AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/05426 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQQ3
[Y]
C/
Société DYOMEDEA - NEOLAB
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 11 Juillet 2019
RG : 17/04328
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 14 DECEMBRE 2022
APPELANTE :
[R] [Y]
née le 28 Février 1982 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Joséphine GUERCI-MICHEL, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Aline JAMEN, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société UNILIANS BIOGROUP venant aux droits de la société DYOMEDEA - NEOLAB
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Carole CODACCIONI de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Marion DE LA O, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 11 Octobre 2022
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 14 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Selon contrat de travail à durée indéterminée, Mme [R] [Y] a été embauchée par la Société DYOMEDEA-NEOLAB à compter du 4 novembre 2013, en qualité de biologiste médical, statut cadre, au sein du Laboratoire République.
En application de son contrat de travail, Madame [Y] était soumise à une convention de forfait annuel en jours de « 213 jours maximum ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 septembre 2017, la société DYOMEDIA a notifié à Mme [R] [Y] son licenciement pour faute grave.
Le 11 décembre 2017, Mme [R] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON aux fins de voir condamner la société DYOMEDIA-NEOLAB au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dommages-intérêts pour procédure vexatoire, indemnité de licenciement, de préavis, rappel de salaire pendant la mise à pied et congés payés afférents ; indemnité pour travail dissimulé.
Par jugement du 11 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de LYON a :
fixé le salaire moyen mensuel brut de Mme [R] [Y] à 5 527,14 euros ;
dit que le licenciement de Mme [R] [Y] est dépourvu de gravité, mais s'appuie néanmoins sur une cause réelle et sérieuse ;
dit que le forfait annuel en jours de Mme [Y] lui est inopposable ;
condamné la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB à payer à Mme [R] [Y] les sommes suivantes :
4 263,50 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
16 611,02 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
1 661,10 euros au titre des congés payés sur préavis ;
3 924,75 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied du 24 août au 13 septembre 2017 ;
392,47 euros au titre des congés payés sur préavis ;
1 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
débouté Mme [Y] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, de dommages et intérêts pour l'existence de circonstances vexatoires pour son licenciement.
débouté la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB de ses demandes reconventionnelles
condamné la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB aux entiers dépens de la procédure.
Le 25 juillet 2019, Mme [R] [Y] a fait appel.
Aux termes de ses écritures, notifiées le 24 octobre 2019, Mme [R] [Y] demande à la cour de :
Infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement est dépourvu de gravité, mais s'appuie néanmoins sur une cause réelle et sérieuse, et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts, de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés y afférents, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, de dommages et intérêts pour l'existence de circonstances vexatoires pour son licenciement ;
Constater que son licenciement ne s'appuie pas sur une cause réelle et sérieuse ;
Constater qu'elle est bien fondée dans sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;
Confirmer le jugement pour le surplus ;
Condamner la société DYOMEDEA-NEOLAB à lui payer les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois de salaire) : 44 296,00 euros
dommages et intérêts pour procédure vexatoire (2 mois de salaire) : 11 074,00 euros
dénonciation forfait annuel en jours/Rappel d'heures supplémentaires : 15 120,98 euros
congés payés sur rappel d'heures supplémentaires : 1 512,10 euros
Indemnité pour travail dissimulé : 33 222,00 euros
article 700 du code de procédure civile : 2 000,00 euros
Condamner la société DYOMEDEA-NEOLAB aux entiers dépens.
***
Aux termes de ses écritures notifiées le 12 septembre 2022, la société DYOMEDEA-NEOLAB, devenue UNILIANS BIOGROUP demande à la cour de :
Sur la rupture du contrat de travail de Madame [R] [Y]
constater que le licenciement pour faute grave de Madame [R] [Y] est parfaitement fondé ;
A titre principal,
infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit le licenciement de Madame [Y] dépourvu de gravité ;
confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit bien fondé le licenciement de Madame [Y] ;
infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il l'a condamnée à verser à Madame [Y] les sommes suivantes :
4 263,50 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
16 611,02 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
1 661,10 euros au titre des congés payés sur préavis ;
3 924,75 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied du 24 août au 13 septembre 2017 ;
392,47 euros au titre des congés payés sur préavis ;
débouter Madame [R] [Y] de l'ensemble des demandes formulées à ce titre ;
débouter Madame [R] [Y] de sa demande de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et de congés payés afférents ;
A titre subsidiaire,
limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum légal faute pour Madame [R] [Y] de prouver le moindre préjudice ;
Sur les demandes de rappel d'heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour travail dissimulé :
constater, à titre principal, la validité de la convention de forfait annuel en jours de Madame [R] [Y] ;
constater, à titre subsidiaire, l'absence d'heures supplémentaires à devoir à Madame [R] [K] ;
constater, à titre très subsidiaire, l'absence de travail dissimulé concernant Madame [R] [Y] ;
En conséquence,
infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme [R] [Y] sa convention de forfait annuel en jour ;
confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] [Y] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires et d'indemnité pour travail dissimulé ;
débouter Mme [R] [Y] de sa demande de dénonciation du forfait annuel en jours et de sa demande de rappel d'heures supplémentaires ;
débouter Mme [R] [Y] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire
confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [R] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire ;
débouter Madame [R] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure vexatoire ;
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [Y] à la somme de 1 700 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
condamner Mme [R] [Y] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner la même aux entiers dépens ;
A tout le moins, la débouter de sa demande à ce titre ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.
Par ordonnance du 22 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a :
rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
s'est déclaré incompétent pour statuer sur la recevabilité des conclusions de l'appelante notifiées tardivement et a rappelé que seule la cour était compétente pour statuer.
SUR CE,
Sur la recevabilité des conclusions de l'appelante du 5 septembre 2022 :
La SELAS DYOMEDIA devenue UNILIANS BIOGROUP demande à la cour, sur le fondement de l'article 910 du code de procédure civile et compte tenu du principe du contradictoire, de dire irrecevables les conclusions notifiées par Mme [Y] le 5 septembre 2022, faisant valoir que, suite à ses propres conclusions, notifiées le 7 janvier 2020, elle n'a pas notifié de conclusions responsives mais a attendu 2 ans et 9 mois plus tard et à deux jours de l'ordonnance de clôture afin de clarifier ses demandes : qu'elle a modifié le contenu du dispositif de ses conclusions et ajouté quelques mots et phrases sur le fond.
Mme [Y] réplique que le fond de ses demandes n'a absolument pas évolué et que ses conclusions du 5 septembre 2022 on pour seul objet de tenir compte du changement de dénomination de la société UNILIANS BIO GROUP.
***
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile 'le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.'
Mme [R] [Y] a fait notifier le 5 septembre 2022 des conclusions qui ne se limitent pas à prendre en compte le changement de dénomination sociale de la société DYOMEDIA-NEOLAB deux jours avant l'ordonnance de clôture, ce qui ne permettait pas à l'intimée d'en prendre connaissance, de déterminer s'il était, ou non, nécessaire d'y répondre, et le cas échéant de répondre.
En raison du non respect du principe du contradictoire, les dernières conclusions de Mme [R] [Y], notifiées le 5 septembre 2022 seront déclarées irrecevables.
Sur le licenciement :
Mme [R] [Y] affirme qu'avant même la notification de son licenciement, la décision définitive de la société DYOMEDEA était prise.
Mme [R] [Y] soutient que la société DYOMEDEA fonde le licenciement sur des faits prescrits, dont elle a eu connaissance le 15 mai 2017 alors que la procédure de licenciement a été engagée le 24 août 2017, soit plus de trois mois après.
Pour contester le bien-fondé de la mesure de licenciement, elle soutient :
avoir envoyé un mail sur la messagerie professionnelle de M. [B], auquel était jointe une seule pièce de 43 pages ;
que son second mail du 29 juillet 2017 était seulement destiné à rappeler aux équipes du laboratoire les règles en matière de transmission de données médicales, lesdites règles étant conformes à la position de la CNIL, de la Fédération hospitalière de France et aux procédures internes à la société DYOMEDEA ;
qu'un simple rappel à l'ordre adressé par la supérieure hiérarchique ne peut être considéré comme un choc pour les salariés destinataires ;
que les attestations des salariées se plaignant de son relationnel ont été établies pour les besoins de la cause ;
qu'elle démontre avoir eu de bonnes relatons avec ses collègues de travail ;
qu'elle s'isolait dans son bureau lorsqu'elle devait passer des appels téléphoniques confidentiels ;
que les salariées qui mettent en avant ses prétendues erreurs étaient ses subordonnées de sorte qu'elles n'avaient pas ses compétences ;
qu'elle ne s'est jamais absentée sans prévenir et que ce grief n'a pas été abordé lors de l'entretien préalable ;
que le laboratoire procédant à des prélèvements sans rendez vous, cette organisation provoquait une attente des clients dont elle n'était pas responsable ;
que la préparation des dossiers de validation de méthode ne reposait pas que sur elle et que le processus était long et complexe ;
que tant la direction, pendant la relation contractuelle, que le corps médical et les patients appréciaient ses qualités professionnelles et humaines.
Elle estime que son licenciement est intervenu dans des circonstances vexatoires et affirme qu'avant son départ en congés en juillet 2017, elle subissait déjà des pressions de son employeur ainsi que l'ont constaté le médecin du travail et le Dr [L], psychiatre.
La SELAS DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS BIOGROUP réplique :
que Mme [R] [Y], après avoir refusé d'apposer la mention 'remis en main propre contre décharge' sur le courrier du 23 août 2017 de convocation à un entretien préalable pour le 30 août 2017 et de mise à pied conservatoire, s'est présentée à son poste de travail, le 24 août 2017, et a demandé que lui soit remis le courrier de convocation ;
que l'entretien, au cours duquel ont notamment été évoquées les absences de Mme [R] [Y], a dû être repoussé au 1er septembre 2017 ;
qu'elle n'a pas prétendu, dans la lettre de licenciement, ni postérieurement, avoir eu connaissance des faits fautifs le 15 mai 2017 mais, à la suite de cette réunion, a reçu Mme [R] [Y], qui a ensuite adopté un comportement inacceptable.
Sur le bien-fondé de la mesure de licenciement, la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS BIOGROUP fait valoir :
que, par le mail du 29 juillet 2017, adressé à la direction et au personnel du laboratoire, Mme [R] [Y] s'est placée ouvertement en opposition avec une décision de la direction, jetant le discrédit sur les décisions de M. [B] et Mme [T] ;
que Mme [R] [Y] a livré des informations erronées quant aux règles applicables et aux consignes de la direction relatives aux transmissions de données entre professionnel de santé ;
que, par un autre mail du 29 juillet 2017, adressé à MM. [B] et [E], Mme [R] [Y] , qui avait été reçue à deux reprises par M. [B], a montré qu'elle refusait d'entendre le sens des remarques qui lui avaient été faites ;
que le comportement de Mme [R] [Y] a créé confusion et inquiétude parmi les salariés ;
que certains d'entre eux ont alors signalé avoir du mal à travailler avec Mme [R] [Y], une ambiance délétère, une absence de soutien de sa part et une indisponibilité ;
que Mme [R] [Y] n'est pas préoccupée par la protection des données médicales puisque le 25 août 2017, dans la nuit, elle s'est connectée au serveur de la société pour transférer sur ses messageries personnelles un très grand nombre de dossiers médicaux confidentiels.
***
La lettre de licenciement fixe les limites du litige.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.
Pour établir que la décision de licenciement aurait été prise définitivement avant sa notification, Mme [R] [Y] verse aux débats des SMS qu'elle a reçus, le 24 août 2017 ou le 28 août 2017 : les expéditeurs déplorent son 'départ forcé' ou 'ce qui lui arrive' : à cette date, elle était mise à pied à titre conservatoire et il ne peut être déduit de ces messages que l'employeur avait d'ores et déjà pris la décision du licenciement.
Il n'est pas question, dans la lettre de licenciement, de la réunion du mois de mai 2017 au titre des griefs qui sont faits à la salariée. Les faits reprochés ne sont pas prescrits.
La société DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS BIOGROUP reproche à Mme [R] [Y] :
'Des difficultés d'organisation ayant été constatées par M. [B], ce dernier vous a reçue le 25 Juillet pour vous en faire part, souhaitant ainsi revenir sur votre rôle d'appui et de soutien au sein du laboratoire.
A votre demande, un entretien complémentaire sur les sujets évoqués le 25 Juillet vous a été accordé le 28 Juillet.
A son retour de congés, il réceptionne les deux mails du 29/07 :
Le 1er, adressé sur sa messagerie personnelle, dans lequel vous vous appliquez à justifier votre travail (avec pas moins de 43 pièces jointes) montrant ainsi que vous n'avez pas compris ce que l'on attend de vous ;
Le 2ème, adressé à tous les collaborateurs du Site de République via Kalibab, dans lequel vous vous permettez de le remettre en cause au travers d'une pseudo réclamation reposant sur des éléments faux.
La gravité de ce second mail nous a convaincu de vous recevoir en urgence, dès votre retour de congés payés, pour entendre vos explications.
Entre-temps, comme c'était finalement prévisible, les collaborateurs également destinataires de ce mail ont réagi, choqués d'une telle remise en cause de la Direction. '
Mme [R] [Y] a adressé un mail à M. [B] et [E], auquel sont jointes 43 pages de 'feuilles de traçabilité des préleveurs de laboratoire'. L'entretien informel du 25 juillet et l'entretien complémentaire du 28 juillet 2017 n'ayant donné lieu à aucun compte rendu, de sorte que la teneur exacte n'est pas connue. Par ce mail, elle justifie de ses activités de prélèvement alors que l'entretien portait sur son rôle d'appui et de soutien au sein du laboratoire.
Il n'est pas établi que la salariée n'a pas compris ce que l'on attend d'elle
Mme [R] [Y] a adressé un autre mail à tous les salariés du laboratoire et à M.[B], co-responsable du laboratoire. Ce mail est intitulé 'rappel législations données médicales patients'. Dans ce mail, Mme [R] [Y] indique qu'aucun résultat ne peut être communiqué par mail, ni aux patients ni aux prescripteurs.
À ce mail est joint une 'fiche NC' (non conformité) qu'aucune des parties ne verse aux débats.
A la suite de ce mail, des salariés du laboratoire ont réagi et ont interrogé Mme [T], co-responsable du laboratoire sur l'envoi des résultats par mail aux médecins : ainsi par courrier du 10 août 2017, Mme [S], qui indique '...l'envoi des résultats par mail aux médecins se fait uniquement avec l'accord du biologiste, mais ce rappel à la loi fait Mme [Y] contredit vos directives et par conséquent nous ne savons plus comment procéder...' ; par courrier du 21 août 2017, Mme [I] écrit 'Je m'étonne de recevoir ce mail de [R], en quoi consiste réellement ce rappel à la loi ' La fiche de N.C. rédigée correspond à un envoi par mail fait avec l'accord du biologiste (Mme [T] et M. [B]), donc pourquoi une NC '...'
Ainsi, il est établi que ce mail a remis en cause une pratique observée au sein du laboratoire, avec l'accord de biologistes.
Ce grief est établi.
'Nous avons ainsi été destinataires d'informations qui témoignent d'une situation beaucoup plus grave au sein du laboratoire, résultat de vos agissements fautifs :
- Il apparaît que vous avez un relationnel inacceptable avec l'ensemble de l'équipe :
Vous surveillez les horaires des techniciens (ce qui n'est absolument pas votre rôle).
Vous critiquez les choix d'organisation pris par la responsable.
Vous transmettez des non conformités avec les noms des personnes concernées à tout le monde et avec des erreurs ce qui crée un profond malaise.
En agissant ainsi, vous ne respectez d'ailleurs pas les procédures internes.
Les salariés se sentent ainsi épiés ce qui crée une ambiance très difficile lorsque vous êtes au laboratoire.'
Mme [A] [I], dans son courrier du 21 août 2017 poursuit '...Je profite de ce mail pour vous signaler que j'ai quelques problèmes avec la gestion des NC faite par [R]. Elle envoie la NC à toute l'équipe ( ce qui n'est pas dans nos pratiques) et la rédaction de certaines NC ne correspond pas à la réalité des faits. En tout cas, discordance entre ce qui est écrit et ce que me dit l'équipe quand elles reçoivent la NC. Ce comportement entraîne un stress important car les salariés servent uniquement à les dénigrer[..] j'ai des à travailler au quotidien avec [R], elle photocopie en systématiques tous les plannings et n'hésite pas à faire des remarques fréquentes sur ma gestion des horaires mais bien entendu quand je ne suis pas là !! Quand j'essaie 'en discuter avec elle : elle me répond qu'elle n'a jmais rien dit...'
Mme [J] , dans son courrier du 10 août 2017 indique '...je ne me sens pas en confiance ni sereine lorsque je dois demander à [R] de prendre une décision. Elle épie les moindres faits et gestes du personnel (photocopie des plannings, annotation, surveillance des horaires...'
Mme [H], technicienne préleveuse, témoigne 'l'ambiance au laboratoire se fait pesante avec Mme [R] [Y]. Elle surveille nos plannings de travail et fait des réflexions quand les horaires ne sont pas scrupuleusement respectés ( sans considérer que les personnes étaient venus plus tôt et étaient donc en heure supplémentaire...je relève aussi que certaines non conformités me sont adressées alors que je ne suis en aucun cas concerne...ces fiches sont nominatives envers les personnes qui se sentent ainsi pointées du doigt. C'est contraire à la procédure et surtout cela crée un stress important.'
Le grief est établi.
'- Vous n'assumez pas votre rôle de soutien auprès de l'équipe :
Vous ne vous rendez pas disponible à des moments où typiquement les biologistes doivent l'être s'il y a du monde, vous avez toujours « autre chose à faire », vous vous isolez dans le bureau, passez un appel téléphonique' Vous choisissez les dossiers de prélèvements simples, vous avez aussi une attitude dangereuse : non-respect des prescriptions médicales, ou non-assistance à un client qui s'est fracturé la main mais pour lequel vous avez refusé d'appeler les secours''
Ces griefs reposent sur le courrier de Mme [J] du 10 août 2017.
L'épisode concernant le patient ayant fait un malaise vagal est imprécis quant à la nécessité d'appeler les pompiers.
Ce grief n'est pas établi.
S'agissant de la disponibilité de Mme [R] [Y] pour aider aux prélèvements, Mme [J] déplore que 'le laboratoire fonctionnant avec un effectif réduit le soir, j'ai, à ce titre, plusieurs fois sollicité [R] pour avoir de l'aide au prélèvement, aide que je n'ai soit que très rarement reçue ( aide sélective lors de la prise en charge des prise de sang...bilans compliqués toujours mis de côté) soit reçue, une fois la cohue passée (toujours des choses plus urgentes à faire : répondre au téléphone, mail à rédiger...).
Mme [I] signale qu'elle ' fait office de tampon au laboratoire, le personnel s'adresse à moi quand [R] choisit ses dossiers ou ne vient pas prélever, quand [R] demande pourquoi elles partent en technique plus tôt, quand [R] nomme des personnes dans les non'conformités etc..en conséquence, j'envisage d'en référer aux délégués du personnel pour trouver une solution'.
Le grief est établi.
' - Outre le mal être de l'ensemble du personnel, il s'ensuit une désorganisation du laboratoire qui pourrait avoir de graves conséquences car nous avons l'obligation d'avoir un biologiste disponible pendant toute la durée d'ouverture du laboratoire.
Or, il apparaît que vous vous absentez sans prévenir : vous bénéficiez d'un forfait jours donc il vous appartient d'organiser vous-même votre planning ; en contrepartie vous devez vous assurer de la disponibilité des autres biologistes et surtout vous assurer que les techniciens savent à quel biologiste s'adresser en votre absence. Ce n'est manifestement pas le cas ce qui est inadmissible. Lorsque vous êtes au laboratoire, vous ne vous rendez pas disponible sur les périodes d'affluence et vous vous permettez de faire attendre les clients suscitant ainsi un mécontentement général.'
Mme [W], secrétaire a attesté que, 'pendant les congés de M. [B] cet été... [R] s'absente dès 12h30 pendant 2 heures minimum alors qu'elle est la seule biologiste sur le site.'. Mme [W] ajoute que Mme [R] [Y] ne la prévient pas, qu'elle a dû la chercher à plusieurs reprises en vain, et face aux demandes des patients, appeler un biologiste sur un autre site ou dire que les résultats ne sont pas prêts . Elle déplore une mauvaise ambiance et du stress au laboratoire en la présence de Mme [R] [Y] ainsi qu'une démotivation lorsqu'elle est la seule biologiste.
Mme [J] regrette un travail quotidien de plus en plus difficile et souffrir de cette situation
Le grief est établi
'- Dans vos activités spécifiques de PMA qui ont justifié votre recrutement, il était de votre responsabilité, comme tous les biologistes responsables techniques, de préparer les dossiers de validation de méthode. A ce jour, en dépit du temps qui vous a été spécifiquement alloué, vous n'avez pas été en mesure de produire les documents attendus, ce qui nous met en défaut à l'égard de nos obligations d'accréditation COFRAC et du respect de nos objectifs de management du système d'assurance qualité.'
L'employeur verse aux débats 4 mails échangés entre le 22 et le 23 août 2017, soit juste avant la mise à pied conservatoire de Mme [R] [Y]. Celle-ci répond à Mme [O] que 'les dossiers ..sont en cours de réalisation' puis qu'il 'manque des calculs...' puis adresse deux dossiers de 'VDM' et précise que des éléments devront être modifiés et qu'elle verra ça avec M. [F] à son retour de congés.
Ensuite, la salariée n'a pas pu compléter puisqu'elle était mise à pied et l'employeur ne démontre pas avoir été mis en défaut à l'égard de ses obligations d'accréditation.
Le grief n'est pas établi.
'- Votre courriel du 29/07 mettant en cause la Direction et transmis sur une messagerie commune : Ce courriel est singulièrement révélateur de votre intention de dénigrer la direction auprès du personnel, de surcroit avec des informations inexactes, comportement particulièrement grave de la part d'un directeur adjoint.'
Ni les termes ni le ton du courriel ne traduisent une intention de dénigrer la direction auprès du personnel.
Le grief n'est pas établi.
'Nous relevons enfin qu'à la suite de votre mise à pied, vous vous êtes permis de vous connecter sur le serveur de la société pour récupérer des fichiers et les transférer sur votre messagerie personnelle. Or, ce sont des données confidentielles qu'il est interdit de sortir de l'entreprise.'
Aucun élément n'étaye ce grief.
Ainsi, seulement une partie des griefs est établie et justifie le licenciement.
Les fautes commises par la salariée ne revêtent pas une gravité telle qu'elle rende impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise, même pendant la période limitée du préavis.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et condamné la société DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS-BIOGROUP à payer à Mme [R] [Y] une indemnité de licenciement, une indemnité de préavis, de congés payés sur préavis, de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire et congés payés afférents.
Mme [R] [Y] ne démontrant pas le caractère vexatoire du licenciement, le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes à ce titre.
Sur la validité du forfait annuel en jour et les demandes subséquentes :
La salariée fait valoir
que l'avenant cadres du 1er juillet 1993 de la convention collective des laboratoires de biologie médicale extra hospitaliers n'est pas suffisamment précis quant au nombre de jours travaillés et aux mesures propres à garantir le caractère raisonnable de la charge de travail ;
que cet avenant impose au cadre de veiller lui-même au respect de la législation sur la durée des repos quotidiens et hebdomadaires ;
que cet avenant ne respecte pas les conditions requises en matière de forfait en jours ;
que la convention individuelle figurant à son contrat de travail est nulle car elle fixe un nombre de jours maximum ;
que le contrat de travail prévoit des jours de réduction du temps de travail, ce qui est antinomique avec une convention de forfait ;
que l'employeur ne s'assurait pas de la compatibilité de sa charge de travail avec sa vie personnelle ;
que la convention est inopposable et que les 398,75 heures supplémentaires qu'elle a effectuées doivent lui être payées.
L'employeur réplique :
que Mme [R] [Y] avait le statut de cadre et un large degré d'autonomie dans l'organisation de son temps de travail ;
qu'elle n'a jamais contesté le forfait, a toujours pris les 10 jours de repos forfaitaires spécifiques et 45 jours de repos les lundis ;
que la production de l'agenda de la salariée, sur lequel est indiqué les amplitudes de travail ne suffit pas à démontrer la réalisation d'heures supplémentaires ;
que Mme [R] [Y] ne déduit pas ses pauses déjeuners et produit des décomptes truffés d'incohérences ;
que la salariée retient un décompte annuel et opère une division arbitraire pour appliquer les majorations.
***
Aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année doit être prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et qui fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Selon l'avenant cadre du 1er juillet 1993 à la convention collective des laboratoires de biologie, il existe des possibilités de contracter des forfaits annuels en jours, le nombre maximum de jours travaillés est fixé à 212 jours.
Il est prévu :
que les plannings des jours et demi-journées travaillés sont établis pour chaque trimestre et sont communiqués par chaque cadre à l'employeur un mois avant le début du trimestre ;
que les cadres sont informés, au début de chaque période de référence du nombre de jours travaillés qu'ils doivent effectuer ;
qu'un décompte récapitulatif des jours de congés payés et des jours travaillés leur est fourni en fin de période de référence ;
que le laboratoire doit mettre en place un système de suivi du nombre de jours travaillés, par exemple sous forme déclarative permettant de contrôler le repos quotidien et hebdomadaire. L'employeur doit tenir à la disposition de l'inspection du travail pendant une durée de 3 ans les documents permettant de comptabiliser le nombre de jours de travail effectués par les cadres autonomes ;
que le laboratoire qui emploie des cadres occupés selon un forfait en jours doit également mettre en place un suivi de l'organisation et de la charge de travail. Ce suivi doit permettre d'évaluer les tâches des collaborateurs et de remédier, le cas échéant, à une surcharge qui peut notamment être appréciée selon des critères tels que le volume d'actes réalisés, le nombre de postes de travail, l'évolution de l'effectif global du laboratoire ou de l'équipe dont relève le collaborateur, le taux d'absentéisme, etc. L'employeur s'engage à ce que la charge de travail et le temps de travail effectif quotidien soient équilibrés. Une réunion sur ce thème doit se tenir au moins une fois par an entre l'employeur et chaque cadre concerné. Elle donne lieu à un compte rendu écrit, établi par les deux parties et consultable par les représentants du personnel.
L'accord collectif répond aux exigences relatives au droit à la santé et au repos.
La convention de forfait incluse dans le contrat de travail de Mme [R] [Y] ne fixe pas le nombre de jours travaillés puisqu'il est mentionné '213 jours maximum'. Elle est irrégulière, de sorte que la salariée est en droit de réclamer le paiement des heures supplémentaires.
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
La salariée produit ses agendas et un tableau récapitulatif des horaires hebdomadaires. Les agendas mentionnent, pour chaque jour, une amplitude horaire que la salariée a reportée sur le tableau récapitulatif en déduisant une heure chaque jour.
Elle produit un mail expédié le 16 juillet 2016 au service des ressources humaines, pour adresser son relevé d'heures de travail hebdomadaire à compter de son retour de congé maternité car elle a eu un entretien avec sa hiérarchie et 'le personnel du laboratoire République dans lequel j'officie mettrait en doute mon nombre d'heures hebdomadaires effectuées au laboratoire'.
La lecture du récapitulatif des heures effectuées permet de constater que la salariée était en général absente le lundi et n'était présente ce jour-là qu'exceptionnellement.
Elle a en outre pris ses jours de réduction du temps de travail qu'elle fait figurer sur ses agendas et le tableau récapitulatif.
Elle bénéficiait d'une grande autonomie de sorte que l'amplitude horaire ne suffit pas à établir le nombre d'heures travaillées.
Au vu des éléments versés de part et d'autre, il n'est pas établi que Mme [R] [Y] a effectué des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes au titre des heures supplémentaires et de d'ndemnité pour travail dissimulé.
Sur les autres demandes :
La SELAS DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS-BIOGROUP, qui succombe en son appel incident, sera condamnée aux dépens d'appel.
Il est équitable de condamner la société DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS-BIOGROUP à payer à Mme [R] [Y] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
la Cour, statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement :
DÉCLARE irrecevables les conclusions notifiées le 5 septembre 2022 par Mme [R] [Y] ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS-BIOGROUP aux dépens d'appel ;
CONDAMNE la SELAS DYOMEDEA-NEOLAB devenue UNILIANS-BIOGROUP à payer à Mme [R] [Y] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE