N° RG 18/00669
Décision du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de LYON en date du 15 janvier 2018
Chambre 10 cab 10 J
RG : 16/10914
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 13 Septembre 2018
APPELANTE :
SA GENOWAY
[...]
représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON
assistée de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
G.I.E CENTRE EUROPEEN DE RECHERCHE EN BIOLOGIE ET EN MEDECINE immatriculé au RCS de STRASBOURG
[...] Fries
67400 ILLKRICH GRAFFENSTADEN
représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
assistée de Maître Karine Y... Z... X..., avocat au barreau de LYON
et de Maître Salomé A... X..., avocat au barreau de STRASBOURG
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Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 mai 2018
Date de mise à disposition : 28 juin 2018, prorogée au 13 septembre 2018, les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Aude RACHOU, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Vincent NICOLAS, conseiller
assistés pendant les débats de Marion COUSTAL, greffier
A l'audience, Vincent NICOLAS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Aude RACHOU, président, et par Marion COUSTAL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Le Centre Européen de Recherche en Biologie et en Médecine (le CERBM) est un groupement d'intérêt économique dont les membres sont le CNRS, l'INSERM et l'Université de Strasbourg. L'objet de ce GIE est défini comme suit dans ses statuts : 'le groupement a pour objet de développer, par des programmes communs à ses membres, toutes activités dans les domaines de la recherche biologique et médicale, et de promouvoir leurs applications, en France, dans l'Union Européenne et à l'étranger. À cet effet, le Groupement pourra effectuer, directement ou indirectement, toutes opérations quelconques permettant la réalisation de son objet, et notamment engager tous études et travaux de recherche scientifiques, et, à cet égard, passer tous accords et conventions avec tous organismes publics ou privés, constituer et gérer des équipements scientifiques et technologiques communs à ses membres et/ou qui pourront être accessibles à des tiers, coordonner, faire rapport et transmettre à ses membres de tels travaux et études, engager tout personnel nécessaire, ainsi qu'acquérir, par voie de crédit-bail ou autrement, ou louer tous biens mobiliers ou immobiliers, pour les besoins de son activité, le tout dans le cadre et conformément aux plans et budgets approuvés par ses membres'.
Ce centre a développé des lignées de souris génétiquement modifiées, à partir d'une technologie CreERT2, qu'il a fait brevetée au mois de septembre 2006.
La société GENOWAY est une société de biotechnologie spécialisée dans le domaine de la génomique fonctionnelle qui conçoit et développe des souris génétiquement modifiées destinées à la recherche.
Par acte du 30 mai 2008, le CERBM a conclu avec la société GENOWAY un contrat de licence exclusive de distribution des lignées CreERT2 à des tiers, moyennant le paiement d'un droit d'entrée et d'une redevance annuelle, la société GENOWAY ayant une obligation d'exploitation commerciale des lignées ainsi licenciées. Le contrat a été conclu pour une durée de cinq ans renouvelable.
En raison de l'existence d'un brevet concédé à une société TACONIC empêchant l'exploitation des lignées concédées en vertu du contrat du 30 mai 2008, les parties ont conclu le 7 juillet 2011 un avenant à ce contrat, par lequel le CERBM a donné à la société GENOWAY un mandat exclusif de commercialisation dans le monde entier des lignées consenties à des tiers, la société GENOWAY intervenant en tant que simple mandataire pour cette commercialisation et n'étant pas partie aux contrats de licence. Le contrat de mandat, dont les clauses se sont substituées à celles du contrat du 30 mai 2008, prévoyait une rémunération de la société GENOWAY au titre de son mandat de commercialisation sous forme d'une commission, cette dernière s'engageant à verser au GIE, 'à titre d'avance minimum garantie sur les redevances' une somme de 100 000 euros pour la période antérieure au 31 mai 2010, et pour les périodes suivantes, une somme de 150 000 euros par an, imputables sur les redevances payées par les tiers acquéreurs. Il était prévu que le contrat de mandat expire le 29 mai 2013.
Le contrat de mandat a connu des difficultés d'exécution, la société GENOWAY n'ayant pas payé à la société CERBM deux factures de redevances en date des 20 juillet 2012 et 4 juin 2013, pour un montant total de 300 000 euros HT.
Le recours à la procédure de résolution amiable des contestations prévue par le contrat de mandat n'ayant pas permis aux parties d'aboutir à un accord, le CERBM a fait assigner la société GENOWAY le 21 septembre 2016 devant le tribunal de grande instance de Lyon en paiement de la somme principale de 349 830 euros TTC avec les intérêts légaux, ainsi qu'une somme de 13 500 euros.
Par conclusions d'incident, la société GENOWAY a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du tribunal de grande instance pour connaître de la demande du CERBM, au profit du tribunal de commerce de Lyon.
Par ordonnance du 15 janvier 2018, le juge de la mise en état a :
- rejeté l'exception d'incompétence matérielle au profit du tribunal de commerce ;
- condamné la société GENOWAY à payer au GIE 'Centre Européen de recherche en biologie et en médecine' la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- renvoyé l'affaire à la mise en état.
Par déclaration transmise au greffe le 29 janvier 2018, la société GENOWAY a interjeté appel de cette décision.
Vu ses conclusions du 3 mai 2018, déposées et notifiées, par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L.110-1, L.252-1 et suivants, L.721-3 du code du commerce, de :
principalement,
- infirmer l'ordonnance du 15 janvier 2018 ;
- dire que le tribunal de commerce de Lyon est seul compétent pour connaître des demandes formées par le CERBM ;
- renvoyer le litige devant le tribunal de commerce de Lyon ;
subsidiairement, si la cour considère que les demandes du CERBM portent sur un brevet d'invention,
- dire que le tribunal de grande instance de Paris a compétence exclusive pour connaître des actions en matière de brevet d'invention ;
- infirmer en conséquence l'ordonnance du 15 janvier 2018 en ce qu'elle rejeté l'exception d'incompétence ;
- statuant à nouveau, dire le tribunal de grande instance de Paris seul compétent pour connaître des demandes du CERBM et renvoyer les parties devant ce tribunal ;
en tout état de cause,
- condamner le CERBM à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les conclusions du 11 mai 2018 du CERBM, déposées et notifiées, par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles L.110-1 et L.721-3 du code du commerce, L.615-17 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de :
- confirmer l'ordonnance du 15 janvier 2018 en toutes ses dispositions ;
- condamner la société GENOWAY à lui payer la somme de 7 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la débouter de sa demande fondée sur le même article.
Pour le cas où la cour ne confirmerait pas l'ordonnance entreprise, le CERBM ne s'oppose pas au renvoi de la procédure devant le tribunal de grande instance de Paris.
SUR QUOI, LA COUR :
Attendu que pour conclure à la confirmation de l'ordonnance, le CERBM fait valoir que :
- l'objet statutaire du GIE CERBM-IGMBC est purement civil, les statuts ne faisant aucune référence dans l'objet social à la promotion ou au développement d'une activité économique, et son activité principale étant le développement et la recherche en matière médicale et biologique, et non le développement commercial des brevets issus de cette recherche ;
- il en résulte que le GIE n'ayant pas un caractère commercial, seules les juridictions civiles sont compétentes pour connaître de ses demandes ;
- le contrat de licence de brevet n'est pas par nature un acte de commerce, et contrairement à ce que soutient la société GENOWAY, elle n'est pas une entreprise de location de meubles, les statuts l'autorisant seulement à procéder à la location de matériel ou d'immeuble pour les besoins de son activité de recherche ;
- le mandat exclusif qui a été donné à la société GENOWAY porte sur une licence de brevet, qui relèvent de la compétence exclusive du tribunal de grande instance de Paris ;
- la conclusion de contrat de licence de brevet ou les mandats de commercialisation de ces brevets sont des actes civils, en raison de leur caractère accessoire à l'activité civile principale du GIE ;
Attendu que la société GENOWAY soutient que :
- l'activité de promotion des applications désignées dans l'objet des statuts peut nécessiter la conclusion de contrats de licence d'exploitation de brevet, raison pour laquelle le CERBM est autorisé à effectuer toutes opérations permettant la réalisation de son objet, notamment la conclusion de biens mobiliers, qui couvre la conclusion de contrats de licence de brevet ou de mandat de commercialisation de telles licences, contrats par nature commerciaux en vertu de l'article 110-1 du code du commerce ;
- au regard du contrat de mandat, le CERBM effectue des actes de commerce, en concluant directement les contrats de licence sur les lignées de souris avec des tiers présentés par la société GENOWAY, et en percevant au titre de ces licences, qui s'analysent en des locations de meubles, des redevances payées par le tiers utilisateur de ces lignées ;
- entre 2013 et 2015, le GIE a conclu une trentaine de contrats de licence, ce qui lui confère un caractère habituel, en sorte qu'il s'agit pour lui d'une activité commerciale à part entière au sens de l'article L.110-1 du code du commerce ;
- l'activité principale du GIE couvre non seulement la recherche et le développement, mais aussi la promotion de leurs applications, par la conclusion de contrats de licence et de distribution, qui ne constituent pas des activités accessoires par rapport à cette activité de recherche ;
- en conséquence, le tribunal de commerce est exclusivement compétent pour connaître des demandes du CERBM ;
Attendu, cependant, que selon l'article L.721-3 du code du commerce, les tribunaux de commerce connaissent, des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre établissement de crédit ou entre eux ; de celles relatives aux sociétés commerciales; de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ; que selon l'article L.121-1 du code du commerce, sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle ;
Attendu, ensuite, et en premier lieu que la conclusion des contrats de licence de brevet par le CERBM, ainsi que celle du contrat de mandat de 'commercialisation'avec la société GENOWAY, ne s'analysent pas, au regard de l'article L.110-1 du code du commerce, en des actes de commerce par nature, ces actes ne faisant pas partie en effet de ceux qui sont énumérés par cet article ; qu'à ce sujet, il ne peut être déduit de l'objet du GIE tel que défini par l'article 2 de ses statuts que celui-ci serait autorisé, pour la réalisation de son objet, à exercer une entreprise de location de meubles, au sens de l'article L.110-1,4° du code du commerce, l'article 2 prévoyant seulement la possibilité pour elle de prendre en location des biens mobiliers pour les besoins de son activité ; qu'en conséquence, la contestation opposant le CERBM à la société GENOWAY n'étant pas de celles relatives à des 'actes de commerce entre toutes personnes', le tribunal de commerce ne peut en connaître sur le fondement du 3° de l'article L.721-3 du code du commerce ;
Attendu, en deuxième lieu, que la détermination du caractère civil ou commercial d'un GIE dépend exclusivement de son objet effectif ; qu'en l'espèce, il résulte de l'article 2 des statuts du CERBM que son activité principale consiste à développer toutes activités dans les domaines de la recherche biologique et médicale, et de promouvoir leurs applications ; que si les statuts prévoient que pour la réalisation de cet objet le GIE peut effectuer, directement ou indirectement, 'toutes opérations quelconques', il ne résulte pas de l'énumération de ces opérations données ensuite à titre d'exemples qu'il s'agit d'opérations commerciales ; que notamment, le fait que le GIE puisse 'acquérir, par voie de crédit-bail ou autrement, ou louer tous biens mobiliers ou immobiliers, pour les besoins de son activité, doit être interprété en ce sens qu'il peut prendre en location des meubles, et non exercer une entreprise de locations de meuble, au sens de l'article 110-1,4° du code du commerce ; qu'il ne peut donc être déduit de l'article 2 que le GIE est autorisé à effectuer des actes de commerce et que son objet présente un caractère commercial et non civil ; que la conclusion des contrats de licence de brevet par le CERBM, ainsi que celle du contrat de mandat de 'commercialisation' avec la société GENOWAY, ne s'analysent pas en des actes de commerce par accessoire, dès lors que l'objet du GIE n'est pas commercial ; que, dans ces conditions le litige opposant un commerçant à une partie non commerçante, et celle-ci ayant opté pour la saisine du tribunal de grande instance, le tribunal de commerce ne peut pas connaître davantage de cette contestation sur le fondement du 1° de l'article L.721-3 du code du commerce ;
Attendu, ensuite que le litige, qui est relatif au paiement de factures sur le fondement du contrat de licence de brevet et de son avenant, ne porte pas sur la validité d'un brevet d'invention ; qu'il ne relève donc pas de la compétence du tribunal de grande instance de
Paris ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état dans toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme l'ordonnance entreprise dans toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société GENOWAY, et la condamne à payer au GIE CENTRE EUROPEEN DE RECHERCHE EN BIOLOGIE ET EN MEDECINE la somme de 3 000 euros ;
Le condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT