AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 14/02842
AGS CGEA DE CHALON-SUR-SAONE
C/
Me [V] [K] - Mandataire liquidateur de l'EURL LE CHAT PERCHE
[R]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 25 Mars 2014
RG : F 12/02030
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2015
APPELANTE :
AGS CGEA DE CHALON-SUR-SAONE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représenté par Me Céline MISSLIN de la SELARL JUSTICIAL AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Dorothée MASSON, avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
Me [K] [V] ( MJ SYNERGIE) - Mandataire liquidateur de l'EURL LE CHAT PERCHE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par Me Arlette BAILLOT-HABERMANN, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marc LAMONICA, avocat au barreau de LYON
[B] [R]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 5] (21)
[Adresse 3]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Pascale REVEL de la SCP REVEL-MAHUSSIER & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Alexis PERRIN, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 12 Janvier 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Didier JOLY, Président présidant l'audience
Michel BUSSIERE, Président
Agnès THAUNAT, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 23 Février 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Le 4 juin 2009, [E] [R] née [T] a signé en qualité d'associée unique les statuts de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée "Le Chat Perché", ayant pour objet l'exercice d'une activité de restauration.
Cette société a été immatriculée le 15 juin 2009 au registre du commerce et des sociétés.
L'E.U.R.L. "Le Chat Perché" a obtenu un prêt de 85 000 € sur sept ans en vue d'acquérir un fonds de commerce de restauration sis [Adresse 4]. [B] [R], époux de [E] [T], s'est porté caution de ce prêt à hauteur de 27 625 €, soit 25% de la somme empruntée.
La vente du fonds est intervenue le 18 juin 2009 entre la S.A.R.L. "ALFA-GAU" et l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" au prix de 65 000 €.
[B] [R] a été engagé par l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" en qualité de cuisinier (niveau 1, échelon 3) suivant contrat écrit à durée indéterminée du 20 juillet 2009, soumis à la convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants. Son salaire mensuel brut a été fixé à 1 665,69 € pour 39 heures hebdomadaires de travail.
A une date indéterminée, l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" a engagé un second salarié en qualité de serveur, [V] [Z], dont le contrat de travail a fait l'objet d'une rupture conventionnelle en mars 2010.
En effet, le résultat net de l'exercice clos le 30 septembre 2010 a accusé une perte de 41 793 €, supérieure à la moitié du capital social. Malgré celle-ci, l'assemblée générale du 17 mars 2011 a décidé de poursuivre l'activité. Il a été convenu que les salaires de [B] [R] seraient versés en fonction des capacités de la société.
Le 14 février 2012, [E] [R] née [T] a déclaré l'état de cessation des paiements de l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" dont le Tribunal de commerce de Lyon a ouvert la liquidation judiciaire par jugement du 22 février 2012. La date de cessation des paiements a été fixée provisoirement au 1er janvier 2011. Maître [V] [K] a été désigné en qualité de liquidateur.
Par lettre recommandée du 28 février 2012, ce dernier a convoqué [B] [R] le 6 mars 2012 en vue d'un entretien préalable à son licenciement.
Par lettre recommandée du 8 mars 2012, Maître [K] lui a notifié son licenciement pour motif économique, sous réserve de la reconnaissance de sa qualité de salarié.
Ces deux courriers, adressés par erreur au [Adresse 1] au lieu du 139 rue Baraban, n'ont pas été distribués.
Par lettre du 26 avril 2012, Maître [K] a notifié à [B] [R] que l'examen de sa situation mené conjointement avec le C.G.E.A. ne permettait pas de lui reconnaître la qualité de salarié pour les motifs suivants :
- [B] [R] était l'époux de la gérante,
- il sollicitait le règlement de ses salaires depuis septembre 2010 et n'avait effectué aucune démarche auprès de son employeur pour récupérer les arriérés,
- il était caution pour la société,
- il détenait toutes les compétences techniques quant à la gestion de l'entreprise,
- il avait accepté de se faire rémunérer en fonction des capacités financières de l'entreprise,
- il n'avait aucun justificatif de son lien de subordination avec la gérante.
[B] [R] a saisi le Conseil de prud'hommes de Lyon le 23 mai 2012.
* * *
LA COUR,
Statuant sur l'appel interjeté le 7 avril 2014 par le C.G.E.A. de Chalon-sur-Saône du jugement rendu le 25 mars 2014 par la formation de départage du Conseil de prud'hommes de LYON (section commerce) qui a :
- dit que Monsieur [B] [R] bénéficie du statut de salarié,
- dit que le licenciement pour motif économique est injustifié et abusif,
- dit que le licenciement verbal de Monsieur [R] est abusif et assimilé à un licenciement sans réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- fixé au passif de la liquidation judiciaire de L'EURL LE CHAT PERCHÉ par Maître [K] ès qualités de liquidateur judiciaire, les sommes suivantes :
19 333,60 euros à titre de rappel de salaires
1 933,36 euros au titre des congés payés afférents
13 400,00 euros nets de CSG/CRDS à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture
416,42 euros à titre d'indemnité de licenciement
2 800,00 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
280,00 euros au titre des congés payés afférents
1 924,38 euros à titre d'indemnité de congés payés
1 500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de remise de l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail
- dit qu'à défaut de fonds disponible et suffisants, l'AGS-CGEA de [Localité 4] devra garantir le paiement des sommes susvisées dans les conditions prévues aux articles L35323-19, L3253- 20 du Code du Travail.
- ordonné à Maître [K] ès qualités de liquidateur judiciaire de L'EURL LE CHAT PERCHÉ de remettre à Monsieur [B] [R], un certificat de travail et l'attestation destinée à Rôle Emploi, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard sous quinzaine à compter de la notification du jugement,
- ordonné l'exécution provisoire,
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
- fixé au passif de la liquidation judiciaire de L'EURL LA CHAT PERCHÉ la somme de 1 500,00 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- laissé les dépens au passif de la liquidation judiciaire de L'EURL LA CHAT PERCHE ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 12 janvier 2015 par le C.G.E.A. de Chalon-sur-Saône qui demande à la Cour de :
Principalement :
- réformer le jugement entrepris,
- dire et juger que [B] [R] n'était pas lié avec l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" par un contrat de travail,
- débouter [B] [R] de l'intégralité de ses demandes ;
Subsidiairement :
- dire et juger que le licenciement notifié par Maître [K] est bien fondé mais irrégulier,
- débouter [B] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- dire et juger que l'A.G.S. ' C.G.E.A. ne sont pas tenus à garantie ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 12 janvier 2015 par la SELARL MJ SYNERGIE, mandataires judiciaires, représentée par Maître [V] [K] en qualité de mandataire judiciaire de l'E.U.R.L. "Le Chat Perché", qui demande à la Cour de :
- constater l'absence de tout lien de subordination juridique entre [B] [R] et l'E.U.R.L. "Le Chat Perché",
- en conséquence, infirmer le jugement querellé dans toutes ses dispositions,
- débouter [B] [R] de l'intégralité de ses demandes,
Subsidiairement,
- dire et juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et est seulement entaché d'une irrégularité formelle,
- débouter [B] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, le cas échéant, ramener le montant de l'indemnité à de plus justes proportions,
- dire et juger que l'A.G.S. -C.G.E.A. de Chalon-sur-Saône devra sa garantie ;
Vu les conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 12 janvier 2015 par [B] [R] qui demande à la Cour de :
- confirmer le jugement entrepris, sauf à majorer le quantum des dommages-intérêts alloués,
- en conséquence, dire que [B] [R] bénéficie du statut de salarié,
en conséquence :
1°) au titre des manquements au cours de la relation contractuelle :
- fixer au passif de la liquidation judiciaire les sommes suivantes :
rappel de salaires19 333,60 €
congés payés afférents1 933,36 €
2°) au titre de la rupture du contrat de travail :
- dire et juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 40 000 € nets de CSG et de CRDS à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture,
- fixer au passif de la liquidation judiciaire les sommes suivantes :
indemnité de licenciement416,42 €
indemnité de préavis2 800,00 €
congés payés afférents280,00 €
indemnité de congés payés 1 924,38 €
dommages-intérêts pour retard dans la remise de l'attestation ASSEDIC et du certificat de travail5 000,00 €
- déclarer le jugement opposable à l'A.G.S. et au C.G.E.A.,
- fixer au passif de l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur l'existence d'un contrat de travail :
Attendu que selon l'article L 121-4 du code de commerce, le conjoint du chef d'une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui y exerce de manière régulière une activité professionnelle opte pour l'un des statuts suivants :
conjoint collaborateur,
conjoint salarié,
conjoint associé,
le statut de conjoint collaborateur n'étant autorisé, en ce qui concerne les sociétés commerciales, qu'au conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d'une S.A.R.L. :
Attendu qu'au sens de l'article L 1221-1 du code du travail, le contrat de travail est celui par lequel une personne accepte de fournir une prestation de travail au profit d'une autre, en se plaçant dans un état de subordination juridique vis-à-vis de cette dernière, moyennant une rémunération ; qu'en présence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve ;
Qu'en l'espèce, il s'agit de déterminer si [B] [R] était placé sous la subordination juridique de l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" ou si le fonds de commerce qu'exploitait la société était dirigé conjointement par les deux époux ; que le cautionnement par le demandeur de 25% du prêt obtenu pour l'acquisition du fonds de commerce et la décision qu'il a prise avec son épouse de subordonner le versement de ses salaires à la situation de la trésorerie de la société démontrent que [B] [R] a accepté, au même titre que l'associée unique et gérante, de courir le risque d'une entreprise qui avait manifestement été créée, sans fonds propres suffisants, pour lui donner une activité professionnelle ; que l'un des deux avis laissés sur internet par des clients décrit [B] [R] comme "le sympathique gérant", ce qui démontre que ce dernier, qui possédait seul les compétences techniques nécessaires pour exploiter un fonds de commerce de restauration, était perçu, en tout cas par certains clients, comme le maître de l'affaire ; que même si une attestation de la responsable des indemnisations, postérieure de deux ans au dépôt de bilan, peut laisser penser que la société APICIL accordait à [E] [R] des facilités pour s'absenter de 11 heures 30 à 14 heures 30, quitte à effectuer son travail le soir après 17 heures, la participation de la gérante au fonctionnement quotidien du restaurant était étroitement limitée par les contraintes résultant d'une autre activité et par un curriculum vitae qui ne porte trace que de deux emplois comme serveuse dans des crêperies en 1998 et 2002, pendant trois mois seulement ; qu'on peut dès lors comprendre qu'un des internautes ait trouvé que lors de son passage, "la maîtresse de maison [était] perturbée" ; que dans son attestation du 28 juillet 2012, [V] [Z] attribue à [E] [R] de multiples tâches qu'elle était incapable d'assumer, faute de temps et de compétence (faire la carte du restaurant et les achats), même si elle assurait la gestion administrative du fonds dans une répartition des rôles exclusive de tout lien de subordination d'un des époux à l'autre ;
Qu'il résulte des pièces et des débats que le contrat de travail écrit signé le 20 juillet 2009 est fictif, le choix fait par [B] [R] entre les trois statuts ouverts par l'article
L 121-4 du code de commerce ne correspondant pas à la réalité des rapports qu'il entretenait avec l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" dont son épouse était gérante ;
Qu'en conséquence, le jugement entrepris sera infirmé ; qu'en l'absence de lien de subordination juridique, et par conséquent de contrat de travail, [B] [R] sera débouté de l'intégralité de ses demandes ;
PAR CES MOTIFS,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
Dit que le contrat de travail conclu le 20 juillet 2009 entre [B] [R] et l'E.U.R.L. "Le Chat Perché" est fictif en l'absence de tout lien de subordination juridique du premier à la seconde,
En conséquence, déboute [B] [R] de l'intégralité de ses demandes,
Condamne [B] [R] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe Président
S. MASCRIERD. JOLY