N° RG 18/07696
Décision du Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 20 septembre 2018
RG : 2018f894
W...
C/
P...
...
...
LA PROCUREURE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRÊT DU 02 Mai 2019
APPELANT :
M. O... W...
né le [...] à Lyon (69003)
[...]
Représenté par Me Charles FREIDEL, avocat au barreau de LYON
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/027427 du 18/10/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMES :
SELARL L... R..., représentée par Maître L... R..., mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire de la société COMPAGNIE FINANCIERE DE PARTICIPATION (COFIPAR) nommée à cette fonction en lieu et place de Maître X... P...
[...]
[...]
Représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant, Me Nicolas BES, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Georges Alexandre DERRIEN, avocat au barreau de LYON
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[...]
En la personne de Monsieur Jean-Louis PAGNON, substitut général,
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 31 Janvier 2019
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Mars 2019
Date de mise à disposition : 02 Mai 2019
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne-Marie ESPARBÈS, président
- Hélène HOMS, conseiller
- Pierre BARDOUX, conseiller
assistés pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier
A l'audience, Anne-Marie ESPARBÈS a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne-Marie ESPARBÈS, président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
La société Cofipar SARL (Compagnie financière de participation), créée en mars 2004 par M. O... W..., a exercé une activité de marchands de biens.
Par jugement du 13 septembre 2016, sur assignation du 4 mai 2016 de la Banque populaire du massif central créancier selon un jugement de condamnation du 6 décembre 2012 ayant donné lieu à un certificat d'irrecouvrabilité de la part de l'huissier (141.807,39'€), le tribunal de commerce de Lyon a prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de la société Cofipar. La date de cessation des paiements a été fixée au 13 mars 2015 soit 18 mois antérieurs.
Par acte introductif d'instance du 21 février 2018, M. W... a été cité à comparaître en sanction devant le tribunal de commerce pour répondre de faits d'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal au vu d'un passif vérifié de 1.503.264 €.
M. W... a déclaré ne pas avoir eu conscience de l'état de cessation des paiements de la société.
Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal de commerce a prononcé à l'encontre de M. W... une interdiction de diriger, de gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise ou personne morale [interdiction de gérer] pendant une durée de 7 ans, avec exécution provisoire, les dépens étant tirés en frais privilégiés de procédure collective.
M. W... a interjeté appel par acte du 5 novembre 2018.
Par conclusions déposées le 28 janvier 2019, fondées sur l'article L 653-8 du code de commerce, M. W... demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
à titre subsidiaire,
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le champ de la mesure d'interdiction de gérer couvre « toute entreprise ou personne morale » et en ce qu'il a fixé la durée de cette mesure à 7 ans, et statuant à nouveau, juger que le caractère volontaire de la faute reprochée n'est pas rapportée et débouter en conséquence Me R... de toutes ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
réduire la mesure d'interdiction de gérer à une durée d'une année et dire qu'elle ne concerne que toute activité commerciale ou artisanale,
juger en outre que cette mesure sera aménagée afin de l'autoriser à gérer, diriger, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise ou personne morale en matière de transaction immobilière,
et statuer ce que de droit sur les dépens de l'instance.
Par conclusions déposées le 18 janvier 2019, au visa des articles L653-2, L653-5, L653-8 et L 654-15 du code de commerce, la SELARL L... R... représentée par Me L... R... mandataire judiciaire ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Cofipar, nommée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce du 31 décembre 2018 en lieu et place de Me P... initialement désigné en cette même qualité par jugement du 13 septembre 2016, demande à la cour de :
la dire recevable et bien fondée en ses demandes,
juger que M. W... a omis sciemment de déclarer la cessation des paiements dans le délai de 45 jours,
juger que M. W... a fait l'objet de nombreuses procédures collectives en tant que dirigeant de 7 personnes morales et qu'il continue d'exercer deux mandats sociaux en violation de l'interdiction de gérer prononcée à son encontre par le jugement déféré,
en conséquence, confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
en toute hypothèse, condamner M. W... à lui verser ès qualités la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
outre charge des entiers dépens dont distraction au profit de Me Philippe Nouvellet (SCP Aguiraud Nouvellet).
Le ministère public, par avis du 17 janvier 2019 communiqué contradictoirement aux parties, requiert la confirmation de la décision entreprise dont il a adopté les motifs.
MOTIFS
Il n'est pas discuté, à titre liminaire, que la SELARL L... R... intervient en lieu et place de Me P....
Sur le fond, étant rappelé que le jugement déféré concerne une sanction personnelle d'interdiction de gérer, nullement de faillite personnelle, l'article L. 653-8 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015 dispose':
'Dans les cas prévus aux articles L.653-3 à L.653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.
L'interdiction mentionnée au premier alinéa peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L.622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L.622-22.
Elle peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.'
Au soutien de son appel, M. W... :
fait valoir qu'il n'a pas sciemment omis de déclarer la cessation des paiements de la société Cofipar,
conteste l'étendue de la sanction à toute personne morale,
et critique l'absence de proportionnalité de la durée de la sanction.
Ces trois points sont examinés successivement.
Sur le premier point relatif à l'omission de la déclaration de la cessation des paiements, M. W..., qui ne conteste pas le retard, qui résulte en effet objectivement de la fixation de la date de cessation des paiements au 13 mars 2015, non modifiée par le tribunal de commerce dans son jugement prononçant la liquidation judiciaire de la société Cofipar le 13 septembre 2016, affirme que ce retard de sa part n'est pas volontaire.
Il précise qu'à la date du 13 mars 2015, la cessation des paiements n'était pas apparue si évidente au point que le tribunal avait pris un long délai pour la retenir à partir de l'assignation par le créancier et qu'il pouvait donc continuer d''uvrer pour tenter de ramener l'entreprise à la prospérité.
Il ajoute que l'expert comptable ne lui a jamais préconisé le dépôt d'une déclaration de cessation des paiements contrairement à d'autres sociétés du groupe et que, postérieurement au 13 mars 2015, Cofipar continuait de développer une activité de nature à générer des actifs rapidement disponibles (projet de Vichy dont le rapport couvrait la créance de la Banque, projet de La Bourboule, projet de Dole) et assurait un recouvrement judiciaire d'une créance lié à un projet à Avignon, ces flux d'activités étant générateurs de créances rapidement mobilisables, ce qui excluait sa conscience d'un état de cessation des paiements
Ces arguments sont écartés.
En effet, alors que celui tiré du délai de renvoi organisé par le tribunal et de l'absence de conseil prétendue de la part de l'expert comptable est inopérant, la SELARL L... R... à qui revient la charge de la preuve, démontre le caractère volontaire de la part de M. W... dans son omission de l'état de cessation des paiements.
En premier lieu, trois des autres sociétés gérées par M. W..., à savoir les sociétés Art Patrimoine, Euro Patrimoine et la holding Groupe Delfin, ont fait l'objet de jugements de liquidation judiciaire aux dates respectives des 9 février 2011 pour les deux premières et 8 mars 2011 pour la holding. M. W... admet ces faits, précisant en outre qu'une autre société fille Operimmo avait connu le même sort à compter de décembre 2010. Le liquidateur ajoute que la société New Cycling également gérée par M. W... a aussi été placée en liquidation judiciaire par jugement du 23 mai 2013. Les 4 sociétés ont fait l'objet selon l'intimé, ce que M. W... ne conteste pas, de clôtures pour insuffisance d'actif.
M. W... connaissait donc son obligation légale de déclarer un état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours et le contexte économique dans lequel cette obligation doit s'exercer.
En deuxième lieu, la société Cofipar était redevable d'une créance de 141.807,39 € outre intérêts et indemnités par suite d'un jugement du tribunal de commerce de Clermont Ferrand du 6 décembre 2012 auprès de la Banque populaire du massif central qui l'a assignée en liquidation judiciaire trois ans et demi après. Cette dette, ancienne puisque jugée en décembre 2012, n'a pas été payée par la société Cofipar.
Or, il résulte des termes du jugement déféré, non contestés par M. W... dans ses écritures, que l'actif disponible de la société Cofipar s'est élevé à 23.369,86 € outre un actif immobilier retenu pour 240.000 € tandis que le passif exigible a été chiffré à l'importante somme de 1.503.264,43 €.
M. W... dit dans ses écritures qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas su que le passif se chiffrerait à cette somme exigible dans le cadre de la procédure collective. Cependant, il énonce lui-même (fin de la p.9) que «'la plupart des créances admises au passif (pour le montant précité de 1,5 M €) pré existaient à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal dans son jugement d'ouverture'», ce qui établit sa conscience de l'importance et de l'ancienneté du passif, résultant de l'exercice de sa qualité de dirigeant de droit. Il est établi qu'il n'a pas pris la précaution de vérifier la faisabilité de l'apurement du passif avec l'actif dont il n'ignorait pas non plus la consistance.
M. W... avait donc nécessairement connaissance de l'état d'endettement de la société Cofipar, et il ne peut arguer ni d'un moratoire octroyé par la Banque populaire du massif central qui n'est pas justifié, ni du fait que la société Cofipar devait résister plus que ses s'urs et mère dès lors qu'elle n'employait pas de salarié et que donc ses charges courantes étaient beaucoup plus limitées et qu'elle disposait d'actifs et de créances mobilisables, tous dires contredits par l'importance du passif et la faiblesse de l'actif.
En troisième lieu, M. W... ne peut pas plus évoquer les circonstances économiques (crise immobilière), un sinistre (incendie survenu dans l'ensemble immobilier de La Bourboule) et un prétendu parasitisme d'une entreprise concurrente (Avenir finance), tous événements qui auraient dû au contraire l'alerter sur l'impossibilité pour la société Cofipar de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, dans un contexte où d'autres de ses sociétés, comme dit plus haut, avaient été liquidées.
En conséquence, M. W... ne peut pas faire état d'une simple négligence non délibérée.
En quatrième lieu, M. W... est mal fondé à indiquer que le retard dans l'ouverture d'une procédure collective n'a pas eu particulièrement pour effet d'augmenter le passif dès lors que, comme dit précédemment, la plupart des créances admises au passif pour le montant précité de 1,5M € préexistaient à la date de la cessation des paiements retenue par le tribunal au 13 mars 2015.
En effet, il n'est pas poursuivi dans la présente instance en contribution à l'insuffisance d'actif qui aurait exigé la preuve du lien de causalité allégué, mais seulement en interdiction de gérer.
En cinquième lieu, M. W... n'a pas contesté le fait relevé par le liquidateur judiciaire sur sa continuation d'exercice de deux mandats sociaux (président de la SCI L'orée de Vichy et administrateur de la SA Audit Patrimoine Conseil) en violation de l'interdiction de gérer prononcée à son encontre par le jugement déféré avec exécution provisoire.
Au final, par suite de la preuve de l'élément intentionnel, la faute d'omission consciente de la déclaration de l'état de cessation des paiements de la société Cofipar, qu'il n'a jamais déclaré dans le délai légal de 45 jours, est ainsi caractérisée à l'encontre de M. W....
Le jugement déféré est confirmé de ce chef.
Sur le deuxième point relatif à l'étendue de la sanction, M. W... affirme que le texte de l'article L. 653-8 précité ne permet pas l'édiction d'une mesure d'interdiction de gérer dont le champ couvre «'toute entreprise ou personne morale'» comme l'a dit le premier juge, et que seule peut être légalement prononcée une mesure portant sur «'soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci'» . Il ajoute que le texte ne vise pas les entreprises qui ne sont ni commerciales, ni artisanales et qui ne sont pas exploitées par le biais d'une personne morale (à savoir les entreprises civiles exploitées individuellement).
Ce qui est écarté.
En effet, le texte concerné autorise bien, comme ses termes l'indiquent, le prononcé d'une interdiction de gérer visant de façon générale toute personne morale sans distinction du type d'activité.
Pour assurer l'effectivité de la sanction, le jugement déféré est également confirmé de ce chef, ce qui conduit à débouter M. W... de sa demande complémentaire afin d'aménagement.
Sur le troisième point, relatif à la durée de la mesure, M. W..., qui rappelle être né le [...] (il a 63 ans) et affirme ne disposer que de revenus tirés du RSA comme le mentionne la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 20 décembre 2018, indique que la mesure prononcée par le tribunal d'une durée de 7 ans l'écarte de la direction de toute société pour le restant de sa vie active.
Ce qui exact, et correspond à la volonté du législateur d'écarter de la vie des affaires, dans un contexte caractérisé, un dirigeant de personne morale à qui est reprochée une faute grave dans l'exercice de sa fonction de dirigeant.
Cette durée de la mesure a respecté la nécessaire proportionnalité de la sanction à la faute retenue, eu égard à la gravité de la faute précédemment caractérisée.
Le jugement est en conséquence également confirmé sur la durée de l'interdiction frappant M. W....
Par infirmation du jugement concernant les dépens de première instance, les entiers dépens, ceux d'appel avec droit de recouvrement direct, sont à la charge de M. W..., également redevable d'une indemnité de procédure à verser à l'intimé pour la cause d'appel, d'un montant réduit apprécié eu égard à sa situation.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré sauf sur les dépens,
L'infirmant sur ce seul point et y ajoutant,
Déboute M. O... W... de ses demandes,
Condamne M. W... à verser à la SELARL L... R... ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Cofipar une indemnité de procédure de 1.000 € pour la cause d'appel,
Condamne M. W... aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,