AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/05095 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MPY2
[O]
C/
Société LGL FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 18 Juin 2019
RG : 18/00745
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2022
APPELANTE :
[L] [O]
née le 13 février1966
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Marion MINARD, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société LGL FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Karen MOURARET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Victoire BERN, avocat au barreau de LYON substituée par Me Marine COLOMERA, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 10 Octobre 2022
Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Mme [L] [O] a été embauchée par la société LGL à compter du 2 janvier 1989, en qualité de secrétaire commerciale.
Au dernier état de la relation contractuelle, la salariée occupait le poste d'assistante administration des ventes au niveau 5, échelon 2, coefficient 335 de la convention collective de la métallurgie du Rhône
La salariée a été placée en arrêt de travail le 10 avril 2015 renouvelé sans interruption jusqu'au 30 septembre 2016 et n'a plus jamais repris son poste.
Le 12 mai 2015, la société a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, au motif d'une désorganisation du service liée à son absence prolongée, avant de l'informer par lettre du 2 juin 2015 qu'elle abandonnait cette procédure.
A l'issue de la seconde visite de reprise du 15 mars 2016, le médecin a déclaré la salariée définitivement inapte à son poste de travail.
La société a convoqué la salariée à un entretien préalable au licenciement prévu le 18 avril 2016 puis, par lettre recommandée du 21 avril 2016, elle lui a notifié son licenciement pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Par requête du 16 mars 2018, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON en lui demandant de condamner la société à lui verser diverses sommes à titre d'indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts en raison des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et d'une exécution déloyale du contrat de travail.
Par jugement du 18 juin 2019, le conseil de prud'hommes a :
- constaté l'absence de tout manquement à son obligation de sécurité de résultat commis par la société LGL France ;
- constaté l'exécution loyale du contrat de travail de Madame [L] [O] par la société LGL France ;
- dit que le licenciement pour inaptitude de Madame [L] [O] repose bien sur une cause réelle et sérieuse ;
en conséquence,
- débouté Madame [L] [O] de l'intégralité de ses demandes
- débouté la société LGL France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné Madame [O] aux dépens de l'instance.
Mme [O] a interjeté appel de ce jugement, le 18 juillet 2019.
Elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris
statuant à nouveau,
- de condamner la société LGL au paiement des sommes suivantes :
indemnité compensatrice de préavis : 5 410 euros
congés payés sur préavis : 541 euros
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 64 920 euros
dommages et intérêts pour manquements fautifs de l'employeur, manquement à son obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail : 32 460 euros
article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros
Elle fait valoir :
- que la nouvelle organisation du service « administration des ventes » mise en place en 2009 a occasionné une surcharge de travail très importante, puisqu'elle a dû reprendre tous les dossiers du bureau de [Localité 4], que son employeur n'a embauché des salariés pour s'occuper de la branche nationale qu'à la fin de l'année 2011 et que les conditions de travail se sont progressivement dégradées
- qu'elle a été très fortement déstabilisée par la première procédure de licenciement engagée à son encontre
- que malgré la détérioration de ses conditions de travail, la situation de pression et le surcroît de travail, sa souffrance au travail n'a pas été reconnue, la société n'ayant réagi qu'après l'alerte du médecin du travail et n'ayant pas cru devoir la protéger malgré son ancienneté importante
- qu'après plusieurs arrêts de travail, plus particulièrement en mars 2016, elle n'a pas été en mesure de reprendre son emploi, compte tenu de l'attitude déloyale de l'employeur à son égard et de la non prise en compte de la situation.
La société LGL demande à la cour :
- de confirmer le jugement
- de condamner Madame [O] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Elle fait valoir :
- qu'elle a fusionné les deux secteurs du service administration des ventes (export et branche nationale) en 2009 en supprimant 2,5 postes sur 7,5 à la suite d'une baisse de l'activité
- qu'elle n'a reçu aucune alerte en ce qui concerne la surcharge de travail alléguée avant la réunion mensuelle du 14 novembre 2014
- qu'elle a alors immédiatement pris des mesures en organisant des entretiens individuels avec chaque membre du service et des rencontres avec le CHSCT, le médecin du travail et le psychologue du travail, en recrutant du personnel intérimaire et en tenant informés les délégués du personnel
- que, confrontée à l'absence prolongée de plusieurs de ses salariés de l'équipe administration des ventes, elle a été contrainte, le 12 mai 2015, d'initier une procédure de licenciement à l'encontre de trois salariés, procédure qu'elle a ensuite abandonnée, compte tenu du retour de l'un des membres de l'équipe et de la présence de deux intérimaires
- que les éléments médicaux produits par la salariée démontrent l'absence manifeste de relation entre l'état dépressif présenté par cette dernière et ses conditions de travail.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.
SUR CE :
Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité et sur l'exécution déloyale du contrat de travail
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation adaptée.
Ne méconnaît pas son obligation l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.
Tout contrat de travail comporte une obligation de loyauté qui impose à l'employeur d'exécuter le contrat de bonne foi.
La salariée ne produit pas de pièce permettant d'objectiver entre 2009 et 2012 la réalité de la surcharge de travail dont elle a fait état lors des visites médicales périodiques de 2009 et 2011, ainsi retranscrite par le médecin du travail dans le dossier médical de Mme [O] :
- à la date de la visite de la visite du 12 novembre 2009, surcroît de travail, un peu fatiguée, et la conclusion suivante : apte
- à la date de la visite du 9 septembre 2011 : fatigue ++, surcroît de travail ++ ,arrêt, se sent stressée +++
- le 13 octobre 2011 : reprise à mi-temps thérapeutique, va mieux
- le 9 février 2012 : reprise à temps plein le 6 février 2012; reprise sereine; apte.
Il n'est pas justifié non plus d'alerte adressée à l'employeur par Mme [O] ou par le médecin du travail au cours de cette période.
Les plans de performance de Mme [O] versés aux débats par la société pour les années 2010 à 2014 montrent que la salariée a dépassé les attentes en 2010, 2011, 2013 et 2014, même si tous les objectifs n'ont pas été réalisés en 2010 ou en 2011 en raison du manque de temps, et a pleinement satisfait aux attentes en 2012. Ils ne permettent pas de démontrer une surcharge de travail non prise en compte par l'employeur.
Le témoignage de Mme [V], collègue de travail du même service que Mme [O], qui fait remonter les difficultés à l'année 2010, décrivant de grosses pressions de la direction, puis l'arrivée d'un nouveau responsable qui a voulu changer les choses et modifier les méthodes de travail, affirmant que malgré cela, rien n'a changé, les conditions de travail et la pression ont empiré, l'ambiance dans le bureau était pesante et elle et Mme [O] ont alerté leur responsable à plusieurs reprises lors de leurs entretiens individuels sans voir d'amélioration jusqu'à ce qu'elles en parlent à certains membres du comité d'entreprise et du service des ressources humaines, si bien que leurs demandes ont été prises en considération, n'est pas suffisamment précis et circonstancié pour établir, d'une part la réalité d'une surcharge de travail, d'autre part l'inertie de l'employeur alors qu'il en avait connaissance.
Le docteur [E], psychiatre, mentionne dans son certificat établi le 17 mars 2016 que Mme [O] se plaint d'un surcroît de travail depuis plus d'un an par compression de personnel, ce qui confirme que la salariée elle-même n'a pas de griefs particuliers à faire valoir contre son employeur en ce qui concerne ses conditions de travail jusqu'à la fin de l'année 2014.
L'employeur déclare dans ses conclusions qu'il a bien été destinataire d'une alerte en ce qui concerne le service dans lequel travaille Mme [O] au cours de la réunion des délégués du personnel du 14 novembre 2014, bien que le compte-rendu de cette réunion produit par Mme [O] en pièce n° 3 manifestement incomplet ne contienne pas de développement sur ce point, de sorte que la nature exacte des difficultés demeure inconnue. Il n'est fait aucune mention du service d'administration des ventes dans les compte-rendus des réunions suivantes de délégués du personnel des 9 décembre 2014 et 27 février 2015.
L'employeur justifie néanmoins qu'il a pris des mesures à la suite de l'alerte puisqu'à compter du 16 décembre 2014, un entretien individuel entre chaque salarié du service d'administration des ventes et la responsable des ressources humaines a été réalisé, que Mme [O] a été reçue le 15 janvier 2015 et que des rencontres ont été organisées entre le service des ressources humaines, le médecin du travail et la psychologue du travail le 25 juin 2015 et avec les membres du CHSCT le 11 septembre 2015, à l'issue desquelles il a été convenu que des entretiens seraient menés entre chaque salarié du service administration des ventes et le service de santé au travail et qu'une restitution aurait lieu en novembre 2015 à laquelle participeraient toutes les personnes concernées.
Mme [O] étant en arrêt maladie a été invitée par lettre de l'employeur du 21 septembre 2015 à prendre directement rendez-vous avec la psychologue du travail.
Aux termes du compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 18 décembre 2015, la réunion de restitution de la psychologue du travail du 27 novembre 2015 a fait ressortir que les différents entretiens avaient permis de dégager plusieurs points pouvant être améliorés, à savoir:
- la redéfinition des processus (avec notamment mise en place d'un outil de dématérialisation)
- l'amélioration de la communication collective (mise en place généralisée de réunions de service)
- la meilleure connaissance des processus d'évolution professionnelle dans l'entreprise
- le remplacement des bureaux du service en mauvais état et l'enlèvement du mobilier non nécessaire.
Il apparaît donc que l'importance de la charge de travail ne fait pas partie des difficultés abordées.
Dès lors qu'à la date de la visite à la médecine du travail du 18 juin 2015, d'une part la salariée est en arrêt-maladie depuis deux mois quand elle évoque une surcharge de travail, d'autre part, l'employeur a pris des mesures pour répondre à l'alerte qu'il avait reçue émanant du service d'administration des ventes, celle-ci ne peut reprocher à l'employeur d'avoir réagi tardivement.
Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'est pas établi.
Lors de la réunion du 28 juillet 2015, les délégués du personnel constatent que la procédure à l'encontre de Mme [O] a été suspendue en raison de la reprise de son travail par l'un des trois salariés et de la présence de deux intérimaires sur les postes France et qu'elle a été menée à son terme en ce qui concerne la troisième salariée.
Toutefois, en poursuivant la procédure de licenciement de Mme [O] jusqu'à l'entretien préalable, alors que la salariée était absente pour maladie depuis un mois seulement, l'employeur a manifestement fait preuve d'une légèreté blâmable.
Il est établi que la convocation de Mme [O] à un entretien préalable, puis la tenue de cet entretien ont déstabilisé la salariée comme il est relevé par le médecin du travail dans le dossier médical à la date de la visite du 18 juin 2015 et dans son certificat du 17 mars 2016.
Mme [O] ayant subi un préjudice en lien avec cette faute commise dans l'exécution du contrat de travail, il convient de condamner la société LGL France à lui payer des dommages et intérêts qui seront évalués à la somme de 3 000 euros, le jugement étant infirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.
Sur la rupture du contrat de travail
Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
L'avis du médecin du travail à l'issue de la seconde visite de reprise est ainsi rédigé :
« inapte totale et définitive au poste de travail. L'état de santé de la salariée ainsi que les conclusions médicales ne permettent pas au médecin du travail de faire de propositions de reclassement au sein de l'entreprise ».
Mme [O] produit un certificat daté du 17 mars 2016 en pièce 18 dont on ne connaît pas l'auteur (intitulé 'courrier du médecin traitant' dans le bordereau de communication de pièces) adressé au médecin du travail et dont il résulte notamment que la salariée est blessée par les déclarations de son employeur qui ont porté un coup fatal à sa confiance en elle-même, qu'elle a fait un bilan de compétence et conclu à la nécessité de mettre un terme à ses fonctions dans cette entreprise et qu'il semble que la seule sortie possible soit une mise en inaptitude à tous les postes de l'entreprise.
D'une part, le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité n'a pas été établi.
D'autre part, la preuve d'un lien entre l'inaptitude de la salariée et le manquement par l'employeur qui a engagé de manière prématurée une première procédure de licenciement n'est pas rapportée au seul vu du certificat ci-dessus.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement qui a dit que le licenciement de Mme [O] repose sur une cause réelle et sérieuse et a rejeté les demandes en paiement formées par la salariée.
Compte-tenu de la solution apportée au litige, chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [O] fondée sur l'exécution déloyale du contrat de travail
STATUANT à nouveau sur ce point,
CONDAMNE la société LGL France à payer à Mme [L] [O] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par l'exécution déloyale du contrat de travail
DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel
REJETTE les demandes des parties fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE