R.G : 14/02856
décision du tribunal de grande instance de Lyon
- quatrième chambre -
Au fond du 13 janvier 2014
RG : 11/08127
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 10 Décembre 2015
APPELANTE :
[F] [A]
née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6] (Isère)
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES-LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de Lyon
assistée de la SELARL CABINET CLAPOT-LETTAT, avocat au barreau de Lyon
INTIMES :
[Q] [D]
[Adresse 6]
[Localité 3]
et encore
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Maître Emmanuel LAROUDIE, avocat au barreau de Lyon, substituée par Maître Caroline CALDESAIGUES, avocat au barreau de Lyon
FILIA MAIF
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Emmanuel LAROUDIE, avocat au barreau de Lyon, substituée par Maître Caroline CALDESAIGUES, avocat au barreau de Lyon
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU RHONE
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Yves PHILIP DE LABORIE, avocat au barreau de Lyon
SARL M'ROC
[Adresse 7]
[Localité 2]
représentée par la SELARL JEROME LETANG, avocat au barreau de Lyon
SA GRAS SAVOYE
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 5]
citée à personne habilitée par acte en date du 10 juin 2014 de Maîtres [G] [H] - [Z] [W], [Y] [V] - et [R] [H]-[O], huissiers de justice associés et Maître [P] [L], Huissier de justice salariée à [Localité 7], et par acte en date du 11 juillet 2014 par la SELARL Philippe VITTU, Jean-Eudes BICHON, Jean-Michel POMMIER, huissiers de justice associés à Courbevoie
non constituée
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Date de clôture de l'instruction : 09 décembre 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 14 octobre 2015
Date de mise à disposition : 10 décembre 2015
Audience tenue par Michel GAGET, président et Françoise CLEMENT, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistés pendant les débats de Joëlle POITOUX, greffier
A l'audience, Françoise CLEMENT a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Michel GAGET, président
- Catherine ROSNEL, conseiller
- Françoise CLEMENT, conseiller
Arrêt réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Michel GAGET, président, et par Joëlle POITOUX, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Le 21 mai 2008, [F] [A] a été victime d'un accident dans la salle d'escalade de la SARL M'Roc située à [Localité 8] ; [Q] [D], qui grimpait à proximité d'elle a décroché du mur alors qu'elle-même venait d'en descendre, et l'a heurtée, lui occasionnant une fracture de la 5° lombaire, outre un tassement du corps vertébral.
Par acte d'huissier des 17 et 20 juin 2011, elle a fait citer, au visa des articles 1382 et suivants du code civil, [Q] [D] et son assureur Filia-Maif, devant le tribunal de grande instance de Lyon, sollicitant l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire afin d'évaluer puis d'indemniser le préjudice subi ensuite de cet accident ; la CPAM du Rhône a été attraite à la procédure le 16 juin 2011 ; [F] invoquait la faute de [Q] [D] qui sautant du mur en la sachant à proximité, n'avait pas pris les précautions nécessaires pour s'assurer que la zone de réception était libre.
[F] [A] a parallèlement initié une autre instance judiciaire à l'encontre de la SARL M'Roc, au visa de l'article 1147 du code civil, considérant que cette dernière avait manqué à son obligation de sécurité, de prudence et de diligence envers elle, tant par un défaut de surveillance qu'un défaut de conception des lieux.
Les deux instances ont fait l'objet d'une jonction et par jugement du 13 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Lyon a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, déclaré [Q] [D] responsable à hauteur de 50 % du préjudice subi par [F] [A] et dit qu'il sera tenu solidairement avec son assureur Filia Maif, d'indemniser cette dernière, débouté [F] [A] de ses demandes dirigées à l'encontre de la SARL M'Roc, ordonnant une expertise médicale pour déterminer l'étendue du préjudice de la victime en réservant les autres demandes.
Vu les dernières conclusions du 29 septembre 2014 déposées et notifiées par [F] [A], appelante selon déclaration du 8 avril 2014, laquelle conclut à la confirmation du jugement susvisé en ce qu'il a ordonné une expertise sur la détermination de son préjudice et à sa réformation en ce qu'il a déclaré [Q] [D] responsable à hauteur de 50 % du préjudice qu'elle a subi et rejeté ses demandes à l'encontre de la SARL M'Roc en lui allouant une provision de 2.000 €, et demande à la cour de :
- dire et juger que [Q] [D] et la SARL M'Roc sont responsables de l'accident dont elle a été victime le 21 mai 2008, et qu'ils sont solidairement tenus d'en réparer toutes les conséquences dommageables,
- dire qu'elle n'a commis aucune faute de nature à limiter son droit à indemnisation,
- condamner in solidum [Q] [D], son assureur Filia Maif et la SARL M'Roc à lui verser une provision de 5.000 € à valoir sur l'indemnisation de son préjudice et une indemnité de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt devant être enfin déclaré opposable à la CPAM et la société Gras Savoye,
Vu les dernières conclusions du 23 octobre 2014 déposées et notifiées par [Q] [D] et son assureur Filia Maif qui concluent à la réformation de la décision critiquée en ce qu'elle a retenu une part de responsabilité à la charge de [Q] [D], débouté [F] [A] en ses demandes à l'encontre de la SARL M'Roc et alloué une provision de 2.000 € à la victime et demandent à la cour de :
- constater que [Q] [D] n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité à l'encontre de [F] [A] et rejeter purement et simplement l'intégralité des demandes de cette dernière à son encontre,
- subsidiairement, dire et juger que la faute de [Q] [D] ne peut qu'être partielle en raison de la faute indiscutable de la victime qui se déplaçait et se trouvait dans la zone de réception et rejeter toute demande de provision, faisant protestations et réserves s'agissant de l'expertise médicale,
- en tout état de cause, rejeter toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile dirigée à leur encontre,
Vu les dernières conclusions du 10 septembre 2014 déposées et notifiées par la SARL M'Roc qui conclut à la confirmation du jugement, demande sa mise hors de cause, le rejet des demandes de [F] [A] et la condamnation de celle-ci à lui payer une indemnité de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions du 4 décembre 2014 déposées et notifiées par la CPAM du Rhone qui conclut à la réformation du jugement en ce qu'il n'a retenu que la responsabilité partielle de [Q] [D] et demande à la cour de déclarer celui-ci et la SARL M'Roc responsables de l'accident dont a été victime [F] [A] et de condamner solidairement [Q] [D], son assureur Filia Maif et la SARL M'Roc à lui payer les sommes de :
- 20.080,34 € au titre des prestations servies outre intérêts au taux légal à compter du jour de la première demande,
- 1.028 € au titre de l'indemnité forfaitaire,
- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS ET DECISION
[F] [A] soutient que [Q] [D] qui a sauté volontairement du mur d'escalade, n'a pas été vigilant en ne s'assurant pas qu'il pouvait le faire sans danger dans la zone de réception ainsi que le rappelle le règlement de sécurité relatif à l'escalade sur structure artificielle et site sportif de la Fédération Française de la Montagne et d'Escalade ; elle ajoute que la SARL M'Roc, en sa qualité d'organisateur de loisirs, n'a pas assuré de surveillance, la disposition même des salles d'escalades ne permettant pas aux sportifs de se déplacer en toute sécurité, la simple rédaction d'un règlement intérieur par l'exploitant ne le dispensant pas de tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité des usagers.
[F] [A] ajoute qu'elle n'a commis aucune faute de nature à limiter son droit à indemnisation, ne se trouvant pas dans la zone de réception au moment de l'accident mais au centre de la salle, le déplacement des sportifs n'étant pas interdit pendant les opérations d'escalade.
[Q] [D] et son assureur Filia Maif soutiennent quant à eux que dans la salle d'escalade M'Roc, est pratiquée une activité de 'bloc', les grimpeurs n'étant pas équipés de baudriers et n'étant pas assurés ; qu'il leur revient dès lors d'être particulièrement vigilants, la prudence leur imposant parfois de décrocher volontairement, tel le cas d'espèce ; [Q] [D] ajoute qu'il a décidé de lâcher et de se laisser tomber au sol, uniquement après avoir regardé derrière lui et n'avoir vu personne dans sa zone de réception, son comportement ayant dès lors été en tout point conforme aux mesures de sécurité en la matière ; il précise encore que [F] [A] en se déplaçant dans sa zone de réception alors même que tout grimpeur est prioritaire par rapport à ceux restés au sol, a commis une faute d'imprudence en ne respectant pas elle-même les règles de sécurité, cette faute devant exclure toute responsabilité de sa part et non conduire à un partage de responsabilité comme l'a retenu à tort le premier juge.
La SARL M'Roc fait enfin valoir que l'obligation de sécurité imposée aux exploitants de salles d'escalade n'est qu'une obligation de moyen dans la mesure où la pratique même de l'escalade impose un rôle actif de chaque participant à qui il incombe d'établir un manquement de l'exploitant à son obligation de prudence et de diligence ; elle ajoute que dès lors que l'activité d'escalade pratiquée dans sa salle est une activité de 'bloc', sans assurance des grimpeurs et sans baudriers, il est impératif pour toute personne se tenant dans la salle de ne pas se tenir sous une personne qui grimpe, laquelle peut soit chuter soit descendre volontairement, ainsi que l'interdit le règlement intérieur de la salle ; elle soutient que contrairement à ce que soutient [F] [A], celle-ci ne se trouvait pas au milieu de la salle mais à 50 ou 60 cm du mur, tournant le dos au mur sans regarder le grimpeur qu'elle savait au dessus d'elle et qu'elle a commis en cela une faute à l'origine de son propre préjudice.
La CPAM du Rhône s'associe à l'argumentation développée par [F] [A] en considérant qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.
I - Sur la responsabilité de [Q] [D] :
L'article 1382 du code civil dispose que 'Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer' ; l'article 1383 ajoute que 'Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence'.
Les seuls documents produits au dossier des parties de façon à établir le déroulement chronologique de l'accident dont a été victime [F] [A] le 21 mai 2008, consistent dans les seules déclarations écrites des intéressés faites dans les semaines qui suivirent, aucun témoin n'ayant rapporté dans quelles circonstances [Q] [D] est tombé sur [F] [A].
Le siège des blessures subies par cette dernière au niveau du dos (fracture d'une vertèbre lombaire et tassement du corps vertébral) permettent d'établir que [F] [A] tournait le dos au mur d'escalade lorsque [Q] [D] l'a heurtée.
Le règlement intérieur de la salle d'escalade dont [F] [A] ne conteste pas qu'elle en avait bien eu connaissance, conforme aux règles de sécurité applicables en matière d'escalade en salle et sur structure artificielle selon le règlement de la fédération française de montagne et d'escalade, prévoit en son article premier qu'il est demandé aux adhérents 'de ne pas se tenir sous une personne qui grimpe' et de 'ne pas courir dans le 'pan' (salle intérieure d'escalade équipée).
Un grimpeur sur ce type de structure est libre de décrocher volontairement quand il juge que son ascension devient risquée ou de chuter involontairement en cas de mauvaise prise.
Aucun élément du dossier ne permet à la cour de constater que [Q] [D] n'a pas fait preuve de vigilance avant de décrocher et de tomber sur [F] [A], qui venant juste de desescalader la paroi, devait immédiatement s'éloigner du grimpeur se trouvant à proximité de façon à ne pas se trouver dans sa zone de réception.
Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le seul fait que le grimpeur ait chuté sur une personne au sol ne peut suffire à démontrer qu'il n'avait pas suffisamment vérifié au préalable la disponibilité de la zone de réception avant de décrocher, alors même que le grimpeur qui décroche et ne peut le faire en ayant la tête tournée en direction de la zone de réception sauf à risquer une blessure au niveau des vertèbres cervicales, est prioritaire.
Aucune faute d'imprudence ou négligence n'est donc démontrée à l'encontre de [Q] [D] et le jugement critiqué est réformé de ce chef, [F] [A] devant être déboutée en sa demande indemnitaire dirigée à l'encontre de ce dernier et de son assureur et de sa demande tendant à l'organisation d'une expertise avant-dire-droit pour déterminer l'étendue de son préjudice.
La CPAM du Rhône doit également être déboutée en sa demande de remboursement des prestations servies à la victime.
II - Sur la responsabilité de la SARL M'Roc :
L'exploitant d'une salle d'escalade est tenu d'une obligation de sécurité de moyens dans la mesure où la pratique de l'escalade impose le rôle actif de chaque participant à qui il incombe de démontrer les manquements de l'exploitant à son obligation de prudence, de diligence et d'information.
[F] [A] ne démontre pas en quoi la configuration même des lieux constituerait le manquement qu'elle invoque à l'encontre de la SARL M'Roc alors même que s'agissant d'une salle de 'pan' d'une hauteur maximale de 4 mètres et d'une activité d'escalade de 'bloc', sans assurance des grimpeurs et sans baudriers, les prises d'escalade installées dans la salle sur les parois et les plafonds permettent d'envisager la présence de grimpeurs tant sur les côtés qu'au plafond et qu'ainsi aucune zone de réception n'est identifiable à l'avance et matérialisable au sol.
Il n'est nullement établi par ailleurs que d'autres grimpeurs se trouvaient dans la salle au moment de l'accident et que ces derniers auraient gêné [F] [A] dans son éloignement de la paroi où se trouvait encore [Q] [D], aucun défaut de surveillance ou d'organisation des escalades par l'exploitant ne pouvant donc être retenu en l'espèce.
Il n'est pas discuté que la SARL M'Roc avait porté à la connaissance de [F] [A] le règlement intérieur qui informait clairement cette dernière de l'interdiction de se tenir au sol sous un grimpeur, remplissant en cela son obligation d'information à l'égard de ses adhérents.
Aucun manquement de la SARL M'Roc à son obligation de sécurité n'est donc démontré à son encontre.
Le jugement critiqué est donc confirmé de ce chef.
III - Sur l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité et la situation économique des parties ne commandent l'octroi d'aucune indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Réforme le jugement rendu le 13 janvier 2014 par le tribunal de grande instance de Lyon en ce qu'il a retenu la responsabilité de [Q] [D] à hauteur de 50 %, dans le cadre de l'accident dont a été victime [F] [A] le 21 mai 2008 et ordonné une expertise médicale de cette dernière,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit qu'aucune faute n'est démontrée à l'encontre de [Q] [D] dans le cadre de l'accident dont a été victime [F] [A] le 21 mai 2008,
Déboute [F] [A] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de [Q] [D] et la société Filia Maif,
Confirme le jugement du 13 janvier 2014 pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute la CPAM du Rhône de l'intégralité de ses demandes,
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande contraire ou plus amples des parties,
Condamne [F] [A] aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Joëlle POITOUXMichel GAGET