AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
R.G : 14/06095
SAS BWT FRANCE
C/
[M]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 08 Juillet 2014
RG : F 13/4303
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 13 OCTOBRE 2015
APPELANTE :
SAS BWT FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 4]
représentée par Me Nicolas LE QUINTREC, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
[V] [M]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 5] (33)
[Adresse 2]
Batiment C3
[Adresse 3]
comparant en personne, assisté de Me Jean ANTONY, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Juin 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Michel BUSSIERE, Président
Agnès THAUNAT, Conseiller
Vincent NICOLAS, Conseiller
Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 13 Octobre 2015, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel BUSSIERE, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
Attendu que selon contrat de travail à durée indéterminée daté du 10 avril 2006, M. [M] a été embauché par la SAS BWT France en qualité d'agent technique SAV et que les relations de travail se seraient dégradées à partir de l'arrivée d'un nouveau directeur à la tête de l'agence de [Localité 2] ; qu'après entretien préalable du 17 juin 2013, M. [M] a été licencié par lettre recommandée datée du 20 juin 2013 ainsi libellée :
« Suite à l'entretien que vous avez eu le 17 juin 2013 avec M. [J] [T], Directeur général, et M. [Q] [F], Directeur des ventes CILLIT/CPED, en présence de M. [K] [P], Délégué syndical, qui vous assistait, nous sommes contraints de vous notifier ce jour votre licenciement pour les motifs suivants :
Nous avons appris le 2 mai 2013 par un commercial de la Société TEREVA que vous alliez faire une intervention le lendemain chez son client M. [S] à [Localité 1] (01) et que vous aviez proposé à ce client qu'il vous règle en espèces 100 €. Lors de votre intervention, vous avez effectivement reçu la somme de 100 € pour votre compte et vous avez passé l'intervention sous garantie.
Devant les preuves que nous vous avons fournies lors de l'entretien, vous avez été contraint de reconnaître cette malversation. Toutefois, vous nous avez expliqué avoir subi des pressions de l'installateur et ne pas avoir pu résister à ces demandes.
Au vu des éléments du dossier, nous ne pouvons que mettre en doute ces arguments. Nous avons tout lieu de penser que votre acte était volontaire et prémédité.
Il est impossible dans ces conditions de poursuivre nos relations contractuelles. Votre licenciement prend effet à la date de notification de ce courrier.
Votre préavis d'une durée de deux mois débutera à la date de première présentation de cette lettre. Nous vous dispensons de l'exécuter et il vous sera payé au mois le mois. A la date de rupture de votre contrat de travail, nous vous adresserons votre solde de tout compte avec vos indemnités de licenciement, certificat de travail, et attestation Pole Emploi.»
Attendu que sur saisine du salarié et par jugement n° RG F 13/04303 daté du 8 juillet 2014 le conseil de prud'hommes de Lyon, section industrie, a statué ainsi :
- dit qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer
- dit que lors de l'audience de plaidoirie la demande de réintégration dans la société défenderesse n'a pas été formulée
- dit qu'il y a lieu de considérer que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse
- condamne la SAS BWT France à régler à M. [M] :
* 15'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires
- ordonne le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage réglé au demandeur du jour de son licenciement au jour du prononcé de la présente décision, dans la limite de trois mois d'indemnité
- condamne la SAS BWT France aux éventuels dépens, selon les termes du code de procédure civile, dont les éventuels frais d'exécution de la présente décision
Attendu que par lettre recommandée expédiée le 18 juillet 2014 et reçue au greffe de la cour le 21 juillet 2014, la SAS BWT France (l'appelante) a déclaré interjeter appel du jugement précité à l'encontre de M. [M] (l'intimé) ;
Attendu que par conclusions déposées au soutien de ses observations orales à l'audience, l'appelante demande de :
- la recevoir en ses conclusions et les dire bien fondées
- réformer le jugement entrepris et juger le licenciement de M. [M] fondé
- débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes
- condamner M. [M] à lui verser la somme de 4.800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens
Attendu que par conclusions déposées au soutien de ses observations orales à l'audience, l'intimé demande de :
- vu les articles L 1222-1, L 1232-6 et L 4121-1 alinéa 1 du code du travail
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et rejeter la demande de sursis à statuer
- pour le surplus, réformer le jugement et statuant à nouveau
- condamner la SAS BWT France à lui verser les sommes suivantes à titre de :
* dommages intérêts pour licenciement : 32'000 €
* dommages intérêts pour préjudice moral distinct : 8 000 €
* dommages intérêts pour non-respect de la vie du médecin du travail du 3 octobre 2012 : 15'000 €
- dire et juger que l'ensemble des condamnations mises à la charge de la SAS BWT France portera intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Lyon
- condamner la SAS BWT France à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel
Attendu que l'affaire a été plaidée à l'audience du 16 juin 2015 ;
Attendu qu'il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs faits, moyens et prétentions ;
SUR CE
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas contestée ;
Attendu que l'appelante maintient sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la suite donnée à la procédure pénale engagée mais que les premiers juges ont parfaitement justifié le refus de sursis à statuer et qu'en outre il est établi maintenant que la plainte pénale a été classée sans suite par le parquet compétent ; que la demande sans objet ;
Attendu que le conseil de prud'hommes a retenu que M. [M] avait fait l'objet d'un licenciement notifié par téléphone le 20 juin 2013 et que par message téléphonique écrit (SMS) adressé à son épouse, l'employeur avait indiqué qu'il récupérerait le véhicule de fonction ; que dans ces conditions le licenciement non motivé était dépourvu de cause réelle et sérieuse malgré la lettre de licenciement postée postérieurement à l'information téléphonique ;
Attendu que l'employeur soutient qu'à la suite d'une faute, M. [M] a été convoqué le 5 juin 2013 pour un entretien préalable réalisé le 17 juin 2013 et que le licenciement a été notifié par lettre recommandée du 20 juin 2013 ; qu'il conteste la qualification de licenciement verbal intervenu avant l'envoi de la lettre de licenciement et rappelle que l'employeur, après l'envoi de la lettre, peut informer le salarié de la décision de licencier ;
Attendu que l'employeur explique que l'information téléphonique a été donnée par le délégué syndical qui assistait M. [M] et non pas par l'employeur, ce que confirme l'épouse de M. [M] qui confirme également avoir rappelé l'employeur pour connaître la décision à propos de son mari ; qu'il considère que le SMS du 20 juin 2013 émis par le chef d'agence ne peut pas être qualifié de licenciement verbal dès lors que la lettre de licenciement ayant été expédiée le 20 juin 2013, le contrat de travail était déjà valablement rompu préalablement à l'envoi du message annonçant la récupération du véhicule de service le lundi 24 juin en fin de matinée ;
Attendu qu'il résulte des conclusions de l'intimé lui-même que ce n'est pas l'employeur qui l'a appelé téléphoniquement pour lui annoncer son licenciement mais que c'est l'épouse de M. [M] qui a appelé elle-même la SAS BWT France à quatre reprises pour obtenir des indications sur la situation de son mari ; qu'en conséquence le fait pour le responsable de la SAS BWT France d'avoir répondu loyalement et honnêtement à l'épouse d'un salarié qui s'enquérait de la situation future de son mari ne constitue pas un licenciement verbal des lors que l'information n'a pas été donnée directement à l'intéressé et que le SMS envoyé également à l'épouse du salarié le soir même de l'envoi de la lettre de licenciement ne peut pas davantage être analysé comme un licenciement verbal ; qu'il en est de même du remplacement des serrures de l'agence où travaillait M. [M] pour l'empêcher de revenir sur son lieu de travail ; que pour toutes ces raisons le jugement entrepris doit être réformé ;
Attendu qu'il est reproché à M. [M], dans la lettre de licenciement, d'avoir encaissé en espèces une somme de 100 € de la part d'un client et d'avoir indiqué que l'intervention avait eu lieu dans le cadre de la garantie du fournisseur ;
Attendu que l'intimé réplique que l'employeur n'est pas intervenu alors qu'il aurait été informé dès la veille du futur prélèvement en espèces, qu'il a été filmé à son insu par le client et que l'intervention avait lieu dans le cadre la garantie de dix ans applicable aux résines de l'appareil et qu'il n'avait donc pas à émettre de facture ; qu'il justifie du classement de la plainte pénale ;
Attendu qu'il résulte de l'enquête pénale réalisée, tant par le commissariat de police d'[Localité 3] que par la brigade de gendarmerie de [Localité 4], que l'intervention de M. [M] au domicile du client [Z] [S] pour réparer l'adoucisseur d'eau avait été savamment préparée par l'employeur qui avait demandé au client de 'piéger' M. [M] en le filmant à son insu ;
Attendu que M. [M] explique que M. [S] lui aurait donné la somme de 100 € à titre de pourboire car son épouse attendait un enfant, et que ce contexte est vraisemblable dans la mesure où dans son audition à la gendarmerie, le client a bien confirmé qu'il avait demande à M. [M] s'il avait une femme et des enfants ;
Attendu que dans ce contexte, l'encaissement de la somme d'argent au détriment de l'employeur n'est pas établi puisque s'agissant d'une intervention sur un appareil bénéficiant de la garantie de dix ans pour les résines, la SAS BWT France ne devait percevoir aucune rémunération ; que la demande effectuée par l'employeur au client de filmer l'intervention de M. [M] son insu, confirme des man'uvres déloyales et inadmissibles pour établir la preuve d'une faute grave ; qu'en outre le contexte de la rencontre entre les deux protagonistes, tels qu'il résulte de l'enquête de police judiciaire, rend vraisemblable la thèse du pourboire soutenue par l'intimé et que dans ce contexte l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement n'est pas démontrée par la SAS BWT France ; qu'il convient, par substitution de motifs, de confirmer la décision du conseil de prud'hommes ayant déclaré le licenciement de M. [M] sans cause réelle et sérieuse ;.
Attendu que les premiers juges ont parfaitement évalué le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Attendu que M. [M] justifie de ce que les circonstances de son licenciement, réalisé par l'emploi d'un procédé déloyal suivi d'une interdiction de pénétrer dans l'entreprise avant la réception de la lettre de licenciement et alors qu'il n'avait pas été mis à pied, sont particulièrement vexatoires et fautives et qu'elles lui ont causé un préjudice moral certain qui sera indemnisé par une somme de 1000 € ;
Attendu que M. [M] demande également l'indemnisation du préjudice résultant du non-respect de l'avis donné le 3 octobre 2012 par le médecin du travail en ces termes : « apte ' pas de travail en hauteur = demande d'avis ' aptitude à revoir après avis » ; que M. [M] soutient qu'il a dû effectuer des ports de charges en hauteur notamment le 30 mai 2013 pour transporter de la résine au septième étage sans ascenseur et les 11 et 12 juin 2013 pour réaliser une piscine ;
Attendu cependant que l'avis sollicitée le 2 octobre 2012 concernait les faits de monter sur des échelles à plus de 3 m et de porter des charges de 50 kg à deux et que l'employeur fait remarquer que l'avis sollicité par le médecin du travail n'est pas produit ; qu'il n'est nullement fait état de l'usage d'une échelle pour monter au septième étage ni pour réaliser la piscine ; que faute de produire l'avis définitif du médecin du travail qui a bien précisé le 3 octobre 2012 que l'aptitude du salarié devait être revue après l'avis du spécialiste, il n'est pas démontré que l'employeur n'a pas respecté les prescriptions du médecin du travail et que sur ce point M. [M] a été à juste titre débouté de sa demande d'indemnisation ;
Attendu que l'appelante qui succombe supportera les entiers dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant après en avoir délibéré, publiquement, en matière sociale, en dernier ressort et contradictoirement
Déclare l'appel recevable ;
Confirme le jugement entrepris en qu'il a :
- déclaré le licenciement de M. [M] sans cause réelle et sérieuse
- condamné la SAS BWT France à lui payer une somme de 15'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre 1000 € représentant les frais irrépétibles
- débouté M. [I] de sa demande pour non respect de l'avis du médecin
L'infirme en ses autres dispositions et statuant à nouveau ;
Condamne la SAS BWT France à payer à M. [M] la somme de 1000 € (mille euros) en réparation du préjudice moral ;
Y ajoutant
Condamne la SAS BWT France à payer à M. [M] la somme de 5000 € (cinq mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS BWT France aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffierLe président
Sophie MascrierMichel Bussière