AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 12/04737
SARL ABS CROIX ROUSSE
C/
[Y]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 25 Mai 2012
RG : F11/00386
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 26 JUIN 2014
APPELANTE :
SARL ABS CROIX ROUSSE
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Jean -Michel RAYNAUD
de la SELARL C & R, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[V] [Y]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Laurent CHABRY
avocat au barreau de LYON
PARTIES CONVOQUÉES LE : 22 Janvier 2013
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Octobre 2013
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre
Hervé GUILBERT, Conseiller
Christian RISS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 26 Juin 2014, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Jean-Charles GOUILHERS, Président de chambre, et par Evelyne DOUSSOT-FERRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement contradictoire rendu entre les parties le 25 mai 2012 par le Conseil de Prud'hommes de LYON, dont appel ;
Vu les conclusions déposées le 02 octobre 2013 par la S.A.R.L. ABS CROIX-ROUSSE, appelante, incidemment intimée ;
Vu les conclusions déposées le 1er octobre 2013 par [V] [Y], intimé, incidemment appelant ;
Ouï les parties en leurs explications orales à l'audience du 02 octobre 2013 ;
La Cour,
Attendu que suivant contrat de travail à durée indéterminée du 05 novembre 2007, [V] [Y] a été embauché en qualité de contrôleur technique par la S.A.R.L. ABS CROIX-ROUSSE exerçant une activité de contrôle technique automobile sous l'enseigne AUTOSUR ;
que le 1er mai 2008 il a été promu responsable de centre ;
Attendu que le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 23 juin 2010 ;
que le 21 septembre 2010 le médecin du Travail l'a déclaré apte à la reprise à mi-temps thérapeutique ;
que le 25 octobre 2010 le médecin du Travail l'a déclaré apte à la reprise à plein temps mais à revoir dans six mois ;
que le 30 novembre 2010 [V] [Y] a fait l'objet d'un avertissement pour absence injustifiée ;
que le 13 décembre 2010, à la suite d'arrêts de travail pour maladie, le médecin du Travail l'a déclaré 'inapte définitif à tout poste de l'entreprise. Ne peut reprendre son travail sans encourir un danger grave et imminent pour sa santé. Inaptitude en une seule visite.' ;
Attendu que [V] [Y] a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement le 14 janvier 2011 ;
que le 1er février 2011 il a saisi la juridiction du Travail en lui demandant de déclarer nul l'avertissement du 30 novembre 2010, de dire qu'il a été victime de harcèlement moral, de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner la société à lui payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que c'est à la suite de ces circonstances que par jugement du 25 mai 2012 le Conseil de Prud'hommes de LYON a notamment :
- dit le licenciement de [V] [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la société ABS CROIX-ROUSSE à lui payer la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui a été ainsi causé,
- annulé l'avertissement du 30 novembre 2010 et condamné la société ABS CROIX-ROUSSE à lui payer de ce chef la somme de 500 € à titre de dommages et intérêts,
- débouté [V] [Y] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour clause de non-concurrence illicite ;
Attendu que la S.A.R.L. ABS CROIX-ROUSSE a régulièrement relevé appel de cette décision le 20 juin 2012 ;
Attendu, sur l'avertissement notifié à [V] [Y] le 30 novembre 2010 (et non pas le 10 novembre 2010 comme il est indiqué par erreur dans le dispositif du jugement critiqué), que cette sanction disciplinaire est motivée par :
1° un comportement violent et agressif manifesté le 4 novembre 2010 à l'égard de son supérieur hiérarchique à la suite de la demande d'explication présentée par celui-ci relativement aux doléances d'un client,
2° une absence injustifiée le 5 novembre 2010 ;
Attendu qu'il ressort des pièces versées aux débats, que la plainte du client GARAGE CABIAS résultait d'un quiproquo et qu'elle n'était pas fondée ;
que pour autant, les demandes d'explication du supérieur hiérarchique de l'appelant étaient totalement légitimes et justifiées puisqu'il entrait précisément dans les attributions de celui-ci de rechercher les cause du mécontentement du client et de prendre toutes mesures appropriées pour remédier à la situation ;
que l'employeur, tout en reconnaissant que son enquête lui a permis d'établir que les critiques de ce client étaient infondées, reproche au salarié d'avoir répondu de manière agressive et violente aux interrogations de son supérieur hiérarchique ;
que l'incident survenu avec le GARAGE CABIAS n'est donc nullement en cause, mais que le grief retenu repose exclusivement sur la réaction inappropriée de [V] [Y] à cette occasion ;
qu'à cet égard, force est de constater que l'intimé ne conteste pas l'outrance et l'exagération de son comportement à l'égard du sieur [T] [G], son supérieur hiérarchique qui, dans le strict exercice de ses responsabilités, lui demandait des explications sur les réclamations du GARAGE CABIAS ;
que de ce premier chef, l'avertissement est pleinement justifié ;
Attendu sur l'absence injustifiée du 05 novembre 2010, que prenant prétexte de l'altercation sus-évoquée, [V] [Y] déclare avoir annoncé verbalement à son supérieur hiérarchique qu'il ne viendrait pas travailler le lendemain 05 novembre 2010 ;
que quand bien même en serait-il ainsi, ce qui n'est nullement établi par les pièces versées aux débats, un tel avis verbal donné par le salarié ne peut valoir autorisation expresse d'absence par l'employeur ;
que d'ailleurs l'absence du 5 novembre 2010 ne repose sur aucune justification de quelque nature qu'elle soit ;
que tout en reconnaissant avoir été effectivement absent le 5 novembre 2010 sans justification aucune, [V] [Y] fait valoir que cette absence n'a pas été décomptée sur son bulletin de salaire du mois de novembre 2010 ;
que cette absence de retenue sur ledit bulletin de salaire ne peut s'expliquer que par une inattention du service chargé de la paye des employés et qu'elle ne saurait avoir pour effet de rendre injustifié l'avertissement du 30 novembre 2010 en ce qu'il repose pour partie sur une absence du 5 novembre précédent sans autorisation de l'employeur et sans aucune justification particulière ;
Attendu en conséquence qu'il convient de réformer la décision attaquée et de rejeter la demande en annulation d'avertissement ainsi que la demande en dommages et intérêts présentée de ce chef ;
Attendu, sur le harcèlement moral prétendu, que le simple fait, pour l'employeur, d'avoir demandé au salarié des explications sur un différend survenu avec un client, non seulement ne peut être regardé comme attentatoire à la dignité ou aux droits du salarié, mais encore constitue l'essence même de son pouvoir de direction et l'exercice de son devoir de contrôle ;
qu'au reste, l'employeur, après vérification, a reconnu que la réclamation du client n'était pas fondée ;
que le salarié n'a nullement été sanctionné à cause de cette réclamation mais pour sa réaction violente, disproportionnée et déplacée à une demande d'explication qui était en elle-même parfaitement légitime ;
que tirant les conséquences de ces constatations la Cour a dit n'y avoir lieu à annulation de l'avertissement du 30 novembre 2010, de sorte que cette sanction pleinement justifiée ne peut en aucune façon être regardée comme un acte constitutif de harcèlement ;
Attendu qu'en tout état de cause, le harcèlement ne peut résulter que de comportements répétés attentatoires à la dignité et aux droits du salarié ou de nature à altérer sa santé physique ou mentale ou à compromettre son avenir professionnel ;
Attendu que loin de vouloir évincer l'intimé, la société appelante a tout au contraire accepté le retour de ce dernier à mi-temps thérapeutique et organisé ses horaires de travail en conséquence ;
Attendu que [V] [Y] a été absent de l'entreprise pendant trois mois, pour une affection sans aucun lien avec son travail (accident vasculaire cérébral ainsi que cela ressort des pièces régulièrement versées aux débats) ;
que l'employeur s'est trouvé dans la nécessité de pourvoir à son remplacement en embauchant un autre contrôleur technique qui n'est devenu responsable de centre qu'après le licenciement de l'intimé ;
qu'ainsi, ce recrutement qui était indispensable à la bonne marche de l'entreprise ne peut être regardé comme une manoeuvre tendant à l'éviction de [V] [Y] ;
que ce dernier ne fait état d'aucun autre fait réitéré pouvant correspondre à la définition du harcèlement telle que donnée par l'article L 1152-1 du Code du Travail ;
que c'est par conséquent à bon droit que les juges du premier degré ont débouté [V] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
que le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef ;
Attendu, sur la rupture du contrat de travail, que l'inaptitude physique constatée par le médecin du Travail ne résulte pas de l'attitude fautive de l'employeur et qu'elle est sans lien avec le travail pour lequel [V] [Y] était salarié, étant à cet égard indifférent que le médecin du Travail ait déclaré l'intéressé inapte à tout poste dans l'entreprise ;
qu'en effet, il est constant que la société ABS CROIX-ROUSSE ne disposait pas d'autre poste que celui de contrôleur technique pour lequel le salarié a été déclaré inapte ;
Attendu que si la société ABS CROIX-ROUSSE exerce son activité de contrôle technique automobile sous l'enseigne AUTOSUR, elle ne fait partie d'aucun groupe au sein duquel existeraient des liens capitalistiques ;
que l'enseigne AUTOSUR réunit des entreprises indépendantes les unes des autres en vertu d'un contrat d'adhésion et qu'il n'existe, entre ces différentes entreprises, aucune possibilité de permutation des personnels ;
qu'il ne peut dès lors être reproché à la société appelante de n'avoir pas recherché de possibilité de reclassement au sein de l'une des différentes entreprises indépendantes ayant adhéré au réseau commercial dénommé AUTOSUR ;
Attendu que l'intimé ne démontre pas que l'employeur ait failli à son obligation de reclassement ;
qu'il échet en conséquence de réformer de ce chef, de dire le licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement pleinement justifié et de débouter [V] [Y] de toutes ses prétentions relatives à un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu, sur la clause de non-concurrence litigieuse, que l'article XII du contrat de travail du 5 novembre 2007 intitulé 'Engagement de non-concurrence déloyale' stipule :
'L'employé s'engage à n'exercer, tant pendant la durée de son contrat qu'après son expiration, aucune activité directement ou indirectement concurrente de celle exercée au sein de la société employeur, c'est-à-dire ayant trait au contrôle technique, de façon déloyale.
En cas de violation des dispositions de la présente clause, l'employeur sera en droit de demander à l'employé une somme équivalente à six mois de salaires bruts, sans préjudice de toute action en justice aux fins de faire cesser le trouble.
Cet engagement de non-concurrence déloyale ne constitue pas une clause de non-concurrence.' ;
Attendu que le Conseil de Prud'hommes a justement retenu que cette stipulation du contrat de travail ne constitue pas une clause de non-concurrence puisqu'elle n'interdit pas au salarié d'exercer une activité de même nature pour son compte personnel ou comme salarié ;
que cependant, cette clause ne comporte aucune limitation ni dans l'espace ni dans le temps ;
qu'ainsi, un acte de concurrence pourrait permettre à l'employeur de rechercher le salarié sans limitation de temps simplement en soutenant qu'il est de nature déloyale ;
que cette clause qui n'interdit pas la libre concurrence mais seulement la concurrence déloyale sera donc déclarée nulle ;
Attendu que le préjudice du salarié qui ne saurait revendiquer le droit de se comporter avec déloyauté envers l'employeur, même après la cessation du contrat de travail, est nécessairement de pur principe ;
qu'il convient de réformer de ce chef et d'allouer à [V] [Y] la somme de 100 € à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que l'intimé succombe pour l'essentiel ;
qu'il supportera donc les dépens ;
Attendu que pour faire reconnaître ses droits la société appelante a été contrainte d'exposer des frais non inclus dans les dépens qu'il paraît équitable de laisser, au moins pour partie à l'intimé ;
que celui-ci sera donc condamné à lui payer une indemnité de 1 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ;
Au fond, les dit l'un et l'autre justifiés ;
Réformant, rejette la demande d'annulation de l'avertissement du 30 novembre 2010 et la demande de dommages et intérêts y afférente ;
Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse ;
Déboute [V] [Y] de toutes ses prétentions liées à la rupture du contrat de travail ;
Déclare illicite la clause de non-concurrence déloyale insérée dans le contrat de travail du 5 novembre 2007 ;
Condamne la S.A.R.L. ABS CROIX-ROUSSE à payer à [V] [Y] la somme de 100 € à titre de dommages et intérêts ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré, excepté en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens ;
Condamne [V] [Y] à payer à la S.A.R.L. ABS CROIX-ROUSSE une indemnité de 1 000 € par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais non inclus dans les dépens par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ;
Le condamne aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,
Evelyne FERRIER Jean-Charles GOUILHERS