AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00996 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M3GM
[K]
C/
Société [O] SARL
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 09 Janvier 2020
RG : F 15/02309
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 18 JANVIER 2023
APPELANT :
[W] [K]
né le 17 Août 1980 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Jean-michel PENIN, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société [O]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Fabien ROUMEAS, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Vincent VINOT de la SELARL SYNAPSE AVOCATS, avocat au barreau de NIMES
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 08 Novembre 2022
Présidée par Anne BRUNNER, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 18 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La société [O] exploite une activité de transport routier de marchandises.
Elle applique à ce titre les dispositions de la Convention Collective Nationale des Transports routiers marchandises.
Elle emploie plus de 50 salariés.
M. [K] a été embauché par la société [O] à compter du 24 mars 2014 par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en qualité de « Responsable Agence Rhône-Alpes », cet emploi étant classifié au statut Cadre, Groupe 5, Coefficient 132.
Par lettre, remise par huissier de justice en son étude le 25 novembre 2014, suite à un avis de passage à domicile du 19 novembre 2014, la société [O] a mis à pied M. [K] à titre conservatoire et l'a convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement, fixé au 28 novembre 2014.
Le salarié ne s'est pas présenté à cet entretien.
Par lettre du 4 décembre 2014, la société [O] a notifié à M. [K] son licenciement pour faute grave.
Par requête déposée le 16 juin 2015, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de LYON d'une contestation de son licenciement et de demandes salariales.
Par jugement du 9 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a débouté M. [K] de l'intégralité de ses demandes, l'a condamné à payer à la SARL [O] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Le 9 février 2020, M. [K] a fait appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières écritures, notifiées le 21 juin 2020, M. [W] [K] demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de ses demandes au titre du licenciement et de :
dire non-valable la clause individuelle de forfait en jours sur l'année insérée au contrat de travail ;
dire qu'il n'a pas été payé de ses heures supplémentaires et que ses durées maximales journalières et hebdomadaires de travail n'ont pas été respectées ;
Condamner la société [O] à lui payer les sommes suivantes :
rappel de salaire sur heures supplémentaires : 55 908,00 euros
congés payés sur heures supplémentaires : 5 590,80 euros
Dommages et intérêt pour non-respect des durées maximales journalières et hebdomadaires de travail : 10 000,00 euros
Article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 euros.
Par conclusions notifiées le 14 septembre 2020, la SARL [O] demande à la cour de :
confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a débouté M. [K] de sa demande d'heures supplémentaires ;
confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a débouté M. [K] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a condamné M.[K] au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
condamner M. [K] à lui payer une indemnité de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de ses agissements, ou a minima, confirmer la décision de première instance, le condamnant à la somme de 2 000 euros ;
condamner M. [W] [K] à lui payer une indemnité de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'à assumer les entiers dépens
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022.
SUR CE,
Sur la validité de la convention forfait annuel en jour :
Le salarié soutient
qu'il n'a jamais eu communication de l'accord sur la réduction du temps de travail du 28 décembre 1999, ni au moment de la conclusion du contrat de travail ni au cours de l'exécution ;
que cet accord est invalide car il contient des mentions contradictoires en ce qui concerne la catégorie de personnel pouvant être soumise à une convention de forfait
que, selon cet accord, le forfait annuel en jours s'applique à tous les cadres, sans distinction, or l'article L3121-43 du code du travail limite la possibilité de conclure une convention de forfait en jours aux cadres disposant d'une autonomie
que l'accord ne comporte pas les caractéristiques principales des conventions de forfait annuel en jours
que sa convention de forfait annuel en jours est ainsi privée d'effet et qu'il est fondé à solliciter le paiement des heures supplémentaires
qu'il a réalisé 15 heures de travail par jour, travaillait de 5 heures du matin à 20 heures et en a avisé son employeur ;
que les horaires pratiqués impliquaient un non-respect des durées maximales journalière et hebdomadaire
L'employeur réplique :
que la convention de forfait annuel en jour est opposable au salarié et qu'il produit l'accord d'entreprise du 28 décembre 1999 ;
que cet accord prévoit les modalités d'application des conventions forfaits jours et les personnels concernés ;
que M. [K] était soumis à une convention de forfait en jours, dispensant l'employeur d'un décompte horaire de son temps de travail ;
que l'accord collectif a été conclu sous l'empire de la loi du 13 juin 1998, laquelle ne prévoyait pas les exigences actuelles de contenu des accords collectifs relatifs au forfait-jour ;
qu'il assurait un décompte et un suivi régulier des jours travaillés ou non par M. [K] et qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas organisé un entretien annuel puisque la relation de travail s'est achevée avant la fin de la première année de travail.
Sur les heures supplémentaires, l'employeur fait valoir :
que M. [K] ne produit pas un décompte sérieux ;
que les heures d'envoi de ces messages se situent entre 9 heures et 12 heures et entre 15h30 et 17 heures ;
que M. [K] s'absentait plusieurs heures dans la journée, profitant de l'autonomie et des avantages du forfait en jours.
***
Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
Il appartient au juge de le vérifier, même d'office.
Aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa version applicable entre le 22 août 2008 et le 10 août 2016, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année doit être prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche qui détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi et qui fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
Selon l'article L. 3121-43 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce, peuvent notamment conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle du travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 susvisé, les cadres disposant d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduisent pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.
L'article L. 3121-46 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce prévoit l'organisation, par l'employeur, d'un entretien annuel individuel avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année, ledit entretien portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié.
L'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail du 28 décembre 1999 prévoit que « le cadre verra sa durée effective de travail limitée à 217 jours dans l'année, les journées de repos ainsi dégagées, seront prises en convenance avec la direction » et qu'il « organisera avec la direction ses prises de repos dégagées par la limitation de ses journées de travail limitées à 217 jours dans l'année ».
L'accord détermine les catégories de salariés pouvant être soumis à une convention de forfait ainsi que le nombre de jour de travail dans l'année. Les salariés concernés sont les cadres. M. [K] a été embauché en qualité de responsable d'agence Rhône Alpes, classifié Cadre.
Il entre dans la catégorie des salariés pouvant bénéficier d'une convention de forfait annuel en jours. Il est mentionné à son contrat de travail que, du fait de la nature de ses fonctions, du niveau de responsabilités qui est le sien et du degré d'autonomie dont il dispose dans l'organisation de son emploi du temps, le salarié reconnaît que ses horaires de travail ne peuvent être prédéterminés.
Cet accord ne fixe pas les caractéristiques principales des conventions de forfait, et, notamment, il n'est donné aucune précision sur les modalités concrètes de contrôle du nombre de jours travaillés, ni sur un suivi régulier par le supérieur hiérarchique de l'organisation du travail et de la charge de travail.
Il s'ensuit que la convention de forfait jours est privée d'effet. M. [K] est fondé à revendiquer l'application à son égard des dispositions relatives à la durée légale hebdomadaire du travail prévue à l'article L. 3121-10 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce.
Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant
M. [K] verse aux débats :
un mail de sa part à M. [J] [O], en date du 13 octobre 2014, dans lequel il décrit ses activités « Je suis cadre : Cariste de 05 h à 08h00, Exploitant de 08h00 à 12h00, Agent de saisi de 08h00 à 12h00 , Commercial de 14h00 à 15h00, Garagiste de 15h00 à 15h30, Cariste de 15h30 à 19h30. Je fais effectivement 15 h par jour avec même pas le temps d'allé aux toilette. ['] »
un mail du 15 octobre 2014 « ['] Je te le reconfirme, je fais effectivement 14h par jour en moyenne, voir 15h. Peut être que sait difficile à comprendre mais à [Localité 6] : Personne pour les saisis Personne pour les chargements et les déchargements Pas de garagiste Et nos navettes sont pleines tous les jours. ['] »
Au mail du 13 octobre, M. [J] [O] a répondu « Bonjour [W], Attention à ce que tu écris. Beaucoup d'éléments sont faux... » et à celui du 15 octobre « une fois de plus, fais attention à ce que tu écris, beaucoup de choses sont archi fausses. Je t'invite à un entretien téléphonique lundi 20 octobre à 9 heures. C'est moi qui appelle »
M. [K] verse les compte rendus d'activité navettes. La fiche navette mentionne la date du jour, la provenance ou la destination l'immatriculation et le nom du conducteur du camion ainsi que l'heure d'arrivée ou de départ.
Elle est signée, le plus souvent par une signature illisible ; au bas de la fiche à droite et à gauche figure un emplacement pour le « nom du cariste », le tout sous un emplacement destiné aux observations et remarques, qui le plus souvent est vide.
Parfois, M. [K], a apposé son nom en face de « nom du cariste » au bas de la fiche.
D'autres fois, aucun nom ne figure à ce titre ou encore le cariste et le conducteur sont la même personne.
Les horaires, lorsqu'ils sont portés sur ces fiches, varient de 2h30 à 22h00. Certaines fiches ne portent aucun horaire, d'autres pas de date.
Ces fiches navettes ne rendent pas compte de l'amplitude de travail de M. [K] : l'horaire porté sur cette fiche est celui de l'arrivée ou du départ du camion, mais pas l'heure à laquelle M. [K] a signé ce document.
Dès lors, M. [K] ne présente pas d'élément suffisamment précis en ce qui concerne le nombre d'heures de travail dont il revendique le paiement, pour permettre à l'employeur d'y répondre en apportant ses propres éléments.
Ainsi, la demande en paiement d'heures supplémentaires doit être rejetée.
Il n'est pas non plus établi que la durée quotidienne et hebdomadaire de travail a été dépassée.
Le jugement sera confirmé sur ces points.
Sur la demande de dommages intérêts de la SARL [O]
M. [K] soutient que la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde.
Il affirme être parti de la station-service sans se rendre compte qu'il n'avait pas payé, que son badge de télépéage n'a pas fonctionné ; que ni l'usure des pneus, ni le manque d'entretien de l'intérieur du véhicule, ni les rayures de la carrosserie ne caractérisent une quelconque intention de nuire à la société [O].
L'employeur relate que durant la mise à pied conservatoire, M. [K] a forcé une barrière de péage avec le véhicule de fonction, s'est livré à un acte de filouterie de carburant puis a restitué le véhicule sale et endommagé ; que ses actes ont été commis en dehors de toute exécution du contrat de travail, ce qui l'autorise à solliciter des dommages-intérêts.
***
La responsabilité du salarié envers l'employeur ne peut résulter que de sa faute lourde. La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.
Parmi les griefs du licenciement, il était reproché au salarié d'avoir roulé avec les véhicules de l'entreprise alors que son permis de conduire était suspendu. Le salarié ayant été licencié pour faute grave, l'employeur ne peut pas se prévaloir de ce grief comme étant une faute lourde.
La société [O] n'établit pas que M. [K] aurait forcé une barrière de péage, avec un véhicule de l'entreprise.
Il ressort du constat d'huissier du 11 décembre 2014, dressé par Me [X] que M. [K] a restitué le véhicule immatriculé [Immatriculation 5], rayé sur l'aile arrière gauche, avec trois pneus usés, la roue de secours installée à l'arrière droit et une roue dont le pneu est déchiré dans le coffre, l'intérieur du véhicule sale, la jauge vide, la carte grise manquante.
Le 12 mai 2015, Mme [O], directrice de la société [O], a été entendue par les services de police, pour des faits de grivèlerie de carburant, commis le 27 novembre 2014, avec le véhicule immatriculé [Immatriculation 5], à la station-service de [Localité 7], pour un montant de 30 euros 37.
A cette date, M. [K] était mis à pied à titre conservatoire et toujours en possession du véhicule.
Mme [O], lorsqu'elle a été entendue, a reconnu M. [K] sur les photographies présentées par les services de police.
M. [K] n'est pas crédible lorsqu'il dit ne pas s'être rendu compte qu'il n'avait pas payé le carburant. La violence et la farouche opposition qu'il a manifestées lorsque son employeur a voulu lui notifier sa mise à pied et sa convocation à l'entretien préalable rendent au contraire crédible la persistance d'un esprit vindicatif.
Pendant sa mise à pied conservatoire, utiliser un véhicule appartenant à son employeur pour commettre une infraction pénale caractérise l'intention de nuire et la faute lourde.
Ces faits sont distincts de ceux reprochés par la lettre de licenciement.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a accueilli la demande reconventionnelle en dommages et intérêts, le conseil de prud'hommes ayant fait une exacte appréciation du préjudice subi par l'employeur.
Sur les autres demandes
M. [W] [K], qui succombe en appel, sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande de condamner M. [K] à payer à la société [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions
Y AJOUTANT,
CONDAMNE M. [W] [K] aux dépens d'appel
CONDAMNE M. [W] [K] à payer à la société [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE