No RG 22/02487
No Portalis DBVX-V-B7G-OG62
Nom du ressortissant :
[I] [L]
[L]
C/
PRÉFET DE HAUTE SAVOIE
COUR D'APPEL DE LYON
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 05 AVRIL 2022
statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers
Nous, Isabelle OUDOT, conseiller à la cour d'appel de Lyon, déléguée par ordonnance du premier président de ladite Cour en date du 03 janvier 2022 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d'entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d'asile,
Assistée de Manon CHINCHOLE, greffier,
En l'absence du ministère public,
En audience publique du 05 Avril 2022 dans la procédure suivie entre :
APPELANT :
M. [I] [L]
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 5] (KOSOVO)
de nationalité serbe et kosovare
Actuellement retenu au [Adresse 4]
comparant, assisté de Maître Nadia DEBBACHE, avocat au barreau de LYON, commise d'office, et avec le concours de Monsieur [P] [G], interprète en langue albanaise, inscrit sur liste CESEDA, serment prêté à l'audience,
ET
INTIME :
M. PRÉFET DE HAUTE SAVOIE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître MORISSON-CARDINAUD pour la SELARL SERFATY VENUTTI CAMACHO et CORDIER, avocats au barreau de l'AIN,
Avons mis l'affaire en délibéré au 05 Avril 2022 à 17 heures 00 et à cette date et heure prononcé l'ordonnance dont la teneur suit :
FAITS ET PROCÉDURE
Le 01 avril 2022 [I] [L] a fait l‘objet d'un contrôle d'identité route des vignes à Saint julien en Genevois.
Le 01 avril 2022, une obligation de quitter le territoire français sans délai et avec interdiction de retour pendant un an a été notifiée à [I] [L] par le préfet de la Haute-Savoie.
Le 01 avril 2022, l'autorité administrative a ordonné le placement de [I] [L] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire afin de permettre l'exécution de la mesure d'éloignement.
Suivant requête du 02 avril 2022, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le jour même à 12 heures 34, [I] [L] a contesté la décision de placement en rétention administrative prise par le préfet de la Haute-Savoie.
Suivant requête du 02 avril 2022 reçue le jour même à 15 heures 14, le préfet de la Haute-Savoie a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-huit jours.
Dans son ordonnance du 03 avril 2022 à 17 heures 10, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné la jonction des deux procédures, déclaré régulière la décision de placement en rétention et ordonné la prolongation de la rétention de [I] [L] dans les locaux du centre de rétention administrative de [Localité 6] pour une durée de vingt-huit jours.
Le 04 avril 2022 à 15 heures 27, [I] [L] a interjeté appel de cette ordonnance dont il demande l'infirmation. Il sollicite de voir déclarer irrégulière la mesure de placement en rétention administrative prise par le préfet de la Haute-Savoie et d'ordonner sa remise en liberté.
Il fait valoir que la décision de placement en rétention est irrégulière pour être :
- insuffisamment motivée en droit et en fait, sans examen sérieux et préalable de sa situation personnelle,
- entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses garanties de représentation.
A tout le moins il sollicite son assignation à résidence et précise qu'il peut être hébergé chez un de ses clients, M. [S] [C].
Il produit à l'appui de sa requête son acte de mariage kosovare, la carte d'identité de son épouse, les certificats de naissance de ses deux enfants, le certificat médical kosovare sur la grossesse de son épouse et le contrat de travail avec son employeur M. [W].
Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 05 avril 2022 à 10 heures 30.
[I] [L] a comparu et a été assisté d'un interprète et de son avocat.
La préfecture de la Haute-Savoie a déposé un mémoire régulièrement transmis aux parties.
A l'audience le conseiller délégué a sollicité l'interprète pour qu'il traduise sommairement les documents communiqués en langue étrangère.
L'interprète indique qu'il y a un certificat de mariage et un contrat de travail à partir du 1er janvier 2020 où [I] [L] est embauché en qualité de "maître PVC" ; le contrat est signé du "patron" et de "celui qui se fait embaucher".
Le conseil de [I] [L] a été entendu en sa plaidoirie pour soutenir les termes de la requête d'appel.
Le préfet de la Haute-Savoie, représenté par son conseil, a demandé la confirmation de l'ordonnance déférée.
[I] [L] a eu la parole en dernier. Il explique qu'il n'avait pas de billet de retour car son père allait venir le chercher pour qu'il passe quelque temps avec ses parents qui vivent en Allemagne avant de repartir au Kosovo. Il aspire à rentrer le plus tôt auprès de son épouse qui va bientôt accoucher.
MOTIVATION
Sur la procédure et la recevabilité de l'appel
Attendu que l'appel de [I] [L] relevé dans les formes et délais légaux est recevable ;
Sur le moyen pris de l'insuffisance de la motivation de la décision de placement en rétention administrative et du défaut d'examen de la situation individuelle de la personne retenue
Attendu qu'il résulte de l'article L. 741-6 du CESEDA que la décision de placement est écrite et motivée ;
Qu'il est constant que cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l'administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l'autorité administrative n'a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté ; Que pour autant, l'arrêté doit expliciter la raison ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d'éléments factuels liés à la situation individuelle et personnelle de l'intéressé, et ce au jour où l'autorité administrative prend sa décision ;
Attendu que le conseil de [I] [L] prétend que l'arrêté de placement en rétention du préfet de la Haute-Savoie est insuffisamment motivé et lui reproche de ne pas reprendre les motifs de son séjour en France alors même que ces derniers apparaissent importants dans la décision qui a été prise ; Que le préfet ne mentionne pas qu'il vit au Kosovo auprès de sa femme actuellement enceinte et de leur deux enfants ; Qu'il est venu en France dans le cadre professionnel pour travailler dans une entreprise qui embauche 16 salariés ; Qu'il a résidé dans un hôtel à [Localité 7], puis dans un logement loué par son entreprise et il a remis sa carte d"identité albanaise et son passeport en cours de validité aux services de police ;
Attendu qu'en l'espèce, l'arrêté du préfet de la Savoie est motivé, notamment, par les éléments suivants :
- [I] [L] fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;
- [I] [L] ne peut justifier ni d'un hébergement stable et établi sur le territoire français pour déclarer être «hébergé à Saint-julien » mais n'avoir ni document permettant de le justifier ni facture, car il « paye en espèces » ;
- qu'il ne détient pas de billet retour à destination de son pays d'origine ;
- il ne ressort pas de l'évaluation qui a été faite d'élément de vulnérabilité susceptible de faire obstacle à une mesure de rétention.
Attendu que la préfecture a ciblé l'examen de la situation de M. [I] sur le fait qu'il n'avait pas de billet de retour et ne pouvait pas justifier de la réalité de son hébergement ;
Que pour autant dans son audition [I] [L] a remis spontanément tant sa carte d'identité que son passeport serbe ; que les policiers notent en procédure qu'il leur a été remis un passeport émis par Ies autorités serbe ; numéro 015621971, valide jusqu'au 13/04/2031 supportant sa photographie et une carte nationale d'identité émise par les autorités serbe, numéro 011065311, valide jusqu'au 31/03/2031 supportant sa photographie ; Que la préfecture ne mentionne pas dans sa décision que l'intéressé a remis spontanément ces documents de voyage en cours de validité ;
Que [I] [L] a expliqué avoir la double nationalité Serbe/Kosovare et qu'il voyageait dans un cadre professionnel ; Qu'il précise ne pas avoir réalisé qu'il avait excédé de quinze jours le séjour autorisé dans l'espace Schengen ; Qu'il a expliqué vivre au Kosovo avec son épouse et ses deux enfants ; Que s'il a expliqué qu'il vivait dans un logement mis à disposition par un ami répondant au nom de [B], payé en espèces, il a également précisé qu'il avait la clef de ce logement ;
Que si la préfecture n'a pas à être exhaustive dans sa motivation, elle se doit pour autant d'expliquer a minima ce qui l'a conduit à ne pas considérer comme crédibles des propos et des éléments soumis à son appréciation avant d'opter pour le placement en rétention ;
Qu'en l'espèce en ne mentionnant pas que [I] [L] avait remis sa carte d'identité et son passeport en cours de validité, en ne mentionnant pas qu'il déclarait vivre au Kosovo avec son épouse et leur deux enfants à une adresse qu'il a livré ([Adresse 8] . Kosovo), outre le fait qu'il voyageait selon ses dires à titre professionnel, la préfecture ne justifie pas avoir procédé à un examen complet et préalable de la situation de [I] [L] et n'a pas motivé en suffisance sa décision ;
Attendu que la décision de placement en rétention est donc irrégulière sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés ;
Que la décision querellée est infirmée dans les termes du dispositif ;
PAR CES MOTIFS
Déclarons recevable l'appel formé par [I] [L],
Infirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée.
Déclarons irrégulière la décision de placement en rétention de [I] [L],
En tant que de besoin ordonnons la mise en liberté de [I] [L].
Le greffier,Le conseiller délégué,
Manon CHINCHOLEIsabelle OUDOT