AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/01312 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MGVB
[I]
C/
Société SCHINDLER
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 29 Janvier 2019
RG : F 17/02581
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 SEPTEMBRE 2022
APPELANT :
[N] [I]
né le 01 Mars 1980 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société SCHINDLER
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Anne MURGIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Mai 2022
Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Antoine MOLINAR-MIN, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [N] [I] a été embauché le 1er décembre 2007 par la société Amonter aux droits de laquelle se trouve la société Schindler France.
Il ressort des bulletins de salaire que le salarié occupait le poste de technicien de maintenance et percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 2 107 euros.
Monsieur [I] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre recommandée du 21 avril 2017.
Par requête en date du 30 août 2017, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Schindler France à lui verser des dommages et intérêts à ce titre, ainsi que pour non-respect du temps de pause, non-respect de l'obligation de formation et non mise en place d'un plan de prévention de risques.
Par jugement en date du 29 janvier 2019, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de monsieur [N] [I] par la société Schindler France est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
- débouté monsieur [N] [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouté la société société Schindler France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné monsieur [N] [I] aux entiers dépens de l'instance.
Monsieur [I] a interjeté appel de ce jugement, le 20 février 2019.
Il demande à la cour :
- d'infirmer le jugement qui l'a débouté de ses demandes :
visant à dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
de dommages et intérêts pour non-respect du temps de pause,
de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation,
d'article 700 du code de procédure civile
- de statuer à nouveau
- de déclarer sans cause réelle et sérieuse le licenciement
- de condamner la société Schindler France à lui payer les sommes suivantes :
*outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir (article 1231-7du code civil)
37 656 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
5 000 euros nets de dommages et intérêts pour non-respect du temps de pause
15 000 euros nets de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation
- d'ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1343-2 du code civil
- de condamner la société Schindler France à lui remettre des documents de rupture et des bulletins de salaire rectifiés conformes à la décision, dans les 15 jours de la notification du jugement et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard
- de se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte
- de condamner la société Schindler France à lui payer une indemnité de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner la société Schindler France aux dépens.
Il soutient :
- qu'il était régulièrement suivi en filature par son supérieur hiérarchique, M. [W], de façon totalement illégale, et que, nonobstant cette surveillance depuis 2016, aucun manquement de sa part n'a été constaté et il n'a reçu aucune sanction
- qu'il n'était soumis à aucun horaire fixe de travail et qu'il était bien présent sur une intervention au [Adresse 2] le 29 mars 2017 à 16 heures comme le démontre le 'Fieldlink' produit par la société Schindler
- qu'il n'a jamais refusé de prendre en charge une personne bloquée dans un ascenseur en transférant l'appel à un collègue de travail
- que si des manquements dans la maintenance avaient réellement été constatés (notamment jeu dans les vantaux de la porte cabine ou capot de protection non fixé), des clients se seraient plaints, que ses prétendues fautes ne reposent que sur la parole de M. [W] et qu'il semble en réalité que ce licenciement s'inscrive dans un contexte de suppression de postes au sein de la société Schindler.
La société Schindler France demande à la cour :
- de confirmer le jugement
- de condamner M. [I] au versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- de condamner M. [I] aux entiers dépens
à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour d'appel devait infirmer la décision du conseil de prud'hommes et considérer que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- de réduire l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à son strict minimum soit 12 642 euros.
Elle soutient :
- que M. [I] était absent de son poste de travail le 29 mars 2017 et qu'il a refusé, sans motif, d'intervenir pour la prise en compte d'une personne bloquée dans un ascenseur sur son secteur et pendant ses horaires de travail en transférant l'appel à monsieur [F], son collègue
- que M. [I] n'a pas accompli son travail avec la qualité et la rigueur qu'elle était légitimement en droit d'attendre d'un de ses techniciens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 avril 2022.
SUR CE :
Il convient de confirmer le chef du jugement qui a rejeté la demande en paiement de dommages et intérêts pour non mise en place d'un plan de prévention des risques formée par le salarié, ce dernier n'en demandant pas l'infirmation dans le dispositif de ses conclusions d'appel.
Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur le non-respect des temps de pause
En vertu de l'article L. 3121-16 du code du travail, dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives .
Il appartient à l'employeur de prouver qu'il a respecté les temps de pause de son salarié.
Cependant, le salarié qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice doit apporter des éléments permettant de déterminer et d'évaluer ledit préjudice.
Or, en l'espèce, le salarié ne précise pas quels sont les jours de travail au cours desquels il n' a pas pu prendre ses pauses au bout de 6 heures consécutives de travail, se contentant d'indiquer que 'suivant les interventions en urgence à effectuer, il était régulièrement amené à ne pas bénéficier de temps de pause et que l'employeur n'avait pas mis en place de système permettant une alternance de salariés pour que chacun puisse prendre sa pause'.
Ni l'existence, ni l'étendue du préjudice invoqué ne sont caractérisés.
Il convient de confirmer le jugement qui a rejeté ce chef de demande.
Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur le défaut de formation et d'adaptation au poste
Aux termes de l'article L. 6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au respect de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
La société ne conteste pas le fait qu'elle n'a assuré au salarié aucune formation au cours des neuf années de la collaboration.
Elle a ainsi manqué à son obligation, ce qui a causé un préjudice au salarié dans le cadre de sa recherche d'un nouvel emploi car ses compétences professionnelles n'ont pu être actualisées.
Il convient de condamner la société à payer au salarié la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice, le jugement qui a rejeté cette demande étant infirmé.
Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt fixant la créance indemnitaire.
Sur le bien- fondé du licenciement
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L.1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.
Aux termes de la lettre de licenciement du 21 avril 2017, la société Schindler reproche à M. [I] les faits suivants :
- l'absence à son poste de travail à 16 heures le 29 mars 2017
La société produit l'attestation de M. [W], responsable hiérarchique du salarié, qui déclare avoir « constaté l'absence de son lieu de travail » de M. [I], ayant aperçu ce dernier « à 16h au croisement de l'[Adresse 6] et de la [Adresse 7], en tenue civile et accompagné de son fils ».
Or, il ressort du relevé d'activité de M. [I], issue de l'outil « Fieldlink » renseigné par ce dernier et produit par la société elle-même, que le salarié a fini son intervention au [Adresse 2] ce jour-là à 16h04.
La société ne produit aucun élément de nature à contredire le fait que le salarié a bien effectué l'intervention déclarée.
La preuve de la faute alléguée n'est dès lors pas rapportée.
- le refus de prise en charge d'une personne bloquée dans un ascenseur
Aucune pièce n'étant produite par l'employeur sur ce point, la matérialité du fait allégué n'est pas établie.
- le défaut de rigueur dans les maintenances :
La société s'appuie sur un 'rapport' dactylographié non signé, non daté, attribué à M. [W], qui n'a aucune valeur probante.
Elle ne démontre pas la fausseté des horaires déclarés par le salarié sur l'outil Fieldlink.
Les photographies non datées qu'elle produit, montrant des fils arrachés, des détritus au sol et des tableaux électriques démontés ne permettent pas de déterminer que ces désordres affectant des cabines d'ascenseurs ou des locaux non identifiables sont imputables au salarié.
Enfin, la photographie illisible présentée comme étant celle du carnet d'entretien qu'elle reproche au salarié de ne pas avoir rempli à la date du 29 mars 2017 ne possède pas non plus de valeur probante.
Aucune faute commise par le salarié dans sa mission de maintenance n'est démontrée.
Les griefs invoqués n'étant pas établis, le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu'a dit le conseil de prud'hommes.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, de l'ancienneté du salarié (9 ans et 4 mois), de son âge à la date du licenciement (36 ans), des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération et de l'absence d'éléments relatifs à l'évolution de sa situation professionnelle depuis le licenciement, il convient d'évaluer le préjudice résultant pour celui-ci de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 18 000 euros.
La société doit être condamnée à payer à M. [I] ladite somme, à titre de dommages et intérêts.
Cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt fixant la créance indemnitaire.
L'article1343-2 nouveau du code civil prévoit que les intérêts échus dûs au moins pour une année entière produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise.
Il n'y a pas lieu en l'espèce de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts.
Il y a lieu de condamner la société Schindler France à remettre à M. [I] les documents de rupture rectifiés conformes au présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
En application de l'article L 1235-4 ancien du code du travail, il convient de condamner d'office la société Schindler France à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage qui ont été versées au salarié dans la limite de six mois d'indemnités.
La société Schindler France, partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à M. [I] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
INFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement de dommages et intérêts pour non mise en place d'un plan de prévention des risques et pour non-respect des temps de pause
STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,
DIT que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société Schindler France à payer à M. [I] les sommes suivantes :
- 18 000 euros en réparation du préjudice causé par le licenciement injustifié
- 2 000 euros en réparation du préjudice causé par le défaut de formation et d'adaptation au poste
DIT que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt
REJETTE la demande de capitalisation des intérêts
CONDAMNE la société Schindler France à remettre à M. [I] les documents de rupture rectifiés conformes au présent arrêt
REJETTE la demande d'astreinte
CONDAMNE la société Schindler France à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage qui ont été versées au salarié dans la limite de six mois d'indemnités
CONDAMNE la société Schindler France aux dépens de première instance et d'appel
CONDAMNE la société Schindler France à payer à M. [I] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE