AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE
N° RG 19/05335 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQKR
[E]
C/
Société TOWERCAST
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de Lyon
du 25 Juin 2019
RG : 16/02974
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2022
APPELANT :
[Z] [E]
né le 22 Janvier 1960 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Malika BARTHELEMY-BANSAC de la SELARL CABINET D'AVOCATS MALIKA BARTHELEMY BANSAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société TOWERCAST
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Philippe GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHONE-ALPES, avocat au barreau de LYON, et ayant pour avocat plaidant Me Pascal LAGOUTTE de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 04 Octobre 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Joëlle DOAT, Présidente
Nathalie ROCCI, Conseiller
Anne BRUNNER, Conseiller
Assistés pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*************
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat à durée indéterminée, la société NRJ SA a engagé M. [E] en qualité de technicien Hot Line à compter du 1er mars 1993.
A la suite d'une opération de fusion absorption, la société NRJ a été absorbée par la société Towercast qui exerce une activité de diffusion d'émissions radiophoniques et qui se présente comme un opérateur de services expert des technologies hertziennes sur les marchés de la radio et de la télévision numérique, qui applique la convention collective des télécommunications.
Par avenant du 15 mars 2001, les parties sont convenues d'un forfait de 216 jours de travail par an.
Aux termes de deux avis émis par le médecin du travail les 10 et 27octobre 2011, M. [E] a été déclaré apte à son poste de travail sous réserve de ne pas exercer de travail en hauteur et la nuit.
En conséquence, par un avenant du 26 mars 2012, il a été convenu entre les parties :
- la suppression des missions effectuées la nuit ou en hauteur par le salarié,
- l'adjonction de missions complémentaires dans les domaines de la supervision des équipes, des études et des achats (afin de compenser la perte de 10 jours de travail par an).
Au dernier état de la relation de travail, M. [E] occupait le poste de chargé des supports techniques HF, statut cadre, moyennant une rémunération mensuelle brute de
4 110, 95 euros bruts.
Le 29 avril 2013, M. [E] a été placé en arrêt de travail et n'a jamais repris le travail jusqu'au 31 janvier 2022, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite à l'âge de 62 ans.
M. [E] a transmis une déclaration de maladie professionnelle à la caisse primaire d'assurance maladie en août 2013, qui a refusé sa prise en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er avril 2015, M. [E] a informé son employeur de son placement en invalidité de catégorie 2 à partir du 1er avril 2015.
Par acte du 18 août 2016, M. [E] a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, et a demandé la condamnation de ce dernier à lui payer 1 000 euros à titre de rappel de salaire outre les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour harcèlement moral (10 000 euros), pour manquement à l'obligation de sécurité (10 000 euros), pour discrimination syndicale ( 10 000 euros ), pour exécution fautive du contrat de travail (10 000 euros), des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (100 000 euros ), outre une indemnité légale de licenciement (26 036,02 euros), une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, ainsi qu'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 25 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon a :
- dit et jugé prescrites les actions pour discrimination syndicale et en résiliation judiciaire du contrat de travail
- débouté M. [Z] [E] du surplus de ses demandes
- débouté la société Towercast de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné M. [E] aux entiers dépens de l'instance.
La cour est saisie de l'appel interjeté le 24 juillet 2019 par M. [E].
Par conclusions notifiées le 14 septembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [E] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement en ce qu'il déclare prescrites ses demandes
- Prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS Towercast à la date du 31/12/2021.
En conséquence
- Condamner la SAS Towercast à lui payer les sommes suivantes :
* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral subi ;
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour la discrimination syndicale subie ;
* 98 662,80 euros à titre de dommages et intérêts pour résiliation judiciaire aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul ;
* 45 878,20 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 12 332,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 1 233,29 euros au titre des congés payés afférents ;
outre intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir avec capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
* 22 610,14 euros en deniers et quittances ,sous déduction de la somme déjà payée au titre de l'indemnité de départ en retraite.
* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la SAS Towercast aux entiers dépens
- Confirmer le jugement en ce qu'il déboute la SAS Towercast de sa demande reconventionnelle présentée au titre de l'article 700 code de procédure civile.
Par conclusions notifiées le 21 septembre 2022, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société Towercast demande à la cour de :
- Constater que la demande de résiliation judiciaire de M. [E] est devenue sans
objet du fait de son départ à la retraite
- Confirmer le jugement en ce qu'il a :
- Dit et jugé que les actions pour discrimination syndicale et en résiliation judiciaire formées par M. [E] à son encontre étaient prescrites ;
- Débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;
- Condamné M. [E] aux entiers dépens de la présente instance.
- Déclarer la demande nouvelle de M. [E] irrecevable ou à défaut, le débouter de
sa demande sur le fond.
En conséquence :
- Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamner M. [E] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [E] aux entiers dépens ;
- Débouter M. [E] de sa demande d'exécution provisoire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 septembre 2022.
MOTIFS
- Sur la demande de résiliation judiciaire :
M. [E] fonde sa demande de résiliation judiciaire d'une part sur une situation de harcèlement moral qu'il impute à son supérieur hiérarchique M. [B], d'autre part sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, ainsi que sur une situation de discrimination syndicale.
M. [E] expose qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 29 août 2016, et les faits de harcèlement s'étant poursuivis jusqu' en avril 2013, il disposait d'un délai de cinq ans à compter de cette dernière date pour introduire son action en résiliation judiciaire de son contrat de travail conformément aux dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail, aux termes duquel: 'L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination'.
La société Towercast soutient que la demande de résiliation judiciaire de M. [E] est prescrite en application des dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail qui énonce que :
« Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par
deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits
lui permettant d'exercer son droit ».
Sur le bien fondé de la demande de résiliation judiciaire, la société Towercast conclut qu'elle est sans objet dés lors qu'elle a été suivie d'un départ à la retraite à l'initiative du salarié qui a eu pour effet de rompre le contrat de travail.
L'employeur conclut par ailleurs que cette demande ne repose sur aucun fondement dés lors que les prétendus reproches datent principalement de 2006 et qu'ils sont par conséquent trop anciens pour être la véritable motivation de la rupture.
***
La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.
En l'espèce, l'action aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail repose sur des faits de harcèlement et de discrimination, de sorte que le délai de prescription applicable est celui de l'article L. 1134-5 du code du travail selon lequel :
' L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.'
En outre, le point de départ de ce délai étant la date à laquelle les faits discriminatoires invoqués par le salarié ont cessé de produire leurs effets, le salarié qui soutient que ces faits ont perduré jusqu'à son dernier jour de travail, est par conséquent fondé à retenir la date du 28 avril 2013 comme point de départ de ce délai, cette date correspondant à son dernier jour de travail avant son arrêt de travail lequel a été suivi par sa mise à la retraite, sans reprise du travail, au 31 janvier 2022.
M. [E] disposait par conséquent d'un délai de 5 ans à compter du 28 avril 2013 pour engager son action en résiliation judiciaire. Ayant saisi le conseil de prud'hommes par requête du 18 août 2016, son action aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail n'est pas prescrite.
Le jugement déféré qui a déclaré l'action en résiliation judiciaire prescrite en application des dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail sera par conséquent infirmé.
En ce qui concerne le bien-fondé de la demande, il est constant en l'espèce que le contrat de travail a pris fin par la décision de M. [E] de faire valoir ses droits à la retraite, notifiée à son employeur par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 2021 mentionnant le respect d'un préavis de trois mois.
Dans ces conditions, le principe selon lequel les demandes relatives à la rupture du contrat de travail doivent faire l'objet d'un examen chronologique, et la demande de résiliation judiciaire doit être examinée avant toute autre cause de rupture, n'a pas lieu d'être, le départ à la retraite de M. [E] relevant de l'initiative du salarié et non de l'employeur, de sorte que la demande de résiliation judiciaire est devenue sans objet du fait de la mise en oeuvre, par le salarié, d'un autre mode de rupture du contrat de travail.
M. [E] sera par conséquent débouté de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Towercast à la date du 31 décembre 2021.
M. [E] formulant par ailleurs des demandes d'indemnisation au titre du harcèlement moral et de la discrimination syndicale, il convient d'examiner ces demandes.
- Sur le harcèlement moral :
En vertu de l'article L1152-1ancien du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.
L'article L1154-1, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 10 août 2016, dispose que :
'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.
En vertu de ce dernier texte, il pèse sur le salarié l'obligation de rapporter la preuve d'éléments précis et concordants et ce n'est qu'à cette condition que le prétendu auteur du harcèlement doit s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés.
M. [E] soutient que la relation de travail a commencé à se dégrader à compter de l'arrivée de M. [B] en 2006. Le salarié invoque :
- cinq avertissements entre le 20 juin 2006 et le 26 décembre 2012
- une séquence harcelante en 2010 sous la forme d'appels téléphoniques incessants et de mails désagréables et d'une demande d'intervention pendant ses congés, le 25 octobre,
- l'alerte donnée par le nouveau délégué FO le 28 octobre 2010 sur les pressions morales qui lui sont imposées,
- la validation tardive de congés payés pour les périodes du 22 février 2010 au 24 février 2010, du 28 février 2011 au 4 mars 2011, du 26 avril 2011 au 2 mai 2011,
- une séquence harcelante autour de l'arrêt de travail de septembre 2011 caractérisée par une demande d'intervention de nuit à [Localité 8] et [Localité 6] en contrariété avec les préconisations du médecin,
- l'attestation de Mme [T], assistante de M. [B] selon laquelle ce dernier lui aurait demandé de surveiller M. [E] ,
- les conséquences du harcèlement moral sur sa santé, soit :
* 1er septembre 2011: Arrêt tachycardique en lien avec un stress professionnel
* 25 avril 2013 : le médecin du travail envisage une inaptitude
* 29 avril 2013 : arrêt de travail
* 12 mars 2015 : reconnaissance du statut de travailleur handicapé.
La société Towercast conteste toute situation de harcèlement moral aux motifs que :
- le salarié n'apporte aucun élément tel que des attestations de salariés au soutien de sa demande ;
- les entretiens annuels montrent que les compétences professionnelles de M. [E] ont toujours été reconnues ;
- les sanctions prononcées à l'encontre du salarié étaient parfaitement justifiées par des éléments objectifs ;
- une validation tardive des congés payés ne constitue pas une situation de harcèlement moral, étant précisé que les congés demandés par l'intéressé ne lui ont jamais été refusés ;
- en tout état de cause, M. [E] a continué à exécuter son contrat de travail malgré les griefs qu'il invoque qui sont par conséquent trop anciens ;
- les arrêts maladie du salarié n'ont aucun lien avec son activité professionnelle.
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Il résulte des éléments du débat que M. [E] a fait l'objet des avertissements suivants :
- le 20 juin 2006 : notification d'un avertissement relatif à son 'individualisme récurrent', à 'un état d'esprit volontairement négatif envers le management de Towercast', à son refus de traiter certaines missions ou de participer à des réunions ;
- le 22 décembre 2006 : notification d'un avertissement présenté par l'employeur comme le prolongement du premier, compte tenu de son attitude hostile le conduisant à refuser de travailler avec [I] [B] ;
- le 26 octobre 2012 : notification d'un avertissement pour ne pas avoir respecté les directives de sa hiérarchie relatives à la transmission des feuilles d'activité des semaines 1 à 4 de 2012 ; pour ne pas avoir donné suite à une demande de M. [B] destinée à faire le point sur divers sujets; pour ne pas avoir assisté à une journée de formation le 11 juillet 2012 ; pour ne pas avoir adressé à M. [B], conformément à sa demande du 8 octobre 2012, le planning prévisionnel de ses actions.
M. [E] invoque par ailleurs une lettre de son employeur du 29 mars 2007 qui lui impute 'des problèmes significatifs ' lors de la première nuit bleue qui s'est déroulée en Corse les 3 et 4 mars 2007, dysfonctionnements que l'employeur a mis en lien avec l'état d'esprit de M. [E] et son refus délibéré de présence sur place en dépit de plusieurs mises en garde.
Pour illustrer ce qu'il qualifie de 'séquence harcelante de 2010", M. [E] verse aux débats trois courriels :
- un courriel de M. [B] du 25 octobre 2010 lui demandant de prendre ses dispositions de toute urgence pour diagnostiquer une panne sur un système d'antenne FM à [Localité 7],
- deux courriels de M. [B] du 26 octobre 2010 renouvelant sa demande d'intervention et déplorant l'absence de réponse de M. [E] ;
- un échange de courriels entre M. [E] et M. [F], responsable régional ouest, du 27 octobre 2010 dont il ressort d'une part que M. [E] n'était pas disponible le 27 octobre 2010 pour l'intervention à [Localité 7], d'autre part, que cette intervention a été annulée pour des raisons tenant à la météo.
En ce qui concerne la seconde séquence harcelante, M. [E] expose qu'il a notifié le 1er septembre 2011 un arrêt de travail jusqu'au 9 septembre 2011 et produit :
- le courriel qu'il a reçu le samedi 10 septembre 2011 de M. [B] lui demandant s'il était 'en mesure de se rendre sur [Localité 8] ou [Localité 6] afin de pouvoir réaliser cette recette contradictoire avec TDF dans la nuit de lundi 12 à mardi 13";
- le courriel du 15 septembre 2011 lui demandant s'il pouvait prévoir le réglage de deux cavités pour active radio et radio nova.
M. [E] produit par ailleurs le courrier adressé le 28 octobre 2010 au groupe NRJ par le délégué syndical FO, libellé comme suit :
'Depuis plusieurs mois Mr [Z] [E] représentant syndical FO au CE de l'UES Boileau subit des pressions morales de sa hiérarchie.
En effet, sa hiérarchie ne cesse de lui faire des réprimandes et humiliations à chaque échange de courriel et à la limite de la correction sur les messages téléphoniques.
Dernièrement, celle-ci allant jusqu'à lui imposer de travailler la nuit de son départ en congé.
D'autre part, depuis prés de 10 ans et à la suite de ces mandats ( CHSCT, RS) on ne lui a octroyé aucune augmentation salariale sans aucune justification et dans le seul but de lui nuire.
Nous vous demandons de faire cesser ces agissements envers notre représentant syndical (..)'.
M. [E] s'appuie également sur l'attestation de Mme [Y] [T], ex assistante de M. [B] qui affirme que ce dernier lui avait demandé de relever toutes anomalies possibles dans le travail de M. [E] et qui indique: ' M. [B] avait clairement pour moi le souhait de rechercher des fautes à M. [E] afin de pouvoir le licencier.'
En ce qui concerne la validation tardive des congés payés, il apparaît que la demande relative à la période du 28 février au 4 mars 2011 a fait l'objet d'un accord notifié par écrit le 3 mars 2011 et que la demande relative à la période du 22 au 24 février 2010 avait fait l'objet d'une notification d'accord le 22 février 2010.
Mais ces notifications informatiques sont insuffisantes à caractériser une validation tardive dés lors que M. [E] ne soutient, ni ne démontre qu'il aurait été empêché de prendre ses congés au cours des dites périodes, conformément à ses demandes, de sorte que la validation tacite ou verbale de ses demandes de congés doit être considérée comme acquise.
En ce qui concerne l'état de santé de M. [E], il résulte des débats que le salarié a fait l'objet :
- d'un arrêt de travail du 1er au 9 septembre 2011, prolongé jusqu'au 19 septembre 2011, pour des accès tachycardiques et une hypertension artérielle traitée ;
- de deux avis d'aptitude émis par le médecin du travail les 10 et 27 octobre 2011, sous réserve de ne pas exercer de travail en hauteur et la nuit ;
- d'un arrêt de travail à compter du 29 avril 2013 qui fait état de la plainte du salarié relative à une situation de harcèlement par sa hiérarchie ;
- d'une décision de refus de prise en charge de sa maladie, en l'espèce une dépression, au titre de la législation relative aux risques professionnels, décision qui lui a été notifiée le 3 juin 2014 ;
- de l'attribution d'une pension d'invalidité de catégorie 2 à compter du 1er avril 2015.
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Aux termes des débats, il apparaît que M. [E] a fait l'objet au cours d'une période de six années et demi d'une série d'avertissements relatifs au comportement et au travail dans des termes très précis évoquant des refus de tâches, de missions ou de réunions ainsi que de façon plus générale, une attitude hostile au management.
Si les parties s'accordent sur la reconnaissance des qualités professionnelles de M. [E] telle que cette reconnaissance résulte des évaluations de février 2006 et février 2007 versées aux débats, il est par ailleurs constant que ces évaluations contradictoires comportent des observations relatives aux griefs pour lesquels le salarié a reçu des avertissements.
Ainsi, les bilans établis en février 2006 et 2007 mentionnent :
- 'le refus de poursuivre le travail d'intégration par désaccord sur la méthode et les contraintes liées au projet';
-'La sélectivité sur certains sujets confiés, l'échange avec l'ensemble des équipes est à développer';
- 'Le reporting vers le management d'activité ainsi que l'implication dans l'ensemble des missions doivent être améliorés eu-delà de certaines relations individuelles ou d'événements antérieurs.'
Il en résulte que l'employeur a adressé à son salarié des avertissements dont les motifs ont fait l'objet d'observations non contestées par le salarié à l'issue des évaluations contradictoires.
En ce qui concerne les séquences harcelantes dont fait état le salarié, elles ne reposent que sur trois demandes d'intervention et les demandes de septembre 2011 sont antérieures à l'avis médical d'aptitude qui comporte les réserves sur le travail en hauteur et de nuit, de sorte que le salarié n'est pas fondé à invoquer des demandes d'intervention contraires à un avis médical qui est postérieur. Par ailleurs M. [E] qui ne précise pas la date à laquelle il a notifié à son employeur la prolongation de son arrêt de travail à compter du 9 septembre 2011, ne démontre pas que l'employeur lui aurait adressé, en toute connaissance de cause, des demandes d'intervention pendant un arrêt maladie.
Les éléments relatifs à l'état de santé révèlent que M. [E] présente à la fois une pathologie cardiaque et une dépression, dont le lien avec le travail ne résulte pas des éléments du débat, étant précisé que le salarié a fait l'objet en octobre 2011, d'un avis d'aptitude, même assorti de réserve, et ce alors même qu'il invoque un harcèlement remontant à l'année 2006.
En définitive, les éléments évoqués par M. [E] pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral et le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d'indemnisation au titre du harcèlement moral.
- Sur la discrimination syndicale :
M. [E] soutient qu'il a subi un harcèlement moral parce qu'il exerçait la fonction de représentant syndical Force Ouvrière et plus particulièrement parce qu'il s'est intéressé à la sécurité des salariés de la société à la suite d'un accident de levage du bras automatique d'un camion de la société.
Il soutient qu'il a été perçu comme trop revendicateur par sa hiérarchie alors qu'il n'était que le porte-voix de ses collègues et que son syndicat a été obligé d'intervenir afin de faire cesser la situation de discrimination et de harcèlement dont il était l'objet.
M. [E] indique que la société Towercast l'a privé de primes et d'augmentations salariales depuis 2002 et ce malgré son investissement considérable.
La société Towercast oppose à la demande de M. [E] fondée sur la discrimination syndicale, la prescription quinquennale issue de l'article L. 1134-5 du code de travail en soutenant que les faits dont se prévaut le salarié datent de 2007 et 2010 alors que l'instance a été introduite par requête en août 2016.
La société Towercast conclut au rejet de cette demande au motif que le seul élément produit par le salarié est un courrier rédigé par le syndicat en octobre 2010.
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Selon les dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au présent litige, la discrimination en raison des activités syndicales du salarié est interdite.
M. [E] invoque l'absence d'augmentation depuis 2002, et donc des faits qui ont perduré jusqu'à la rupture du contrat de travail, de sorte que le point de départ du délai de prescription de l'article L. 1134-5 du code du travail est la date à laquelle les faits discriminatoires invoqués par le salarié ont cessé de produire leurs effets, soit en l'espèce, la fin du contrat de travail. Il en résulte que la fin de non recevoir tirée de la prescription des faits de discrimination sera rejetée.
Mais M. [E] qui invoque une discrimination en matière de rémunération en raison de ses activités syndicales sans développer aucun moyen à ce titre et sans apporter aucun élément à l'exception d'une lettre du délégué de son syndicat, n'est pas fondé en sa demande.
Il convient en conséquence de débouter M. [E] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale.
- Sur la demande de rappel d'indemnité de départ à la retraite :
M. [E] expose que :
- l'indemnité de départ à la retraite a été évaluée par l'employeur à la somme de 20 391,32 euros brut conformément aux dispositions de l'article 4-4-2 de la convention collective applicable ;
- cet article dispose cependant que l'indemnité de départ en retraite peut être remplacée par " l'indemnité légale de licenciement'. Si cette solution est plus avantageuse pour le salarié. "
M. [E] soutient que tel est le cas en l'espèce, l'indemnité conventionnelle de départ à la retraite représentant 20 % du salaire annuel brut pour 19 ans d'ancienneté, tandis que par application des dispositions de l'article R1234-2 du code du travail, l'indemnité légale de licenciement est de 22 610,14 euros ( ¿ de mois de salaire brut jusqu'à 10 ans d'ancienneté, 4 110,94, soit en l'espèce 10 277,35 euros + 1/3 de mois de salaire brut par année d'ancienneté, soit du 1/3/2003 au 1/3/2022 = 12 332,79 euros).
La société Towercast conclut au rejet de cette demande formulée pour la première fois en cause d'appel, au visa des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile selon lequel :
« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la
survenance ou de la révélation d'un fait. » , ainsi que des dispositions de l'article 565 du code de procédure civile qui énonce que :
'Les prétentions ne sont pas nouvelles dés lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.
Sur le fond, la société Towercast soutient que M. [E] ne peut se fonder sur la seconde partie de l'article 4.4.2 de la convention collective des télécommunications qui concerne la mise à la retraite du salarié à l'initiative de l'employeur, alors qu'il relève de la 1ère partie de l'article relative au départ en retraite à l'initiative du salarié.
M. [E] soutient qu'il s'agit d'une demande nouvelle fondée sur l'évolution de la situation des parties, en relation avec leur litige, en cours de procédure, au motif des principes de l'unicité de la procédure prud'homale et du pouvoir d'évocation de la Cour.
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M. [E] ayant fait valoir ses droits à la retraite à compter du 31 janvier 2022, soit postérieurement à sa saisine du conseil de prud'hommes le 18 août 2016, sa demande de rappel d'indemnité de départ à la retraite constitue une question née de la survenance d'un fait , en l'espèce, la modification de sa situation administrative à compter du 31 janvier 2022, de sorte que cette demande nouvelle est recevable.
L'article 4.4.2 de la convention collective applicable énonce :
'Deux situations peuvent se présenter:
Départ en retraite à l'initiative du salarié.
Tout salarié souhaitant quitter l'entreprise volontairement pour bénéficier du droit à une pension de vieillesse doit en avertir son employeur en respectant le préavis prévu à l'article 4.4.1.1. Il percevra lors de son départ l'indemnité de départ en retraite ci-dessous.
Mise à la retraite du salarié à l'initiative de l'employeur.
L'employeur peut décider de la mise à la retraite des salariés remplissant les conditions d'ouverture du droit à la pension de vieillesse à taux plein dans les conditions légales en vigueur.
Dans tous les cas, l'employeur notifie sa décision en respectant le préavis prévu à l'article 4.4.1.1 de la convention collective.
Au moment de son départ, le salarié percevra l'indemnité de retraite prévue ci-dessous ou, si cette solution est plus avantageuse pour lui, l'indemnité légale de licenciement.
L'indemnité de retraite est fixée comme suit :
- 20% du salaire annuel brut après 10 ans d'ancienneté révolus
- 40% du salaire annuel brut après 20 ans d'ancienneté révolus
- 60% du salaire annuel brut après 30 ans d'ancienneté révolus (...)'
Si l'article 4.4.2 de la convention collective sus-visé prévoit le départ à la retraite à l'initiative du salarié et la mise à la retraite à l'initiative de l'employeur, sa rédaction ne permet de distinguer ces deux situations qu'en ce qui concerne les modalités de notification de la décision, mais l'option entre l'indemnité conventionnelle de retraite et le montant de l'indemnité légale de licenciement, si cette solution est plus avantageuse, s'adresse au salarié au moment de son départ, dans les deux cas.
Il en résulte que M. [E] est fondé à solliciter le montant de l'indemnité légale de licenciement qui est plus avantageuse que l'indemnité conventionnelle de retraite.
La société Towercast sera donc condamnée à payer à M. [E] la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur.
- Sur les demandes accessoires :
Compte tenu de l'issue du litige, chacune des parties conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a jugé les actions pour discrimination syndicale et en résiliation judiciaire du contrat de travail prescrites et sur les dépens,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant
REJETTE les fins de non recevoir tirées de la prescription de l'action en résiliation judiciaire et au titre de la discrimination syndicale
REJETTE les demandes de M. [E] aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et en paiement de dommages et intérêts au titre de la discrimination syndicale
DÉCLARE recevable la demande en paiement d'un rappel d'indemnité de départ à la rentraite
CONDAMNE la société Towercast à payer à M. [E] la somme de 22 610,14 euros en deniers et quittances à titre d'indemnité de départ à la retraite, sous déduction de la somme déjà payée à ce titre par l'employeur
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que chacune des parties conserve la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE