R.G : 15/04388
Décision du
Tribunal de Grande Instance de Lyon
Au fond
du 05 mai 2015
RG : 14/14901
chambre des urgences
[I]
[I]
C/
SA ALLIANZ IARD
SA ALLIANZ VIE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 16 Mai 2017
APPELANTS :
M. [W] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Maître Caroline BRUN, avocat au barreau de LYON
M. [Q] [I]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Maître Caroline BRUN, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
ALLIANZ IARD, SA, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocat au barreau de LYON
Assistée de la SCP H.B. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS
ALLIANZ VIE, SA, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés audit siège.
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER, avocat au barreau de LYON
Assistée de la SCP H.B. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS
******
Date de clôture de l'instruction : 22 Septembre 2016
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 Mars 2017
Date de mise à disposition : 16 Mai 2017
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Fabrice GARNIER, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Leïla KASMI, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Selon traité de nomination du 15 juillet 1999, MM. [W] et [Q] [I] se sont vus confier un mandat d'agent général par les sociétés AGF Iard et AGF Vie, aux droits desquelles viennent les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie, pour gérer l'agence de [Localité 1] jusqu'alors tenue par leur père.
Dans le cadre de cette reprise, le directeur commercial de la société AGF Assurances Lyon a précisé par lettre du 24 juin 1999 :
"En annexe au recrutement de MM. [W] et [Q] [I], en succession de M. [F] [I] à la tête de l'agence de [Localité 1], [T] [E], directeur commercial d'AGF Assurances [Localité 3], précise les points suivants :
- à titre exceptionnel et suite aux accords sur les conditions de reprise, il est accepté qu'en cas de rupture du mandat (ou de non-titularisation à l'issue de la période probatoire) à l'initiative des AGF, la clause de non-réinstallation prévue au mandat ne sera pas appliquée.
- la clause de non-concurrence resterait applicable et conservera tous ses effets au cas où les agents décideraient eux-mêmes de cesser leur activité d'agent général des AGF.
Pour faire et valoir ce que de droit .
[T] [E]"
Par acte du 28 octobre 2013, les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie ont signifié à MM. [I] la révocation de leur mandat d'agent général à compter du 30 avril 2014.
Par ordonnance de référé du 12 novembre 2014, le président du tribunal de grande instance de Marseille a débouté MM. [I] de leur demande tendant à obtenir le versement à titre provisionnel de la somme de 209 939 euros correspondant à la moitié de l'indemnité compensatrice due en cas de rupture du mandat.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 novembre 2014, les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie ont notifié à MM. [I] la déchéance de tout droit à indemnité de cessation de fonction du fait du non-respect de la clause de non concurrence.
Par acte du 12 décembre 2014, MM. [W] et [Q] [I] ont assigné les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie aux fins d'obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice et la réparation des préjudices financier et moral subis.
Par jugement du 5 mai 2015, le tribunal de grande instance de Lyon a :
- débouté MM. [I] de l'ensemble de leurs demandes principales,
- constaté l'irrecevabilité de leur demande à titre de dommage et intérêt pour préjudice financier,
- débouté ces derniers de leur demande à ce titre,
- débouté les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie de leurs demandes reconventionnelles,
- fait masse des dépens et dit qu'ils seront partagés par moitié,
- dit n'y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
MM. [W] et [Q] [I] ont interjeté appel de ce jugement.
Ils demandent à la cour :
- de réformer le jugement déféré,
- de condamner solidairement les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie à leur payer l'indemnité compensatrice de fin de fonction prévue au statut d'un montant de 407 878 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2014 et sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de l'arrêt, la somme de 18 239,36 euros au titre du préjudice moral et financier subi du fait de leur résistance abusive, celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- de rejeter la demande reconventionnelle des sociétés Allianz Iard et Allianz Vie.
Ils soutiennent :
- qu'ils ont été dispensés de toute obligation de non-concurrence et de non-rétablissement par la société AGF lors de la prise d'effet de leur mandat par la lettre du 24 juin 1999, rendant légitime la poursuite de leur activité antérieure de courtage,
- que leur étant favorable, cette clause dérogatoire au statut d'ordre public des agents généraux d'assurance est valable,
- que la suppression de la clause de non-concurrence en cas de rupture du mandat du fait des sociétés AGF était une condition essentielle maintenue lors des négociations, qu'elle a finalement été acceptée par les sociétés AGF lors de la signature du traité de nomination du 24 juin 1999,
- que cette acceptation a été confirmée par le directeur commercial des sociétés AGF, et que la rédaction de la contre-lettre ne laisse pas de place au doute,
- que conformément aux conditions de calcul de l'indemnité compensatrice prévues par l'accord AGF-SAGAGEM du 30 juin 1997, le montant de cette indemnité est de 407 878 euros et aurait dû être versé pour moitié au 1er juin 2014 et le solde au 1er novembre 2014,
- que la résistance abusive des sociétés Allianz leur ont causé un préjudice financier évalué à 8 239,36 euros, demande recevable dès lors que cette somme découle d'un préjudice dont la réparation a été initialement sollicitée et qu'en toute hypothèse, le caractère oral de la procédure à jour fixe permet la formulation de demandes nouvelles lors des plaidoiries,
- que la résistance abusive, les manoeuvres frauduleuses employées par le nouvel agent à [Localité 1] et le comportement déloyal des sociétés Allianz leur ont également causé un préjudice moral justifiant le versement d'une somme de 10 000 euros à chacun.
Les sociétés Allianz Iard et Allianz Vie demandent à la cour:
- de réformer partiellement le jugement déféré,
à titre principal,
- de débouter MM. [I] de l'ensemble de leurs demandes,
- de dire et juger que leur déchéance du droit à indemnité de cessation de fonction n'est pas exclusive de leur condamnation à des dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- de les condamner in solidum à leur payer la somme de 1 125 396 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale commis,
à titre subsidiaire,
- de les condamner in solidum à leur payer la somme de 848 725 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale commis,
en tout état de cause,
- de les condamner à leur payer la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elles soutiennent :
- que MM. [I] n'ont pas respecté l'obligation de non-concurrence et de non-réinstallation à laquelle tout agent général d'assurance est tenu, ce qui justifie la déchéance du droit à indemnité de cessation de fonction conformément aux conditions générales du traité de nomination signées par les appelants le 15 février 2000,
- que la dérogation dont ils se prévalent n'est pas applicable aux motifs qu'elle ne porte que sur la période probatoire et ne vaut pas pour l'obligation de non-concurrence, que cette dérogation résultant de la lettre du 24 juin 1999 a pris fin lors de la titularisation des appelants le 1er juillet 2001, que la lettre du 24 juin 1999 ne précise pas déroger aux conditions du mandat d'agent, et qu'aucun document postérieur ne permet de conforter la lecture faite par les appelants de la lettre du 24 juin 1999,
- qu'aucune dérogation à leur obligation de non-concurrence et de non-rétablissement n'est prévue par le traité de nomination signé le 15 juillet 1999 et le 15 février 2000, postérieur aux échanges invoqués par les appelants,
- que si les appelants sont exonérés de leur interdiction de réinstallation, ils n'ont pas respecté leur obligation de non-concurrence à laquelle ils restent tenus puisque la lettre du 24 juin 1999 ne vise que la non-réinstallation, ce qui est démontré par des lettres de résiliation de clients rédigées de la même main ou selon la même trame,
- que les demandes indemnitaires formées par les appelants constituent des demandes nouvelles irrecevables dès lors que la requête à jour fixe du 12 décembre 2014 n'en comportait aucune, que leur présentation n'a pas été autorisée et qu'aucun préjudice ou faute n'a été établi,
- que leur demande reconventionnelle est recevable aux motifs que les lettres de résiliation produites au titre de la concurrence déloyale ont été rédigées et expédiées par les appelants qui ont activement démarché la clientèle d'Allianz, et que la déchéance du droit à l'indemnité de cessation de fonction n'empêche pas l'octroi de dommages et intérêts, ce qui justifie que la chute du portefeuille pour les années 2014 et 2015 soit indemnisée à hauteur de 1 125 396 euros, ou subsidiairement de 848 725 euros.
MOTIFS
Sur les conditions de déchéance au droit à indemnité compensatrice
Aux termes de l'article 5.c de la convention homologuée par le décret du 15 avril 1996, il est indiqué que l'agent qui perçoit l'indemnité s'engage:
- à ne pas se rétablir pendant trois ans dans la circonscription de son ancienne agence,
- et à ne pas faire souscrire des contrats d'assurances auprès de ses anciens assurés.
Par courrier du 21 novembre 2014, la société Allianz a notifié à MM. [I] la perte de tout droit à indemnité de cessation de fonction pour «non respect de la clause de non concurrence.»
Dans ses conclusions la société Allianz a invoqué en outre un non-respect de la clause de non-réinstallation.
Sur l'obligation de non réinstallation.
En ce qui concerne la non réinstallation :
La possibilité de réinstallation de MM. [I] a fait l'objet d'une négociation entre les parties.
Ainsi, dans un courrier du 7 janvier 1999, MM. [I] écrivaient à la société AGF:
« Il est inconcevable que la survie de l'agence de [Localité 1] dépende de la réalisation des objectifs farfelus qui nous ont été présentés (...) Nous voulons nous prémunir dans le contexte de ce nouveau statut contre une révocation pour insuffisance de production qui du fait de ce que je viens de dire, pèserait sur notre tête en permanence comme une épée de Damoclès.
C'est pourquoi nous demandons absolument la suppression de la CLAUSE DE NON CONCURRENCE [en majuscule dans le texte] en cas de rupture DU FAIT DES AGF [en majuscule dans le texte].»
Par un courrier du 30 avril 1999, la société AGF a alors proposé l'établissement d'une :
« contre-lettre autorisant la réinstallation si non titularisation à l'initiative de la compagnie».
Cependant, la contre-lettre du 24 juin 1999 est rédigée de manière différente, à savoir :
« (...) en cas de rupture du mandat (ou de non-titularisation à l'issue de la période probatoire) à l'initiative des AGF, la clause de non réinstallation ne serait pas appliquée.
Il résulte de cette stipulation :
- que c'est la clause de non-réinstallation qui est seule visée,
- que cette clause ne sera pas appliquée en cas de rupture du mandat ou en cas de non titularisation à l'issue de la période probatoire.
Les termes ainsi employés ne peuvent être le fruit d'une banale «erreur de plume» au regard des exigences antérieurement exprimées par MM. [I].
Elle traduit au contraire l'aboutissement d'une négociation à l'issue de laquelle la société AGF a accepté que MM. [I] puissent exercer de nouveau leur ancienne activité sur le secteur de [Localité 1] en cas de non titularisation à l'issue de la période probatoire ou, en cas de titularisation, en cas de rupture du mandat postérieurement à la période probatoire.
En conséquence, les sociétés Allianz sont mal fondées à opposer à MM. [I] une déchéance de leur droit à indemnité compensatrice fondée sur une violation de l'obligation de non réinstallation.
en ce qui concerne l'interdiction de faire souscrire des contrats d'assurances auprès des anciens assurés.
La lettre du 24 juin 1999 ne visant que la « clause de non réinstallation prévue au mandat », elle ne peut être étendue à l'obligation distincte « de ne pas faire souscrire de nouveaux contrats aux anciens assurés».
Les sociétés Allianz produisent :
- des lettres de résiliation issues de formulaires à la présentation identique ou voisine et utilisant les mêmes bordereaux de souches de recommandés,
- un listing des résiliations reçues entre mai et décembre 2014,
- une lettre adressée par la société [I], à l'attention d'Allianz Iard, comportant un ordre de placement exclusif, signé le 26 mai 2014, par M. [M] [V], à partir d'un modèle pré-rédigé.
Ces pièces établissent que MM. [I] ont bien fait souscrire de nouveaux contrats à d'anciens assurés AGF de sorte qu'il sont nécessairement déchus de leur droit à indemnité de cessation de fonction.
Leurs demandes complémentaires subordonnées au succès de leur demande principale ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la demande reconventionnelle aux fins de dommages et intérêts d'Allianz au titre d'une concurrence déloyale
Sur les faits de concurrence déloyale
Les pièces sus-visées produites par les sociétés Allianz établissent que MM. [I], en ayant fait souscrire de nouveaux contrats à d'anciens assurés AGF après les avoir assisté à cet effet en prenant en charge les démarches de résiliation, ont commis des faits de concurrence déloyale, en lien de causalité avec le préjudice subi par la société AGF qui a enregistré une perte de clientèle injustifiée.
Sur le préjudice
Seul le préjudice financier consécutif à la perte des cotisations des clients déloyalement démarchés peut être indemnisée.
Au vu des éléments produits et de la baisse du montant des cotisations, il sera alloué au titre des faits fautifs de concurrence déloyale une indemnité de 50 000 € en réparation des préjudices subis, résultant de la perte de bénéfice sur le montant des cotisations nettes de commissions, sur une année.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour,
- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté MM. [W] et [Q] [I] de leurs demandes d'indemnité de cessation de fonction,
le réformant pour le surplus et statuant de nouveau,
- Déboute MM. [W] et [Q] [I] de leurs autres prétentions,
- Condamne solidairement MM. [W] et [Q] [I] à verser aux sociétés Allianz Iard et Allianz Vie la somme de 50 000 € de dommages et intérêts pour violation de la clause de non concurrence outre la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne solidairement MM. [W] et [Q] [I] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ces derniers au profit de la société Ligier avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE