R.G : 13/03082
décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 21 février 2013
RG : 05/04759
ch n°1
[Z]
SCI MORGALOR
C/
SCI SIFFLEVENT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 14 Octobre 2014
APPELANTES :
Mme [O] [Z] épouse [I]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON assisté de la SCP ALBERT-CRIFO-BERGERAS-MONNIER, avocat au barreau de GRENOBLE
SCI MORGALOR
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, assisté de la SCP ALBERT-CRIFO-BERGERAS-MONNIER, avocat au barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
SCI SIFFLEVENT
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL BERARD - CALLIES ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 23 Janvier 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 08 Septembre 2014
Date de mise à disposition : 14 Octobre 2014
Audience tenue par Jean-Jacques BAIZET, président et Michel FICAGNA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier
A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Mme [Z] était propriétaire d'une parcelle de terrain située à [Localité 4], en bordure de la route nationale 6, sur laquelle était édifiée sa maison d'habitation. La SCI Sifflevent est propriétaire de la parcelle contigue sur laquelle elle a fait édifier un local commercial.
Par acte du 1er février 2005, Mme [Z] a assigné la SCI Sifflevent en démolition d'un parking en terrasse réalisé du côté de sa propriété, ainsi que d'un mur et d'une semelle en béton, et en indemnisation de son trouble de jouissance.
La SCI Morgalor, cessionnaire du bien immobilier de Mme [Z], est intervenue volontairement à l'instance.
Le tribunal de grande instance de Lyon à :
-par jugement du 1er septembre 2010, rectifié par un jugement du 10 novembre 2010, déclaré irrecevables les demandes de Mme [Z], et avant dire droit sur les autres demandes, ordonné une expertise,
- par jugement du 21 février 2013, débouté la SCI Morgalor de l'intégralité de ses demandes, débouté la SCI Sifflevent de sa demande reconventionnelle et condamné Mme [Z] a payer à la SCI Sifflevent la somme de 200 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.
Mme [Z] et la SCI Morgalor ont interjeté appel des trois jugements.
La SCI Morgalor sollicite la démolition de l'ouvrage de la SCI Sifflevent, la remise en état des lieux sous astreinte et la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la SCI Sifflevent de ses demandes reconventionnelles.
Elle précise que le litige porte sur des travaux réalisés pour le compte de la SCI Sifflevent en 2001 qui ont consisté à créer dans le prolongement du parking existant depuis 1972, une extension de l'existant, en limite séparative et en surplomb de sa propriété, et constituant un parking en terrasse par la création d'un mur de soutien des terres rapportées à cette fin.
Elle fait valoir que la SCI Sifflevent n'a jamais demandé la moindre autorisation pour effectuer ces travaux, alors que l'ouvrage réalisé rentrait dans le champ du permis de construire fixé par l'article R421-1 du code de l'urbanisme; puisque l'ouvrage a présenté deux éléments de construction qui, en raison de leur dimension trop importante ne rentraient pas dans les exceptions stipulées à l'article r 421-1, 7ème. Elle ajoute que l'ouvrage viole les articles 544 et 545 du code civil en incorporant le mur de clôture de sa propriété qui n'est pas mitoyen, ce qui a entraîné la détérioration et la destruction partielle du mur de clôture des appentis de sa propriété. Elle considère en outre que l'ouvrage litigieux viole l'article 678 du code civil par aggravation des vues droites sur sa propriété.
Mme [Z] conclut à la réformation des jugements et à la recevabilité de ses demandes dans la mesure où elle a qualité à agir en réparation de son trouble de jouissance dans son droit de propriété pour la période de mai 2001 à avril 2005. Elle sollicite la condamnation de la SCI Sifflevent à lui payer la somme de 13.800 euros (soit 300 euros par mois sur 46 mois) à titre de dommages intérêts au titre de son trouble de jouissance.
La SCI Sifflevent conclut à l'irrecevabilité des demandes de Mme [Z] et de la SCI Morgalor qui sont dépourvues de qualité à agir contre elle dès lors que la maison d'habitation a été entièrement démolie. Elle sollicite le rejet de l'ensemble de leurs demandes et leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 2000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.
A titre subsidiaire, elle soutient que le mur de séparation a été réalisé dans les règles de l'art conformément aux règles d'urbanisme, qu'il n'a pas crée une vue qui n'aurait pas permis l'état naturel des lieux, qu'à tout le moins, toute action concernant la création du parking en 1972 est prescrite, que son fonds bénéficie, en ce qui concerne le parking, depuis plus de trente ans d'une servitude de vue sur le fonds de la SCI Morgalor, et que la création d'un mur de soutènement uniquement pour niveler la partie arrière du tènement immobilier n'a pas crée de vue sur le terrain de la SCI Morgalor . Elle fait valoir que les travaux réalisés en 2001 consistaient uniquement en la création d'un mur de soutènement pour permettre de corriger les inconvénients résultant de la configuration naturelle du terrain, que ce mur a été arasé, le muret étant désormais d'une hauteur de 59 cm, et que le mur de soutènement et la semelle en béton du parking en terrasse ne s'appuient pas contre le mur de clôture de la propriété de la SCI Morgalor. Elle considère qu'il n y a eu aucune violation des règles d'urbanisme, puisque la construction du mur de soutènement ne nécessitait ni permis de construire ni déclaration de travaux et que le grillage apposé sur le mur a fait l'objet d'une déclaration préalable.
Elle soutient que la demande de la SCI Morgalor consistant en la démolition du mur de soutènement et en la remise à niveau des terres est irréalisable, cette société ayant elle même rehaussée ses terres le long du mur construit sur plus de 17 mètres de long et que dans tous les cas la demande ne serait recevable que sur17,50 mètres et non sur la totalité de la construction réalisée en 2001.
A titre infiniment subsidiaire, elle considère que Mme [Z] ne justifie d'aucun préjudice de jouissance.
A titre reconventionnel, elle sollicite la condamnation de la SCI Morgalor à reconstruire un mur de clôture d'une hauteur suffisante pour mettre fin d'une part à la vue illicitement créée, d'autre part pour mettre fin au passage non autorisé de la clientèle de la zone commerciale d'un tènement immobilier à l'autre. Elle fait valoir qu'en arasant son propre mur, le ramenant d'une hauteur de 1.90 mètre à 59 ans, la SCI Morgalor a crée une vue illicite et qu'elle a pratiqué dans le muret une ouverture pour permettre à la clientèle d'accéder directement à son parking.
MOTIFS
Attendu que Mme [Z] a été propriétaire, jusqu'en avril 2005 de l'immeuble vendu à la SCI Morgalor; qu'elle dispose de la qualité et d'un intérêt à agir pour solliciter l'indemnisation du préjudice de jouissance qu'elle soutient avoir subi, que sa demande est recevable.
Attendu qu'il résulte de l'expertise qu'en limite est de la parcelle de la SCI Sifflevent, un mur de soutènement a été construit dans le troisième trimestre 2001 et un remblaiement a été réalisé pour combler le talus existant entre la limite de la propriété de la SCI Morgalor et la plate-forme du bâtiment de la SCI Sifflevent, ce qui a permis d'élargir la circulation existante le long du pignon sud est du bâtiment de cette dernière; que les travaux ont consisté à niveler la partie du terrain en limite sud est de la parcelle, qui descendait en pente naturelle vers la parcelle de la SCI Morgalor et à construire un mur de soutènement de 3.56 mètres dans sa partie la plus haute coté propriété de la SCI Morgalor, que le mur a été implanté le long du mur de clôture de cette dernière d'une hauteur en 2001 de 1.80 mètres;
Attendu que l'expert estime que les règles du POS, concernant l'article7-3.1 de la zone UX relatif aux règles d'implantation ont été respectées de même que l'article 11-7 concernant les mouvements de terrain; qu'il considère que le mur litigieux a été édifié conformément aux règles de l'art;
Attendu que s'agissant de la construction d'un mur de soutènement, celle-ci ne nécessitait ni l'obtention d'un permis de construire ni une déclaration de travaux;
Attendu qu'il ne résulte pas du rapport d'expertise que le mur construit par la SCI Sifflevent a été édifié sans espace d'isolation contre le mur de la SCI Morgalor , ni que ce dernier a été incorporé par voie de fait puis qu'il se serait effondré en raison de l'absence de respect des règles de l'art; que l'expert considère que celles-ci ont été respectées, qu'il précise que la moraine ciment a été réalisée avec les travaux du mur de soutènement pour assurer l'étanchéité à la jonction de ce mur et de celui de la SCI Morgalor;
Attendu qu'il découle de l'expertise que la plate-forme existante sur la parcelle de la SCI Sifflevent avant remblaiement du talus permettait une vue droite sur le terrain de la SCI Morgalor sur un linéaire d'environ de 30.50 mètres et que le remblaiement du talus a prolongé cette vue droite sur le terrain de la SCI Morgalor sur un linéaire d'environ 17.50 mètres, que ce remblaiement effectué en limite séparatrice des propriétés a ainsi provoqué une aggravation de la vue droite préexistante; qu'il ne résulte pas des constatations de l'expert que cette aggravation provient en grande partie de l'arasement du mur de la SCI Morgalor et de la surélévation de son terrain; que la SCI Sifflevent était consciente de cette aggravation de la vue puisqu'elle a fait installer un grillage qui ne permet pas de supprimer totalement la vue et qui ne présente pas un caractère permanent; qu'il y a lieu en conséquence non d'ordonner la démolition des ouvrages réalisés mais de condamner la SCI Sifflevent à mettre en place un dispositif permanent permettant de supprimer l'aggravation de vue irrégulière sur 17.50 mètres;
Attendu que Mme [Z] propriétaire jusqu'en avril 2005 de l'immeuble sur lequel était édifiée une maison d'habitation a nécessairement subi un trouble de jouissance du fait de l'aggravation de vue irrégulière; que ce trouble apparaît limité puisqu'elle n'occupait pas la maison de manière habituelle; que l'indemnité destinée à compenser ce trouble doit être fixée à 1500 euros;
Attendu que la SCI Sifflevent soutient qu'en arasant son propre mur qui servait de mur de séparation entre les deux tènements immobilier, la SCI Morgalor a elle même crée une vue illicite et qu'elle a pratiqué dans le muret une ouverture permettant le passage de la clientèle entre les deux immeubles;
Attendu cependant, que le mur litigieux n'est pas un mur mitoyen et appartient exclusivement à la SCI Morgalor, qui n'est pas tenue de se clore; que la SCI Sifflevent n'établit pas la réalité de la création d'une vue illicite, en dehors de la vue découlant de l'état naturel des lieux de deux propriétés contiguës; qu'elle doit être déboutée de ses demandes;
Attendu qu'il découle de ce qui précède que la demande de dommages et intérêts de la SCI Sifflevent pour procédure abusive n'est pas fondée;
PAR CES MOTIFS
Réforme les jugements entrepris, sauf en ce qu'ils ont ordonné une expertise,
Statuant à nouveau sur les autres chefs de demandes,
Déclare recevable l'action de Mme [Z],
Condamne la SCI Sifflement à mettre en place, dans le délai de six mois à compter de la signification de l'arrêt un dispositif permanent permettant de supprimer l'aggravation de vue irrégulière sur 17.5 mètres, sous astreinte de 50 euros par jours de retard,
Condamne la SCI Sifflevent à payer à Mme [Z] la somme de 1500 euros à titre de dommages et intérêts,
Déboute la SCI Morgalor et Mme [Z] du surplus de leurs demandes,
Condamne la SCI Sifflevent à payer la SCI Morgalor la somme de 1500 euros et à Mme [Z] la somme de 500 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande de la SCI Sifflevent présentée sur ce fondement,
Condamne la SCI Sifflevent aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct par la SCP Laffly et associés, avocats.
Le Greffier Le PRÉSIDENT