N° RG 19/04357
N° Portalis DBVX-V-B7D-MN7J
Décision du Tribunal de Commerce de LYON
Au fond
du 22 mai 2019
RG : 2018j00032
[V]
C/
Caisse de Crédit Mutuel CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE VALENCE CENTRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRÊT DU 30 Juin 2022
APPELANT :
M. [Z] [V]
né le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 6] (71)
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547 et ayant pour avocat plaidant, Mes Jérémy ASTA-VOLA et Vanessa RENAUDIAS, avocats au barreau de LYON
INTIMEE :
CREDIT MUTUEL VALENCE CENTRE
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Jean-laurent REBOTIER de la SELAS AGIS, avocat au barreau de LYON, toque : 538 et ayant pour avocat plaidant, Me Jacob KUDELKO FAYOL, avocat au barreau de VALENCE
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Date de clôture de l'instruction : 18 Mai 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Mai 2022
Date de mise à disposition : 30 Juin 2022
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président
- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée
- Marie CHATELAIN, vice-présidente placée
assistées pendant les débats de Jessica LICTEVOUT, greffier
A l'audience, Marie CHATELAIN a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Catherine CLERC, conseiller faisant fonction de président, et par Jessica LICTEVOUT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
En août 2009, la SAS Yala Invest a souhaité acquérir les actions de la SAS Medi'sante pour la somme de 2'226'000'€.
L'acquisition de la société Medi'sante par la société Yala Invest a été financée par :
un apport en capital de M. [Z] [V], président de la société Yala Invest, pour un montant de 300'000'€,
un financement bancaire d'un montant global de 1'400'000'€, ventilé entre 3 établissements bancaires: la Caisse d'Epargne de prévoyance Loire Drôme Ardèche (la Caisse d'Epargne), la Caisse de Crédit Mutuel de Valence Centre (le Crédit Mutuel), et OSEO,
un financement obligataire d'un montant global de 600'000'€, ventilé entre Avenir Entreprises Mezzanine et ExpansivInvest.
Le 11 août 2009, la société Yala Invest a ainsi conclu un contrat de prêt pour la somme de 500'000'€ auprès de la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre (ci-après le Crédit Mutuel), remboursable en sept annuités de 80'980,40'€ au taux de 3% la dernière étant prévue le 20 décembre 2016, en considération d'un engagement de caution solidaire donné le même jour par M. [V], dans la limite de la somme de 100'000'€ pour une durée de 9 ans, le cautionnement étant limité à 20% de l'encourt du crédit.
Par jugement du 11 mars 2015, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a placé les sociétés Yala Invest et Medi'sante en redressement judiciaire. Le Crédit Mutuel a déclaré sa créance au passif de la société Yala Invest pour un montant global de 301'900,23'€ à échoir, entre les mains de la SELARL MJ Synergie, mandataire judiciaire.
Par jugement du 10 juin 2016, le redressement judiciaire de la société Yala Invest a été converti en liquidation judiciaire.
Par courrier recommandé du 8 octobre 2015, le Crédit Mutuel a mis en demeure M. [V] de lui régler, conformément à son engagement de caution, la somme de 63'873,23'€ outre intérêts à courir jusqu'au parfait paiement.
Cette mise en demeure étant demeurée vaine, par exploit d'huissier du 30 novembre 2015, le Crédit Mutuel a fait assigner M. [V] devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement réputé contradictoire du 6 janvier 2016, ce tribunal à condamné M. [V] à payer au Crédit Mutuel la somme de 63 873,23 € en principal avec intérêts au taux contractuel outre 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par arrêt du 12 octobre 2017, la cour d'appel de Lyon a annulé l'assignation du 30 novembre 2015 et le jugement du 6 janvier 2016 au motif de l'insuffisance des diligences accomplies par l'huissier pour délivrer l'assignation à M. [V].
Par acte d'huissier de justice du 20 décembre 2017, le Crédit Mutuel a fait assigner M. [V] en paiement de la somme de 63'873,23'€, outre intérêts au taux contractuel de 3% à compter de la mise en demeure du 1er octobre 2015.
Par jugement du 22 mai 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
dit que l'engagement de caution du 10 août 2009 conclu par M. [V] n'est pas disproportionné,
dit que le Crédit Mutuel est déchu du droit de percevoir les intérêts conventionnels échus depuis la date de la signature de l'acte de cautionnement,
dit que le Crédit Mutuel doit réactualiser son décompte des sommes versées par le débiteur principal expurgé des intérêts contractuels,
dit que M. [V] doit s'acquitter des intérêts de retard au taux contractuel de 3% l'an qu'à compter de la date d'envoi de la mise en demeure, soit le 8 octobre 2015,
condamné M. [V] à payer au Crédit Mutuel la somme de 20% du capital restant dû, suivant le nouveau quantum établi par la banque, outre intérêts au taux contractuel de 3% l'an à compter de la mise en demeure du 8 octobre 2015,
condamné M. [V] à payer au Crédit Mutuel la somme de 800'€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonné l'exécution provisoire du jugement,
condamné M. [V] aux entiers dépens de l'instance.
M. [V] a interjeté appel par acte du 21 juin 2019.
Par conclusions du 24 février 2020, fondées sur les articles L.341-1 et suivants anciens du code de la consommation, sur l'article 1315 ancien du code civil, sur l'article 9 du Code de procédure civile, ainsi que sur l'article L.313-22 du code monétaire et financier, M. [V] demande à la cour de :
infirmer le jugement déféré, sauf, à titre subsidiaire, en ce qu'il a prononcé à l'encontre du Crédit Mutuel la déchéance du droit aux intérêts en application de l'article L.313-22 du code monétaire et financier,
en conséquence,
à titre principal :
juger que le Crédit Mutuel ne peut se prévaloir de son engagement de caution au regard de son caractère manifestement disproportionné au sens de l'article L.341-4 ancien du code de la consommation.
à titre subsidiaire :
constater que le Crédit Mutuel ne justifie pas l'avoir informé dans le délai d'un mois suivant la première défaillance du débiteur principal, la société Yala Invest,
juger que le Crédit Mutuel sera déchu du droit de percevoir les pénalités et intérêts de retard conformément à l'article L.341-1 ancien du code de la consommation,
statuer que le Crédit Mutuel ne justifie pas l'avoir informé annuellement du montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir,
juger que le Crédit Mutuel sera déchu du droit de percevoir les intérêts conventionnels, et que les paiements effectués par la société Yala Invest seront réputés, dans les rapports entre lui et la banque, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette, et ce, conformément à l'article L.313-22 du code monétaire et financier,
en conséquence,
juger que le Crédit Mutuel ne justifie d'aucune créance certaine à son encontre, à défaut de produire dans le cadre de l'instance un décompte de sa créance telle qu'admise au passif de la société Yala Invest, expurgé des intérêts,
à tout le moins :
limiter sa condamnation au paiement d'une somme de 46'897,58'€, sans intérêts,
en tout état de cause :
débouter le Crédit Mutuel de l'ensemble de ses demandes, fins, conclusions,
rejeter l'appel incident du Crédit Mutuel,
condamner le Crédit Mutuel à lui payer la somme de 2'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP BAUFUME SOURBE, sur son affirmation de droit.
Par conclusions du 28 novembre 2019, fondées sur les articles 1134, 2288 et suivants du code civil, ainsi que sur les articles L.622-28 et L.641-3 du code de commerce, le Crédit Mutuel demande à la cour de':
confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé le cautionnement proportionné,
à titre d'appel incident :
réformer le jugement déféré en ce qui concerne le quantum de la condamnation prononcée,
en conséquence :
condamner M. [V] à lui payer la somme de 63 873,23€, outre intérêts au taux contractuel de 3% à compter de la mise en demeure du 1er octobre 2015,
à défaut :
condamner M. [V] à lui payer la somme de 50'370,88'€ outre intérêts de 3% à compter de la mise en demeure du 1er octobre 2015,
en tout état de cause :
condamner M. [V] à lui payer la somme de 1'500'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS
L'article L.341-4 ancien du code de la consommation, applicable en l'espèce, dispose qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et à ses revenus, à moins que le patrimoine de cette caution au moment où elle a été appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il appartient à la caution qui prétend que son engagement était disproportionné au jour de la souscription de le prouver. La disproportion s'apprécie au jour de la conclusion de l'engagement au regard du montant de l'engagement souscrit, des biens et revenus et de l'endettement global, comprenant l'ensemble des charges, dettes et éventuels engagements de cautionnements contactés par la caution au jour de l'engagement.
La proportionnalité de l'engagement ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l'opération garantie.
Si l'engagement n'était pas disproportionné au jour de la souscription, le créancier peut s'en prévaloir sans condition. Si l'engagement était disproportionné au jour de la souscription et que le créancier entend s'en prévaloir, il lui incombe de prouver que le patrimoine de la caution lui permet d'y faire face au moment où elle est appelée, soit au jour de l'assignation.
Si le créancier a recueilli ces éléments auprès de la caution, la disproportion s'apprécie au vu des déclarations de la caution dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.
Le Crédit Mutuel verse une fiche de renseignement sur la caution renseignée par M. [V] et mentionnant, s'agissant de ses revenus et charges, un salaire net mensuel de 5'000 €, un remboursement de crédit en cours de 392 €, un loyer (charges incluses) de 1'330 € et s'agissant du patrimoine, une épargne de 10'000€. Ce document est toutefois signé en date du 15 novembre 2012, soit près de trois ans après l'engagement de caution objet du présent litige, de sorte qu'il n'est pas pertinent pour justifier du caractère proportionné de l'engagement de M. [V] au jour de la souscription, et ce dernier peut justifier par tout moyen de sa situation.
Il convient donc d'examiner la situation patrimoniale et financière de M. [V] au 11 août 2009 au vu des pièces qu'il produit à cet effet.
Le patrimoine immobilier de M. [V] est constitué par 54,1% de la valeur d'un bien immobilier acquis en indivision en 2005, au prix de 175 750 €, et pour lequel le solde du prêt immobilier s'élevait à 164 876,29€ au mois d'août 2009. A cette date, la valeur nette de son actif immobilier s'élève donc à : 175 750 € - 164 876,29 € = 10 873,71 € x 54,1% = 5 882,67 €.
M. [V] soutient ensuite justement que les titres qu'il détenait dans le capital social de la société Yala Invest étaient dépourvus de toute valeur à la date du 11 août 2009, celle-ci ayant été immatriculée le 22 juillet 2009 pour acquérir les titres de Médi Santé. Si M. [V] a effectivement apporté 300 000€ en capital à cette société dont il détenait 100% des parts, la société s'est immédiatement endettée à hauteur de 1 000 000 € au 11 août 2009, et ne détenait aucun actif, les titres Média Santé ayant été acquis au 4 septembre 2009.
M. [V] détient ensuite 45% des parts d'une SCI Bresse Immo ayant acquis un bien immobilier de 310 000 € en 2009. Il résulte néanmoins de la lecture des comptes sociaux 2008 et 2009 que cette SCI était endettée à hauteur de 308 234€ au 31 décembre 2008 et de 296 381 € au 31 décembre 2009, ce qui permet de retenir comme le propose M. [V] dans ses écriture une moyenne d'endettement à la mi année 2009 de 302 305 €, son seul actif étant ce bien immobilier. La valeur des parts sociales de M. [V] peut donc être évaluée en août 2009 à 310 000- 302 305 x 45% = 3 462, 75 €.
S'agissant de ses revenus, M. [V] produit une attestation Pôle Emploi établissant qu'il a perçu en 2008 des indemnités à hauteur de 2 250€ par mois, et verse son avis d'imposition 2010 sur ses revenus 2009 faisant état d'un revenu net de 27 878€, de revenus fonciers de 5 019 €, de revenus de capitaux mobiliers de 2 267, soit un revenu annuel global de 35 164 €.
S'agissant de ses charges, M. [V] justifie pour cette période d'un prêt immobilier (951,31€ par mois supporté par moitié par son co-indivisaire, soit 475,5€ à sa charge), d'une taxe d'habitation (899 € soit 75€/mois), d'une taxe foncière (728 € soit 60 €/mois) de charges de copropriété (295,47/3 = 98,5€/mois), de son assurance habitation (250,37/12 = 20,86 €/mois) et d'un impôt sur le revenu ( 2 188 /12 = 182,33€/mois), soit un montant de charges s'élevant à 17 247,25 €/an ou 1 437 €/mois.
Il convient enfin de tenir compte de l'endettement global de M. [V], lequel inclut également ses engagements en tant que caution. Outre son prêt immobilier déjà pris en compte au titre de ses charges, M. [V] justifie avoir souscrit un emprunt de 144 000 € pour, selon lui, souscrire et libérer le capital de Yala Invest et s'est engagé en qualité de caution à hauteur de 20% de l'encourt dans la limite de 100 000 € auprès de la Caisse d'Epargne, ce dont le Crédit Agricole avait nécessairement connaissance, les deux établissements bancaires étant intervenus dans le cadre du pool bancaire constitué pour financer l'acquisition de la société Médi Santé comme en témoigne la clause 5.1 pari passu figurant en page 5 du contrat de prêt.
Le fait que M. [V] ait été en mesure d'effectuer un apport de 50 000 € dans le cadre d'un protocole d'accord de conciliation devant le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère est inopérant dès lors que ce versement est intervenu en 2014 et qu'il n'est donc de nature à déterminer ni la situation de M. [V] à la date de son engagement de caution le 11 août 2009, ni celle existant à la date à laquelle cet engagement a été activé par la première assignation le 11 mars 2015.
En somme, au vu des éléments produits par M. [V], il apparaît que ce dernier disposait au moment de son engagement en tant que caution, d'un patrimoine immobilier d'une valeur de 5 882,67 €, de parts sociales s'élevant à 3 462, 75 €, de revenus annuels de 35 164 € pour des charges de 17 247,25 €, soit un reste à vivre annuel de 17 916,75€, d'un endettement global comprenant le remboursement d'un prêt de 144 000€ et un autre engagement de caution à hauteur de 100 000 €. Dès lors, la disproportion manifeste est caractérisée au vu du montant du cautionnement de 100 000 €, sans commune mesure avec les capacités contributives de M. [V] au moment de sa souscription.
Le Crédit Mutuel ne fait valoir aucun élément visant à démontrer que les revenus et patrimoine de la caution lui permettaient d'y faire face au moment où elle a été appelée.
Il y a donc lieu de dire, par infirmation du jugement, que le Crédit Mutuel ne peut se prévaloir de l'engagement de caution souscrit le 11 août 2009 par M. [V] et de le débouter de sa demande en paiement.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700
Le Crédit Mutuel, qui succombe en son appel incident et toutes ses demandes, supporte les dépens d'appel comme ceux de première instance qui sont infirmés et garde la charge de ses frais irrépétibles.
Il apparaît enfin équitable de le condamner à verser une indemnité procédurale de 2 000 € à M. [V] pour la première instance et l'appel, les dispositions du jugement relatives à l'article 700 du code de procédure civile étant également infirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le cautionnement souscrit par M. [Z] [V] le 11 août 2009 est manifestement disproportionné,
Dit que la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre ne peut se prévaloir de cet engagement de caution,
Déboute en conséquence la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre de sa demande de condamnation de M. [Z] [V] à lui verser la somme de 63 877,23 € ou 50 370,88€ à titre subsidiaire,
Condamne la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre à verser à M. [Z] [V] une indemnité de procédure de 2 000€,
Déboute la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, y compris en appel,
Condamne la société coopérative de crédit à capital variable et à responsabilité statutairement limitée Crédit Mutuel Valence Centre aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers avec droit de recouvrement.
Le Greffier,Le Président,