun cas, nous ne saurions accepter de tels agissements au sein de notre Entreprise »;
Après un premier avis rendu le 14 janvier 2008, la médecine du travail a rendu un avis définitif le 29 janvier 2008 dans ces termes : 'inaptitude à tout poste comportant des manutentions répétitives même légères et la conduite prolongée';
Par lettre recommandée avec avis de réception du 29 février 2008 , [E] [C] a été convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 10 mars 2008;
L'entretien a eu lieu le jour prévu ;
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mars 2008, [E] [C] a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, dans ces termes :
' Nous faisons suite à notre entretien du 10 mars 2008 au cours duquel nous avons exposé la raison pour laquelle nous envisagions la rupture de votre contrat de travail;
Nous vous rappelons les motifs qui nous amènent à prendre une telle décision;
A l'issue de deux examens de reprise réglementaire, le Médecin du Travail vous a déclaré
« Inapte à votre poste de travail et à tout poste comportant des manutentions répétitives même légères et à la conduite prolongée ».
Après avoir informé le 8 février 2008 les organisations professionnelles et consulté les délégués du personnel lors d'une réunion exceptionnelle le 23 février 2008, nous sommes néanmoins dans l'obligation de rompre votre contrat de travail, malgré notre souhait de conserver un emploi dans l'entreprise, il apparaît, à l'issue des différentes recherches que nous avons entreprises à cet effet, nous sommes aujourd'hui au regret de constater l'impossibilité de procéder à votre reclassement compte tenu de votre état de santé pour les raisons suivantes :
L'ensemble des emplois existant dans l'entreprise que vous êtes susceptible d'occuper et correspondant à votre qualification (conducteur poids lourd) suppose la conduite et la manutention de transpalettes et livraisons. Seul un emploi purement administratif pourrait correspondre ;
Les seuls qui existent dans notre entreprise sont déjà occupés par des personnes non susceptibles d'échanger leur emploi ;
Nous sommes par conséquent dans l'obligation de vous notifier par la présente votre licenciement qui prendra effet immédiatement dès présentation de cette lettre ;' ;
PROCÉDURE
Contestant les sanctions disciplinaires et le licenciement, [E] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon le 18 avril 2008 en condamnation de la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX à lui payer les sommes suivantes :
- 183,27 € au titre de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,
- 18,32 € au titre des congés payés y afférents,
- 32.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 4.070 € au titre du préavis,
- 407 € au titre des congés payés y afférents,
- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 3.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Comparaissant, la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX a conclu au débouté total d'[E] [C] et à sa condamnation à lui payer une indemnité de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par jugement contradictoire rendu le 28 février 2011, le conseil de prud'hommes de Lyon, section du commerce, a donné acte à la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX du règlement de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents d'un montant de 3 467;71 euros, débouté [E] [C] de l'ensemble de ses demandes, et la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX de la sienne sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
[E] [C] a interjeté appel du jugement le 24 mars 2011 ;
Concluant à son infirmation, il demande l'annulation des sanctions et la condamnation à la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX à lui payer les sommes suivantes :
- 183,27 € au titre de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,
- 18,32 € au titre des congés payés y afférents,
- 32.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 4.070 € au titre du préavis,
- 407 € au titre des congés payés y afférents,
- 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
- 3.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
La S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation d'[E] [C] à lui payer une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
À l'audience de la cour [E] [C] retire par la voix de son avocat ses demandes relatives au préavis et aux congés payés y afférents ;
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'annulation de l'avertissement du 5 mars 2007
Attendu que par une lettre recommandée avec avis de réception datée du 5 mars 2007 et faisant suite à un entretien ayant eu lieu le 5 février 2007 la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX décernait à [E] [C] un avertissement pour 'Non-respect des consignes d'exploitation' ;
Attendu que l'employeur ne fonde sa décision sur aucun élément précis et matériellement vérifiable ; que le compte rendu d'entretien rédigé par monsieur [K], dans lequel il est fait état de non-réponses du salarié à des appels téléphoniques et de défauts de diligences au retour des tournées, n'est corroboré par aucune pièce objective et contemporaine de l'exécution du contrat de travail ;
Attendu que la sanction sera dès lors annulée ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être infirmée ;
Sur l'annulation de la mise à pied disciplinaire du 6 novembre 2007
Attendu que par une lettre recommandée avec avis de réception datée du 6 novembre 2007 et faisant suite à un entretien ayant eu lieu le 25 octobre 2007 la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX infligeait à [E] [C] une mise à pied disciplinaire 2 jours pour les motifs suivants :
- non-respect des consignes d'exploitation,
- chargement non effectué sans prévenir l'exploitation,
- non-réponse aux appels téléphoniques sur le portable entreprise pendant les heures de service ;
Attendu que l'employeur ne fonde sa décision sur aucun élément précis et matériellement vérifiable ; que le compte rendu d'entretien rédigé par monsieur [K], dans lequel il est fait état de non-réponses du salarié à des appels téléphoniques et de défauts de diligences au retour des tournées, n'est corroboré par aucune pièce objective et contemporaine de l'exécution du contrat de travail ;
Attendu que la sanction sera dès lors annulée ;
Attendu que par voie de conséquence [E] [C] est bien fondé en sa demande de rappel de salaires et congés payés afférents à la sanction ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être infirmée sur ces points ;
Sur le licenciement
Attendu que selon l'article L. 1226-10 du code du travail lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; que cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail ;
Attendu que selon l'article L. 1226-12 du même code lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement ; que l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226 10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions ;
Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception du 13 mars 2008, la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX licenciait [E] [C] pour inaptitude et impossiblité de tout reclassement dans les termes suivants :
' Nous faisons suite à notre entretien du 10 mars 2008 au cours duquel nous avons exposé la raison pour laquelle nous envisagions la rupture de votre contrat de travail;
Nous vous rappelons les motifs qui nous amènent à prendre une telle décision;
A l'issue de deux examens de reprise réglementaire, le Médecin du Travail vous a déclaré
« Inapte à votre poste de travail et à tout poste comportant des manutentions répétitives même légères et à la conduite prolongée ».
Après avoir informé le 8 février 2008 les organisations professionnelles et consulté les délégués du personnel lors d'une réunion exceptionnelle le 23 février 2008, nous sommes néanmoins dans l'obligation de rompre votre contrat de travail, malgré notre souhait de conserver un emploi dans l'entreprise, il apparaît, à l'issue des différentes recherches que nous avons entreprises à cet effet, nous sommes aujourd'hui au regret de constater l'impossibilité de procéder à votre reclassement compte tenu de votre état de santé pour les raisons suivantes :
L'ensemble des emplois existant dans l'entreprise que vous êtes susceptible d'occuper et correspondant à votre qualification (conducteur poids lourd) suppose la conduite et la manutention de transpalettes et livraisons. Seul un emploi purement administratif pourrait correspondre;
Les seuls qui existent dans notre entreprise sont déjà occupés par des personnes non susceptibles d'échanger leur emploi;
Nous sommes par conséquent dans l'obligation de vous notifier par la présente votre licenciement qui prendra effet immédiatement dès présentation de cette lettre.' ;
Attendu que la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX ne prouve pas qu'elle ne disposait d'aucun poste correspondant aux préconisation du médecin du travail ;
Attendu qu'elle justifie pour seule tentative de reclassement une lettre générale adressée à la FNTR du Rhône le 8 février 2008 en application de l'article 14 des clauses communes de la convention collective nationale des transports routiers ;
Attendu qu'à défaut d'une démarche plus précise le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que la décision des premiers juges doit être infirmée ;
Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Attendu que selon l'article L. 1226-15 du code du travail lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives à la réintégration du salarié déclaré apte, prévues à l'article L. 1226-8, le tribunal saisi peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; qu'il en va de même en cas de licenciement prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L. 1226-12 ; qu'en cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le tribunal octroie une indemnité au salarié ; que cette indemnité ne peut être inférieure à douze mois de salaires ; qu'elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement prévues à l'article L1226-14 ; que lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 1226-12, il est fait application des dispositions prévues par l'article L. 1235-2 en cas d'inobservation de la procédure de licenciement ;
Attendu que lors du licenciement [E] [C] était âgé de 35 ans, présentait une ancienneté de 4 ans et percevait un salaire brut mensuel moyen de 2.035 € ;
Attendu qu'il justifie avoir été indemnisé par le Pôle Emploi jusqu'en juillet 2008 ;
Attendu que la cour a ainsi les éléments pour fixer les dommages-intérêts au minimum légal à arrondir à 25.000 € ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Attendu que selon l'article L. 1222-1 du code du travail le contrat de travail est exécuté de bonne foi ;
Attendu qu'elle se présume et la preuve contraire incombe à la partie qui l'allègue ;
Attendu qu'[E] [C] ne présente aucun élément probant ;
Attendu que la décision des premiers juges, qui ont rejeté la demande, doit être confirmée
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Constate qu'[E] [C] ne demande plus le paiement du préavis et des congés payés y afférents,
Confirme le jugement déféré sur le rejet de la demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail;
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Annule l'avertissement du 5 mars 2007 et la mise à pied disciplinaire du 6 novembre 2007,
Dit le licenciement d'[E] [C] sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX à payer à [E] [C] les sommes suivantes :
- 183,27 € au titre de salaire afférent à la mise à pied disciplinaire,
- 18,32 € au titre des congés payés y afférents,
- 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.500 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX de sa demande d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile formulée en cause d'appel,
Condamne la S.A. SYNERGIES LOGISTIQUES VAULX aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS