N° RG 17/05494 - N° Portalis DBVX-V-B7B-LFGD
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond du 14 juin 2017
RG : 13/07134
ch n°1 cab 01 A
Société MGA ENTERTAINMENT INC.
C/
Y...
Y...
Y...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 07 Mai 2019
APPELANTE :
MGA ENTERTAINMENT INC. Société de droit californien prise en la personne de son représentant légal
16380 Roscoe Boulevard, Van Nuys
CA
[...]
Représentée par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Assistée de Me Olivier LAUDE de la SCP LAUDE - ESQUIER - CHAMPEY, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
M. S... Y...
né le [...] à SAINT CLAUDE (39)
[...]
[...]
Représenté par Me Guillaume BELLUC de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON, avocats au barreau de LYON
Mme I... Y... prise en la personne de son représentant légal M. S... Y...
né le [...] à SAINT CLAUDE (39)
[...]
Représentée par Me Guillaume BELLUC de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON, avocats au barreau de LYON
M. M... Y... pris en la personne de son représentant légal M. S... Y...
né le [...] à SAINT CLAUDE (39)
[...]
Représenté par Me Guillaume BELLUC de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON, avocats au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 07 Février 2019
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 25 Mars 2019
Date de mise à disposition : 07 Mai 2019
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Florence PAPIN, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Courant 2007, M. Y..., dirigeant et actionnaire du groupe Smoby, n°1 de la fabrication de jouets en Europe, s'est rapproché de la société MGA Entertainment Inc aux fins de cession des activités de l'entreprise.
Selon convention du 11 mai 2007, dans le cadre des accords conclus entre les parties, la société MGA a consenti à M. Y... une avance de fonds de 5 000 000 d'euros, pour lui permettre de libérer le montant de bons de souscription.
Le 25 mai 2007, le procureur de la république était saisi par le comité interministériel de restructuration industriel d'une dénonciation concernant des malversations commises au sein du groupe Smoby et impliquant M. Y... personnellement.
Une information judiciaire était ouverte le 11 juillet 2007 des chefs d'abus de biens sociaux commis depuis 1999.
Selon acte du 19 septembre 2007, M.O... a fait donation à ses deux enfants de sa résidence principale située [...] , se réservant à titre viager un droit d'usage et d'habitation.
Par jugement du tribunal de commerce de Lyon du 28 mai 2010, confirmé en appel, M. Y... a été condamné à rembourser à la société MGA la somme de 5000000 d'€ qu'elle lui avait avancée.
M. Y... ne s'est pas acquitté du montant de la condamnation.
Par acte du 14 juin 2013, la société MGA, invoquant une fraude paulienne de M. Y..., l'a assigné, ainsi que les donataires, en inopposabilité de la donation du 19 septembre 2007.
M. Y... a conclu à titre principal au débouté.
Par jugement du 14 juin 2017, le tribunal de grande instance de Lyon a débouté la société MGA de ses demandes, au motif que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de l'insolvabilité de M. Y... au moins apparente à la date de l'acte.
La société MGA a relevé appel principal de ce jugement.
Elle demande à la cour :
- de déclarer que la donation du 19 septembre 2007, faite par M. S... Y... à ses enfants lui est inopposable,
- de dire qu'elle pourra poursuivre l'intégralité de sa créance sur le bien objet de la donation,
- d'ordonner la publication du jugement,
- de condamner M. Y... à lui payer une somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient :
- que le patrimoine de M. Y... n'était substantiel qu'en apparence,
- qu'après retraitement des principaux actifs, le véritable gage s'élevait à 1 479 000 €, après donation de la maison du bien immobilier de Bellecour,
- que de surcroît le tribunal n'a pas tenu compte des dettes grevant l'actif, notamment d'une dette fiscale de 2 948 848 €,
- que son passif réel s'élevait ainsi à 7 958 848 €,
- qu'il faisait l'objet d'une enquête pénale en cours le jour de la donation dont il ne pouvait ignorer qu'à cet égard tout ou partie de son patrimoine risquait d'être appréhendé,
- que la quasi totalité des mesures de recouvrement engagées se sont soldées par un échec,
- que la mauvaise foi de M. Y... s'évince de la connaissance qu'il avait de l'étendue de son engagement auprès de ses créanciers lors de l'acte litigieux et de la proximité entre la date de naissance de la créance, et l'acte litigieux.
M. S... Y..., I... et M... Y... demandent à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société MGA au paiement d'une somme complémentaire de 30 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Ils soutiennent :
- que le patrimoine de M. Y... était suffisant à désintéresser la société MGA au jour de l'acte litigieux,
- que sa situation était la suivante (actif brut)
1er janvier 2007 1er janvier 2008
Immeubles 4 609 000 € 3 625 000 €
Assurance-Vie 9 973 626 € 8 623 805 €
Liquidités 53 917 € 3 054 473 €
Droits sociaux 300 053 € 1 603 017 €
Or 61 600 € 72 200 €
TOTAL 14 998 196 € 16 978 495 €
- qu'au 1er janvier 2008, M. Y... disposait, en liquidités parfaitement saisissables plus de 3 millions d'euros (la société MGA omet curieusement de faire état de la somme de 2 507 520 figurant à la rubrique 23 de l'annexe 3-1 de la déclaration ISF 2008'), et en valeur d'immeubles de celle de 3 625 000 euros, soit un montant largement supérieur à la créance de la société MGA,
- qu'il a été en mesure de régler une caution de 3 200 000 €, dans le cadre de son contrôle judiciaire,
- qu'aucune situation d'insolvabilité, ou d'aggravation d'une insolvabilité préexistante n'a été créée par la donation du 19 septembre 2007, le patrimoine restant de M. Y... permettant largement de désintéresser la société MGA,
- que la société MGA ne prouve pas l'intention frauduleuse de M. Y... au moment de la donation,
- que lorsque M. Y... a perdu la direction de Smoby à la suite de la prise de contrôle de MGA, rien ne pouvait laisser présager que la société MGA ne mènerait pas à bon terme son projet, et notamment les négociations avec les établissements bancaires et rien ne laissait présager que les accords conclus ne seraient pas respectés du seul fait de la société MGA, au préjudice de M. Y..., du groupe Smoby et des banques de ce dernier.
Par ordonnance du 12 septembre 2017, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Nancy a ordonné le renvoi de M. Y... devant le tribunal correctionnel du chef de 16 délits : abus de confiance, faux et usage de faux, blanchiment, recel notamment.
Il est notamment renvoyé pour des faits de surfacturation de 6% à une société étrangère lui ayant procuré directement une somme de 1 000 000 d'€ par an depuis 1999, faits qu'il a reconnus.
MOTIFS
Aux termes de l'article 1167 ancien du code civil devenu 1341-2 du même code, «le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude».
Sur les conditions objectives de l'action paulienne
La société MGA était bien créancière de M. Y..., au jour de la donation et de manière certaine, d'une somme de 5000 000 d'€ remise à titre d'avance selon acte du 11 mai 2007, ce qui impliquait inéluctablement, dès cette date, une obligation de remboursement à plus ou moins long terme.
En second lieu, la donation par M. Y... de son appartement [...] , à ses enfants, est un acte d'appauvrissement.
En troisième lieu, M. Y... oppose sans justification, un refus de régler le montant de la condamnation prononcée à son encontre par la jugement du 18 mai 2010 du tribunal de commerce de Lyon, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Lyon du 18 avril 2013, ce qui établit son insolvabilité actuelle.
Sur l'intention frauduleuse
L'action paulienne résulte de la seule connaissance du préjudice que le débiteur cause au créancier en se rendant insolvable ou en augmentant son insolvabilité.
En l'espèce, lors de son audition par les services de police, M. Y... a déclaré avoir fait la donation litigieuse à ses enfants mineurs alors âgés de 8 et 4 ans par «amour filial», alors que la donation d'un bien immobilier grevé d'un droit d'habitation, ne présente bien évidemment aucun intérêt pour ces enfants, et ne peut être dictée que par des considérations beaucoup plus prosaïques, surtout au moment où M. Y... organise la reprise de sa société très endettée (25 500 000 € de pertes en 2006).
D'autre part, en ce qui concerne son patrimoine au jour de la donation il convient de relever que :
- le chalet de Chamonix évalué à 3 000 000 €, faisait l'objet d'une hypothèque.
- le montant des capitaux des assurances vie (8 623 805 €) était difficilement saisissable puisqu'aux termes de l'article L 132-14 d code des assurances, dans sa version applicable au jour de la donation, il est dit que le capital ou la rente garantis au profit d'un bénéficiaire déterminé ne peuvent être réclamés par les créanciers du contractant et que ces derniers ont seulement droit au remboursement des primes, dans le cas indiqué par l'article L. 132-13, deuxième alinéa, [à savoir si ces primes sont manifestement exagérées] en vertu soit de l'article 1167 du code civil, soit des articles L. 621-107 et L. 621-108 du code de commerce.
- les liquidités et l'or n'offrent aucune garantie puisque ces actifs sont facilement dissimulables, et que d'ailleurs, il n'est pas contesté que M. Y... disposait de plusieurs comptes à l'étranger notamment en Suisse.
- M. Y... faisait l'objet d'un redressement fiscal en cours pour un montant d'environ de 3000 000 d'€, au titre des revenus non déclarés en 2005 et 2006.
- la donation litigieuse est intervenue alors que le procureur de la république de Lons Le Saunier avait diligenté dès le 25 mai 2007, une enquête préliminaire suite à une dénonciation reçue le 17 avril 2007, sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale émanant du CIRI qui reprenait le contenu d'un tract syndical diffusé fin 2006 mettant en cause M. Y..., à laquelle était joint un courrier à l'en tête de la société ELL signé par M. S... Y... au travers duquel il apparaissait que Smoby payait ses fournisseurs chinois à un prix surévalué de 6%.
- Contrairement à ce que soutient M. Y..., ce dernier n'a pas été en mesure de payer la caution de 3 200 000 d'€, laquelle a été réglée par des fonds provenant pour une partie importante de tierces personnes.
Enfin, il doit être relevé que M. Y... avait déclaré lui-même au juge d'instruction lors de son interrogatoire de première comparution du 27 mars 2008 : «Je tiens à préciser que je suis à la tête de 17 millions de dettes...», ce qui met à néant la thèse selon laquelle la société MGA n'avait aucune crainte à avoir au jour de la donation litigieuse.
Au regard de ces éléments, il apparaît de manière certaine que M. Y... avait conscience qu'il était très endetté, et que de surcroît il allait devoir prochainement rendre des comptes sur son patrimoine personnel au titre des malversations commises au sein de son entreprise et qui lui étaient imputées.
Ainsi, il est certain qu'il a consenti la donation litigieuse correspondant à l'un de ses rares actifs stables évalué à 741 000 €, avec la conscience de porter atteinte aux intérêts de ses créanciers en particulier aux intérêts de la société MGA.
En conséquence, il convient de réformer le jugement et de faire droit à la demande d'inopposabilité.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les dépens
Il convient de condamner M. S... Y... aux dépens.
PAR CES MOTIFS
la cour,
- Infirme le jugement déféré et statuant de nouveau,
- Déclare la donation du 19 septembre 2007 reçue par Maître Roland B... notaire associé [...] , portant sur les lots n°50 (un appartement), 15 (un garage), 35 (grenier), 22 et 23 (deux caves) et les millièmes de copropriété afférents, de l'immeuble en copropriété situé [...], cadastré section [...] , [...], [...], publiée au 1er bureau de la Conservation des hypothèques de Lyon le 27 septembre 2007 vol 2007 P n°[...], faite par M. S... Y... à ses enfants I... et M... Y..., inopposable à la société MGA Entertainment Inc,
- Dit que la société MGA Entertainment Inc pourra poursuivre l'intégralité de sa créance sur le bien objet de la donation,
- Ordonne la publication du jugement,
- Condamne M. S... Y... à payer à la société MGA Entertainment Inc une somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne M. S... Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Nouvellet avocat en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE