R.G : 14/05021
Décision du
Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE
Au fond
du 22 mai 2014
RG : 12/03359
chambre civile
[A]
[H]
C/
DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 02 Février 2016
APPELANTS :
M. [F] [A]
né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Assisté de la SELARL MOULINIER DULATIER ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Mme [J] [H] épouse [A]
née le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Assistée de la SELARL MOULINIER DULATIER ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
INTIME :
DIRECTION GENERALE DES FINANCES PUBLIQUES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 20 Mai 2015
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 05 Janvier 2016
Date de mise à disposition : 02 Février 2016
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
Une vérification de comptabilité diligentée par la direction du contrôle fiscal de Rhône Alpes Bourgogne portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2009 a fait apparaître que la société d'étude de conseil, de management et d'investissement ( société SECMI) , dont la capital social est détenu à 82 % par M. [F] [A], disposait depuis plusieurs années de liquidités s'élevant à plus de 23 000 000 €.
L'administration a réintégré dans l'assiette de l'impôt sur la fortune des époux [A] la partie jugée excédentaires des liquidités, à proportion des droits détenus par M. [A] dans la société SECMI et a notifié aux époux [A] un rappel d'imposition.
La réclamation du 22 février 2012, de M. et Mme [A] a fait l'objet d'une décision d'admission partielle en date du 30 juillet 2012.
Seuls les rappels d'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2008, 2009 et 2010 pour un montant total de 952 667 € ont été maintenus.
La commission départementale de conciliation du Rhône a émis un avis favorable au redressement proposé dans sa séance du 29 novembre 2011.
Par acte du 25 septembre 2012, M. et Mme [A] ont assigné l'administration à comparaître devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins d'obtenir la décharge totale des rappels d'impôt, faisant valoir que les liquidités et valeurs possédées par la société Secmi étaient des biens professionnels exonérés de l'assiette de l'ISF.
Subsidiairement ils ont sollicité que la valeur des titres de la sociéé soit fixée à 80 € par action, et ont contesté les pénalités appliquées pour intention délibérée.
Par un jugement rendu le 22 mai 2014, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a débouté M. et Mme [A] de leurs prétentions.
M. et Mme [A] ont interjeté appel de ce jugement .
Ils demandent à la cour :
- de le réformer,
- de prononcer la décharge des impositions dues en matière d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des année 2008 à 2012,
- de condamner l'administration à leur payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile .
Il soutiennent :
- que selon l'article 885 0 ter du CGI « (...) seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale de la société est considérée comme un bien professionnel »,
- que pour les sociétés sont en principe présumés constituer des biens professionnels les liquidités et les titres de placements dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale,
- qu'une part importante des liquidités de la société Scemi résultait de l'accumulations de résultats antérieurs et également de la cession par la société de ses établissements,
- qu'il n'existe aucune condition de remploi des fonds et valeurs composant la trésorerie et qu'il n'appartient pas à l'administration de s'immiscer dans la gestion sociale en décidant quel niveau de trésorerie est nécessaire à l'objet social,
- qu'il revient à l'administration d' établir que la société a définitivement renoncé à investir,
- que la société SECMI n'avait pas renoncé à investir dans une nouvelle activité d'expertise comptable, ainsi que cela résulte d'une correspondance avec le groupe Sefico,
- que la société après l'abandon de l'activité d'expertise comptable en 2009 a décidé de s'investir à nouveau dans le développement de sa filiale informatique, la société FACTIME dont le projet d'entreprise consiste en l'élaboration d'un système de paiement dématérialisé,
- qu'ainsi la société Secmi avait besoin de trésorerie pendant la période litigieuse à la fois pour son activité quotidienne et ses projets d'investissements,
- Subsidiairement, que sur la valeur de la société SECMI, le service vérificateur a retenu une valeur unitaire des titres Secmi de 4 444,25 € pour calculer la fraction de l'action correspondant aux éléments non professionnels, alors que dans un courrier en date du 30 octobre 2012, le service des impôts des particuliers non résidents estimant que les placements des liquidités opérées étaient des placements à risque, a retenu une valeur unitaire des titres d'un montant de 80 € pour répondre à leur proposition de garantie dans le cadre de la procédure de l'exit tax,
- que dès lors la valeur de la société s'établit à 400 000 € (5 000 titres au prix unitaire de 80 €).
- que l'intention délibérée n'est pas caractérisée dans la mesure où la distribution des bénéfices est réservée à l'assemblée générale,
- que la lettre de motivation des pénalités adressée aux contribuables, ne s'est jamais référée à la nature de l'activité professionnelle de M. [A] pour caractériser l'intention délibérée.
La direction générale des finances publiques, direction spécialisée de contrôle fiscal de [Localité 3] , législation contentieux, demande à la cour de confirmer le jugement rendu et de condamner les appelants aux entiers dépens avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Scp Ligier de Mauroy et Ligier, avocats associés .
Elle soutient :
- que l'analyse de la situation de la société Secmi a fait apparaître que le montant des disponibilités et valeurs mobilières de placement inscrites à l'actif des bilans de la société est passé de 14 000 000 € en 2003 pour à 25 000 000 € en 2009, soit plus de 11 fois le chiffre d'affaires de 2007 et plus de 517 fois celui de 2009,
- que les disponibilités et valeurs mobilières de placement représentent l'essentiel de l'actif net (plus de 77% de l'actif net en 2003, prés de 93 % de l'actif net en 2007 et près de 98% de l'actif net en 2009).
- qu'elles excédent largement le passif exigible à court terme, et sont sans commune mesure avec les besoins réels de l'activité et partant, non nécessaires à l'accomplissement de l'objet social,
- que la société Secmi a exercé une activité d'expertise comptable jusqu'au 31/12/2008 puis une activité de conseil à compter du 01/01/2009,
- que ces deux activités nécessitent, compte tenu de leur nature, peu d'investissement et de matériels d'exploitation,
- que la société Secmi n'a aucune politique d'investissement ou de renouvellement de matériels d'exploitation,
- que les salariés étaient au nombre de 126 en 2005 et de 120 en 2006 et de 1 en 2007, 2008 et 2009,
- que la société Secmi qui était dans une perspective de cessation d'activité n'envisageait aucune politique d'investissement,
- que la nature de l'activité de la société (activité d'expertise comptable jusqu'au 31/12/2008, puis de conseil à compter du 01/01/2009) n'exigeait pas la gestion d'une telle trésorerie d'un niveau disproportionné par rapport aux chiffres d'affaires,
- que le projet de croissance externe en région parisienne invoqué ne saurait être admis dès lors qu'il repose sur la réception le 8 novembre 2011 (soit après l'achèvement du contrôle) d'un courriel émanant du groupe SEFICO par lequel celui-ci entend confirmer que M. [A] était en discussion au cours du second semestre 2007 à propos de l'achat par la société Secmi des structures parisienne et lyonnaise d'expertise comptable du groupe SEFICO,
- que pour la filiale FACTIME, celle-ci n'a aucune activité,
- que les éléments sont insuffisants pour justifier de l'intention de la société Secmi de s'investir dans le développement de sa filiale informatique et qui concerneraient les années à venir et non la période vérifiée,
- que la trésorerie de la société a été investie sur des placements à court terme (de 3 à 12 mois), à moyen terme (de 3 à 5 ans) et à long terme (souscription d'emprunts obligataires LT et souscriptions d'obligations à échéance de 3 à 8 ans).
- que la société a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 17/01/2012,
- que la société apparaît de ce fait avoir définitivement renoncé à tout projet d'investissement et à l'utilisation sociale de sa trésorerie,
Le fait que la société Secmi ait transféré son siège social au Luxembourg à compter d' octobre 2011 ne saurait modifier l'analyse de la situation,
- que l'excédent de trésorerie constitué non pas par un apport extérieur, mais par le seul fait de l'accumulation de disponibilités se définit comme un transfert abusif du patrimoine privé de l'associé à celui de la société,
- que le calcul des rehaussements, tel qu'il a été effectué par le service vérificateur, ayant permis de déterminer la part des biens à caractère non professionnel à retenir dans l'assiette de l'impôt sur la fortune, ne saurait être utilement contesté par le requérant,
- que M. [A] détenait 82% du capital de la société Secmi et disposait donc du pouvoir de décision lors d'un vote effectué par l'assemblée des associés,
- qu'il ne s'agit pas d'erreurs ou d'omissions involontaires mais d'une démarche conduisant sciemment à une minoration de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune,
- que l'importance des rehaussements ne fait que confirmer le caractère délibéré des manquements,
- que le contribuable est expert comptable de formation, et, de ce fait, rompu aux arcanes comptables.
MOTIFS
Sur l'application de l'article 885 0 ter du code général des impôts
Aux termes de l'article 885 A 2° 5ème alinéa du code général des impôts, les biens professionnels ne sont pas pris en compte pour l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune.
L'article 885 0 ter du code général des impôts, précise que seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société est considérée comme un bien professionnel exonéré au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Pour l'application de ce texte, les liquidités et titres de placement inscrits au bilan d'une société sont présumés constituer des actifs nécessaires à l'activité professionnelle dès lors que leur acquisition découle de l'activité sociale ou résulte d'apports effectués sur des comptes courants d'associés.
Cependant, s'agissant d'une présomption simple, l'administration peut démontrer que ces liquidités et titres de placement ne sont pas nécessaires à l'accomplissement de l'objet social dans la mesure où leur montant excède les besoins normaux de trésorerie de l'entreprise.
L'exonération se trouve alors limitée à la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social autres que les liquidités et titres de placement.
En l'espèce, il résulte des bilans de la société Scemi, que celle-ci détenait à son actif des valeurs mobilières de placement et des liquidités importantes :
en 2007 :
2 487 656 €
20 890 855 €
pour un chiffre d'affaire de 1 998 310 € et un passif exigible a court terme : 2 952 235 €
en 2008 :
4 030 078 €
19 460 525 €
pour un chiffre d'affaire de 169 408 € et un passif exigible a court terme : 1 917 176 €
en 2009:
15 403 529 €
8 937 818 €
pour un chiffre d'affaire de 46 995 € et un passif exigible a court terme : 1 880 891 €
La comptabilité montre que ces liquidités sont totalement disproportionnées au regard du passif exigible à court terme et au regard des besoins en fonds de roulement de la société.
Par ailleurs, il apparaît que la société Scecmi a cédé ses établissements au cours du mois de janvier 2007.
Elle a été radiée de l'ordre des experts comptables le 31 décembre 2008 puis du registre du commerce et de sociétés le 17 janvier 2012.
Elle était donc dans une perspective de cessation d'activité.
Le courriel du 8 novembre 2001 produit par M. et Mme [A] aux termes duquel le directeur général de la société Sefico indique qu'il confirme l'existence de discussions au cours du 2ème semestre 2007 relativement à l'achat par Secmi des structures parisienne et lyonnaise du groupe Sefico pour environ 8 000 000 d'€, est insuffisant à justifier la nécessité pour la société d'avoir à sa disposition un montant de liquidités de 23 000 000 d'€ .
D'autre part, les pièces produites relatives à la société Factime à savoir, un extrait du grand livre et un budget prévisionnel sur trois ans ( 2012-2013 2014) est tout à fait insuffisant pour démontrer l'existence d'un prétendu ambitieux projet de développement de cette société qui aurait nécessité un soutien financier de la holding Secmi.
En conséquence, il convient de constater que l'administration est bien fondée à faire application des dispsotions de l'article 885 0 ter du code général des impôts .
Sur le calcul de la la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l'activité de la société
L'administration a retenu au titre des liquidités professionnelles admises la différence entre le montant du passif exigible à court terme et les créances nettes, à savoir la part du passif exigible à court terme non couvert par des créances détenue par la société.
Seules ces liquidités apparaissent nécessaires à l'activité de la société en dehors de tout projet d'investissement.
L'excédent, qui représente 93,25% de l'actif net en 2007, 95,44 % de l'actif net en 2008 et 96,39 % de l'actif net en 2009 correspond à des biens non professionnels .
C'est à juste titre que l'administration a calculé la valeur des actions de la société en divisant le montant de la situation nette par le nombre d'actions, de sorte que chaque part a une valeur mathématique unitaire de :
- 4444,85 € en 2007
- 4 534,14 € en 2008
- 4 588,77 € en 2009.
L'administration a justement appliqué les ratios biens professionnels/actifs nets à la valeur globale des parts de la société Scemi détenues par M. [A] ainsi déterminée .
L'évaluation des parts sociales par le services des impôts des particuliers non résidents selon la méthode « EBIT» qui « met en relation le résultat courant avant impôt et les capitaux propres effectuées en, 2012 « est inopérante.
En effet, M. et Mme [A] ne produisent pas les bilans de société Secmi pour l'année 2012 qui seule permettrait une utile comparaison.
En conséquence, le jugement sera confirmé sur le montant des redressements.
Sur les pénalités
Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts :
Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de :
a. 40 % en cas de manquement délibéré ;
La proposition de redressement du 20 décembre 2010 mentionne :
« Le raisonnement qui sous-tend les rectifications opérées en matière d'impôt de solidarité sur la fortune repose sur la constatation que la société dont il s'agit a nécessairement avec l'accord des associés conservé une trésorerie excédant les besoins sociaux et que ce faisant , elle a géré le patrimoine mobilier du principal dirigeant et associé qui a ainsi bénéficié d'une économie substantielle d'impôt .
Il ne s'agit pas là d'erreurs ou d'omissions involontaires mais d'une démarche conduisant sciemment à une minoration de l'assiette de l'impôt».
Ces seules indications sont insuffisantes à caractériser un «manquement délibéré» alors que la situation ne résulte pas d'un transfert du patrimoine privé de M. [A] vers sa société en vue d'éluder l'impôt sur la fortune, que la société a envisagé, un temps, d'investir ses disponibilités dans de nouvelles activités et alors qu'il n'est pas démontré que M. et Mme [A] avaient nécessairement conscience de l'irrégularité de la situation.
En conséquence, le jugement sera réformé de ce chef.
PAR CES MOTIFS
la cour:
Reformant partiellement le jugement déféré:
- Prononce la décharge totale des majorations de l'article 1729 du code général des impôts figurant dans l'avis de mise en recouvrement n°201200001 du 17 janvier 2012,
- Confirme le jugement pour le surplus,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- Déboute M. et Mme [F] [A] de leur demande,
- Condamne in solidum M. et Mme [F] [A] aux entiers dépens d'appel avec pour ceux d'appel application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la Scp Ligier de Mauroy et Ligier, avocats associés .
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT