R.G : 11/07586
Décision du tribunal de grande instance de Lyon
Au fond du 12 septembre 2011
4ème chambre
RG : 2011/489
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 28 Novembre 2013
APPELANTE :
[Z] [B]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 6] (TUNISIE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par la SELARL SIMMLER - STEDRY, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
[T] [P]
né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 5] (RHONE)
exerçant au :
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
demeurant :
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
assisté de la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
Société MUTUELLE D'ASSURANCE DU CORPS DE SANTE FRANCAIS (M.A.C.S.F.)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 4]
représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
assistée de la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 15 Janvier 2013
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Septembre 2013
Date de mise à disposition :14 novembre 2013, prorogée au 28 novembre 2013, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier aliéna du code de procédure
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Michel GAGET, président
- François MARTIN, conseiller
- Philippe SEMERIVA, conseiller
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Philippe SEMERIVA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par François MARTIN, conseiller, faisant fonction de président, en remplacement du président légitimement empêché, et par Joëlle POITOUX , greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement du 12 septembre 2011 rendu par le tribunal de grande instance de Lyon qui déboute [Z] [B] de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de [T] [P] et la société MUTUELLE D'ASSURANCE DU CORPS DE SANTE FRANCAIS et qui la condamne à payer à [T] [P] la somme de 800 euros de dommages intérêts outre 1500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, aux motifs que l'expertise du docteur [T] [P], désigné le 31 juillet 2011, dont le rapport a pour date le 22 janvier 2002 n'est pas nulle, pour défaut du respect du contradictoire et que l'expert n'a pas commis de manquement dans l'exécution des opérations d'expertise ;
Vu la déclaration d'appel faite le 10 novembre 2011 par [Z] [B] ;
Vu les conclusions de celle-ci en date du 16 juillet 2012 qui conclut à la réformation de la décision attaquée et qui soutient que l'expert [P] a commis des fautes dans l'accomplissement de sa mission d'expertise de sorte qu'il doit la somme de 18 058 euros en réparation du dommage causé par ses fautes ;
Vu les conclusions en date du 06 novembre 2012 du docteur [T] [P] et de la MACSF Assurances qui font valoir ceci :
1 - les conclusions notifiées les 25 avril 2012 et 16 juillet 2012 de [Z] [B] sont irrecevables en application des articles 960 et 961 du code de procédure civile pour ne pas donner sa bonne adresse et parce que la communication des pièces du bordereau du 19 juillet 2011 n'est pas régulière ;
2 - la preuve qu'une faute dans la conduite de l'expertise judiciaire ait été commise n'est pas rapportée ;
3 - la preuve qu'un dommage existe n'est pas non plus rapportée ;
4 - le mal fondé de l'intégralité des prétentions de [Z] [B] doit être prononcé de sorte que la confirmation s'impose sur ce point ;
5 - il est demandé, par appel incident, le paiement de la somme de 5 000 euros de dommages intérêts pour abus de droit et en réparation du préjudice moral causé par cet abus, outre 4 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 15 janvier 2013 ;
A l'audience du 12 septembre 2013, les avocats des parties ont donné leurs explications orales après le rapport du conseiller Philippe SEMERIVA.
DECISION
1 - Il ressort du débat que le docteur [T] [P] avait été désigné le 31 juillet 2001 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, comme expert judiciaire, pour donner son avis sur les soins prodigués à [Z] [B] par le docteur [V], chirurgien dentiste, lors d'un détartrage, au cours duquel il avait utilisé un laser 'Lokki' ce qui aurait provoqué de vives douleurs aux incisives supérieures de la patiente.
2 - Après avoir examiné le 06 novembre 2001, [Z] [B] et après avoir entendu les doléances et les explications de chaque partie, à savoir [Z] [B] et le docteur [V], l'expert [P] a rédigé un pré rapport et un rapport définitif en date du 20 janvier 2012, en répondant aux observations de l'avocat de [Z] [B], avocat qui a eu connaissance du pré rapport.
3 - Dans ce rapport définitif, l'expert [T] [P] conclut qu'il n'y a pas d'imputabilité directe, certaine et exclusive entre les soins dentaires et les douleurs ressenties et qu'il n'y a pas lieu d'attribuer une IPP et un pretium doloris
4 - [Z] [B] soutient que l'expert [T] [P] n'a pas respecté ses obligations au regard et en application des articles 16, 276 et 278 du code de procédure civile en ne se faisant pas assister d'un sapiteur compétent en matière de laser, en ne tenant pas compte de toutes les informations communiquées par [Z] [B], en se servant des connaissances de l'expert du docteur [V], en prenant en compte des données scientifiques erronées.
5 - En premier lieu, et contrairement à ce que soutiennent [T] [P] et son assureur les conclusions du 16 juillet 2012 et les pièces données au débat et communiquées entre les parties en appel ne sont pas irrecevables en application des articles 960 et 961 du code de procédure civile dans la mesure où [Z] [B] a fait connaître, en cours de procédure d'appel, sa nouvelle adresse, et avant l'ouverture des débats devant la cour, en envoyant un courrier au greffe de la cour d'appel en date du 03 août 2012 donnant sa nouvelle adresse à [Adresse 2] et dans la mesure où la critique qui est faite des pièces communiquées n'est pas de nature à justifier une irrecevabilité quelconque.
6 - En deuxième lieu, sur le fond, il appartient à [Z] [B] de prouver les manquements dont elle fait état à l'encontre de l'expert dans le déroulement des opérations d'expertise.
7 - Il lui appartient, en outre, de prouver que les manquements, s'ils étaient avérés, sont à l'origine du dommage dont elle demande réparation, pour lui avoir fait perdre la chance d'obtenir une réparation à l'encontre du docteur [V] qui avait procédé au détartrage en 1999.
8 - La cour observe que l'action engagée par [Z] [B] n'est pas une action en annulation du rapport d'expertise du 20 janvier 2002, mais qu'il s'agit d'une action en responsabilité de l'expert fondée sur la faute qu'il avait commise en procédant aux opérations d'expertise dont la conclusion ne fait pas l'objet d'un débat en soi, sauf à observer que toute l'argumentation développée tend à reprocher à l'expert un avis erroné qui lui a causé une perte de la chance d'obtenir du docteur [V] une indemnisation qu'elle réclame, aujourd'hui, à l'expert [T] [P].
9) Et comme le premier juge l'a retenu, à bon droit et à juste titre, aucun manquement ne peut être reproché à l'expert qui a procédé contradictoirement et qui n'avait pas l'obligation de recourir à un sapiteur spécialiste des effets et conséquences d'un laser, alors qu'il constatait la présence d'un état antérieur aux soins en des termes qui ne sont pas remis en cause par la patiente [Z] [B] et qu'il relevait aussi qu'il existait, le jour de l'examen 'aucune manifestation pathologique objective qui pourrait être d'une manière directe, certaine et exclusive à l'origine des douleurs...'
10 - En effet, il est établi par les pièces communiquées et le débat que l'expert a respecté le principe de la contradiction dans ses opérations d'examen, d'études et avant de conclure, après avoir suscité, par l'envoi d'un pré rapport, des observations ultimes auxquelles il a répondu.
11 - En effet, encore, l'expert [T] [P] n'était pas obligé de recourir à l'avis d'un sapiteur, spécialiste des effets et conséquences d'un laser pour le détartrage des dents, dès lors notamment qu'il avait constaté comme il l'a fait en novembre 2001 l'état antérieur présenté par [Z] [B] et l'absence de manifestation objective et mesurable d'une pathologie.
12 - En tenant compte des éléments de fait qui ont été donnés à l'expert [T] [P] lors de son expertise, en l'état des textes en vigueur au moment où il procédait, et en l'état des données de la médecine à l'époque, il n'existe aucune violation des textes sur lesquels se fonde [Z] [B] et tels qu'ils étaient, en leur rédaction en vigueur au moment de l'expertise et du rapport du 20 janvier 2002.
13 - De plus le débat tel qu'il ressort des pièces ne montre pas, contrairement à ce que suggèrent les prétentions de [Z] [B], que les observations, constatations et conclusions de l'expert [P] étaient erronées et non conformes aux données de la médecine à l'époque où il procédait. Car la lettre du docteur [C] [F] en date du 20 mars 2002 indiquant que le rapport d'expertise est techniquement non recevable et en observant que ce rapport ne mentionne pas la nature du laser utilisé, ni sa longueur d'ondes, ni les doses utilisées, et produit au débat devant cette cour ne suffit pas, à elle seule, à faire admettre que la conclusion était erronée parce que fondée sur l'état antérieur de la patiente, observation faite que l'expert [P] n'a constaté aucune lésion comme le rappelle l'arrêt de cette cour du 31 mars 2005.
14 - En outre, la cour observe, à la suite des conclusions du docteur [P] et de son assureur que les arrêts rendus respectivement par la cour d'appel de Lyon le 31 mars 2005 et par la cour d'appel de Grenoble le 1er avril 2008 sur les prétentions de [Z] [B] qui a été intégralement déboutée de ses prétentions faites à l'encontre du docteur [V] et du fabriquant du laser utilisé, sont le résultat d'une application normale des règles du droit et de la procédure.
15 - En conclusion, ni sur le fondement de l'article 1147 du code civil puisqu'il n'a jamais existé de contrat médical avec l'expert, ni sur le fondement de l'article 1382 du code civil, car il n'y a pas eu de manquement fautif dans la conduite de l'expertise, les prétentions de [Z] [B] ne sont pas fondées.
Elle doit donc être entièrement déboutée de ses prétentions comme l'a fait, à bon droit, le premier juge dont la décision doit être confirmée sur ce point.
16 - Quant aux dommages et intérêts pour abus de procédure, la décision doit être confirmée en son principe mais amendée en son montant pour les évaluer à la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice moral causé au docteur [T] [P]. En effet l'obstination de [Z] [B] à continuer des procédures judiciaires à l'encontre de l'expert qui n'avait constaté aucune lésion et aucun signe objectif, mesurable, contrôlable de pathologie existante au moment des opérations d'expertise constitue bien un abus du droit d'agir en justice et non une action loyale à l'égard de l'expert dont les conclusions avaient donné lieu à deux décisions définitives.
Cet abus a causé un incontestable préjudice moral à [T] [P] dont la compétence et la probité ont été mises en cause que la cour estime à la somme de 5 000 euros, eu égard aux faits de la cause.
17 - L'équité commande d'allouer à [T] [P] la somme de 4 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile pour sa défense en première instance et en appel.
18 - [Z] [B] qui succombe doit supporter tous les dépens engagés.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
- confirme le jugement du 12 septembre 2011, en ce qu'il déboute [Z] [B] de ses prétentions à l'encontre de l'expert [T] [P] et de son assureur, la société MUTUELLE D'ASSURANCE DU CORPS DE SANTE FRANCAIS (MACSF) et en ce qu'il la condamne aux dépens ;
- réforme cette décision quant au montant de dommages intérêts en raison de l'abus de droit et quant à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- statuant à nouveau sur ces points ;
- condamne [Z] [B] à payer à [T] [P] la somme de 5 000 euros de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral causé par la procédure abusive ;
- condamne [Z] [B] à lui verser aussi 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne [Z] [B] à supporter tous les dépens d'appel ;
- autorise les mandataires des parties qui en ont fait la demande à les recouvrer aux formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERPour LE PRESIDENT empêché
Joëlle POITOUX François MARTIN