AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 11/08700
FONDATION RICHARD
C/
[B]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 15 Décembre 2011
RG : 10/2373
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 03 OCTOBRE 2012
APPELANTE :
FONDATION RICHARD
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Jérome CHOMEL DE VARAGNES de la SELARL EQUIPAGE, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[L] [B]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 5] RHONE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
comparant en personne, assistée à l'audience de Me Pierre MASANOVIC de la SCP ANTIGONE AVOCATS, avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 16 février 2012
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 20 Juin 2012
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Françoise CARRIER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 03 Octobre 2012, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Marie BRUNEL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 15 décembre 2011 par le Conseil de Prud'hommes de LYON , dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 9 mai 2012 par la FONDATION RICHARD, appelante, incidemment intimée ;
Vu les conclusions déposées le 20 juin 2012 par [L] [B], intimée, incidemment appelante ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 20 juin 2012 ;
La Cour,
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 16 juin 1997, [L] [B] a été embauchée par la FONDATION RICHARD qui reçoit les enfants et adultes atteints de déficience motrice, en qualité de directrice adjointe de deux établissements dénommés Centre d'Éducation Motrice (C.E.M.) et Service d'Éducation Spéciale et de Soins à Domicile (S.E.S.S.A.D.), avec le statut de cadre ;
qu'en 2003, la direction du S.E.S.S.A.D. a été confiée à un autre salarié sans qu'aucun avenant au contrat de travail n'ait été formalisé ;
Attendu que le 21 mai 2010 la salariée a été licenciée pour faute grave suivant lettre signée par le sieur [Z] [E], directeur général de la fondation ;
Attendu que le 18 juin 2010 [L] [B] a saisi la juridiction du Travail en lui demandant de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner la FONDATION RICHARD à lui payer :
1° la somme de 17 449,64 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 1 744,96 € pour les congés payés y afférents,
2° la somme de 52 348,91 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
3° la somme de 105 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
4° la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de notification du droit individuel à la formation et de portabilité de la prévoyance ;
Attendu que c'est à la suite de ces circonstances que par jugement du 15 décembre 2011 le Conseil de Prud'hommes de LYON a :
- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la FONDATION RICHARD à payer à [L] [B] :
1° la somme de 17 449,64 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 1 744,96 € pour les congés payés y afférents,
2° la somme de 52 348,91 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
3° la somme de 55 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
4° la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de notification du droit individuel à la formation et à la portabilité de la prévoyance ;
Attendu que la FONDATION RICHARD a régulièrement relevé appel de cette décision le 22 décembre 2011 ;
qu'elle soutient essentiellement à l'appui de sa contestation que les statuts de 1985 qui doivent être seuls pris en considération puisqu'ils ont seuls été approuvés par le Ministère de l'Intérieur, ne précisent pas quels sont les pouvoirs que le président de la fondation peut déléguer et qu'il suffit donc d'une délégation apparente de pouvoirs pour que la lettre de licenciement signée du directeur général soit valable et qu'en tout état de cause, le défaut de qualité du signataire de ladite lettre ne constituerait qu'une simple irrégularité de procédure;
qu'elle ajoute que les divers griefs énumérés dans la lettre de licenciement dénoncent des actes d'insubordination caractérisés dont la preuve est amplement rapportée, que la notification au droit individuel à la formation ne peut trouver à s'appliquer en cas de licenciement pour faute grave compte tenu de l'incohérence des dispositions légales et que la délégation générale du travail a reconnu que les dispositions relatives à la portabilité de la prévoyance ne s'appliquent pas au secteur de l'économie sociale, l'intimée ne justifiant en tout état de cause d'aucun préjudice ;
qu'elle demande en conséquence à la Cour d'infirmer le jugement critiqué et de débouter [L] [B] de l'ensemble de ses prétentions ;
Attendu que formant appel incident, celle-ci conclut à ce qu'il plaise à la Cour réformer la décision attaquée, condamner la FONDATION RICHARD à lui payer la somme de 105000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et confirmer pour le surplus le jugement entrepris ;
qu'elle fait principalement valoir à cet effet que le directeur général de la fondation n'avait pas qualité pour signer le lettre de licenciement au regard des statuts et du règlement intérieur, de sorte que le licenciement est nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, et subsidiairement que la faute grave alléguée n'est pas démontrée ;
Attendu que les deux parties se réfèrent aux statuts de la fondation du 25 avril 1985 mais qu'aucune n'a estimé utile de verser lesdits statuts aux débats ;
que la Cour n'a pas à rechercher cet élément de preuve qu'il appartenait aux parties de produire ;
Attendu en revanche que l'intimée verse aux débats les statuts du 20 novembre 1990 qui, contrairement à ce que prétend l'appelante, ont été approuvés par le Ministère de l'Intérieur suivant arrêté du 23 juin 1992 également versé aux débats ;
que la Cour considère donc qu'à défaut de production d'autre statuts plus récents par l'une ou l'autre des parties, seuls ceux du 20 novembre 1990, dûment approuvés par l'autorité administrative, régissent le fonctionnement de la fondation ;
Attendu que l'article 8 desdits statuts dispose que le conseil d'administration nomme le directeur qui assume la responsabilité permanente des actions éducatives, médicales, pédagogiques ou techniques des différents établissements, sous le contrôle du conseil d'administration ;
Attendu que l'article 10 des mêmes statuts précise que le président représente la fondation dans tous les actes de la vie civile, qu'il ordonnance les dépenses et qu'il peut donner délégation dans des domaines divers à d'autres membres du conseil d'administration;
Attendu qu'ainsi, par définition, le pouvoir d'embaucher des salariés et de les licencier n'appartient exclusivement qu'au président de la fondation ;
que certes, ce dernier a la faculté de déléguer ses pouvoirs, mais que les statuts limitent cette possibilité aux seuls membres du conseil d'administration dont le directeur général ne fait pas partie ;
qu'au reste, la fondation appelante ne produit aucune délégation de pouvoir consentie par le président du conseil d'administration au sieur [E], directeur général, pour licencier les membres du personnel ;
Attendu, sur ce point, qu'il est totalement vain, pour la fondation appelante, de se référer à la théorie de l'apparence, laquelle ne trouve à s'appliquer qu'à l'égard des tiers au contrat, ce que d'évidence n'est pas [L] [B] qui est l'une des parties contractantes;
Attendu que le licenciement a donc été décidé et prononcé par une personne sans qualité ;
qu'il ne s'agit point là d'un simple vice de procédure, mais qu'au contraire le défaut de qualité du signataire de la lettre de licenciement rend l'acte inexistant ;
qu'il suit de là que la rupture du contrat de travail par un acte sans portée et sans valeur doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
que la confirmation s'impose donc de ce chef ;
Attendu que l'intimée a travaillé pendant près de treize années au service de la FONDATION RICHARD sans qu'aucun reproche ne lui ait jamais été adressé avant son licenciement irrégulier ;
qu'elle n'a jamais bénéficié d'un entretien d'évaluation ;
qu'elle était âgée de cinquante-deux ans au moment du licenciement et qu'il est évident qu'elle rencontre de grandes difficultés pour retrouver un emploi lui procurant des ressources comparables ;
Attendu que le préjudice subi par la salariée à la suite de ce licenciement sans cause réelle et sérieuse a été quelque peu sous-estimé par les premiers juges ;
qu'il convient de réformer de ce chef et de condamner la fondation appelante à lui payer la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu, sur le droit individuel à la formation, que vainement la FONDATION RICHARD soutient-elle que les dispositions de l'article L 6323-17 du Code du Travail résultant de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 seraient incohérentes et donc inapplicables puisque la demande de bénéfice du droit individuel à la formation doit être formée par le salarié pendant le préavis alors que par définition il n'y a pas de préavis en cas de faute grave ;
Attendu en effet, que l'article L 6323-19 du même code dispose que dans la lettre de licenciement, l'employeur informe le salarié, s'il y a lieu, de ses droits en matière de droit individuel à la formation ;
que ce devoir d'information doit donc s'appliquer même en cas de licenciement pour faute, sauf faute lourde, quand bien même le salarié n'exécute pas en principe son préavis;
Attendu qu'il est indifférent que la FONDATION RICHARD ait cru devoir informer la salariée licenciée de ses droits en matière de droit individuel à la formation par lettre tardive du 20 juillet 2010 alors que cette information devait figurer dans la lettre de licenciement du 21 mai 2010 ;
qu'il est constant et reconnu par la fondation appelante que cette information ne figure pas dans la lettre de licenciement du 21 mai 2010 ;
que cette omission a nécessairement causé un préjudice à la salariée licenciée ;
Attendu, sur la portabilité des garanties de prévoyance , qu'il est constant et reconnu par la fondation appelante qu'elle n'a fourni aucune information à ce sujet comme les dispositions de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 et de l'avenant du 18 mai 2009 étendu par arrêté ministériel du 7 octobre 2009 lui en faisaient obligation ;
que la FONDANTION RICHARD ne saurait se prévaloir d'une instruction de la Délégation Générale du Travail du 8 décembre 2009 qui excepterait le secteur de l'économie sociale et le secteur sanitaire et social d'une telle obligation ;
qu'en effet outre que les juridictions judiciaires ne sont aucunement liées par les circulaires ou instructions administratives, l'instruction en question ne concerne que la rupture conventionnelle du contrat de travail et qu'elle est donc étrangère à la matière des licenciements pour autre cause ;
Attendu que le Conseil de Prud'hommes a justement évalué le préjudice causé à la salariée par l'absence d'information sur le droit individuel à la formation et sur la portabilité des garanties de prévoyance ;
que le jugement dont appel sera donc confirmé de ce chef ;
Attendu que pour assurer la défense de ses intérêts devant la Cour, l'intimée a été contrainte d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il paraît équitable de laisser, au moins pour partie, à la charge de l'appelante ;
que celle-ci sera donc condamnée à lui payer une indemnité de 2 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, dit le second seul justifié ;
Réformant, condamne la FONDATION RICHARD à payer à [L] [B] la somme de 80 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ;
Condamne la FONDATION RICHARD à payer à [L] [B] une indemnité de 2 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
La condamne aux dépens.
Le GreffierLe Président