N° RG 18/01534
Décision du Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 18 janvier 2018
RG : 2015j2352
X...
C/
SA LYONNAISE DE BANQUE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRÊT DU 13 Septembre 2018
APPELANT :
M. Jean-Marc X...
[...]
Représenté par Me Jérôme Y... de la SELARL JH AVOCAT, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
SA LYONNAISE DE BANQUE représentée par son dirigeant légal en exercice, domicilié [...] / FRANCE
Représentée par Me Florence Z... de la SELARL B2R & ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 12 Juin 2018
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 Juin 2018
Date de mise à disposition : 13 Septembre 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Marie ESPARBÈS, président
- Hélène HOMS, conseiller
- Pierre BARDOUX, conseiller
assistés pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier
A l'audience, Anne-Marie ESPARBÈS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Marie ESPARBÈS, président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Lyonnaise de Banque avait pour cliente la SARL JMD Automobile, ayant pour activité l'achat et la vente de véhicules d'occasion (gérant M. Jean-Marc X...).
La Lyonnaise de Banque a consenti le 30 juin 2003 à la SARL JMD Automobile une facilité de caisse de 200.000 € portée à 300.000 € le 18 décembre 2003 et renouvelée le 21 septembre 2014, destinée à financer le stock des véhicules et garantie par la rétention des documents administratifs et le contrôle des véhicules par la société Auxiga mandataire de la banque.
Suivant acte sous seing privé du 26 mai 2008, M. X... s'est porté caution solidaire afin de garantir le paiement par la SARL JMD Automobile de toutes les sommes qu'elle serait tenue de payer à la banque, cet engagement étant limité à la somme de 200.000 € pour une durée de 5 ans.
Le 8 octobre 2012, la Lyonnaise de Banque a dénoncé l'autorisation de découvert de 300.000 € avec préavis légal de 60 jours.
Le 10 décembre 2012, la Lyonnaise de Banque a informé M. X... qu'elle procédait à la clôture du compte courant et l'a mis en demeure de lui régler la somme de 269.187,73€ dans le délai légal de 60 jours.
Le 28 décembre 2012, Auxigia a informé la Lyonnaise de Banque que, sur les 68 véhicules dont elle possédait les documents administratifs, 32 véhicules étaient absents sur le site de JMD Automobile, sans qu'aucune explication ne soit fournie par cette dernière. Cette situation s'est confirmée lors des inspections ultérieures.
Par lettre du 15 janvier 2013, la Lyonnaise de Banque a mis en demeure JMD Automobile de régulariser la situation concernant les véhicules absents.
Par jugement du 27 février 2013, la SARL JMD Automobile a été placée par le tribunal de commerce de Lyon en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 20 décembre 2012. La procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 13 février 2014, Maitre A... étant désigné liquidateur judiciaire.
La Lyonnaise de Banque avait déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire de la SARL JMD Automobile, et suivant ordonnance du 26 février 2014, le juge-commissaire l'a admise pour la somme de 239.772,43 €, à titre chirographaire.
En raisons de versements effectués par JMD Automobile avec autorisation du juge-commissaire, à la suite de la vente de quelques véhicules, le solde débiteur du compte courant de JMD Automobile a été ramené à 214.938,76 €.
La Lyonnaise de Banque a fait assigner M. X... en sa qualité de caution de la SARL JMD Automobile aux fins de le voir condamner à payer une somme de 200.000 €. Un jugement du 18 juin 2015 a débouté la Lyonnaise de Banque, mais un arrêt de cette cour du 23 février 2017 a infirmé le jugement et condamné au paiement de la somme de 161.537,89 euros M. X... qui a formé un pourvoi en cassation.
Le 20 novembre 2015, Maître A... a adressé un certificat d'irrecouvrabilité de la créance de la Lyonnaise de Banque.
Par exploit d'huissier du 15 décembre 2015, la Lyonnaise de Banque a fait assigner M. X... afin de le voir condamner au paiement de la créance déclarée au passif de la procédure collective sur le fondement de l'article L.223-22 du code de commerce.
La liquidation judiciaire de JMD Automobile a été clôturée le 29 juin 2016.
Par le jugement déféré du 18 janvier 2018, le tribunal de commerce de Lyon a :
- dit que la Lyonnaise de Banque est recevable en ses demandes et que M. X... a commis une faute engageant sa responsabilité personnelle,
- débouté M. X... de toutes ses demandes,
- condamné M. X... à payer à la Lyonnaise de Banque la somme de 214.938,76 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par sa faute,
- avec capitalisation des intérêts,
- condamné M. X... à payer à la Lyonnaise de Banque la somme de 1.000€ au titre de l'article 700 du code procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- et condamné M. X... aux entiers dépens de l'instance.
Appelant par acte du 1er mars 2018 et par conclusions du 18 avril 2018 fondées sur les articles L .651-2, L. 651-3 et L. 223-22 du code de commerce, les articles 31, 32 et 125 du code de procédure civile, M. Jean-Marc X... demande à la cour de :
- rejeter tous fins, moyens et conclusions contraires,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, et statuant à nouveau, à titre principal :
- juger que la Lyonnaise de Banque ne justifie pas d'un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective de la SARL JMD Automobile,
- juger que la Lyonnaise de Banque ne démontre pas qu'il aurait commis une quelconque faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions de dirigeant de la SARL JMD Automobile,
- en conséquence :
- déclarer irrecevable la Lyonnaise de Banque en ses demandes, pour défaut de qualité à agir,
- juger que les demandes formulées à titre infiniment subsidiaire par la Lyonnaise de Banque à son encontre, ne sont pas fondées,
- et débouter l'intimée de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour considèrerait que la Lyonnaise de Banque rapporterait la preuve d'un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers, et celle de sa faute séparable de ses fonctions de gérant de droit:
- juger que la Lyonnaise de Banque ne justifie pas de l'existence ni du quantum du préjudice qu'elle prétend avoir subi,
- et en conséquence, la débouter de l'intégralité de ses demandes formulées à son encontre,
- en tout état de cause, condamner la Lyonnaise de Banque à lui payer une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre charge des entiers dépens de l'instance, dont distraction pour ceux d'appel.
Par conclusions du 17 mai 2018, fondées sur l'article L. 223-22 alinéa 1er du code de commerce, la SA Lyonnaise de banque demande à la cour de :
- rejeter l'argumentation et les demandes formulées par M. X...,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que M. X... a commis une faute engageant sa responsabilité personnelle,
- par conséquent,
- à titre principal, condamner M. X... à lui payer la somme de 188.895,72€ à titre de dommages et intérêts (montant actualisé de sa créance) en réparation du préjudice causé par sa faute,
- ou à titre subsidiaire, celle de 57.950 €,
- ordonner la capitalisation des intérêts (article 1154 du code civil),
- condamner M. X... à lui payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- avec charge des entiers dépens de l'instance, dont distraction.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 juin 2018.
MOTIFS
Sur la recevabilité
La banque fonde son action sur l'article L.223-22 alinéa 1 du code de commerce applicable aux SARL qui dispose que «Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion.»
Il est de principe constant que des fautes du dirigeant antérieures à l'ouverture de la procédure collective ne peuvent conduire au cumul de poursuites en insuffisance d'actif, voie réservée au liquidateur et au ministère public. A la date d'engagement de la présente action par la Lyonnaise de Banque le 15 décembre 2015, l'insuffisance d'actif de la procédure collective est avérée comme le justifient les pièces communiquées par M. X....
L'action en responsabilité de droit commun est également une voie interdite.
A raison de l'engagement de la procédure collective, il appartient ainsi à la Lyonnaise de Banque d'apporter la preuve que M. X... a commis une faute détachable de ses fonctions, que les deux parties s'accordent à qualifier de faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales, qui engendre un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers.
Pour ce faire, la Lyonnaise de Banque soutient en substance que la vente de véhicules dont elle détenait les documents administratifs en garantie du paiement de la facilité de caisse, par M. X..., avant l'ouverture de la procédure collective, lui préjudicie puisqu'elle n'a pas été mise en mesure de s'opposer à la vente.
Cependant, il est rappelé que la vente de véhicules était l'objet même de l'activité de JMD Automobile, et la Lyonnaise de Banque n'allègue pas, ni ne prouve, que les ventes auxquelles M. X... a procédé avant l'ouverture de la procédure collective l'ont été sans les documents administratifs afférents, de sorte que M. X... est fondé à critiquer l'exactitude des listes établies par Auxiga.
M. X... soutient en outre à juste titre que la Lyonnaise de Banque n'établit pas que l'absence des véhicules, révélée par les inspections d'Auxiga, démontrerait sa faute empreinte de la gravité nécessaire pour la qualifier de détachable, ce que n'est pas la violation d'une obligation contractuelle, sans compter que la banque n'indique pas que M. X... a tiré un profit personnel de ces ventes.
Il est ajouté que, si chaque inspection d'Auxiga (les 28 décembre 2012, 1er février 2013, 26 février 2013, et en période d'observation les 14 août 2013, 25 septembre 2013, 11 février 2014) note une absence de véhicules, cette mention vise un défaut de communication du motif de cette absence, non pas un disparition de véhicule, et les montants de valeurs retenues s'avèrent suffisants compte tenu du stock de véhicules présents pour constituer la garantie contractuelle.
Le contrat de financement de véhicules en stock conclu entre la Lyonnaise de Banque et JMD Automobile stipule certes qu'en lien avec la remise des documents administratifs des véhicules financés, qualifié de droit de rétention, qui s'exerce jusqu'à complet paiement des sommes dues, l'emprunteur JMD Automobile s'interdit notamment d'aliéner les véhicules constituant la garantie sans autorisation du mandataire de la Lyonnaise de Banque (Auxiga).
Mais le droit de rétention dont bénéficiait la Lyonnaise de Banque ne porte que sur les documents administratifs, non pas sur les véhicules. D'ailleurs, la créance de la Lyonnaise de Banque a été admise par le juge commissaire, dont la décision n'a pas été contestée, à titre chirographaire et non privilégiée.
La Lyonnaise de Banque ne peut pas non plus arguer de sa perception par le liquidateur de versements suite à la vente de véhicules durant la procédure collective, motivés en application de l'article L.622-7 du code de commerce, ce qui n'établit pour cette procédure ni sa sûreté, ni son préjudice personnel distinct de celui de la collectivité des créanciers.
Il n'est donc pas plus démontré par la Lyonnaise de Banque que sa garantie portée sur les documents administratifs aurait dû conduire au règlement prioritaire de sa créance, en l'absence de sûreté sur les véhicules financés. La Lyonnaise de Banque ne peut pas arguer d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers puisqu'elle ne détenait aucun droit de se faire attribuer le prix de vente.
Les prétentions subsidiaires de la Lyonnaise de Banque, en modification de ses prétentions chiffrées, ne sont pas plus recevables, au visa de prétendues fautes du dirigeant qui auraient été commises postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, pour le motif déjà précité afférent au fait que l'absence des véhicules notée sur les inspections d'Auxiga ne démontre que l'absence de communication à leur date respective du motif de cette absence, non pas celle d'un disparition.
Par infirmation du jugement, l'action de la Lyonnaise de Banque est jugée irrecevable.
La Lyonnaise de Banque supporte les entiers dépens ainsi qu'une indemnité de procédure au profit de l'appelant.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Juge irrecevable la Lyonnaise de Banque,
Condamne la Lyonnaise de Banque à verser à M. X... une indemnité de procédure de 3.000 euros,
Dit que les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la Lyonnaise de Banque avec, pour les derniers, distraction au profit du conseil de M. X....
Le Greffier, Le Président,