AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/02563 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MJWJ
(Jonctions avec les N° RG :
- 19/02537
- 19/02556)
[L]
C/
Société AZYGOS A À Z
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de lyon
du 08 Mars 2019
RG : 17/01648
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 24 JUIN 2022
APPELANT :
[S] [L]
né le 23 Juin 1973 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Raouda HATHROUBI, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société AZYGOS A À Z
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
Ayant pour avocat plaidant Me Yves FROMONT, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 14 Avril 2022
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Patricia GONZALEZ, présidente
- Sophie NOIR, conseiller
- Catherine CHANEZ, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Patricia GONZALEZ, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
La société Azygos A à Z exerce une activité de stockage de matériel à destination des professionnels et des particuliers.
La convention collective applicable est celle des prestataires de services.
La société a recruté M. [S] [L] par contrat de travail à durée indéterminée du 1er mars 2010, en qualité d'assistant administratif.
En février-mars 2017, les parties échangeaient des courriers, la société reprochant à son salarié de ne pas effectuer ses horaires de travail et celui-ci s'en défendant.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 13 février 2017, la société a mis en demeure son salarié de respecter ses horaires de travail, indiquant avoir constaté qu'il n'effectuait que 35 heures par semaine, alors qu'il était rémunéré sur la base de 35 heures et de 4 heures supplémentaires. Elle lui a également indiqué qu'elle lui demanderait le remboursement de la somme de 4 525,39 euros de trop-perçu.
Dans un autre courrier recommandé du 16 février 2017, la société renouvelait cette mise en demeure, après un entretien avec son salarié. Elle écrivait que son salarié avait répondu ne pas pouvoir faire plus de 30 ou 33 heures, compte tenu de ses autres activités.
Le salarié répondait par un courrier du 20 février en affirmant effectuer plus de 39 heures et même effectuer diverses missions non prévues dans son contrat de travail.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 28 février 2017, la société le convoquait à un entretien préalable à son licenciement pour faute grave, fixé au 8 mars suivant, avec mise à pied conservatoire.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 14 mars 2O17, la société notifiait à M. [L] son licenciement pour faute grave, dans les termes suivants :
" 'Dans le cadre d'une procédure judiciaire qui nous oppose au liquidateur judiciaire de la société Millésimes, suite à la disparition de 580 bouteilles de champagne Ruinart pour une valeur de 26 833,46 euros TTC, vous avez établi une attestation au terme de laquelle vous affirmiez vous être fait remplacer le jour de la livraison (31 juillet 2013) par Monsieur [J] [I] lequel aurait donc réceptionné la marchandise à votre place.
Après vérification, nous avons constaté qu'il n'y avait aucune trace de ce remplacement indépendamment du fait que, juridiquement, vous n'aviez aucun pouvoir pour décider de vous faire remplacer.
Lors de notre entretien, vous m'avez répondu, lorsque je vous ai dit que Monsieur [J] [I] avait été embauché temporairement en 2011 et non pas en 2013, que vous aviez fait une erreur de date !
Je vous ai demandé de vous expliquer sur le fait que le bon de livraison du 31 juillet 2013 comportait votre signature.
Vous avez contesté et prétendu que votre signature avait été imitée alors que les documents en notre possession démontrent qu'il s'agit bien de votre signature.
Ainsi, vous avez établi une fausse attestation dont vous saviez qu'elle allait être produite en justice.
Par ailleurs, vous avez fait en sorte de ne pas nous transmettre les lettres recommandées et mises en demeure adressées par le liquidateur judiciaire à la société AZYGOS, si bien qu'à aucun moment de la procédure nous n'avons été en mesure de répondre au liquidateur judiciaire ; étant le seul salarié de la société en charge de la réception du courrier, vous n'avez apporté lors de notre entretien aucune objection.
Je vous ai demandé de vous expliquer sur la disparition des moteurs entreposés dans nos locaux par le client [T] : ce client nous attaque en justice et demande une somme de 9800 € au motif de la disparition de son matériel.
Lors de l'entretien, vous m'avez dit que vous aviez demandé à un ferrailleur de venir les chercher car le client devait 670€ à la société et qu'il ne payait pas.
Cette initiative personnelle est une faute grave.
S'agissant de vos horaires de travail, j'ai fait le constat (voir mes précédentes lettres recommandées) que vous ne respectiez pas l'horaire pour lequel vous êtes payé.
En février 2017, j'ai découvert que profitant de l'indépendance dont vous disposiez étant le seul salarié de la société, votre horaire effectif était de 30 heures par semaine alors que la société vous rémunérait pour 39 heures. Vous m'avez déclaré dans un premier temps que vous ne pouviez faire un horaire supérieur à 30 heures hebdomadaires compte tenu de vos activités complémentaires notamment celle de photographe.
Par la suite, vous m'avez fourni des explications fantaisistes auquel nous avons répondu par notre courrier du 3 mars 2017. Lors de l'entretien, vous n'avez pu apporter aucune explication sérieuse s'agissant du non-respect flagrant de vos horaires'. "
Par requête du 29 mai 2017, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon afin de contester son licenciement et de présenter des demandes à caractère indemnitaire et salarial.
Par jugement du 8 mars 2019, le conseil de prud'hommes a débouté les parties de leurs demandes et condamné M. [L] aux dépens.
Par déclaration du 10 avril suivant, M. [L] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions déposées le 10 juillet 2019, il demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société à lui verser les sommes suivantes, outre les dépens :
- 783,82 euros de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire injustifiée, outre 78,38 euros de congés payés afférents ;
- 4 106,68 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 410,16 euros de congés payés afférents ;
- 2 944,02 euros d'indemnité de licenciement ;
- 25 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses conclusions déposées le 8 octobre 2019, la société demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner M. [L] à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de " constatations " ou de " dire " qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.
Sur le licenciement
La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être existante et exacte. La cause sérieuse concerne une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.
Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs.
Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.
La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s'est poursuivi dans ce délai.
En l'espèce, la lettre de licenciement vise 4 griefs :
- La fausse attestation établie dans le cadre du litige opposant la société Azygos à la société Millesimes ;
- La rétention des lettres recommandées et mises en demeure adressées par le liquidateur judiciaire ;
- La disparition des moteurs entreposés par M. [T] ;
- Le non-respect des horaires de travail.
M. [L] conteste l'ensemble de ces faits.
Il est constant qu'il était seul présent sur le site, accueillait les clients, tant physiquement que par téléphone, qu'il signait les bons de livraison, procédait aux encaissements et aux diverses opérations administratives.
Sur les deux premiers griefs, la société expose n'avoir eu connaissance des faits qu'à la suite de son assignation devant le tribunal de commerce par le liquidateur judiciaire de la société Millesimes suite à la disparition de bouteilles de champagne livrées à son intention dans les locaux placés sous la responsabilité de M. [L]. Elle s'est alors rapprochée de son salarié afin de recueillir ses explications et celui-ci a établi une attestation aux termes de laquelle il était, le jour de la livraison, remplacé par M. [S] [I]. Cette attestation ayant été contestée par le conseil du liquidateur judiciaire au motif qu'il s'agissait d'un témoignage indirect, la société a entrepris des investigations à la demande de son propre avocat, en février-mars 2017. C'est alors qu'elle a appris que M. [I] n'avait pas pu réceptionner la marchandise car il n'avait été temporairement son salarié qu'en 2011.
M. [I] a rédigé une attestation en ce sens le 8 mars 2018 et produit son contrat de travail à durée déterminée du 8 juin au 15 juillet 2011. Ses déclarations sont d'ailleurs confirmées par le comptable de la société.
En tout état de cause, M. [L] ne conteste pas avoir établi la fausse attestation en question, mais il affirme avoir agi sur instructions de son employeur. Il produit un brouillon de ce texte.
Le déroulement des faits et leur datation sont confirmés par les pièces produites par la société, à savoir les conclusions échangées devant le tribunal de commerce, le courriel envoyé par son avocat à l'avocat adverse le 16 mars 2017 pour lui annoncer qu'il retirait l'attestation litigieuse des débats et le courriel de son avocat confirmant lui avoir demandé de vérifier les termes de l'attestation de M. [L] en février 2017.
Par ailleurs, l'employeur n'avait aucun intérêt à demander à son salarié de rédiger une attestation mettant en cause M. [I] et il n'est pas possible de savoir qui a rédigé le brouillon produit par M. [L].
Non seulement les faits n'étaient pas prescrits lors du licenciement, mais ils sont établis et ils sont suffisamment graves pour avoir empêché à eux seuls la poursuite des relations contractuelles, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs. La faute grave est caractérisée.
Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
M. [L] sera condamné aux dépens de l'instance d'appel.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 mars 2019 en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [S] [L] aux dépens d'appel ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Le GreffierLa Présidente
Malika CHINOUNEPatricia GONZALEZ