AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 18/08158 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MBM4
Société EQUANUM
C/
[M]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 25 Octobre 2018
RG : 17/02819
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2022
APPELANTE :
Société EQUANUM
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Charlotte FOURNET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Hachim FADILI, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ :
[D] [M]
né le 08 Mars 1984 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Rémi RUIZ FERNANDEZ de la SELARL CABINET RITOUET RUIZ, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Mai 2022
Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 22 janvier 2016, à effet du 11 janvier 2016, Monsieur [D] [M] a été embauché par la société Equanum, en qualité de responsable d'équipe réseau sud-est de statut cadre.
Par lettre en date du 7 août 2017, la société Equanum a convoqué monsieur [M] à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Monsieur [M] a été licencié pour cause réelle et sérieuse le 23 août 2017.
Par requête en date du 21 septembre 2017, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire son licenciement est sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Equanum à lui verser des dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Par jugement en date du 25 octobre 2018, le conseil de prud'hommes a :
- jugé que le licenciement de monsieur [D] [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse
- condamné la société Equanum à verser à monsieur [D] [M] la somme de 17 000 euros à titre de dommages et intérêts
- condamné la société Equanum à verser à monsieur [D] [M] la somme de
1 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- fixé le salaire mensuel moyen de monsieur [D] [M] à 3 554,99 euros
- prononcé une exécution provisoire totale
- condamné la société Equanum aux dépens.
La société Equanum a interjeté appel de ce jugement, le 23 novembre 2018.
La société Equanum demande à la cour :
- d'infirmer le jugement
statuant à nouveau :
- de dire que le licenciement de monsieur [D] [M] n'est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse
- de débouter monsieur [D] [M] de l'intégralité de ses demandes
- de condamner monsieur [D] [M] à lui payer la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle soutient en substance que :
- dans le cadre d'une réorganisation des méthodes de travail liée à des difficultés concurrentielles, effectuée de manière transparente, l'intitulé de la fonction de ' local manager' de M. [M] a été modifié pour devenir 'business developer' et il s'agissait simplement de préciser les fonctions 'avec une tournure plus volontaire', M. [M] ayant toujours eu une fonction de développement du réseau, par définition commerciale
- la lettre de licenciement n'invoque ni un quelconque motif, encore moins un passé disciplinaire, ni une quelconque insuffisance professionnelle
- M. [M] n'apporte aucune justification du préjudice qu'il invoque.
Monsieur [D] [M] demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement dont il a fait l'objet ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse
- de le réformer concernant le montant des dommages et intérêts alloués
statuant à nouveau,
- de condamner la société Equanum à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Y ajoutant,
- de lui allouer la somme de 2 500 euros en cause d'appel au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner la société Equanum aux entiers dépens de l'instance.
Il soutient en substance que :
- le changement annoncé était radical puisque d'un emploi à dominante managériale, il devait désormais occuper un poste à dominante commerciale, ce qui ne correspondait plus au poste pour lequel il avait accepté d'être engagé
- il a précisé à sa hiérarchie que cette évolution s'analysait en une modification de ses fonctions et que l'employeur devait donc mettre en 'uvre la procédure prévue dans un tel cas, mais il n'a à aucun moment indiqué qu'il souhaitait quitter la société, la seule réponse qu'il a obtenue a été la proposition d'une rupture conventionnelle et une semaine après avoir exprimé son refus, il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement
- malgré le changement radical de ses fonctions, il a toujours accompli l'ensemble des tâches demandées par ses supérieurs et n'a jamais refusé d'exécuter les directives de ses supérieurs hiérarchiques.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 janvier 2022.
SUR CE :
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L.1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
Aux termes de la lettre de licenciement du 23 août 2017, la société fait au salarié les reproches suivants :
Suite à un ajustement mineur de vos missions dans le cadre d'une évolution des équipes opérationnelles françaises dont vous êtes l'un des managers, vous avez fait part lors de divers échanges de votre inconfort, puis de votre désaccord avec le nouveau périmètre de votre poste.
Le 7 juillet 2017, lors d'un entretien avec M. [J], directeur administratif et financier, vous avez soutenu que vos missions ne correspondaient pas à ce pour quoi vous avez été embauché et que vous ne souhaitiez plus les exercer (...)
Face à cette posture défiante et procédurière, c'est par une longue correspondance de quatre pages en date du 10 juillet 2017 que M. [J] a valablement répondu à vos allégations de manière aussi précise que circonstanciée (...)
Abrupt, vous avez écarté le principe même d'une simple discussion et refusé l'entretien préalable à une rupture conventionnelle pour adopter in fine une posture pour le moins fermée à tout compromis (...)
Depuis le mois de juin 2017, votre comportement n'a été que méfiance à l'égard de votre hiérarchie, refus des missions qui vous étaient confiées, rejet du dialogue et de la discussion.
Vous avez adopté une attitude procédurière caractérisée par le ton et la forme de vos correspondances et par l'habitude prise de consigner systématiquement par e-mail tous vos échanges oraux avec votre hiérarchie et la direction des ressources humaines (...)
Parallèlement à vos échanges sur vos fonctions opérationnelles, vous avez décidé d'engager un rapport de force avec le service des ressources humaines en brandissant des postulats juridiques infondés, créant ainsi une atmosphère déplorée par vos interlocuteurs.
Manifestation d'un véritable refus de subordination, par là même, votre comportement constituait à lui seul une impossibilité de poursuivre sereinement la relation de travail pour motifs personnels pouvant être sanctionnés au besoin par un licenciement (...)
Aucun fait précis imputable au salarié n'est mentionné dans cette lettre de licenciement.
Les deux correspondances adressées par le salarié à ses supérieurs hiérarchiques telles que citées dans la lettre de licenciement ne font apparaître ni incorrection, ni insolence, ni refus d'exécuter ses missions, ni 'refus de subordination' commis par le salarié :
'Je t'informe que je refuse cette proposition de rupture conventionnelle. Ainsi l'entretien du 1er août me semble inutile. Je demande qu'un poste en cohérence avec mon contrat de travail me soit proposé (...) Je te rappelle que le contrat de travail doit être exécuté loyalement et de bonne foi.'
Sur le fond, les missions que tu m'envoies ne correspondent pas à celles annexées à mon contrat de travail actuel: il y a des éléments nouveaux, des éléments manquants, des éléments dont la formulation change le sens des missions (...)
Le courriel du 10 juillet 2017 adressé à M. [M] : tous les « local managers » et vous-même avez accepté ces changements et choisi de positionner votre action opérationnelle sur les missions de « Business Developper' (') et celui du salarié du 12 juillet 2017 : je vais faire ce que tu me demandes, pièces produites par le salarié, montrent bien que M. [M], tout en faisant valoir que l'employeur avait modifié ses missions, a continué à exécuter son travail.
Il ressort du compte-rendu de l'entretien préalable du 17 août 2017 dressé par le salarié ayant assisté M. [M] que l'employeur a lui-même confirmé que ce dernier avait bien exécuté les missions de 'Biz-dev qu'on lui demandait suite à la réorganisation' et que l'entretien du 1er août 2017 refusé par le salarié avait pour unique objet la discussion des conditions d'une rupture conventionnelle.
Les seules pièces versées aux débats par l'employeur dans le cadre de la présente procédure pour établir le bien-fondé du licenciement sont :
- l'annexe A du contrat de travail de M. [M] décrivant les fonctions qui lui sont attribuées
- l'attestation rédigée par Mme [S], qui déclare notamment qu'en tant que déléguée du personnel de la société, elle n'a jamais constaté une quelconque entorse encore moins une quelconque infraction à la législation sociale par l'employeur.
Aucun comportement fautif du salarié n'est ainsi démontré et c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes par des motifs pertinents que la cour adopte a dit que le licenciement de M. [M] était sans cause réelle et sérieuse.
En application de l'article L1235-5 ancien du code du travail, au regard de l'ancienneté de dix-sept mois dans l'entreprise de M. [M], de son âge à la date du licenciement ( 33 ans), de la justification de ce qu'il a été indemnisé par Pôle emploi du 25 novembre 2017 au 31 décembre 2018 et du montant de son salaire, le conseil de prud'hommes a exactement apprécié le préjudice matériel et moral subi par le salarié en raison de sa perte d'emploi injustifiée.
Il convient de confirmer le jugement sur ce point.
La société dont le recours est rejeté doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer à M. [M] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement
CONDAMNE la société Equanum aux dépens d'appel
CONDAMNE la société Equanum à payer à M. [M] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE