AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE
RAPPORTEUR
R.G : N° RG 18/06632 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L52T
SAS SAPE
C/
[V]
CPAM DU RHÔNE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LYON
du 18 Avril 2017
RG : 20142520
COUR D'APPEL DE LYON
Protection sociale
ARRÊT DU 10 DECEMBRE 2019
APPELANTE :
SAS SAPE
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Maître Bruno BRIATTA, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
[P] [V]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM DU RHÔNE
[Adresse 8]
[Localité 6]
représenté par Mme [J] en vertu d'un pouvoir général
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 01 Octobre 2019
Présidée par Bénédicte LECHARNY, Conseiller, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Malika CHINOUNE, Greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
- Elizabeth POLLE-SENANEUCH, président
- Laurence BERTHIER, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 10 Décembre 2019 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Elizabeth POLLE-SENANEUCH, Président, et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [P] [V] a été salarié de la société Lyon Peinture puis de la société SAPE (l'employeur), à la suite d'un rachat de l'entreprise, de 2009 au 8 janvier 2014.
Il a souscrit le 10 août 2012 une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d'un certificat médical initial, établi le 11 juillet 2012 par le Docteur [E] [Z], faisant état des constatations suivantes : « Adénopathies médiastinales chez un patient ayant été et étant exposé aux poussières de silicoses - Médiastinoscopie = SILICOSE MP n°25 ».
Après enquête administrative, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (CPAM) a reconnu, le 15 janvier 2013, le caractère professionnel de la maladie déclarée par monsieur [P] [V] au titre du tableau n°25.
Les lésions relatives à cette maladie ont été déclarées consolidées le 16 janvier 2013 avec attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 5% ayant donné lieu à l'attribution d'une indemnité en capital d'un montant de 1 923,44 euros.
Suite à la demande de l'assuré et après avis du service médical, ce taux a été porté à 15% à compter du 20 février 2014.
Souhaitant voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur à l'origine de sa maladie professionnelle, monsieur [P] [V] a saisi la CPAM puis, en l'absence de conciliation, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon par requête du 9 décembre 2014.
Dans le cadre de l'instance, l'employeur a contesté le caractère professionnel de la maladie.
Par jugement du 18 avril 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon a :
- dit que la maladie (silicose) présentée par monsieur [P] [V] le 11 juillet 2012 est d'origine professionnelle
- dit que la société SAPE a commis une faute inexcusable responsable de la maladie professionnelle
- dit que le capital de 1 923,44 euros versé à monsieur [P] [V] le 8 mars 2013 sera porté au double et que la rente attribuée à celui-ci à compter du 20 février 2014 sera majorée au taux maximal légal
- avant-dire droit sur l'indemnisation, ordonné l'expertise médicale de monsieur [P] [V] aux frais avancés de la CPAM
- condamné la société SAPE à payer à monsieur [P] [V] une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SAPE a régulièrement interjeté appel du jugement le 26 avril 2017.
Par jugement du 17 avril 2018, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert la procédure de sauvegarde de la société SAPE et désigné Maître [A] en qualité de mandataire judiciaire et Maître [I] en qualité d'administrateur judiciaire.
L'affaire a été radiée par décision du 24 avril 2018 et a été réinscrite le 27 septembre 2018.
Par jugement du 26 septembre 2018, le tribunal de commerce de Lyon a prolongé la période d'observation jusqu'au 17 avril 2019, période pendant laquelle l'entreprise a été autorisée à poursuivre son activité.
Par jugement du 17 avril 2019, ce même tribunal a arrêté le plan de sauvegarde de la société SAPE et désigné Maître [I] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Dans ses écritures développées oralement à l'audience du 1er octobre 2019, la société SAPE poursuit l'infirmation du jugement et demande à la cour de :
A titre principal :
Dire et juger qu'elle est d'ores et déjà fondée à voir ordonner une expertise médicale, celle-ci ayant notamment pour objet de valider le diagnostic de la silicose et d'en déterminer surtout les causes exactes après analyses des données pneumologiques
Dire et juger qu'elle est fondée à contester le caractère professionnel de la maladie de monsieur [P] [V]
Dire et juger qu'elle est également fondée à contester avoir commis un quelconque manquement à son obligation de sécurité et de résultat à l'égard de monsieur [P] [V].
Dire et juger en tout état de cause que les éléments constitutifs de la faute inexcusable ne sont aucunement réunis
Réformer en conséquence intégralement le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon du 18 avril 2017.
A titre subsidiaire :
Donner acte à la société SAPE de ce qu'elle s'en rapporte à Justice en ce qui concerne la mesure d'expertise qui a été ordonnée par le tribunal des affaires de sécurité sociale
Dire et juger en revanche qu'elle est fondée à contester le montant des sommes réclamées par monsieur [P] [V] au titre des préjudices complémentaires et dont l'avance a vocation à être mise à la charge de la CPAM
Condamner en tout état de cause monsieur [P] [V] à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [P] [V] demande à la cour de :
Confirmer la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lyon du 18 avril 2017 en ce qu'elle a :
' dit que la maladie dont il est atteint est d'origine professionnelle
' dit que la société SAPE a commis une faute inexcusable responsable de la maladie professionnelle
' fixé au taux maximum la majoration du capital
Statuant à nouveau,
Fixer l'indemnisation des préjudices complémentaires selon les modalités suivantes :
' Déficit fonctionnel temporaire 1 800 €
' Réparation de la souffrance physique 16 000 €
' Réparation de la souffrance morale30 000 €
' Réparation du préjudice d'agrément16 000 €
Ordonner en outre à la société SAPE de lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La CPAM fait valoir que la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la pathologie déclarée par monsieur [P] [V] a acquis un caractère définitif à l'encontre de l'employeur et qu'il n'est recevable à contester la matérialité de la maladie que pour se défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.
Elle demande par ailleurs à la cour de prendre acte, dans l'hypothèse de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, en application des dispositions de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, qu'elle procédera au recouvrement de l'intégralité des sommes dont elle serait amenée à faire l'avance directement auprès de l'employeur, soit :
' les sommes versées au titre de la majoration de la rente fixée selon le taux d'incapacité permanente partielle définitivement attribué à l'assuré
' les somme versée au titre des préjudices reconnus dans l'éventualité où une expertise serait ordonnée par la cour, y compris les frais relatifs à la mise en oeuvre de cette expertise.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est référé pour le surplus aux écritures déposées par les parties à l'appui de leurs explications orales devant la cour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Les dispositions de l'article L. 626-25, alinéa 3, du code de commerce, suivant lesquelles les actions introduites avant le jugement qui arrête le plan et auxquelles l'administrateur ou le mandataire judiciaire est partie sont poursuivies par le commissaire à l'exécution du plan, ne concernent pas les instances qui étaient en cours à la date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire.
Il en résulte qu'après le jugement arrêtant le plan de redressement, l'action en paiement engagée contre le débiteur avant le jugement d'ouverture de son redressement judiciaire est poursuivie contre ce dernier redevenu maître de ses biens, le commissaire à l'exécution du plan n'ayant pas qualité pour poursuivre l'instance.
En l'espèce, l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable ayant été introduite par monsieur [P] [V] avant le jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, la société SAPE est seule habilitée à défendre à cette action, sans qu'il y ait lieu d'appeler en la cause le commissaire à l'exécution du plan.
* Sur le caractère professionnel de la maladie
La société SAPE soulève des critiques et réserves sur les constatations médicales qui ont été opérées, de nature, selon elle, à remettre en question la correspondance de la pathologie de monsieur [P] [V] à l'une des pathologies visées par le tableau n°25 des maladies professionnelles. Elle conteste par ailleurs l'exposition du salarié aux risques de la maladie professionnelle diagnostiquée.
Monsieur [P] [V] soutient que sa maladie remplit les conditions posées par le tableau et rappelle que l'origine multifactorielle d'une maladie n'est pas exclusive de son caractère professionnel.
~ * ~
Il convient à titre liminaire de rappeler qu'en application du principe de l'indépendance des rapports entre, d'une part, la caisse et la victime, d'autre part, la caisse et l'employeur, et enfin, la victime et l'employeur, le caractère définitif à son égard de la décision de prise en charge, par l'organisme social, de la maladie au titre de la législation professionnelle n'interdit pas à l'employeur de contester le caractère professionnel de la maladie, dans le cadre d'un litige l'opposant au salarié et pour se défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.
Aux termes de l'article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Pour bénéficier de la présomption d'imputabilité trois conditions doivent être réunies :
- la maladie doit figurer dans un tableau de maladies professionnelles
- le délai de prise en charge prévu au tableau doit être respecté
- l'exposition au risque du tableau doit être démontrée.
S'agissant de la première condition, les premiers juges ont justement retenu que monsieur [P] [V] avait souscrit une déclaration de maladie professionnelle pour « silicose » en joignant un certificat médical initial faisant mention d'une silicose mise en évidence par une médiastinoscopie. Cette maladie, sous sa forme aigüe ou chronique, figure bien dans le tableau n°25 au titre des affections dues à l'inhalation de poussières de silice cristalline (quartz, cristobalite, tridymite).
Monsieur [P] [V] produit encore l'analyse du prélèvement de ses ganglions lymphatiques médiastinaux effectué le 22 juin 2012 qui conclut à une « fibrose hyaline des ganglions lymphatiques médiastinaux pouvant correspondre à des nodules silicotiques ».
Il ressort encore des pièces produites aux débats par la CPAM que cette dernière a instruit la maladie sous le libellé plus précis de « silicose chronique » et que le 17 septembre 2012, le Docteur [R], expert en pneumoconiose, saisi par le médecin conseil de la caisse, a confirmé que « monsieur [P] [V] [était] bien porteur d'une silicose selon le tableau n°25 de maladies professionnelles », précisant qu'il s'agissait « du syndrome A 2 du tableau n°25 », à savoir une silicose chronique.
Il résulte de ces éléments que la maladie diagnostiquée à monsieur [P] [V] est bien déterminée, sans qu'il y ait lieu de recourir à une expertise judiciaire, et qu'elle figure bien dans le tableau n°25 des maladies professionnelles sous la désignation suivante : « A2. Silicose chronique : pneumociose caractérisée par des lésions interstitielles micronodulaires ou nodulaires bilatérales révélées par des examens radiographiques ou tomidensitométriques ou par des constatations anatomopathologiques lorsqu'elles existent ; ces signes ou ces constatations s'accompagnent ou non de troubles fonctionnels respiratoires ». La première condition est donc remplie.
S'agissant de la deuxième condition, le tableau n°25 mentionne un délai de prise en charge de 35 ans (sous réserve d'une durée minimale d'exposition de 5 ans).
En l'espèce, la date de première constatation médicale est fixée au 11 juillet 2012. Par ailleurs, il ressort de la synthèse de l'enquête administrative de maladie professionnelle diligentée par la CPAM que monsieur [P] [V] a travaillé comme solier moquetiste depuis 1980, pour plusieurs employeurs et en dernier lieu pour la société SAPE, et que « les affections consécutives à l'inhalation de poussières minérales renfermant de la silice cristalline sont répertoriées dans les pathologies d'origine professionnelle des soliers moquetistes ».
Au vu de ces constatations, il apparaît que la durée minimale d'exposition de cinq ans est démontrée et le délai de prise en charge a été respecté.
Enfin, s'agissant de la troisième condition, le tableau n°25 énonce une liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer ces maladies, ainsi rédigée : « Travaux exposant à l'inhalation des poussières renfermant de la silice cristalline, notamment :
- [...]
- Fabrication et manutention de produits abrasifs, de poudres à nettoyer ou autres produits renfermant de la silice cristalline ;
- Travaux de ponçage et sciage à sec de matériaux renfermant de la silice cristalline ;
- Travaux de construction, d'entretien et de démolition exposant à l'inhalation de poussières renfermant de la silice cristalline ; [...]».
C'est par une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu, s'agissant de l'exposition au risque, que la société SAPE reconnaissait elle-même l'utilisation par monsieur [P] [V] d'un enduit de ragréage de la marque UZIN dont la fiche de données de sécurité énonce qu'il contient du sable de quartz, c'est-à-dire de la silice cristalline.
Il ressort encore de la synthèse de l'enquête administrative citée plus avant que « dans l'ensemble de son activité professionnelle, M. [V] a arraché des revêtements existants et posé des moquettes ou sols plastiques pour des chantiers neufs ou en rénovation sur des supports en béton ou en ciment. Au cas particulier, l'assuré a pu être exposé à l'inhalation de poussière renfermant de la silice cristalline (quartz, cristobalite, tridymite) lors de l'arrachage de sols plastiques ou moquettes sur des supports en béton ou en ciment de manière ponctuelle ».
La société SAPE conteste la thèse selon laquelle monsieur [P] [V] aurait été exposé de façon régulière à des poussières de roche au motif que le ponçage des sols n'est aucunement automatique ni systématique. Or, il convient d'observer que les attestations produites par monsieur [P] [V] et émanant d'anciens collègues de travail mentionnent la nécessité de préparer les supports avant de poser les nouveaux revêtements (évacuation des gravats, dépose des revêtements antérieurs, élimination des anciennes colles par ponçage, nettoyage, piquage des chapes, ponçage de la chape avant et/ou après ragréage). Ces affirmations ne sont pas contredites par les témoignages d'artisans soliers versés aux débats par l'appelante. Ainsi, monsieur [D] [C] (pièce 17 de l'appelante) confirme que pour la préparation du support « il est souvent nécessaire d'arracher les sols existants et nettoyer les supports ». S'il ajoute que « si [le ragréage] est bien réalisé, le ponçage n'est pas obligatoire » et que « notamment pour la pose de moquette, il n'est pas nécessaire », il peut être déduit de cette attestation qu'un ponçage peut s'avérer en revanche nécessaire pour la pose d'autres revêtements. Monsieur [X] [O] (pièce 18 de l'appelante) atteste quant à lui que « sur le chantier, [le solier moquetiste] prépare les murs et les sols. Il les décape, les nettoie, et si nécessaire les régularise avec un enduit (ragréage). Le ragréage nécessite un ponçage si nécessaire, tout dépend du type de révêtement [...] Pour la moquette, il n'est pas nécessaire de poncer le sol ».
Il ressort de ces diverses attestations, émanant tant du salarié que de l'employeur, qu'outre la manutention de produits renfermant de la silice cristalline, les travaux exercés par monsieur [P] [V], au sein de la société SAPE comme auprès de ses employeurs précédents, faisaient bien partie de ceux visés dans le tableau n°25 des maladies professionnelles, à savoir des travaux de ponçage de matériaux renfermant de la silice cristalline et d'entretien ou de démolition exposant à l'inhalation de poussières renfermant de la silice cristalline. La troisième condition est donc remplie.
Dès lors que les conditions de prise en charge et d'exposition au risque sont remplies, l'origine professionnelle est ainsi présumée, et il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de l'existence d'une cause extérieure à l'activité professionnelle, ce qu'il ne fait pas, la société SAPE reconnaissant elle-même dans ses conclusions que les antécédents tabagiques de monsieur [P] [V] ne peuvent caractériser un élément causal exclusif.
Aussi convient-il de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la maladie présentée par monsieur [P] [V] le 11 juillet 2012 est d'origine professionnelle.
* Sur la faute inexcusable de l'employeur
La société SAPE reproche au jugement entrepris d'avoir retenu l'existence d'une faute inexcusable à son encontre, estimant qu'elle a correctement exécuté son obligation d'évaluation et de prévention du risque. Elle fait valoir notamment qu'elle a pris en considération le risque d'inhalation des poussières alvéolaires lié à l'utilisation de l'enduit de ragréage de marque UZIN dans le cadre des mesures de protection individuelle qu'elle a mises en place.
Monsieur [P] [V] soutient qu'il a travaillé au contact de poussières de manière régulière et permanente, sans protection ni information de la part de son employeur. Il affirme que la société SAPE n'a pas respecté les prescriptions de sécurité prévenant l'inhalation des poussières minérales et qu'elle n'a pas mis en oeuvre les mesures nécessaires pour préserver ses salariés des risques liés à cette inhalation.
~ * ~
Il convient tout d'abord de rappeler que la victime d'une maladie professionnelle peut poursuivre l'employeur qu'elle estime auteur de la faute inexcusable à l'origine de la maladie sans avoir égard aux conventions conclues entre ses employeurs successifs.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat.
Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié (la conscience étant appréciée par rapport à un employeur normalement diligent) et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié ou de la maladie l'affectant. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée.
La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient au salarié, sauf présomptions non applicables en l'espèce, de rapporter la preuve de la faute inexcusable de l'employeur dont il se prévaut.
En l'espèce, il convient d'observer qu'en affirmant qu'elle a pris en considération le risque d'inhalation des poussières alvéolaires lié à l'utilisation de l'enduit de ragréage de marque UZIN dans le cadre des mesures de protection individuelle qu'elle a mises en place, la société SAPE reconnaît qu'elle avait conscience du danger auquel était exposé son salarié. En outre, il est rappelé dans la fiche de données de sécurité du produit, dans la partie relative aux informations sur les composants dangereux, que le sable de quartz est une « substance pour laquelle il existe, en vertu des dispositions communautaires, des limites d'exposition sur le lieu de travail ».
S'agissant des autres facteurs de risque, il ressort de la fiche FAST (Fichier Actualisé des Situations de Travail) relative à la profession de solier moquetiste qu'au nombre des « nuisances » identifiées figurent l'« empoussiérage » et la « silice » et que la liste des pathologies professionnelles comprend les « affections consécutives à l'inhalation de silice: pneumoconiose, sclérodermie, cancer bronchopulmonaire [25] ».
Au vu de ce qui précède, il n'est pas contestable que la société SAPE avait ou aurait dû avoir conscience du danger d'inhalation de poussières de silice auquel était exposé monsieur [P] [V] en qualité de solier moquetiste.
Dès lors que ce danger était connu, l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur impliquait de réduire le plus possible le taux d'empoussièrement et le risque l'inhalation.
S'agissant de la réduction des émissions de poussières, il doit être observé que la simple production aux débats d'une fiche technique relative à une ponceuse monodisque avec jupe de protection ne permet absolument pas de considérer que la société SAPE disposait d'une telle machine et encore moins que celle-ci était effectivement utilisée par ses salariés.
S'agissant des risques d'inhalation, il convient de retenir, ainsi que l'ont fait les premiers juges, que l'achat d'équipements de protection individuelle n'implique pas l'utilisation effective de ces protections par les salariés. Monsieur [P] [V] produit plusieurs témoignages d'anciens collègues qui affirment que ce dernier ne disposait d'aucun masque de protection lors des différentes opérations de ponçage et de ragréage. Si la société SAPE soutient le contraire, elle se contente de verser aux débats les attestations de deux de ses fournisseurs, dont un seul fait référence à l'utilisation de masques anti-poussières, ainsi que celles de quatre salariés dont aucun n'est solier moquetiste. Force est par ailleurs de constater que la société SAPE ne justifie nullement de la remise de notices d'information ou de consignes écrites aux salariés affectés à des travaux susceptibles de les exposer à l'inhalation de poussières de silice ni de l'attribution personnelle à chacun d'entre eux d'un équipement respiratoire individuel et de vêtements de protection. A cet égard, le simple fait de « mettre à disposition [les équipements de protection individuelle] dans un local dédié » pour être « utilisés par les ouvriers selon les contraintes du chantier et à discrétion », ainsi qu'il ressort de l'attestation de madame [L] [K], secrétaire de la société SAPE, apparaît très insuffisant pour considérer que l'employeur a correctement rempli son obligation de sécurité.
Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société SAPE n'a pas pris les mesures de précaution nécessaires à la préservation de la santé de monsieur [P] [V] et que la maladie professionnelle présentée par ce dernier doit être imputée à la faute inexcusable de cet employeur.
* Sur les conséquences de la faute inexcusable
Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a ordonné le doublement du capital versé à monsieur [P] [V] et la majoration de sa rente au taux maximum légal.
Il doit encore être confirmé en ce qu'il a ordonné, aux frais avancés de la CPAM, une expertise pour l'évaluation de son préjudice personnel. En effet, en l'absence d'une telle expertise, la cour ne dispose pas de constatations médicales fiables pour apprécier l'indemnisation de ses divers postes de préjudice.
Le contenu de la mission confiée à l'expert sera confirmé, sachant qu'il appartiendra au tribunal de grande instance, statuant après dépôt du rapport d'expertise, de se prononcer sur le bien-fondé des demandes qui seront formulées par monsieur [P] [V].
Ajoutant au jugement déféré, il sera précisé que la majoration maximale de la rente sera calculée sur le taux d'incapacité fixé par la caisse, après contestation de l'assuré, le 30 décembre 2014, à savoir 15%, mais que la CPAM ne pourra exercer son action récursoire à l'encontre de l'employeur que sur la base du taux d'incapacité partielle initialement fixé à 5% et notifié à l'employeur le 8 mars 2013.
* Sur les dépens et les frais irrépétibles
Il y a lieu de statuer sur les dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile, l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale prévoyant la gratuité en la matière ayant été abrogé à compter du 1er janvier 2019 par le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale.
La société SAPE, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.
Elle sera encore condamnée à payer à monsieur [P] [V], en sus de l'indemnité attribuée en première instance, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a dû engager en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision publique, contradictoire, rendue en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Précise que la majoration maximale de la rente sera calculée sur le taux d'incapacité fixé par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône le 30 décembre 2014, à savoir 15%, mais que la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône ne pourra exercer son action récursoire à l'encontre de la société SAPE que sur la base du taux d'incapacité partielle initialement fixé à 5%,
Condamne la société SAPE aux entiers dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELA PRESIDENTE
Malika CHINOUNE Elizabeth POLLE-SENANEUCH