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13/10/2022 | FRANCE | N°18/07216

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 13 octobre 2022, 18/07216


N° RG 18/07216 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L7EM















Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 04 septembre 2018

( 4ème chambre)



RG : 16/06692















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile A



ARRET DU 13 Octobre 2022







APPELANTS :



M. [K] [D] [X] [I]

né le [Date naissance 1]

1976 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 6]



Mme [T] [V] [U] épouse [I]

née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 6]



Représentés par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1547

Et ayant pou...

N° RG 18/07216 - N° Portalis DBVX-V-B7C-L7EM

Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON

Au fond du 04 septembre 2018

( 4ème chambre)

RG : 16/06692

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile A

ARRET DU 13 Octobre 2022

APPELANTS :

M. [K] [D] [X] [I]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Mme [T] [V] [U] épouse [I]

née le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 8]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentés par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant,toque : 1547

Et ayant pour avocat plaidant Me Julie CANTON, avocat au barreau de LYON, toque : 408

INTIMEE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 5] [Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Philippe ARDUIN, avocat au barreau de LYON, toque : 850

******

Date de clôture de l'instruction : 02 Juin 2020

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Octobre 2021

Date de mise à disposition : 6 janvier 2022 prorogée au 10 mars 2022, 7 avril 2022,30 juin 2022, 29 septembre 2022 et 13 Octobre 2022 les avocats dûment avisés conformément à l'article 450 dernier alinéa du code de procédure civile

Audience présidée par Anne WYON, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Séverine POLANO, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Anne WYON, président

- Françoise CLEMENT, conseiller

- Annick ISOLA, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, président, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

*****

Le 28 juin 2011, M. et Mme [I] ont conclu avec M. [H] un contrat de construction de maison individuelle à ossature bois avec fourniture de plan au prix de 397'949,09 euros TTC.

Par acte d'huissier de justice du 19 mai 2016, ils ont fait assigner en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Lyon la caisse de Crédit Mutuel de [Localité 5] (ci-après la banque) à laquelle ils reprochent d'avoir ouvert au profit de M. [H] un compte bancaire alors que celui-ci faisait l'objet d'une interdiction bancaire, sans avoir recueilli toutes les informations utiles, et de n'avoir pas procédé à un examen renforcé que lui imposait l'article L561-10-2 II du code monétaire et financier alors que des sommes importantes ont été encaissées dès l'ouverture du compte et que celui-ci a présenté de multiples anomalies dans le cadre de son fonctionnement. Ils déplorent que les sommes qu'ils ont versées sur le compte de M. [H] et sur celui de la société Home Concept Construction dont il était gérant, tous deux ouverts dans les livres de la banque, aient été virées au profit d'une société lettone peu après le début de la construction de leur maison et que M. [H] ait quitté le chantier. Ils précisent que M. [H] et son épouse ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Bourg en Bresse qui leur a alloué 267 516,53 euros au titre de leur préjudice matériel et financier, ainsi que 5 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, mais qu'ils n'ont pu obtenir paiement de ces sommes.

Par jugement du 4 septembre 2018, le tribunal de grande instance de Lyon a débouté M. et Mme [I] de l'ensemble de leurs demandes.

Par déclaration du 15 octobre 2018, ceux-ci ont relevé appel de cette décision.

Par conclusions récapitulatives déposées au greffe le 2 septembre 2019, ils demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :

- avant dire droit, sommer la banque de préciser la procédure habituelle de vérification des demandes de virements à destination de l'étranger et notamment à partir de quel montant elle demande des pièces justificatives et de préciser comment elle vérifie l'existence et l'identité du bénéficiaire du virement,

- avant dire droit, sommer la banque de justifier de la déclaration Tracfin qu'elle a dû faire après la découverte de l'escroquerie,

- juger que la banque a manqué à ses obligations, notamment à son devoir de surveillance et à son obligation de vigilance et qu'elle a, par ses manquements, occasionné le préjudice qu'ils subissent et qu'il convient d'évaluer à la somme retenue par le juge correctionnel à hauteur de 267 516,53 euros au titre de leur préjudice matériel et financier, outre 5000 euros chacun au titre de leur préjudice moral outre les frais d'huissier et d'expertise ci-après détaillés,

Par conséquent,

- condamner la banque à leur verser les sommes retenues par le juge pénal soit

267 516,53 euros au titre de leur préjudice matériel et financier outre 5000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, outre intérêts à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance,

- condamner la banque à leur verser outre intérêts à compter de la date de notification des conclusions n°1 de première instance la somme de 436 euros au titre du constat d'huissier, la somme de 1144,12 euros au titre des frais d'huissier et celle de 514 euros au titre des frais d'expertise,

- ordonner l'anatocisme,

- rejeter les demandes de la banque à leur encontre,

- condamner la banque à leur verser la somme de 15'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions récapitulatives déposées au greffe le 6 mars 2020, la banque demande à la cour de :

- débouter M. et Mme [I] de toutes leurs prétentions,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 4 septembre 2018 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- condamer in solidum M. et Mme [I] à lui payer 15'000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. et Mme [I] aux dépens, distraits au profit de Me Philippe Arduin avocat, sur son affirmation de droit.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

Les époux [I] demandent à la cour qu'elle somme la banque de faire connaître le processus préconisé en matière de virement effectué à l'étranger et de justifier de la déclaration Tracfin effectuée après la découverte de l'escroquerie dont ils ont été victime.

La banque répond qu'elle a décrit ce processus dans ses écritures, qu'elle a produit un document tiré du site de la banque de France sur les virements Sepa et que la loi exige que les déclarationsTracfin restent confidentielles.

Les époux [I] à qui il incombe de rapporter la preuve que la banque a commis un ou plusieurs manquements à ses obligations ne précisent pas en quoi la production des éléments demandés est nécessaire et indispensable à la manifestation de la vérité.

Dans ses conclusions, (p 15 à 18), la banque a précisé qu'elle s'était assurée que la provision du compte permettait chacune des quatre opérations de virements, qu'elle avait vérifié que les quatre ordres de virement étaient sans ambiguïté quant au donneur d'ordre, la société Home Concept Construction, et ne présentaient pas d'anomalie apparente, qu'ils étaient signés du client ou de son représentant, que si l'un des quatre virements domiciliait la société Home Concept Construction chez son dirigeant M. [H], cette indication était sans incidence quant à l'exécution de l'ordre de virement, et que les seules informations qui lui étaient nécessaires quant au bénéficiaire étaient fourni, à savoir son nom (société Engineering Wood Ltd) et les références bancaires du compte sur lequel le virement devait être effectué.

Le document produit sur les virements Sepa (pièce 15) complète ces informations quant au court délai, d'un jour, dont dispose la banque pour effectuer un tel virement.

Enfin, la banque excipe de l'article L561-18 du code monétaire et financier qui interdit à tout établissement bancaire de révéler à des tiers l'existence d'une déclaration de soupçon.

Bien qu'ils aient eu connaissance des éléments rappelés ci-avant, les époux [I] ont réitéré leur demande, sans indiquer en quoi les éléments fournis étaient insuffisants et sans préciser l'objet de leur demande et le caractère indispensable de la preuve qu'ils recherchent, de sorte que leur réclamation sera rejetée.

- sur la faute de la banque :

M. et Mme [I] font valoir qu'ils ont payé à M. [H] une somme de 196'574,53 euros le 13 février 2012 et une autre de 134'097,45 euros le 5 mars 2012 par virements sur un compte ouvert au Crédit Mutuel au nom de la SAS Home Concept Construction, le montant total des paiements correspondant à 86,31 % du prix total convenu, que les fonds ont été immédiatement transférés en Lettonie, et que M. [H] a aussitôt disparu, abandonnant le chantier.

Ils indiquent que celui-ci n'avait pas souscrit d'assurance dommages ouvrage, l'attestation qu'il leur a remise étant un faux, et que la société Home Concept Construction a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 13 avril 2012.

Ils précisent qu'ils ont obtenu la condamnation de leur banque pour manquements aux dispositions relatives au contrat de construction de maison individuelle et ont perçu 200'000 euros après avoir conclu avec elle un accord transactionnel,que par jugement du 24 juin 2015, le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse a condamné les époux [H] à leur payer les sommes rappelées ci-avant et a ordonné la confiscation des fonds qui figuraient sur le compte du crédit mutuel n°20286701 et sur les comptes lettons sans qu'un recouvrement ultérieur ne soit possible.

Ils font valoir que la procédure pénale a révélé que M. [H] était interdit bancaire et avait l'interdiction de gérer une entreprise quand il a conclu avec eux le contrat de construction.

Ils reprochent à la banque d'avoir manqué à l'obligation de vigilance que lui imposent les articles L561-1 et suivants et R 561-1 et suivants du code monétaire et financier au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux le financement du terrorisme et d'avoir contrevenu à son devoir général de surveillance qui était renforcé compte tenu de l'interdiction bancaire et de l'interdiction de gérer dont avait fait l'objet M. [H].

La banque répond que l'obligation de vigilance de l'article L 563-3 du code monétaire et financier a pour seule finalité la détection des transactions portant sur des sommes en provenance du trafic de stupéfiants ou d'activités criminelles organisées et que tel n'est pas le cas des sommes qui ont été versées à M. [H].

L'article L 561-5 du code monétaire et financier dans sa version applicable à la date de signature du contrat s'inscrit dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Or, les diligences imposées au titre de la législation anti-blanchiment n'ont pas pour finalité la protection d'intérêts privés mais uniquement celui de l'intérêt général.

Il s'en déduit que les victimes d'agissements frauduleux ne peuvent se prévaloir de l'inobservation d'obligations résultant de ces textes pour réclamer des dommages-intérêts à un établissement financier.

Les époux [I] ne peuvent ainsi pas plus reprocher à la banque une quelconque méconnaissance de ses obligations au titre de la réglementation « Tracfin » au soutien de leur action indemnitaire.

En ce qui concerne les manquements à son obligation de vigilance, la banque répond qu'un établissement de crédit est tenu de s'abstenir de toute ingérence dans les affaires de son client et que ce devoir lui fait interdiction d'intervenir pour empêcher son client d'accomplir un acte illicite. Elle affirme que les griefs allégués par les époux [I] ne caractérisent pas des anomalies apparentes, et que l'ouverture du compte au nom de M [H] pour son activité professionnelle à l'enseigne Home Concept est intervenu dans le cadre d'une injonction de la Banque de France au titre de la procédure dite du droit au compte, de sorte qu'elle était tenue d'ouvrir le compte en application de l'article L312- 1 du code monétaire et financier dont elle a respecté les prescriptions, en précisant qu'elle n'a pas délivré de formules de chèques à l'intéressé.

M. et Mme [I] font observer qu'après l'ouverture de ce compte en son nom propre le 8 décembre 2011 (compte 00020283501), M. [H] en a ouvert un second le 5 janvier 2012 au nom de la société Home Concept Construction (00020286701) et que la banque n'a pas sollicité de relevé Fiben concernant M. [H] en personne alors qu'elle a appris qu'il avait été nommé président de la société Home Concept Construction, et qu'elle aurait ainsi eu connaissance de l'interdiction de gérer dont il faisait l'objet.

La banque répond que le fichier Fiben indiquait pour la société Home Concept Construction qu'aucune information défavorable n'avait été recueillie et pour M. [H] une cotation '000' qui est un indicateur neutre. Elle produit les justificatifs de ses consultations du 4 janvier 2012 et du contenu de ce fichier (ses pièces n° 7 et 8), de sorte qu'aucun manquement n'est établi à ce titre.

Ainsi que l'a relevé le premier juge, l'établissement bancaire justifie s'être fait remettre avant l'ouverture des deux comptes un certain nombre de documents et justifie ainsi avoir pris toutes les précautions requises afin de s'assurer de l'identité du titulaire du compte et de pouvoir détecter une éventuelle anomalie.

D'autre part, les époux [I] s'étonnent que la banque ait pu ouvrir deux autres comptes à la société Home Concept Construction et à M. [H] un second, le 30 décembre 2011, qui a été clôturé le 15 février 2012, ainsi que d'autres comptes dans plusieurs banques comme l'a révélé la procédure pénale (leur pièce n°25). Ils se prévalent également de l'ouverture le 25 novembre 2011 auprès de l'agence de [Localité 9] du Crédit Mutuel d'un autre compte au nom de M. [H] qui a été clôturé quatre jours plus tard et affirment que le directeur de la banque a eu connaissance de l'interdiction bancaire qui le frappait, ce qui explique la durée du fonctionnement du compte.

Toutefois, ils ne produisent aucun élément démontrant que le directeur de l'établissement de [Localité 9] aurait été informé de la situation de M. [H].

La banque répond au surplus que les deux autres comptes ouverts au nom de la société Home Concept Construction et se terminant par les numéros 702 et 703 sont des lignes créées à la suite de la réception d'avis à tiers détenteur ou de saisie et sont internes à la banque ce qui explique l'ouverture de deux comptes le même jour. Elle en justifie (sa pièce n°12), et indique que la création d'une ligne pour M. [H] le 30 décembre 2011 correspond à la réception d'une opposition administrative, ce dont elle justifie également (sa pièce n°13). Elle ajoute que chaque caisse de Crédit Mutuel bénéficie de la personnalité morale, qu'elles sont autonomes les unes par rapport aux autres, et qu'elle n'a pas eu connaissance de l'existence d'un compte à [Localité 9].

Ainsi, les époux [I] ne démontrent pas de manquement de la banque à son obligation de vigilance en raison de l'ouverture de ces lignes. Par ailleurs, l'ouverture d'autres comptes au nom de M. [H] et de sa société dans d'autres établissements, à supposer que la banque ait pu en être avertie ce qui n'est pas établi par les appelants, ne saurait constituer en soi un signal d'alerte.

Les époux [I] font encore valoir que l'attention de la banque aurait dû être attirée par le fait qu'un compte qui venait d'être créé par une personne faisant l'objet d'une interdiction bancaire et dont le solde s'élevait à 3000 euros reçoive plus de 468'000 euros en deux mois, alors que la société Concept Home Construction n'avait pas deux ans d'existence. Ils reprochent à la banque de n'avoir pas mis en place une surveillance accrue à la suite de ces mouvements bancaires anormaux et font observer que l'extrait K bis de la société Home Concept Construction manque de clarté dans la description de l'activité sociale.

La banque répond que le principe de non-ingérence lui interdisait de s'immiscer dans les affaires de la société Home Concept Construction, peu important le nombre de mouvements sur le compte, l'importance des montants ou même qu'ils soient intervenus sur une courte période, le banquier n'étant pas astreint à exercer pour le compte de tiers un contrôle sur les mouvements de fonds. Elle ajoute que s'agissant de vente de construction de maisons individuelles, la perception de sommes importantes n'était pas anormale et qu'un montant de 468'000 euros doit être relativisé dans ce contexte.

Il est constant qu'un établissement bancaire est tenu à une obligation de non-ingérence dans les affaires de ses clients et n'a pas à effectuer de recherches, à réclamer de justifications pour s'assurer que les opérations qui lui sont demandées par un client sont régulières et qu'elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers.

Il n'est soumis à une obligation de vigilance qu'en cas d'anomalie apparente révélatrice d'une irrégularité dans le fonctionnement du compte.

En l'espèce, le tribunal a pertinemment retenu que les sommes versées sur une période de deux mois par quatre clients pour un total de 468 002,57 euros à raison de 330'671,98 euros par les époux [I] , 32'262,39 euros par M. [W], 49'440,57 euros par les époux [B] et 55'627,63 euros par les époux [J] étaient cohérentes au regard de l'activité de la société Home Concept Construction telle qu'elle était énoncée sur l'extrait Kbis détenu par la banque, à savoir vente en gros et au détail, construction donnée en sous-traitance de maison ossature bois, clés en mains et/ou livrées hors d'eau/hors air ou autres types de bâtiments, importation et vente de produits bois, aluminium ou PVC, et qu'il ne pouvait donc être reproché à la banque, en l'absence de toute anomalie, de ne pas avoir exercé de façon plus intrusive son obligation de vigilance. Ainsi que le fait observer la banque, l'extrait K bis de la société Home Concept Construction est au surplus parfaitement clair sur la nature de son activité.

Enfin, les époux [I] reprochent à la banque d'avoir effectué avec une extrême rapidité quatre virements à la demande de la société Home Concept Construction au profit du compte de la société Engineering Wood dans une banque lettone alors que les adresses de cette société sont situées à [Localité 11] et à [Localité 10], ce qui rendait ces opérations éminemment suspectes :

- un virement de 99'235,22 euros le 17 février 2012

- 91'854,91 euros le 22 février 2012

- 76'854,91 euros le 6 mars 2012

- 84'235,22 euros le 6 mars 2012.

Ils ajoutent que sur le premier virement l'adresse de la société correspond à l'adresse personnelle de M. [H] et non à celle du siège social, ce qui démontre une confusion de la banque entre ses deux clients, et que les trois virements suivants ne permettent pas d'identifier leur signataire, seule la mention 'gestion interne' y figurant.

La banque répond que le principe de non-ingérence lui interdisait de s'immiscer dans les affaires de la société Home Concept Construction, peu important le nombre de mouvements sur le compte, l'importance des montants ou même qu'ils soient intervenus sur une courte période, le banquier n'étant pas astreint à exercer pour le compte de tiers un contrôle sur les mouvements de fonds. Elle fait observer qu'elle est tenue d'exécuter avec diligence les ordres de virement qu'elle reçoit, qu'en matière de virement SEPA entre banques de l'espace européen, le délai d'exécution est d'un jour ouvrable à compter de l'ordre de virement, que ceux-ci ne sont soumis à aucun formalisme, et qu'elle s'est assurée que l'ordre provenait de son client, ne comportait pas d'anomalie apparente et que la signature de l'ordre de virement donné par écrit correspondait au spécimen connu.

Elle indique que les quatre ordres de virement émanaient bien de la société Home Concept Construction, avec la signature de son représentant, ne contenaient aucune anomalie apparente, et qu'il existait une provision suffisante pour permettre l'exécution de chacun d'eux.

Elle déclare que le donneur d'ordre indiqué est bien la société Home Concept Construction et que la mention 'chez M. [C] [H]' suivie de l'indication de l'adresse personnelle de ce dernier est sans aucune incidence quant à l'exécution de l'ordre de virement.

En l'espèce, comme l'a justement retenu le tribunal, la banque a vérifié si les demandes de virement émanaient bien de son client, s'est assurée qu'elles étaient revêtues de sa signature de celle de son représentant, que le compte à débiter était suffisamment approvisionné ce dont elle justifie, et les a exécutées avec la diligence qui était exigée de sa part, alors que le montant des virements était parfaitement compatible avec l'activité sociale de la société Home Concept Construction. La dénomination du bénéficiaire, la société Engineering Wood, ainsi que sa situation en Lettonie étaient toutes deux en cohérence avec l'activité précitée, les pays de l'est étant des producteurs de bois et la Lettonie étant un membre de l'Union Européenne ainsi que le précise la banque. Enfin, l'indication du nom et l'adresse personnelle du dirigeant de la société Home Concept Construction sur l'un des virements ne permettait pas davantage de suspecter d'anomalie, quand bien même le siège social de la société Home Concept Construction était-il fixé à une autre adresse.

L'argument des époux [I] aux termes duquel la banque aurait dû s'émouvoir de ce que la société Home Concept Construction ait payé son fournisseur avant même que la livraison ait pu intervenir est sans emport au regard de l'obligation de non-ingérence dans les affaires de ses clients à laquelle est tenue la banque, étant observé que les appelants ne démontrent pas et n'allèguent pas davantage qu'il serait exigé d'un établissement bancaire qu'il s'assure de la réalisation de la prestation financée par le virement émis depuis un compte dans ses livres avant de l'exécuter.

D'autre part, la saisie attribution de 4879,25 euros pratiquée le 2 février 2012 sur le compte de la société Home Concept Construction ne caractérise pas une anomalie apparente au regard de son montant peu élevé et en l'absence de toute autre mesure d'exécution forcée.

Enfin, les époux [I] reprochent à la banque d'avoir exécuté le dernier virement de 134'097,45 euros qu'ils ont effectué le 6 mars 2012 sur le compte de la société Home Concept Construction, qu'ils ont annulé le 8 mars suivant quand ils ont découvert la fraude. Ils produisent la copie de leur relevé de compte dont il résulte que le débit du 6 mars a été annulé le 9 mars à la suite de leur réclamation, mais que la banque a de nouveau crédité le compte letton le 12 mars. Ils affirment qu'en agissant ainsi, la banque a commis une faute caractérisée.

La banque répond que le virement ordonné par les époux [I] a été régulièrement exécuté, que les fonds correspondants ont été attribués à la société Home Concept Construction qui était bénéficiaire du paiement et que celle-ci pouvait en disposer comme elle l'a fait. Elle justifie être intervenue auprès de la banque lettone de la société Engineering Wood mais indique que celle-ci a refusé toute restitution des sommes, en raison d'un doute sur la fraude alléguée et l'implication éventuelle du bénéficiaire. Elle affirme ne pas avoir commis de faute.

M. et Mme [I] se prévalent d'un courriel émanant de la cellule centrale des fraudes du Crédit Mutuel du 14 mars 2012 à 16h58 dont le rédacteur indique : « nous sommes interrogés par la banque lettone quant à la nature de la fraude. À la lecture du dépôt de plainte, rien ne met en cause le bénéficiaire du virement mentionné ci-dessus».

Ainsi que le fait valoir la banque, dès lors que les fonds objets du virement de M. et Mme [I] ont été remis à la société Home Concept Construction qui était le bénéficiaire de l'opération et pouvait en disposer, l'établissement bancaire ne pouvait procéder à l'annulation de ce virement (Ccass com. 3 février 2009, n°06-21184). Aucune faute ne peut être reprochée à la banque sur ce point.

Les griefs formulés par M. et Mme [I] à l'endroit de la banque n'étant pas caractérisés, il convient de confirmer le jugement critiqué qui les a déboutés de leurs demandes.

Les appelants, partie perdante, supporteront les dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Philippe Arduin avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile, et seront condamnés in solidum à payer à la banque la somme de 7'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, leur demande sur ce point étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Dit n'y avoir lieu de sommer la banque de préciser la procédure habituelle de vérification des demandes de virements à destination de l'étranger et notamment à partir de quel montant elle demande des pièces justificatives et de préciser comment elle vérifie l'existence et l'identité du bénéficiaire du virement, et de justifier de la déclaration Tracfin qu'elle a dû faire après la découverte de l'escroquerie ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de [Localité 5] le 4 septembre 2018 ;

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. et Mme [I] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Philippe Arduin avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la société caisse de Crédit Mutuel de [Localité 5] [Adresse 3] la somme de 7'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, leur demande sur ce point étant rejetée.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile a
Numéro d'arrêt : 18/07216
Date de la décision : 13/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-13;18.07216 ?
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