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05/05/2015 | FRANCE | N°14/04575

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 mai 2015, 14/04575


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





R.G : 14/04575





SA BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS REGIONS FRANCE



C/

[V]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 22 Mai 2014

RG : F 11/05363











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 MAI 2015







APPELANTE :



SA BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS REGIONS FRANCE

Mme [U]

[D], responsable des ressources humaines (pouvoir)

[Adresse 2]

[Localité 2]



comparante en personne, assistée de Me Guilhem AFFRE de la SELARL PRAXES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS





Appelant dans 14/04630 (Fond)



INTIMÉ :



[B] [V]

[Adresse 1]...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

R.G : 14/04575

SA BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS REGIONS FRANCE

C/

[V]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de prud'hommes - Formation de départage de LYON

du 22 Mai 2014

RG : F 11/05363

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 MAI 2015

APPELANTE :

SA BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS REGIONS FRANCE

Mme [U] [D], responsable des ressources humaines (pouvoir)

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Guilhem AFFRE de la SELARL PRAXES AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Appelant dans 14/04630 (Fond)

INTIMÉ :

[B] [V]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représenté par Me Alexa JACOB, avocat au barreau de STRASBOURG

Intimé dans 14/04630 (Fond)

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Mars 2015

Présidée par Vincent NICOLAS, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Michel BUSSIERE, président

- Agnès THAUNAT, conseiller

- Vincent NICOLAS, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Mai 2015 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Agnès THAUNAT, Conseiller, Michel BUSSIERE, Président empêché et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

[B] [V] a été engagé à compter du 20 février 2006 par la société GFC Constructions, en qualité d'ingénieur travaux principal, avec le statut de cadre. Son contrat de travail a été transféré à la société DV Constructions puis à la société VSL France, devenue la société Bouygues Travaux publics régions France à compter du 1er juillet 2010.

En 2009, son employeur lui a confié, dans le cadre de la construction d'une section de l'autoroute A 89, la direction du chantier du viaduc de la Goutte Vignole, l'édification de cet ouvrage ayant été concédée, par la société concessionnaire de l'autoroute, la société ASF, à une société en participation dénommée SEP dont la société DV constructions faisait partie. Le règlement intérieur de la SEP définissait les mission du directeur de chantier, et [B] [V] a signé le 29 mai 2009 une délégation de pouvoir qui lui a été remises par les représentants légaux de cette société.

Au cours de l'été 2009 la société Bouygues Travaux publics régions France a muté [B] [V] sur le chantier d'une autre autoroute, après lui avoir retiré sa délégation de pouvoir.

Par lettre du 19 novembre 2010 remise en main propre le même jour, elle l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et par lettre du 14 décembre 2010, elle l'a licencié pour faute grave.

Le 22 décembre 2011, [B] [V] a saisi le conseil de prud'homme de Lyon en lui demandant de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner en conséquence la société Bouygues Travaux publics régions France à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement abusif, outre une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement.

Reconventionnellement, la société Bouygues Travaux publics régions France demandait sa condamnation au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par une pratique de favoritisme.

Par jugement du 22 mai 2014, le conseil de prud'homme, sous la présidence du juge départiteur, a, avec exécution provisoire :

- déclaré abusif le licenciement

- condamné en conséquence la société Bouygues Travaux publics régions France à payer à [B] [V] :

* 10.621,89 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents ;

* 5.133,96 € au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;

- condamné [B] [V] à payer à la société BOUYGUES TRAVAUX PUBLICS REGIONS FRANCE la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts réparant le dommage né de la pratique du favoritisme

- condamné la société Bouygues Travaux publics régions France à payer à [B] [V] la somme de 1.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société Bouygues Travaux publics régions France à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à [B] [V] du jour du licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnités ;

Par déclaration transmise le 4 juin 2014 et déposée au greffe le 5 juin suivant, la société Bouygues Travaux publics régions France a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 23 mai 2014 (instances n° 14/04575 et 14/04630, jointes par ordonnance du 21 juillet 2014).

Par ordonnance du 7 juillet 2014, le premier président de la cour d'appel de Lyon a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement, débouté la société Bouygues Travaux publics régions France de sa demande d'aménagement de l'exécution provisoire de droit, débouté [B] [V] de sa demande de dommages-intérêts.

Vu les conclusions écrites de la société Bouygues Travaux publics régions France remises au greffe le 5 mars 2015 et reprises oralement à l'audience, par lesquelles elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement, sauf en ce qu'il condamne [B] [V] à lui payer des dommages-intérêts ;

- constater que ce dernier a dissimulé des fautes à sa hiérarchie, révélées dans leur réalité, exactitude, nature et ampleur, seulement à partir du 9 novembre 2010 ;

- dire en conséquence non prescrits les faits invoqués à son encontre dans la lettre de licenciement ;

- dire que le licenciement repose bien sur une faute grave

- débouter [B] [V] de toutes ses demandes

Vu les conclusions écrites d'[B] [V] remises au greffe le 14 janvier 2015 et reprises oralement à l'audience, par lesquelles il demande à la cour de :

- confirmer le jugement, sauf sur le montant des dommages-intérêts et en ce qu'il le condamne à payer à la société Bouygues Travaux publics régions France la somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts pour comportement déloyal et favoritisme ;

- condamner la société Bouygues Travaux publics régions France à lui payer 70.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse , de la débouter de sa demande reconventionnelle et de la condamner à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour de plus amples relations des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises ;

SUR QUOI, LA COUR :

Sur la rupture du contrat de travail :

Attendu qu'il ressort de la lettre de licenciement qu'[B] [V] a été licencié :

-en premier lieu pour des manquements au devoir de sécurité, caractérisés par des négligences, en raison du non respect de L'OS 219-2010

- en deuxième lieu, pour des manquements en matière de management, à savoir des manquements dans sa mission d'animation des équipes de chantier, en s'abstenant d'organiser des réunions hebdomadaires de chantier avec des comptes rendus, ainsi que pour un défaut de pilotage d'un groupe de travail en lien avec la conception d'un outil de pose de pré-dalles sur les charpentes métalliques du viaduc

- en troisième lieu et au regard de la lettre de licenciement, pour des manquements en matière de gestion de chantier, manquements relatifs aux relations avec le maître d'ouvrage, son maître d'oeuvre ainsi que le charpentier métallique (absence de suivi des échanges et du calendrier contractuel des réponses avec la société ASF, erreur dans la communication des prix nouveaux au maître d'oeuvre, relatifs aux murs pré-fabriqués matriciers, manquement d'[B] [V] dans sa mission de suivi des relations clients, faute d'être à l'écoute du maître d'oeuvre, absence de gestion correcte de l'interface avec le charpentier métallique, en raison d'une insuffisance de ses relations avec les sous-traitants, planning de fabrication des pré-dalles du tablier du viaduc communiqué au sous-traitant non cohérent avec la programmation générale du chantier) ;

Attendu que le licenciement repose aussi sur des manquements relatifs à la gestion budgétaire du chantier (tableau synthèse de gestion chantier basé sur l'objectif validé par le comité de direction [de la SEP] non conforme, en raison d'un écart de marge chantier de 691.000 €, manquement ayant pour origine une sous-valorisation de plusieurs prestations ; proposition faite au CODIR, relative aux corniches métalliques, non conforme au marché ; erreur de saisie d'un prix unitaire dans tableau de consultation présenté à ce comité, relatif au poste concernant ces corniches) ;

Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige, et que c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien fondé du licenciement ; que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que la charge de la preuve de la faute grave pesant sur l'employeur, il lui appartient de produire les éléments propres à établir la réalité des manquements qu'il reproche à son salarié ; que selon l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que lorsqu'un fait fautif est survenu plus de deux mois avant le déclenchement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de sa connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l' ampleur de ce fait dans les deux mois qui ont précédé l'engagement de ces poursuites ;

a) sur l'existence de motifs ne figurant pas dans la lettre de licenciement :

Attendu que la société Bouygues Travaux publics régions France, dans ses écritures oralement reprises, reproche à [B] [V] d'avoir délibérément dissimulé ses erreurs à sa hiérarchie, de ne pas avoir respecté la périodicité d'un mois prévue pour l'organisation des réunions du groupement d'entreprise et de n'avoir pas établi de comptes rendus de ces réunions ; qu'elle lui reproche aussi de ne pas avoir communiqué au CODIR les rapports hebdomadaires sur l'avancement des travaux, les rapports d'activités mensuels et la liste du matériel acheté par la SEP ;

Attendu toutefois que ces griefs ne figurent pas dans la lettre de licenciement ; que la société Bouygues Travaux publics régions France ne peut donc les invoquer pour en justifier ;

b) sur l'existence des faits reprochés dans la lettre de licenciement ;

Attendu qu'[B] [V] dénie l'existence des griefs qui lui sont reprochés ;

Attendu qu'en ce qui concerne le premier, qui serait caractérisé par des manquements au devoir de sécurité, il ressort des éléments du débat que la société ASF, en sa qualité de maître de l'ouvrage, et à la suite de diverses remontrances adressées à [B] [V], tant par le coordonnateur SPS du chantier que par le maître d'oeuvre, a émis le 4 mai 2010 un ordre de service (OS) numéroté 219-2010, au termes duquel elle l'a invité, dans un délai de dix jours à compter de sa réception, à prendre les dispositions nécessaires pour rétablir des manquements constatés dans les registres journaux du CSPS, à fournir les documents indiquant la gestion de la co-activité entre les travaux du viaduc et l'accès au parking du chantier et à prendre les mesures pour dissocier la zone de parking et les cheminements piétons des zone de circulation d'engins ;

Attendu que la société Bouygues Travaux publics régions France ne produit aucun élément établissant qu'[B] [V] n'a pas respecté cet ordre de service dans les délais requis ; qu'ainsi, la preuve de ce premier grief n'est pas rapportée ;

Attendu qu'en dehors de ses seules affirmations, elle n'établit pas son allégation selon laquelle, en dépit de ses nombreuses demandes, il n'organisait pas de réunions hebdomadaires avec les équipes de chantier ; qu'il en va de même du grief tiré d'un défaut de pilotage du groupe de travail dédié à la conception d'un outil de pose de pré-dalles, la preuve de sa réalité n'étant pas rapportée ;

Attendu qu'elle ne prouve pas davantage qu' [B] [V] ne suivait pas ses échanges avec le maître de l'ouvrage et le maître d'oeuvre, et ne respectait pas le calendrier contractuel des réponses ; que n'est pas aussi prouvée l'erreur qu'il aurait commise dans la présentation au maître d'oeuvre de prix nouveaux, relatifs aux murs préfabriqués matriciés ; que pas davantage n'est établie l'allégation selon laquelle il n'était pas à l'écoute du maître d'oeuvre ;

Attendu qu'en ce qui concerne le grief tiré d'un planning de fabrication des pré-dalles du tablier du viaduc communiqué à la société PLATTARD, qui n'aurait pas été 'cohérent avec la programmation générale du chantier', la société Bouygues Travaux publics régions France soutient qu'[B] [V], sans autorisation hiérarchique ni validation du CODIR, a modifié le contrat de sous-traitance avant de l'adresser à la société PLATTARD, de sorte que les délais de livraison prévus sont passés de la semaine 17 à la semaine 29 ; que pour étayer cette allégation, elle produit un exemplaire de contrat, non signé, en date du 30 avril 2010, sur lequel figure seulement le cachet de la société DV CONSTRUCTION, et qui mentionne que la livraison devait être faite de la semaine 17/2011 à la semaine 27/2011, ainsi qu'un autre exemplaire de ce contrat, avec la même date, qui indique comme date de livraison une période comprise entre la semaine 17/2011 et la semaine 29/2011, sur lequel est apposé le cachet de la société DV CONSTRUCTIONS, ainsi qu'une signature, dont l'auteur n'est pas identifiable (cf pièces 18 et 19 de la société Bouygues Travaux publics régions France) ; qu' [B] [V] considère que ces deux pièces ne font pas la preuve de sa défaillance ; que la société Bouygues Travaux publics régions France n'en produit aucune autre permettant de constater qu'il serait l'auteur de la modification du calendrier de livraison qui avait été imposé au sous-traitant ; qu'en tous cas le doute devant profiter sur ce point au salarié, cet autre grief ne peut fonder le licenciement ;

Attendu que pour justifier du grief tiré de l'absence d'une gestion correcte de l'interface avec le charpentier métallique (la société JRD), elle fait valoir que :

- la SEP avait défini un schéma de travaux (dénommé hypothèse A), selon lequel les pré-dalles devaient être déposées de manière anticipée sur le tablier du viaduc

- au mois de novembre 2009, la société JRD a fait parvenir à [B] [V] une note de calcul qui ne prenaient pas en compte toutes les hypothèses de construction du tablier, notamment l'hypothèse A

- cependant, [B] [V] n'a émis aucune observation sur cette note et n'a pas alerté le CODIR sur les risques susceptibles d'être engendrés par de telles modifications ;

- cette modification du mode opératoire a conduit la SEP à lancer la charpente avec seulement 204 pré-dalles au lieu des 492 initialement prévues ;

- ces discussions entre [B] [V] et la société JRD n'ont pas été portées à la connaissance de sa hiérarchie ;

Attendu cependant qu'il n'est pas reproché à [B] [V] dans la lettre de licenciement un défaut de critique de 'la note d'hypothèse charpente n° C M BET NDC 660 indice D' qui lui a été communiquée le 17 novembre 2011 par la société JRD (ainsi qu'au maître d'oeuvre), ni omis d'alerter sa hiérarchie sur les risques qu'elle pouvait engendrer ; qu'à supposer même que ce reproche puisse être considéré comme illustrant 'une absence de gestion de l'interface avec le charpentier métallique', la société Bouygues Travaux publics régions France ne fournit pas d'élément permettant de se convaincre de son existence ; qu'en tous cas le doute sur ce point doit aussi profiter au salarié ;

Attendu qu'en ce qui concerne le grief relatif aux corniches métalliques, la société Bouygues Travaux publics régions France fait valoir que la solution relative à ces corniches, qui avait été proposée et acceptée par [B] [V], n'était pas conforme aux prescriptions du marché ; que pour en rapporter la preuve, elle produit un extrait d'un contrant de sous-traitance qu'elle a conclu au mois de décembre 2010 avec la société PONT-EQUIPEMENT, qui fait apparaître 'une plus value pour tôle habillage de 3 mm' ; que cet extrait de contrat ne fait pas cependant la preuve avec certitude que cette erreur d'épaisseur, à la supposer non conforme au marché, est imputable à [B] [V] ;

Attendu enfin que le grief tiré de la présentation au CODIR d'un tableau de consultation comportant une erreur de saisie d'un prix unitaire n'est pas prouvé ;

Attendu en revanche que celui tiré d'un manquement d'[B] [V] à son obligation de gestion budgétaire et financière du chantier est établi par les pièces du dossier ; qu'en effet, il ressort de l'article 4 du règlement intérieur de la SEP que le directeur de chantier avait notamment pour obligation de mettre en place un contrôle budgétaire de l'opération et d'assurer le suivi du contrôle budgétaire, comprenant le résultat d'exploitation du chantier, l'état des stocks, l'avancement des budgets, les écarts travaux et les prévisions de fin de chantier ; qu'au mois d'octobre 2009, [B] [V] a fait valider par le CODIR de la SEP un budget de chantier d'un montant de 9.651.099 € HT, avec un déficit provisoire prévisible de 117.000 € H.T ; que le successeur d'[B] [V] dans les fonctions de directeur du chantier, M. [W], a présenté le 9 novembre 2010 à sa direction des documents de gestion prévisionnelle mettant en évidence à la fin du mois de septembre 2010 un déficit budgétaire du chantier au préjudice de la SEP d'un montant de 696.000 € HT, ramené ensuite à 504.000 € ; que ces éléments établissent suffisamment qu' [B] [V] a manqué à son obligation de contrôle budgétaire du chantier

c) sur la prescription des faits :

Attendu que selon ce dernier la prescription prévue par l'article L.1332-4 du code du travail lui serait acquise, motifs pris de ce que :

- la société Bouygues Travaux publics régions France, dans ses écritures de première instance, a reconnu avoir eu connaissance des manquements reprochés plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire ;

- les carences énoncées dans la lettre de licenciement étaient toutes connues par l'employeur au moment de sa mutation, à la date du 3 septembre 2010 ;

Mais attendu qu'il ressort des pièces produites par la société Bouygues Travaux publics régions France (pièces 9 et 10), qu'elle a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur du déficit budgétaire relatif au chantier seulement à compter du 9 novembre 2011, après l'analyse qui en a été faite par le successeur d'[B] [V] ; que ce fait n'étant donc pas prescrit, la société Bouygues Travaux publics régions France est donc fondé à l'invoquer pour justifier du licenciement ;

d) sur l'existence d'une faute :

Attendu que la société Bouygues Travaux publics régions France soutient qu'[B] [V] a commis des erreurs de gestion particulièrement graves au regard de ses compétences, de sa formation et de sa position hiérarchique ;

Attendu qu'elle ne produit aucun élément permettant de constater que le manquement du salarié à son obligation de suivi budgétaire du chantier a procédé d'une mauvaise volonté délibérée de sa part ou d'un laisser-aller coupable ; que rien dans le dossier ne permet en effet de mettre en évidence des négligences conscientes imputables à [B] [V] dans ce suivi budgétaire, ou un désintérêt manifeste pour la mission dont il avait été investi ; que d'ailleurs la société Bouygues Travaux publics régions France, dans la lettre de licenciement, et au sujet de ce manquement, stigmatise seulement son 'incompétence en matière de gestion ' ;

Attendu dans ces conditions que ce défaut de respect des dispositions de l'article 4 du règlement intérieur ayant seulement procédé d'une insuffisance professionnelle non fautive et les autres faits reprochés dans la lettre de licenciement n'étant pas établis, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloue à [B] [V] des indemnités de rupture, étant précisé qu'en cause d'appel, la société Bouygues Travaux publics régions France n'a pas contesté leur montant ;

Attendu qu'il sera aussi confirmé en ce qu'il fixe à 25.000 € le montant des dommages-intérêts réparant le préjudice causé au salarié par son licenciement abusif, eu égard à son ancienneté à la date de la rupture, à son salaire mensuel moyen et au fait qu'il a retrouvé un emploi quelques mois après son licenciement ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Bouygues Travaux publics régions France :

Attendu que pour justifier de cette demande, elle fait valoir que :

- [B] [V] a facilité l'attribution d'un marché à la société PONT EQUIPEMENT, pour un budget supérieur à 10.000 € que celui proposé par cette entreprise à titre subsidiaire

- il a ainsi manqué gravement à son obligation de loyauté et de probité ;

- ayant agi à des fins étrangères à ses attributions, il engage sa responsabilité envers elle sur le fondement de l'article 1382 du code civil

- ces agissements sont aussi constitutifs d'une faute lourde

Mais attendu qu'en droit du travail, seule la faute lourde du salarié peut engager sa responsabilité pécuniaire ; que cette faute se caractérise par l'intention de nuire du salarié vis-à-vis de son employeur ou de l'entreprise ; qu'en l'espèce, la société Bouygues Travaux publics régions France établit que la société PONT-EQUIPEMENT, par un mail du 29 juin 2010 a présenté deux offres à [B] [V], la première en date du 28 juin 2010 portant sur une somme de 630.000 €, la seconde du lendemain d'un montant global de 620.000 € ; que dans ce courrier, le sous-traitant l'invitait à 'oublier' l'offre du 29 juin, si la première était suffisante pour avoir la commande ; que l'offre de la société PONT- EQUIPEMENT, mise en concurrence avec celles d'autres entreprises, a été retenue pour le montant de 630.000 € ; que si [B] [V] ne pouvait ignorer que son agissement était dommageable pour son employeur ou son entreprise, il n'est pas pour autant établi qu'il a cherché à leur nuire, spécialement en recherchant ces conséquences dommageables ; qu'il y a lieu dans ces conditions d'infirmer le jugement en ce qu'il accueille la demande reconventionnelle de la société Bouygues Travaux publics régions France

Attendu que la société Bouygues Travaux publics régions France qui succombe supportera les dépens d'appel

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, en matière sociale, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il condamne [B] [V] à payer à la société Bouygues Travaux publics régions France une somme de 10.000 € à titre de dommages-intérêts ;

Et statuant à nouveau sur le chef infirmé,

Déboute la société Bouygues Travaux publics régions France de sa demande tendant à la condamnation d'[B] [V] à lui payer des dommages-intérêts ;

Y ajoutant,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Bouygues Travaux publics régions France à payer à [B] [V] la somme de 1.500 € ;

Condamne la société Bouygues Travaux publics régions France aux dépens d'appel.

Le greffierPour le président M. BUSSIERE empêché

S. MASCRIERA. THAUNAT, Conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 14/04575
Date de la décision : 05/05/2015

Références :

Cour d'appel de Lyon SA, arrêt n°14/04575 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-05-05;14.04575 ?
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