AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
R.G : 15/01348
SAS MECAPLAST FRANCE
C/
[U]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'OYONNAX
du 02 Février 2015
RG : F 14/00078
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 11 MARS 2016
APPELANTE :
SAS MECAPLAST FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Bruno COURTINE de la SCP VAUGHAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marie VAUTHERIN, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
[E] [U]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparant en personne, représenté par Me Fabrice NICOLETTI de la SELARL NICOLETTI F ET F, avocat au barreau de l'AIN
Parties convoquées le : 11 juin 2015
Débats en audience publique du : 27 janvier 2016
Présidée par Natacha LAVILLE, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Lindsey CHAUVY, Greffier placé.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Michel SORNAY, président
- Didier JOLY, conseiller
- Natacha LAVILLE, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 11 mars 2016 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Michel SORNAY, Président et par Gaétan PILLIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société MECAPLAST FRANCE a une activité de fabrication de pièces plastiques pour l'industrie automobile.
Suivant contrat à durée indéterminée, la société NEYR PLASTIQUES HOLDING aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société MECAPLAST FRANCE, a engagé [E] [U] en qualité de chargé de mission à compter du 6 mars 2000.
La relation de travail était régie par la convention collective nationale de la plasturgie.
Au dernier état de la relation de travail, [E] [U] percevait un salaire forfaitaire mensuel d'un montant de 5 797.73 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 décembre 2013, la société MECAPLAST FRANCE a convoqué [E] [U] le 12 décembre 2013 en vue d'un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 24 décembre 2013, la société MECAPLAST FRANCE a notifié à [E] [U] son licenciement dans les termes suivants :
'Monsieur,
(...) Nous vous rappelons les faits que nous vous reprochons.
Suite aux réorganisations, la Direction a décidé de modifier les fournisseurs de moules référencés. Une liste de fournisseurs a été établie et vous a été communiquée, ces informations ne devaient bien entendu pas être diffusées sous risque de perturber les réalisations en cours. Cependant nous notons plusieurs faits sur lesquels nous avons des doutes :
Fournisseur Gamma :
Ce fournisseur nous a menacé de bloquer des moules en cours de réalisation suite à des non paiements. Ces menaces font suite à la décision de la Direction de retirer ce fournisseur du panel, décision dont vous aviez connaissance.
Ce fournisseur nous réclame plus de 300 000 euros d'impayés sur les années 2010, 2011 et 2012, mais les factures corespondantes n'ont pas été retrouvées.
Lors de notre entretien, vous avez expliqué avoir relancé la comptabilité à l'époque mais apparemment sans succès, pour les factures non retrouvées, vous avez mis en avant qu'elles auraient été perdues lors du transfert de la comptabilité entre [Localité 1] et [Localité 2].
Fournisseur Cero :
Vous avez consulté ce fournisseur alors qu'il n'était plus au panel. La proposition de ce fournisseur était à 80 000 euros alors que les autres propositions étaient de l'ordre de 120 000 euros. Un tel écart est surprenant.
Vous argumentez que cette consultation est antérieure au nouveau panel. Concernant le prix, ce fournisseur aurait réalisé le premier moule et en conséquence la part étude n'est pas facturée.
Cette part représente en moyenne 12 à 15% du prix. Nous émettons un doute sur la réalité de cette offre et craignons que ce fournisseur ne se rattrape lors des demandes de modification des outillages.
Fournisseur FARMOP :
Ce fournisseur a envoyé un mail directement à [K] [M] et [J] [Z] afin de se plaindre de ne plus être au panel. Comment a-t-il été au courant' Ces faits démontrent une absence totale de maîtrise de nos fournisseurs.
Fournisseur MATESS :
Ce fournisseur nous a demandé le paiement à 100% d'une commande avant le départ du moule. Vérifications faites, il n'avait pas accepté les conditions de paiement. Il nous a par ailleurs dit qu'il était convenu avec vous que la commande soit entièrement payée avant l'expédition du moule. Le bon de commande mentionnait la même date de réception sur les trois échéances, au premier essai. Ce fournisseur était donc en droit de nous facturer 100% du moule dès le premier essai.
Sur ce point vous dîtes ne pas vous souvenir des propos évoqués, et rappelez que la commande a été rédigée par votre assistante de l'époque.
Cependant, c'est votre signature qui est au bas de la commande.
Vous comprenez que dans ces conditions, nous ne pouvons pas continuer une relation de confiance envers vous. Nous nous voyons dans l'obligation de vous signifier votre licenciement pour causes réelles et sérieuses. (...)'.
La contestation du bien-fondé de son licenciement par [E] [U] selon lettre du 23 janvier 2014 a donné lieu à la recherche d'une transaction qui n'a pas abouti, [E] [U] ayant refusé le montant, proposé par la société MECAPLAST FRANCE, de l'indemnité pour préjudice résultant du licenciement.
Le 23 avril 2014, [E] [U] a saisi le conseil de prud'hommes d'OYONNAX en lui demandant de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner en conséquence la société MECAPLAST FRANCE à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts pour préjudice moral outre une indemnité de procédure.
Par jugement rendu le 2 février 2015, le conseil de prud'hommes :
- a dit que le licenciement de [E] [U] était dénué de cause réelle et sérieuse,
- a condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 79 932.40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se décomposant comme suit :
* 30 670 euros au titre de la carence Pôle Emploi du 26 mars 2014 au 15 août 2014,
* 39 142.50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 10 119.90 euros pour pertes de salaires du 15 août 2014 au jour du jugement,
- a condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 26 095 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- a condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a condamné l'employeur à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à [E] [U] dans la limite de six mois d'indemnisation,
- a débouté la société MECAPLAST FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a condamné la société MECAPLAST FRANCE aux dépens.
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La cour est saisie de l'appel interjeté le 10 février 2015 par la société MECAPLAST FRANCE.
Par conclusions régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l'audience du 27 janvier 2016, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société MECAPLAST FRANCE demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter [E] [U] de ses demandes et de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions régulièrement communiquées, visées par le greffier et développées oralement à l'audience du 27 janvier 2016, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé de ses moyens et prétentions, [E] [U] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf à condamner la société MECAPLAST FRANCE au paiement de la somme de 148 608 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'intimé demande en outre le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
- sur le licenciement
Attendu qu'il résulte des articles L.1232-1 et L 1232-6 du code du travail que le licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse et résulte d'une lettre de licenciement qui en énonce les motifs.
Attendu que le licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs imputables à ce salarié.
Attendu qu'en vertu de son pouvoir de direction, l'employeur peut décider de licencier un salarié selon les règles de droit commun pour des faits relevant d'une insuffisance professionnelle.
Attendu qu'en vertu de l'article 1235-1 du code du travail, le juge à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si un doute subsiste, il profite au salarié.
Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige.
Attendu qu'en l'espèce, il convient de relever d'abord que l'analyse de la lettre de licenciement, dont les termes ont été reproduits ci-dessus, indique que le motif de la rupture du contrat de travail n'est ni économique ni disciplinaire, comme le soutient à tort [E] [U] ; qu'il s'agit indiscutablement d'un licenciement prononcé pour une insuffisance professionnelle du salarié ; que pour fonder ce licenciement, la société MECAPLAST FRANCE a invoqué à l'encontre de [E] [U] une absence de maîtrise de quatre fournisseurs (GAMMA, CERO, FARMOP et MATESS) ;
qu'ensuite, les termes employés dans la lettre de licenciement établissent que l'employeur a licencié [E] [U] pour une insuffisance professionnelle alors même qu'elle n'a pas la certitude que les faits invoqués pour caractériser l'absence de maîtrise des fournisseurs, et donc l'insuffisance professionnelle du salarié, sont réellement imputables à [E] [U] ; qu'il convient en effet de relever :
- que le propos introductif dans la lettre de licenciement se présente comme suit : 'nous notons plusieurs faits sur lesquels nous avons des doutes';
- que l'employeur ne fait état d'aucun élément qui permettrait d'établir un lien entre la perte des factures correspondant aux impayés réclamés par le fournisseur GAMMA et la prestation de travail de [E] [U] ;
- que le mot doute est à nouveau utilisé pour qualifier la proposition du fournisseur CERO, qui a fait suite à sa consultation par [E] [U], à hauteur de 80 000 euros alors que les autres propositions sont de l'ordre de 120 000 euros;
- que s'agissant du fournisseur FARMOP, la société MECAPLAST FRANCE se pose expressément la question de savoir comment celui-ci a pu savoir qu'il n'était plus au panel ('Comment a-t-il été au courant '') et ne fournit strictement aucune précision sur la responsabilité de [E] [U] à cette occasion ;
- que la société MECAPLAST FRANCE a estimé que [E] [U] est responsable de la demande de paiement intégral d'une commande avant le départ du moule émanant du fournisseur MATESS seulement sur la base de la signature de [E] [U] figurant au bas de la commande, alors que les courriels versés aux débats par [E] [U] établissent que les conditions de règlement applicables à ce fournisseur ont été modifiées par la société MECAPLAST FRANCE afin qu'il fournisse le moule FENDER.
Attendu qu'il s'ensuit que le licenciement de [E] [U] n'est pas fondé sur des éléments imputables au salarié ; qu'aucun des motifs invoqués par la société MECAPLAST FRANCE dans la lettre de licenciement ne constitue une cause réelle et sérieuse ; que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de [E] [U] était dénué de cause réelle et sérieuse.
- sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Attendu qu'en application des articles L 1235-3 et L 1235-5 du code du travail, [E] [U] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Attendu que [E] [U] sollicite de ce chef le paiement de la somme de 148 608 euros représentant la perte de ses droits à la retraite en tenant compte d'une espérance de vie de dix ans à compter du 65ème anniversaire ; qu'il soutient qu'étant né en 1954, il ne peut pas prétendre du fait du licenciement à la retraite à taux plein à laquelle il avait droit à 61 ans et 7 mois ; qu'il décompose sa réclamation suivant un décompte établi manifestement par ses soins et se présentant comme suit :
- 30 670 euros au titre de la perte de revenus durant la période de carence et de différé de Pôle Emploi du 26 mars 2014 au 15 août 2014,
- 64 452 euros au titre de la perte de salaires du 15 août 2014 au 30 septembre 2016 (acquisition de 165 trimestres),
- 30 576 euros au titre de la perte sur droits à la retraite du régime général,
- 5 660 euros + 17 520 euros au titre de la perte sur droits à la retraite complémentaire.
Attendu que la cour relève que le préjudice ainsi invoqué par [E] [U] est calculé sur des éléments hypothétiques (espérance de vie de dix ans à compter du 65ème anniversaire ; permanence du salaire versé par la société MECAPLAST FRANCE jusqu'au 30 septembre 2016) que l'indemnité allouée au visa de l'article L 1235-3 du code du travail n'a pas vocation à réparer ;
qu'il convient en réalité de retenir que compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à [E] [U] âgé de 59 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de treize années, le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 46 400 euros ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 79 932.40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que la société MECAPLAST FRANCE sera condamnée à payer à [E] [U] la somme de 46 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- sur les dommages et intérêts pour préjudice moral
Attendu que [E] [U] ne justifiant par aucune pièce que les circonstances du licenciement lui ont occasionné un préjudice moral, sa demande de ce chef n'est pas fondée ; que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 26 095 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ; que [E] [U] sera débouté de sa demande à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
- sur le remboursement des indemnités de chômage
Attendu que le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a ordonné en application de l'article 1235-4 du code du travail le remboursement par la société MECAPLAST FRANCE aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à [E] [U] dans la limite de six mois d'indemnisation ; qu'il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.
- sur les demandes accessoires
Attendu qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société MECAPLAST FRANCE les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à [E] [U] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Attendu que la société MECAPLAST FRANCE sera condamnée aux dépens d'appel.
Attendu que l'équité et les situations économiques respectives des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- dit que le licenciement de [E] [U] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- condamné la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société MECAPLAST FRANCE aux dépens,
INFIRME le jugement déféré pour le surplus,
STATUANT à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 46 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DEBOUTE [E] [U] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
ORDONNE d'office à la société MECAPLAST FRANCE le remboursement à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à [E] [U] dans la limite de trois mois d'indemnisation,
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 28 avril 2014, date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation, les autres sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
CONDAMNE la société MECAPLAST FRANCE à payer à [E] [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la société MECAPLAST FRANCE aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,
Gaëtan PILLIEMichel SORNAY