AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 12/04362
SAS SYNCHRONE TECHNOLOGIES
C/
[D]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 15 Mai 2012
RG : F 10/01896
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 02 AVRIL 2014
APPELANTE :
SAS SYNCHRONE TECHNOLOGIES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Yann ARNOUX-POLLAK, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMÉE :
Virginie GARCIN
née le [Date naissance 1] 1978 à
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Stéphanie ATTIA-COLOMBIN, avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 26 décembre 2012
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Septembre 2013
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Christian RISS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 02 Avril 2014, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 15 mai 2012 par le Conseil de Prud'hommes de LYON, dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 4 septembre 2013, par la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES, appelante, incidemment intimée ;
Vu les conclusions déposées le 21 mai 2013, par Virginie GARCIN, intimée, incidemment appelante ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 4 septembre 2013 ;
La Cour,
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 28 mai 2007, [E] [D] a été embauchée en qualité d'ingénieur d'affaires, statut cadre, par la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES, moyennant un salaire brut mensuel de 2 333,33 € outre un commissionnement de 10 % brut sur l'ensemble de la marge réalisée par le centre de profit payable le mois suivant ainsi qu'une prime de démarrage pour toute nouvelle affaire ;
Attendu que le 25 mai 2009, la salariée a informé l'employeur de son état de grossesse, son départ en congé de maternité étant prévu pour la période du 16 octobre 2009 au 4 février 2010 ;
que cependant le contrat de travail a été suspendu dès le 10 juillet 2009 en raison d'une grossesse pathologique ;
que compte tenu des problèmes de santé rencontrés par son enfant, l'employeur a accepté qu'à l'issue de son congé de maternité [E] [D] se place en congé payé conformément à ses droits acquis jusqu'au 22 mars 2010, date à laquelle elle a repris ses fonctions ;
Attendu que le 28 avril 2010, [E] [D] a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ;
que le 11 mai 2010 elle a saisi la juridiction du Travail en lui demandant de requalifier cette prise d'acte en licenciement nul et subsidiairement en licenciement abusif, et en conséquence de condamner la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES à lui payer des rappels de salaire, des dommages et intérêts ainsi que des indemnités diverses ;
Attendu que par jugement du 15 mai 2012 le Conseil de Prud'hommes de LYON a notamment :
- condamné la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES à payer à [E] [D] la somme de 2 411,47 € à titre de rappel de salaire pour la période de suspension du contrat de travail avec intérêts légaux à compter du 14 mai 2010,
- condamné ladite société à lui payer la somme de 20,49 € au titre des intérêts légaux dûs pour la période du 14 mai au 31 décembre 2010 sur la somme de 4 959,60 €,
- déclaré la rupture du contrat de travail imputable à la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES et dit qu'elle doit produire les effets d'un licenciement abusif,
- condamné en conséquence la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES à payer à [E] [D] :
1°) la somme de 4 111,84 € à titre d'indemnité de licenciement,
2°) la somme de 12 717,06 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 1217,70 € pour les congés payés y afférents,
3°) la somme de 45 000 € à titre de dommages et intérêts,
le tout avec exécution provisoire ;
Attendu que la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES a régulièrement relevé appel de cette décision le 6 juin 2012 ;
Attendu, sur la demande de rappel de salaire relative à la période de suspension du contrat de travail pour congé de maternité, que tant dans sa lettre du 28 avril 2010 portant prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur que devant la Cour, l'intimée reproche à la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES de ne pas avoir maintenu l'intégralité de sa rémunération pendant cette période de suspension en ne lui versant que la partie fixe de celle-ci ;
Attendu qu'il est à noter qu'en janvier 2011, la société appelante a néanmoins accepté de verser à la salariée la somme de 4 959,60 € à ce titre ;
qu'elle soutient en cause d'appel que ce versement résulterait d'une erreur de droit de sa part et qu'en réalité, les commissionnements ont un caractère de primes liées à la présence du salarié dans l'entreprise, de sorte que la part variable de la rémunération n'était pas due pendant la suspension du contrat de travail pour congé de maternité ;
qu'elle prie en conséquence la Cour de condamner [E] [D] à lui restituer la somme de 3937,19 € correspondant à un trop perçu ;
Attendu que l'article 44 alinéa 1er de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques stipule que les collaboratrices ayant plus d'un an d'ancienneté dans l'entreprise à la date de leur arrêt de travail pour maternité conserveront le maintien intégral de leurs appointements mensuels pendant la durée du congé légal sous déduction des indemnités versées par la sécurité sociale et les régimes de prévoyance ;
Attendu que le maintien intégral des appointements s'entend non seulement de la partie fixe de la rémunération, mais également de la partie variable ;
qu'au surplus, le contrat de travail stipule que les commissions sont calculées sur la base de 10 % brut du chiffre d'affaires réalisé par le centre de profit, de sorte que contrairement à ce que soutient l'appelante, le commissionnement n'est aucunement lié à la présence de la salariée dans l'entreprise ;
qu'il suit de là que le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a condamné la société appelante à payer à l'intimée la différence entre la somme totale qui lui était due au titre du maintien intégral de ses appointements et la somme réglée en cours de procédure ;
que les intérêts légaux sont dûs et que la société appelante ne saurait en être dispensée, de sorte que de ce chef également la confirmation s'impose ;
Attendu, sur la rupture du contrat de travail, que celle-ci n'est pas intervenue pendant la période de protection, mais à l'initiative de la salariée plus de quatre semaines après le terme du congé de maternité ;
que la prise d'acte par la salariée ne saurait donc, en tout état de cause, produire les effets d'un licenciement nul ;
Attendu, sur l'imputabilité de la rupture, que l'intimée reproche à la société appelante de n'avoir point pris l'initiative de la soumettre à un examen médical dans les huit jours de l'expiration de son congé de maternité ;
qu'outre le fait que ce grief n'est nullement articulé dans la lettre de prise d'acte du 28 avril 2010 ce qui constitue une indication de l'importance que [E] [D] attachait à cet examen médical, il convient de relever qu'accédant à la demande de la salariée, l'employeur a accepté qu'elle prenne le bénéfice de ses droits acquis à congés payés à l'issue de son congé de maternité, de sorte qu'elle a été absente de l'entreprise pendant tout le mois ayant suivi le terme du congé de maternité ;
que l'omission de l'employeur à laquelle la salariée pouvait d'ailleurs parfaitement suppléer ne revêt donc pas, dans ces conditions, une gravité pouvant justifier la prise d'acte;
Attendu, sur le grief tiré du défaut de payement intégral des appointements pendant la suspension du contrat de travail, qu'il ne ressort ni du dossier ni des débats, une intention quelconque de l'employeur de frauder les droits de la salariée ni de porter atteinte à ses intérêts ou à sa dignité ;
que la retenue de la part variable des appointements de la salariée pendant son absence pour congé de maternité, est certes constitutive d'une faute, mais que la Cour considère que celle-ci n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier la prise d'acte ;
Attendu, sur le grief tiré de l'exécution déloyale du contrat de travail qu'il convient d'observer :
1°) s'agissant de la violation des dispositions conventionnelles protectrices des mères de famille, que l'intimée reproche à la société appelante de ne lui avoir pas accordé la réduction du temps de travail de vingt minutes par jour prévue par l'article 44 alinéa 2 de la convention collective nationale précitée ;
Or attendu que l'article 4 alinéa 1 à 4 du contrat de travail stipule que :
' Compte tenu de la nature des fonctions du salarié, de l'autonomie dont il dispose dans l'organisation de son temps de travail, les parties conviennent que le salarié ne peut suivre strictement un horaire défini.
De convention expresse entre les parties, le décompte de temps de travail effectif est prévu en jours, dans la limite de 218 jours par an, englobant les variations éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de trente-cinq heures.
L'horaire collectif de travail en vigueur dans la société est mentionné à titre indicatif.
Ce temps de travail de 218 jours est décompté suivant les modalités en vigueur au sein de la société.' ;
Attendu que dans ces conditions, alors qu'elle était rémunérée au forfait/jours sans être aucunement astreinte à un horaire fixe de travail, l'intimée ne peut revendiquer l'application à son profit de l'article 44 alinéa 2 de la convention collective nationale ;
qu'elle n'a d'ailleurs pas pris la peine de préciser de quelle manière et sous quelle forme cette réduction du temps de travail d'une collaboratrice en état de grossesse rémunérée au forfait/jours aurait pu s'opérer ;
qu'il ne peut donc être retenu que la société appelante a méconnu les droits de la salariée sur ce point ;
2°) s'agissant de la prétendue modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur qui a attribué à la salariée, un secteur géographique différent de celui dont elle était chargée avant la suspension dudit contrat de travail, que contrairement à ce que prétend [E] [D], le contrat de travail ne lui réserve aucun secteur géographique déterminé
qu'en effet, le contrat de travail conclu entre les parties prévoit simplement que le lieu du travail est situé à [Localité 4], troisième arrondissement, dans les locaux de la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES et que la salariée pourra être amenée à se déplacer, pour les besoins de son activité, sur l'ensemble du territoire national et international (sic) ;
qu'ainsi, bien qu'il soit constant qu'avant la suspension du contrat de travail, l'intimée était plus spécialement en charge de la région lyonnaise, cette affectation n'avait aucun caractère contractuel et ressortait de simples conditions d'exécution du contrat de travail que l'employeur pouvait modifier en confiant à la salariée, à l'issue de son congé de maternité, la couverture de la région de [Localité 5] et de [Localité 3] ;
que l'intimée n'est pas fondée à soutenir que cette modification aurait entraîné une diminution de la part variable de sa rémunération dès lors que le contrat de travail stipule non pas que le commissionnement est constitué par un pourcentage du chiffre d'affaires réalisé par la salariée elle-même, mais est égal à 10 % brut de l'ensemble de la marge réalisée par le centre de profit ;
qu'en outre, tenant compte des souhaits exprimés par l'intimée, la société appelante lui a proposé de lui réaffecter la région lyonnaise qui avait été confiée à un autre salarié pendant son absence ;
qu'ainsi l'intimée ne saurait valablement exciper d'une modification unilatérale du contrat de travail par l'employeur ;
3°) s'agissant du remplacement de la salariée, en congé de maternité, par l'embauche d'un autre salarié sous contrat de travail à durée indéterminée, qu'il était parfaitement loisible à l'employeur de procéder ainsi alors que la durée prévisible de l'absence de [P] [D] était de plusieurs mois et que les nécessités du service exigeaient absolument de pourvoir au développement de la clientèle ;
que cette embauche n'est en aucune manière significative d'une volonté quelconque d'éviction de [E] [D] mais correspond tout au contraire à l'évolution favorable de l'entreprise ;
4°) s'agissant des conditions de reprise, que l'intimée ne peut sérieusement reprocher à l'employeur de lui avoir interdit de contacter les clients situés dans un secteur géographique qui n'était plus celui dont elle était en charge puisque confié à un autre salarié lors de sa reprise ;
que s'agissant du véhicule de société, le contrat de travail n'en prévoit nullement la fourniture par l'employeur ;
que la société appelante s'est trouvée, pendant la suspension du contrat de travail de [E] [D], dans la nécessité de remettre à un autre salarié le véhicule dont elle disposait avant son départ en congé et que dès son retour, l'employeur a mis en commande un véhicule neuf afin de lui procurer les moyens matériels de ses déplacements professionnels ;
qu'aucun manquement ne peut donc être reproché à la société appelante, petite structure qui ne dispose pas d'une flotte importante de véhicules de fonction ;
que s'agissant du partage d'un bureau avec deux autres collègues à son retour alors qu'avant son départ en congé elle disposait d'un bureau pour elle seule, la salariée ne peut se prévaloir d'aucune stipulation contractuelle ;
que la société appelante s'est développée pendant son absence et a embauché du personnel qu'elle a, bien évidemment, dû répartir dans les locaux dont elle disposait ;
que ceux-ci devenant trop exigus, la société appelante s'est mise en recherche d'un lieu de travail plus spacieux qu'elle a trouvé et dans lequel elle a procuré à l'intimée un bureau où elle pouvait être seule pour travailler ;
Attendu, en définitive, que l'intimée ne saurait en aucune façon se prévaloir d'une exécution déloyale du contrat de travail pour justifier sa prise d'acte ;
qu'il échet en conséquence de réformer la décision querellée, de dire que la prise d'acte doit s'analyser en une démission et de débouter [E] [D] de toutes ses prétentions liées à la rupture du contrat de travail ;
Attendu que l'appel étant reconnu fondé pour une très large part, l'intimée supportera les dépens sans que l'équité commande de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de la société appelante ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, dit le premier seul et partiellement justifié ;
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- condamné la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES à payer à [E] [D] la somme de 2 411,47 € à titre de rappel de salaire pour la période de suspension du contrat de travail avec intérêts légaux à compter du 14 mai 2010,
- condamné ladite société à payer à [E] [D] la somme de 20,49 € au titre des intérêts légaux échus sur la somme de 4 959,60 € pour la période du 14 mai au 31 décembre 2010,
- condamné la S.A.S SYNCHRONE TECHNOLOGIES au payement d'une indemnité de 2 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- condamné la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES aux dépens de première instance ;
Réformant pour le surplus, dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par [E] [D] doit s'analyser en une démission ;
Déboute en conséquence [E] [D] de toutes ses prétentions liées à la rupture dudit contrat de travail ;
Dit n'y avoir lieu à remboursement par la S.A.S. SYNCHRONE TECHNOLOGIES des indemnités de chômage versées à [E] [D] par les organismes sociaux concernés;
Déboute les parties de toutes autres demandes, fins ou conclusions ;
Condamne [E] [D] aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS