AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/02677 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MKAM
SAS QCM
C/
[W]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 08 Avril 2019
RG : F 17/02784
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 24 JUIN 2022
APPELANTE :
SAS QCM
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Jean ANTONY, avocat au barreau de LYON substitué par Me Sophie VACHER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
[G] [W]
née le 11 Juin 1988 à [Localité 4] (COMORES)
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Valérie MALLARD de la SELARL MALLARD AVOCATS, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mai 2022
Présidée par Sophie NOIR, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Gaétan PILLIE, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Patricia GONZALEZ, président
- Sophie NOIR, conseiller
- Catherine CHANEZ, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 24 Juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Patricia GONZALEZ, Président et par Malika CHINOUNE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES:
La société QCM exploite un restaurant de cuisine traditionnelle situé à [Localité 5].
Elle applique la convention collective des Hôtels, Cafés et Restaurants.
Mme [W] a été embauchée par la société QCM au poste de cuisinière niveau 1, échelon 3 par CDD à temps complet de 39 heures par semaine à compter du 5 novembre 2015, puis en CDI à compter du 9 avril 2016.
Lors d'un entretien du 13 avril 2017, Mme [W] a demandé en vain à l'employeur de lui accorder le statut de cadre.
Par courrier recommandé du 18 avril 2017, la société QCM a notifié un avertissement à Mme [W] dans les termes suivants :
«(...)
Vous manquez d'organisation malgré votre prise de poste à 6 heures vous avez du mal à boucler pour 11 heures la préparation du service de midi, bien que vous ayez l'aide du commis de cuisine.
Lors du service, vous perdez vos moyens dès lors qu'il y a plus de 70 couverts à servir, vous ne maîtrisez pas votre poste par manque d'anticipation.
Je vous ai proposé que nous préparions les menus ensemble, vous avez refusé systématiquement en invoquant un manque de temps.
Vous ne goûtez pas vos préparations culinaires, nous nous retrouvons au moment du service avec des plats fades et d'autres trop salés. D 'autre part, fréquemment les plats chauds ne sont pas à la bonne température : un exemple, le 6 mars 2017 vous avez envoyé trois burgers savoyards sans avoir au préalable fait chauffer les ingrédients, nos clients sont repartis mécontents.
La cuisson des viandes n'est pas maîtrisées: de nombreux clients se sont plaints: une viande demandée saignante arrive fréquemment trop cuite. Vous invoquez le fait des différences d'épaisseurs de viande, cet argument est irrecevable dans notre métier. Un client a demandé un burger saignant, il est arrivé trop cuit, l 'épaisseur de la pièce de viande ne peut-être mise en cause, ils'agit d`un manque de maitrise de la cuisson.
Un exemple: le 14 mars 20l7 ' les assiettes du boucher' commandées cuisson soignante sont arrivées trop cuites, au final, deux de nos clients étaient mécontents, je leur ai proposé un autre plat afin de réparer votre incapacité a fournir une commande conforme à la demande.
La préparation des desserts est fréquemment insatisfaisante : tarte au chocolat blanc (chocolat
non durci), tarte ananas noix de coco trop sèche. fondants au chocolat trop cuits, crème caramel trop compacte, manque de variété et de renouvellement dans les desserts.
Vos menus sont déséquilibrés :
Le 4 avril 2017 : en entrée, salade à base de pâtes, en plat chaud de pâtes, Le 12 avril 2017: en entrée : briques de b'uf, en plat chaud lasagnes au b'uf, je vous ai fait changer l'entrée par une salade. La gestion des stocks, des frigos, le recyclage des produits, toutes ces taches ne sont pas non plus maîtrisées.
Un élément important m'interpelle, j'ai trouvé le 4 avril 2017, en votre présence, plusieurs produits périmés, je vous laisse imaginer les conséquences de ce manquement aux obligations auxquelles nous sommes soumis en cas de contrôle d'hygiène.
Entêtement à ne pas suivre mes conseils, à bouder n'est pas admissible. Je vous demande de vous reprendre dans votre travail dans vos attitudes. (...)'.
Par courrier recommandé du 2 juin 2017 l'employeur a notifié à la salariée un second avertissement dans les termes suivants :
'Je vous confirme les termes de notre nouvel entretien du vendredi 19 mai courant. En effet depuis notre rencontre du 18 avril 2017 vous n'avez pas changé d'attitude votre comportement n'a fait que se dégrader.
Vous ne tenez aucun compte de mes conseils et de mes consignes du mois dernier. Depuis ma dernière mise en garde vous avez, à plusieurs reprises, livré aux clients des viandes à la cuisson imparfaite.
- Le 3 mai à 14h15 je vous ai demandé l'inventaire journalier des produits, vous ne l'avez pas fait et vous êtes partie à 14h15 alors que votre horaire de départ est fixé à 14h30.
Ce même jour, j'ai à nouveau constaté des anomalies dans la cuisson des viandes, vous n'avez pas tenu compte de la rotation des stocks et des dates limites de consommation, malgré mes remarques.
- Le 17 mai, la tarte du jour n'était pas suffisamment cuite et le lapin que vous avez servi était encore rosé à l'intérieur
- Le 18 mai le hamburger livré à un autre client était brûlé, la cuisson de la tarte du jour était encore défectueuse
- Le 19 mai, j'ai trouvé dans le frigo une sauce tartare datant de 15 jours, vous aviez oublié selon vos dires.
- Le 23 mai, pendant la production, vous êtes restée au téléphone pendant 10 minutes, alors que je vous en faisais la remarque, vous m'avez répondu que vous aviez un problème personnel à régler.
Ce même jour, j'ai trouvé dans le frigo du basilic en train de pourrir, votre réponse : 'je n'ai pas vu'
- Le 24 mai je vous ai demandé de mettre sur les pates au pesto des tomates et de la mozzarella en décoration, vous avez envoyé les assiettes sans respecter ma demande en me disant : 'j'ai oublié'.
Commande à la table 806 : 2 bavettes à 12 la société QCM, vous avez envoyé 2 assiettes du boucher à 16 la société QCM, votre réponse : 'je n'ai pas fait attention, mais ce n'est pas grave ils ont un meilleur plat pour un prix plus bas'. Je vous ai demandé qui payait la différence, votre réponse : 'ce n'est pas moi'.
- Le 29 mai les asperges, prévues en entrée, ont été oubliées dans le frigo, les bavettes du plat du jour étaient mal taillées : grammage à respecter 180 g, après contrôle grammage servi 94 à 102 grammes.
J'ai trouvé du 'jambon speck' pourri dans le frigo.
Le 30 mai, au matin, vous avez jeté des courgettes farcies qui étaient dans le frigo depuis 5 jours.
Lors de ce nouvel entretien du 19 mai, vous n'avez pas daigné tenir compte de mes remarques, vous vous êtes levée et avez mis fin à notre entretien en partant en furie et en tenant des propos irrespectueux.
Votre entêtement persistant et vos attitudes néfastes la bonne marche de l'entreprise m'amène à prendre à votre encontre une nouvelle mesure disciplinaire en vous signifiant un nouvel avertissement.
Nous souhaitons vivement que ce nouvel avertissement vous amène à modifier durablement votre comportement en adéquation avec celui que nous attendons de nos salariés : professionnels, respectueux, efficace.
Nous vous informons qu'à défaut de modification de votre comportement et de renouvellement de faits fautifs, nous serons amenés à prendre une sanction plus grave à votre encontre.'
Par courrier recommandé du 16 juin 2017, la société QCM a convoqué Mme [W] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 26 juin 2017, et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire à effet immédiat.
La société QCM a notifié à la salariée son licenciement pour faute grave par courrier recommandé du 29 juin 2017 rédigé ainsi :
«(...)Malgré les multiples rappels à l'ordre, vos fonctions de cuisinière ne sont pas exécutées correctement.
Vous exécutez vos tâches trop lentement et cela pénalise fortement l'organisation du service. Les plats ne sont pas préparés assez rapidement et de ce fait le service en salle est très long. Vos collègues se trouvent pénalisés et doivent redoubler d 'efforts pour tenter de satisfaire les clients. Vous ne respectez pas les directives de la Direction : par exemple, vous ne préparez pas la « tarte du jour» alors que cela vous est expressément demandé (ainsi les 12, 14 et 16 juin 2017, aucune tarte n 'a été préparée). Vous savez pertinemment que de nombreux clients y sont très attachés et commandent la tarte du jour à chaque repas. Par ailleurs, la Direction vous a demandé à plusieurs reprises de nettoyer la cuisine et de la maintenir dans un état de propreté digne d'un restaurant. La cuisine est dans un état général lamentable (ex: étagères à casserole sales et poussiéreuses, étagères et assiettes sales, pieds de table non nettoyés, plaques de cuisson encore sales après nettoyage en fin de service, four micro-onde, four, frigos non nettoyés).
S'agissant de la préparation des plats, de nombreux plats servis ne sont pas chauds ou pire pas cuits, ce qui génère le mécontentement de la clientèle. Nous avons constaté également que le dressage et la présentation des plats ne sont pas satisfaisants.
Enfin, vous ne contrôlez pas les livraisons de la société BROC et leur conformité aux commandes passées, qui devrait permettre de s'assurer que nous disposons d 'un stock suffisant et adapté en cuisine pour le service.
Vos manquements ont des conséquences importantes sur le chiffre d'affaires puisque plusieurs clients nous ont indiqué ne plus venir au restaurant en raison de la baisse de la qualité de la cuisine. En outre, vous persistez à vous adresser à la direction et à vos collègues sur un ton inadmissible traduisant un manque de respect de la hiérarchie et une incapacité à travailler en équipe.
Nous vous avons notifié 2 avertissements le 18 avril 2017 et le 2 juin 2017 concernant votre comportement et la qualité de votre travail en cuisine.
Vous n'avez pas tenu compte de ses rappels à l'ordre.
Dans ces conditions, et devant la répétition des manquements délibérés à vos fonctions, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de la faute commise, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible. ''
Le 19 septembre 2017, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une contestation de ce licenciement et de diverses demandes indemnitaires.
Par jugement en date du 8 avril 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- fixé le salaire de Mme [W] à la somme de 2.048,80 euros brut ;
- condamné la société QCM à payer à Mme [W] la somme de 100,80 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de mars 2017, outre 10,08 euros de congés payés afférents ;
- dit et jugé le licenciement de Mme [W] dénué de cause grave et sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société QCM à payer à Mme [W] les sommes de :
- 4.329,10 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2.048,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 204,88 euros de congés payés afférents ;
- 760,45 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 850,82 euros à titre de rappel de salaire pour mise à pied conservatoire ;
- 85,08 euros de congés payés afférents ;
- 1.200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal ;
- ordonné la société QCM de remettre à Mme [W] un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle Emploi rectifiée et un reçu pour solde de tout compte rectifié, sous astreinte de 30,00 euros par jour de retard après 15 jours suivant la notification du présent jugement. Le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte ;
- débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;
- débouté Mme [W] de l'exécution provisoire du présent jugement pour les sommes autres que celles de droit conformément à l'article R.1454-28 du Code du travail ;
- condamné la société QCM à verser à Mme [W] la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté la société QCM de sa demande reconventionnelle d'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de droit de l'entier jugement.
L'employeur a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 17 avril 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 15 juillet 2019, la société QCM demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société QCM à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 ;
Sur la demande formulée par Mme [W] au titre d'un prétendu rappel de salaire :
- constater que Mme [W] s'est dans le cadre de la première instance désistée de sa demande de condamnation de la société QCM à lui verser la somme de 73,92 euros restant à son sens due au titre des 5,6 heures supplémentaires structurelles non rémunérées, outre 7,39 euros au titre des congés payés afférents ;
Sur la demande formulée par Mme [W] au titre de prétendues heures travaillées en mars 2017 :
- constater que la société QCM verse aux débats l'original de la feuille de pointage des heures effectuées au mois de mars 2017 par Mme [W] ;
- dire et juger que le contenu de cette feuille de pointage ne peut aujourd'hui être contesté par Mme [W] qui l'a signée ;
- constater que le nombre d'heures qui aurait dû être payé avec un taux de 20 % est de 4,27 heures ;
- dire et juger infondée la demande formulée par Mme [W] de rappel de salaire pour le mois de mars 2017 ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et rejeter la demande formulée par Mme [W] de rappel de salaire pour le mois de mars 2017 ;
Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave :
- constater l'insuffisance professionnelle volontaire de Mme [W] ;
- constater l'insubordination répétée de Mme [W] à l'égard de son employeur ;
- constater le non-respect des règles d'hygiène par Mme [W] ;
- constater le comportement agressif et irrespectueux de Mme [W] à l'égard de son employeur et des autres salariés ;
Par conséquent, infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [W] par la société QCM est parfaitement fondé ;
Sur le rejet des demandes indemnitaires formulées par Mme [W] :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et débouter Mme [W] de sa demande de rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et débouter Mme [W] sa demande formulée au titre du versement, par la société QCM, d'une indemnité de préavis ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et débouter Mme [W] de sa demande d'indemnité de licenciement ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et débouter Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon le 8 avril 2019 et débouter Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct ;
En toutes hypothèses,
- rejeter l'ensemble des demandes, fins et prétentions formulées par Mme [W] ;
- condamner Mme [W] à verser à la société QCM la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Mme [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 11 octobre 2019, Mme [W] demande à la cour de :
- débouter la société QCM de l'intégralité de ses demandes ;
- infirmer le jugement entrepris, et :
- condamner la société QCM à payer à Mme [W] la somme de 224,64 euros bruts au titre du salaire restant dû de mars 2017, outre 22,46 euros bruts de congés payés afférents, ou subsidiairement de 121,25 bruts au titre du salaire restant dû de mars 2017, outre 12,12 euros bruts de congés payés afférents ;
- confirmer le jugement entrepris, et :
- dire et juger que le licenciement de Mme [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société QCM à payer à Mme [W] les sommes suivantes :
- 850,824 euros bruts à titre de paiement de la mise à pied conservatoire du 16 au 29 juin 2017, outre 85,08 euros au titre des congés payés afférents ;
- 2.048,80 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis (1 mois) ;
- 204,88 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 760,45 euros nets à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- infirmer le jugement entrepris, et condamner la société QCM à payer à Mme [W] :
- 9.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société QCM à Mme [W] la somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la QCM à payer à Mme [W] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner la société QCM aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
À titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de «constatations» ou de « dire » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions dans la mesure où elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques ou qu'elles constituent en réalité des moyens.
Sur la demande de rappel de salaire du mois de mars 2017 :
Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments de contrôle de la durée du travail. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Au soutien de sa demande de rappel de salaire, Mme [G] [W] fait valoir :
- qu'elle a travaillé 190,85 heures au mois de mars 2017 et que l'employeur ne l'a payée qu'à hauteur de 175,25 heures
- que ces heures venant en complément des 17,33 heures supplémentaires structurelles, elles doivent être majorées au taux de 20 %.
L'employeur répond que la salariée n'a réalisé que 4,27 heures supplémentaires au-delà des 17,33 heures supplémentaires structurelles au mois de mars 2017 et qu'elle a été rémunérée à ce titre à hauteur de 6,25 heures de sorte qu'aucune heure supplémentaire ne lui est due.
La société QCM verse aux débats deux relevés des heures de travail réalisées par Mme [G] [W] au mois de mars 2017.
Le 1er, produit en pièce 15, a été établi par ses soins et n'est pas signé par la salariée.
Le second en revanche (pièce 14) comporte la signature de Mme [G] [W] et sera donc retenu comme seul élément de décompte fiable du temps de travail de la salariée au vu de son caractère contradictoire.
Selon ce relevé d'heures, Mme [G] [W] a réalisé 190,85 heures au mois de mars 2017.
Il résulte de sa fiche de paie du mois de mars 2017 et il est constant que l'employeur lui a payé au titre des heures supplémentaires 17,33 heures rémunérées à 10 % et 6,25 heures payées à 20 %.
En conséquence, et en tenant compte d'un taux horaire de 14,40 euros correspondants à une majoration de 20 % le rappel d'heures supplémentaires du mois de mars 2017 s'élève à la somme 224,64 euros, outre la somme de 22,46 euros au titre des congés payés y afférents, assortis d'intérêts légaux à compter du 21 septembre 2017, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation valant première mise en demeure dont il est justifié.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
Sur le licenciement :
Par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve, laquelle doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
L'insuffisance professionnelle n'est pas constitutive d'une faute sauf si elle procède d'une mauvaise volonté délibérée ou d'une abstention fautive.
Il résulte de l'article L. 1331-1 du code du travail qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à une double sanction. L'employeur qui a épuisé son pouvoir disciplinaire en appliquant immédiatement une sanction disciplinaire ne peut prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait.
En l'espèce, Mme [G] [W] a été licenciée en raison d'un manquement délibéré à ses obligations c'est-à-dire non pas en raison d'une insuffisance professionnelle mais pour motif disciplinaire.
Les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement sont les suivants :
- avoir, malgré 2 avertissements des 18 avril 2017 et 2 juin 2017 concernant son comportement et la qualité de son travail en cuisine, persisté à ne pas exécuter correctement ses fonctions de cuisinière en :
- préparant les plats trop lentement, ralentissant ainsi le service en salle
- ne respectant pas les directives de la direction par exemple en ne préparant pas la tarte du jour les 12,14 et 16 juin 2017, en ne nettoyant pas à plusieurs reprises la cuisine et en ne la maintenant pas dans un état de propreté digne d'un restaurant (étagères casseroles sales et poussiéreuses, étagères assiettes sales, pieds de table non nettoyés, plaques de cuisson encore sales après nettoyage en fin de service, four micro-ondes, four, frigos non nettoyés)
- servant des plats froids ou pas cuits, générant ainsi le mécontentement de la clientèle
- ne procédant pas au dressage et à la présentation des plats de façon satisfaisante
- ne contrôlant pas les livraisons de la société Broc et leur conformité aux commandes passées afin de s'assurer de disposer d'un stock suffisant et adapté en cuisine pour le service
- être responsable, en raison de la baisse de la qualité de la cuisine, du départ des clients et d'une baisse importante sur le chiffre d'affaires du restaurant
- avoir continué à s'adresser à la direction et à ses collègues sur un ton inadmissible traduisant un manque de respect de la hiérarchie et une incapacité à travailler en équipe.
Il est constant que la salariée a fait l'objet de deux avertissements avant l'engagement de la procédure de licenciement, le 18 avril 2017 et le 2 juin 2017, pour des faits survenus entre son entretien avec l'employeur du jeudi 13 avril 2017 - relatif à sa demande de promotion professionnelle - et le 30 mai 2017.
Il est également constant que plusieurs des faits ayant justifié ces deux sanctions sont de même nature que certains des griefs mentionnés dans la lettre de licenciement à savoir un changement d'attitude notoire et néfaste à la bonne marche de l'établissement, une lenteur dans la préparation des plats, un refus délibéré de respecter des directives de l'employeur, des plats servis à la mauvaise température ou pas assez cuits et un problème de gestion des stocks.
Pour rapporter la preuve de la matérialité des griefs reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement l'employeur verse aux débats plusieurs éléments.
Ainsi que le fait valoir la salariée, l'attestation de Mme [R] [S], assistante de direction, mais également mère de M. [P] [M], président de la société QCM, doit être écartée des débats en raison du lien familial unissant ce témoin au représentant de l'employeur, mais également du fait du manque d'objectivité de ce témoignage dont les termes démontrent qu'il est entièrement acquis à la cause de l'employeur.
D'autres attestations produites en pièce 27 à 32 émanent de personnes mentionnant leur qualité de clients du restaurant, ce qu'aucun élément ne permet de remettre en cause.
Ces témoins font état de non-respect de leurs commandes en terme de cuisson des plats, d'une présentation des plats médiocres depuis le mois d'avril 2017, de plats servis presque froid (attestation de M. [F] du 13 mai 2019), d'un service en cuisine de plus en plus long, d'un hamburger brûlé servi le 17 mai 2017 (attestation de M. [Z] du 6 mai 2019), d'un lapin servi pas cuit (attestation de M. [A] du 21 mai 2019), d'un lapin pas cuit servi le 15 mai 2017 (attestation de Mme [B] du 21 mai 2019) et d'une dégradation de la qualité de service du restaurant pendant deux ans entre mars et juin 2017 en raison notamment de la longueur du service (attestation de Mme [H] du 22 mai 2019).
Au vu de leurs dates, les évènements relatés dans ces attestations concernent manifestement les griefs ayant donné lieu à l'avertissement du 2 juin 2016 et non pas ceux invoqués au soutien du licenciement.
Il en va également ainsi des courriels de M. [D] [Y], responsable de salle/manager du restaurant et de M. [U] datés des 19 avril, 21 avril et 27 avril produits en pièce 18 à 20 par l'employeur faisant état d'un oubli persistant des directives, de défauts de gestion des stocks, de retards dans le service et d'un manque de qualité des plats préparés par Mme [G] [W].
Le quatrième courriel, émanant de M. [Y], n'étant pas daté, il ne peut être retenu comme élément de preuve.
Les photographies versées aux débats pour établir la mauvaise cuisson et le manque de qualité du dressage et de la présentation des plats sont dépourvues de toute force probante dans la mesure où la datation informatique des prises de vues ne présente pas de garantie d'authenticité et qu'il n'est pas démontré que les plats photographiés ont bien été réalisés par la salariée.
En revanche, il ressort de l'attestation de Mme [I] [L] :
- que le 14 juin 2014, vers 7h30, cette salariée a interrogé le livreur de la société Broc sur le point de savoir si Mme [W] avait contrôlé la conformité des marchandises livrées à la commande et que ce dernier lui a répondu par la négative
- que les os à moelle servis aux clients les 12 et 14 juin 2017 n'étaient pas assez chauds et que les clients les ont retournés
- que le 12 juin 2017, elle n'a pas pu servir de tarte aux clients 'alors que tous les jours, M. [M] demande une tarte'
- que 'depuis le mois d'avril 2017", Mme [G] [W] était désagréable, autoritaire, dédaigneuse et méprisante envers le personnel de la cuisine, attitude qui désorganisait le service à la clientèle au point que plusieurs clients avaient quitté la table avant d'être servi.
La matérialité de ces faits précis et matériellement vérifiables, qui ont perduré au moins jusqu'au 15 juin 2017 est ainsi établie.
La salariée conteste que le contrôle de la conformité des marchandises livrées relève de ses fonctions de cuisinière, tout comme le nettoyage de la cuisine, et la partie appelante ne rapporte pas cette preuve qui lui incombe.
Cependant, le refus de servir les plats demandés par l'employeur, la persistance délibérée de la salariée à ne pas respecter le mode de cuisson demandée par les clients ou à servir des plats froids en dépit de deux avertissements récents antérieurs pour ce motif, ainsi que son comportement à l'égard de ses collègues de travail caractérisent des manquements à ses obligations d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
La simple chronologie des événements ne suffit pas à établir que la salariée a en réalité été licenciée pour avoir demandé une reclassification au niveau cadre.
En conséquence la cour, infirmant le jugement de ces chefs, dit que le licenciement est fondé sur une faute grave et rejette les demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes accessoires:
La société QCM supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
La société QCM sera également condamnée à payer à Mme [G] [W] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Condamne la société QCM à payer à Mme [G] [W] les sommes de 224,64 euros et à titre de rappel d'heures supplémentaires du mois de mars 2017 et de 22,46 euros au titre des congés payés y afférents, assortis d'intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2017;
DIT que les sommes allouées supporteront, s'il y a lieu, le prélèvement des cotisations et contributions sociales;
DIT que le licenciement de Mme [G] [W] repose sur une faute grave ;
REJETTE les demandes de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société QCM à payer à Mme [G] [W] la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société QCM aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière, La présidente,