N° RG 20/00579 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M2F6
Décision du Tribunal de Commerce de lyon au fond du 15 octobre 2019
RG : 2011j2802
SAS ODM EXPANSION
C/
S.A.R.L. B.R.A. HOLDING
Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
3ème chambre A
ARRET DU 19 Janvier 2023
APPELANTE :
S.A.S. ODM EXPANSION prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Raoudha BOUGHANMI de la SELARL CABINET CHAUPLANNAZ AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 172 et par Me Luc CHAUPLANNAZ de la SELARL CABINET CHAUPLANNAZ AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMEES :
S.A.R.L. B.R.A. HOLDING représentée par son gérant domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475, postulant et plaidant par Me Anne BOLLAND-BLANCHARD de la SELAS FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, toque : 656
BANQUE POPULAIRE MEDITERRANEE venant aux droits de la Banque Populaire Provençale et Corse
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL, avocat au barreau de LYON, toque : 654
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Date de clôture de l'instruction : 21 Janvier 2020
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 16 Novembre 2022
Date de mise à disposition : 19 Janvier 2023
Audience tenue par Aurore JULLIEN, présidente, et Marianne LA-MESTA, conseillère, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,
assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière
A l'audience, a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Patricia GONZALEZ, présidente
- Marianne LA-MESTA, conseillère
- Aurore JULLIEN, conseillère
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE
En juillet 2008, M.[I] [D] et M. [G] [F] ont créé la SAS ODM Expansion (ci-après la société ODM Expansion) ayant une activité de restauration rapide.
M.[D], actuel dirigeant de cette société, et M. [F], qui est désormais le dirigeant de la SARL Bra Holding (ci-après la société Bra Holding), étaient associés à parts égales.
A la suite de litiges entre les deux associés, un protocole d'accord transactionnel a été signé le 19 mai 2011, aux termes duquel :
- M. [F] a cédé à la SC [I] [D] Participations la totalité des 37.296 actions détenues dans le capital de la société ODM Expansion,
- la société Bra Holding a facturé la somme de 33.000 euros HT à la société ODM Expansion pour l'utilisation du concept et de l'enseigne 'O Délices de Marius' dans les filiales JC Restauration, Agora et Aviglaces,
- la société ODM Expansion s'est engagée à ne pas utiliser la marque 'O Délices de Marius' à compter du jour de la cession des titres de M.[F].
Le 13 septembre 2011, la société Bra Holding a présenté à l'encaissement deux chèques d'un montant respectif de 23.900 euros et 17.490 euros émis par la société ODM Expansion, laquelle a formé opposition pour utilisation frauduleuse d'un moyen de paiement après avoir été alertée par la Banque Populaire Provençale et Corse.
Le 16 septembre 2011, M. [D] a déposé plainte de ce chef auprès du commissariat de [Localité 6] à l'encontre de M.[F] et de Mme [C], secrétaire de M.[D] au sein de la société ODM Expansion entre janvier 2009 et juin 2010.
Par exploit du 28 octobre 2011, la société Bra Holding a assigné la société ODM Expansion et la Banque Populaire Provençale et Corse devant le tribunal de commerce de Lyon aux fins d'obtenir le paiement de ces sommes, outre l'interdiction sous astreinte, pour la société ODM Expansion, d'exploiter le concept 'O Délices de Marius'.
Le 26 février 2013, le tribunal de commerce de Lyon a accueilli la demande de sursis à statuer formulée par la société ODM Expansion dans l'attente des résultats de la procédure pénale.
Par jugement du tribunal correctionnel de Lyon en date du 26 septembre 2017, M. [F] s'est vu infliger la peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir à Bron et Lyon, entre le 1er octobre 2009 et le 30 septembre 2011, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en détenant deux chèques signés par [I] [D], en les remplissant lui-même, puis en les encaissant alors que ces sommes ne lui étaient pas dues, trompé [I] [D] et la société ODM Expansion, pour les déterminer à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, en l'espèce la somme de 41.840 euros.
M.[F] a également été condamné à payer à la société ODM Expansion la somme de 2.500 euros en réparation de son préjudice moral, outre celle de 2.500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Par jugement contradictoire du 15 octobre 2019, le tribunal de commerce de Lyon a :
- jugé irrecevables les demandes formées par la société ODM Expansion en raison de l'autorité de chose jugée du pénal sur le civil,
- débouté la société ODM Expansion de l'ensemble de ses demandes,
En conséquence,
- dit la société Bra Holding bien fondée en ses conclusions,
- condamné la société ODM Expansion à une amende civile de 3.000 euros,
- débouté la société Bra Holding de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice moral
- jugé la Banque Populaire Provençale et Corse hors la cause,
- débouté la Banque Populaire Provençale et Corse de sa demande en dommages et intérêts,
- rejeté comme non fondés tous les autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,
- prononcé l'exécution provisoire nonobstant l'appel et sans caution,
- condamné la société ODM Expansion à payer aux sociétés Bra Holding et Banque Populaire Provençale et Corse la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance
Par jugement contradictoire du 17 décembre 2019 faisant suite à la requête en rectification d'erreur matérielle formée le 21 octobre 2019 par la société ODM Expansion, le tribunal de commerce de Lyon a :
- dit qu'il y a lieu de rectifier comme suit le jugement rendu le 15 octobre 2019 :
- condamne la société ODM Expansion à payer à la société Bra Holding la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts, en lieu et place de 'condamne la société ODM Expansion à une amende civile de 3.000 euros',
- condamne la société ODM Expansion à payer aux sociétés Bra Holding et Banque Populaire Provençale et Corse la somme de 2.000 euros, soit 1.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en lieu et place de 'condamne la société ODM Expansion à payer aux sociétés Bra Holding et Banque populaire provençale et corse la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance',
- dit que le reste du jugement demeure sans changement,
- dit que la présente rectification sera mentionnée en marge de la minute n°1928800009 du jugement rendu le 15 octobre 2019 et des expéditions délivrées,
- dit qu'il n'y a pas lieu à dépens.
La société ODM Expansion a interjeté appel à l'encontre du jugement rectifié du 15 octobre 2019 par acte du 21 janvier 2020.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2020, fondées sur les anciens articles 32-1, 1134 et 1382 du code civil, ainsi que sur les articles 699 et 700 du code de procédure civile, la SAS ODM Expansion demande à la cour de :
- réformer le jugement rectifié des 15 octobre et 17 décembre 2019, et statuant à nouveau,
- dire recevables et bien fondées ses demandes,
- juger que la société Bra Holding a engagé son action dans une intention de nuire et que cette action a un caractère dilatoire au regard de la plainte qu'elle a déposée,
En conséquence,
- juger que la société Bra Holding a commis un abus de droit à engager son action,
- débouter la société Bra Holding de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Bra Holding à payer une amende civile de 3.000 euros,
- condamner la société Bra Holding à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral pour procédure abusive,
- condamner la société Bra Holding à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, la société ODM Expansion fait valoir :
- que si dans sa motivation, le tribunal de commerce a retenu que la société Bra Holding a commis un abus de droit en engageant son action et l'a condamnée à une amende civile, c'est elle-même qui, en totale contradiction avec cette motivation, s'est retrouvée condamnée au paiement de cette somme dans le dispositif de la décision du 15 octobre 2019,
- qu'elle a donc logiquement formé une requête en rectification d'erreur matérielle, mais contre toute attente, le tribunal de commerce a dénaturé sa demande en la condamnant cette fois-ci à verser des dommages et intérêts à la société Bra Holding,
- qu'elle est pourtant parfaitement légitime à solliciter l'octroi d'une amende civile et de dommages et intérêts pour procédure abusive de la part de la société Bra Holding,
- qu'en effet, M.[F] a subtilisé les deux chèques litigieux au moment de la création de la marque 'Le Kiosque de César' pour conserver un moyen de paiement en prévision de sommes qu'il entendait lui réclamer au prétexte de l'utilisation interdite de cette marque qu'il a déposée le 29 janvier 2020 à son préjudice, alors qu'elle en avait l'antériorité comme en attestent la société Cristal AB et le bail signé avec le centre commercial Centre 2 de [Localité 7],
- qu'elle n'a jamais régularisé le second protocole transactionnel du 26 juillet 2011, ce document ayant uniquement été signé par M.[F], en sa qualité de gérant de la société Bra Holding, de sorte que les engagement au paiement des sommes de 23.900 euros et 17.940 euros qui y figurent n'ont aucune valeur,
- qu'étrangement, ce deuxième protocle reprend la question de l'exploitation de l'enseigne 'O Délices de Marius' pourtant déjà réglée dans le premier protocole signé le 19 mai 2011, et traite de l'achat de la marque 'le Kiosque de César' que M.[D] n'a pourtant jamais eu l'intention l'intention d'acquérir, ainsi que le révèle le démontage de l'enseigne opéré dès le mois de septembre 2011,
- que ce protocole a été créé de toutes pièces par M.[F] pour justifier un règlement a posteriori des chèques détournés en octobre 2009 et conservés jusqu'alors,
- que M.[D] a pris conscience des manigances de M.[F] en se rendant sur le site de l'INPI à la réception de ce nouveau projet de protocole, mais n'avait pas encore connaissance des deux chèques litigieux dont il n'apprendra l'existence que le lendemain de leur encaissement le 14 septembre 2011,
- que de l'aveu même de M.[F], le litige sur la marque 'Le Kiosque de César' était déjà latent lors de la signature du 1er protocole du 19 mai 2011 qui n'en fait pourtant nullement mention et stipule qu'il vaut transaction,
- que l'information judiciaire va d'ailleurs révéler que l'expert-comptable de M.[F] n'était pas au courant du second projet de protocole, alors qu'il était informé du 1er, ce qui ajoute de la suspicion quant à la régularité de ce second protocole,
- que M.[D] a immédiatement compris que les deux chèques avaient été utilisés frauduleusement car ils faisaient partie d'un chéquier de la société ODM Expansion dont le 1er chèque avait été débité le 10 juillet 2009 et le dernier le 20 mai 2010,
- qu'en outre, le compte bancaire n'avait été ni mouvementé, ni provisionné depuis le mois de mai 2010, ainsi que l'a confirmé la Banque Populaire Provençale et Corse dans une attestation du 20 septembre 2011,
- que l'expert-comptable précise encore que la souche du chéquier indique 'poste' pour le chèque n°109 et 'loyer ODM' pour le chèque n°110, mais également que les deux chèques n'étaient pas débités au 31 décembre 2010,
- que M.[D] a signé ces chèques en blanc à la demande de Mme [C] pour le règlement des loyers et de frais de poste, comme indiqué par cette dernière dans les talons de chèque,
- qu'il est au demeurant totalement inimaginable que M.[D] ait remis deux chèques en blanc à M.[F] en octobre 2009 sans motif et sans reçu, pour ensuite lui donner l'autorisation, après l'envoi du protocole du 26 juillet 2011 et alors qu'ils entretenaient de mauvaises relations depuis septembre 2009, de remplir les deux chèques en question conservés depuis 2 ans,
- que les déclarations de M.[F], dans son audition du 3 octobre 2011, selon lesquelles il aurait reçu les chèques en mai 2011 sont incohérentes au regard du déroulement de la procédure amiable de règlement du litige commercial, étant rappelé que le protocole du 19 mai 2011 porte non seulement sur la cession de parts, mais également sur la question de l'utilisation des marques par la société ODM Expansion, sans aucune référence à la marque 'le Kiosque de César',
- que le jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 26 septembre 2017 ne vise que M.[F] et non la société Bra Holding, de sorte qu'aucune autorité de la chose jugée au pénal ne peut lui être opposée dans le cadre du présent litige qui l'oppose uniquement à la société Bra Holding,
- que ses demandes à l'encontre de la société Bra Holding pour procédure abusive sont donc parfaitement recevables,
- qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir tardé à reprendre l'instance devant le tribunal de commerce après la décision de sursis à statuer du 26 février 2013, dès lors que la copie exécutoire du jugement correctionnel du 26 septembre 2017 ne lui a été délivrée que fin avril 2018,
- que le tribunal de commerce ayant réservé les demandes au fond dans le cadre de la décision de sursis à statuer du 26 février 2013, il était de droit qu'elle reprenne l'instance pour faire trancher ces demandes,
- que la société Bra Holding doit supporter les conséquences des agissements de son dirigeant pénalement condamné pour le détournement des chèques,
- qu'en introduisant une action devant le tribunal de commerce au nom de sa société sur la base d'éléments qualifiés a posteriori d'escroquerie, mais dont l'illégalité était incontestable avant même la saisine du tribunal, M.[F] a fait commettre à la société Bra Holding un abus de droit à agir en vue de se faire payer des moyens de paiement qu'il savait faux,
- qu'il s'agissait également d'une manoeuvre dilatoire pour tenter de contrer la plainte déposée contre la société Bra Holding et son dirigeant,
- qu'elle subit un préjudice du fait de cette action en justice, tandis que la société Bra Holding doit être sanctionnée pour avoir cherché à obtenir un gain qu'elle savait ne pas lui être dû.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 juin 2020, fondées sur l'article 4 du code de procédure pénale, les articles 32-1 et 125 du code de procédure civile et l'article 1240 du code civil, la SARL Bra Holding demande à la cour de :
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a jugé irrecevables les demandes formées par la société ODM Expansion en raison de l'autorité de chose jugée du pénal sur le civil et débouté la société ODM Expansion de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société ODM Expansion de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande de préjudice moral pour procédure abusive et de sa demande au titre de l'amende civile,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ODM Expansion à lui payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société ODM Expansion à lui payer ainsi qu'à la société Banque Populaire Provençale et Corse la somme de 2.000 euros soit 1.000 euros chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
- débouter la société ODM Expansion de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- repousser toutes demandes de la Banque Populaire Provençale et Corse à son égard,
- condamner la société ODM Expansion à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens devant la cour.
La société Bra Holding expose en substance :
- que le protocole d'accord signé le 19 mai 2011 ne règle que deux questions, d'une part la cession des actions détenues par M.[F] au capital de la société ODM Expansion, d'autre part, le droit à l'enseigne et à la mise en place du concept 'O Délices de Marius' jusqu'au jour du protocole,
- que M.[F] a découvert qu'en octobre 2009, M.[D] avait signé, à son insu mais avec des chèques de la société ODM Expansion, un bail commercial pour l'exploitation d'une activité de restauration rapide appelée 'le Kiosque de César', alors que cette marque a été inventée et déposée à l'INPI par la société Bra Holding et que le concept de réalisation n'était que l'exacte copie du concept 'O Délices de Marius',
- que de ce fait, les parties ont convenu d'un autre accord pour la cession de la marque 'Le Kiosque de César' au profit de la société ODM Expansion pour le prix de 17.940 euros TTC ainsi que pour la poursuite de l'utilisation du concept 'O Délices de Marius' après le protocole du 19 mai 2011 moyennant le versement d'une somme de 23.920 euros TTC,
- que M.[D] a remis à M.[F] deux chèques signés de sa main reprenant cet accord, lesdits chèques ne devant être encaissés qu'en septembre 2011 en raison des problèmes de trésorerie invoqués par M.[D],
- que de manière calculée, M.[D] a formé opposition à leur remise en banque, ce qui a nécessité la saisine du tribunal de commerce de Lyon pour faire reconnaître le caractère abusif de cette opposition,
- que suite à la plainte déposée par la société ODM Expansion, le tribunal de commerce de Lyon a sursis à statuer jusqu'au résultat de l'instruction pénale en cours,
- que nonobstant la condamnation de M.[F] au versement de la somme de 2.500 euros à la société ODM Expansion en réparation de son préjudice moral dans le cadre de la procédure pénale, la société ODM Expansion n'a pas hésité à retenter sa chance devant le tribunal de commerce de Lyon dans l'unique but de pousser à bout M.[F], étant observé que celui-ci, bien qu'innocent, n'a pas interjeté appel de la décision pénale en raison des soucis de santé importants dont il a été victime pendant l'instruction,
- que pourtant, en application de l'article 4 alinéa 2 du code de procédure pénale, la décision pénale a autorité de la chose jugée sur la décision civile et le préjudice déjà réclamé par la société ODM Expansion devant le juge pénal et tranché par celui-ci ne peut pas être à nouveau sollicité devant le juge civil,
- que ce principe s'impose dès lors que les faits poursuivis sont les mêmes que ceux de l'espèce pour lesquels le juge civil est saisi, sans qu'il soit nécessaire qu'il y ait identité de parties,
- que dans le cas présent, la société ODM Expansion se base sur les mêmes éléments que que ceux ayant justifié les poursuites pénales, à savoir le fait que M.[F] ait détenu deux chèques signés en blanc par M.[D], pour considérer qu'elle subit un préjudice moral évalué à 41.840 euros devant le tribunal de commerce et ramené à 5.000 euros devant la cour,
- qu'il s'ensuit que la demande de la société ODM Expansion à l'encontre de la société Bra Holding devant le tribunal de commerce doit être déclarée irrecevable, comme l'a retenu à juste titre le tribunal de commerce,
- qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir agi en justice de manière abusive ou dilatoire, dès lors que c'est la société ODM Expansion qui a choisi de relancer le débat devant le tribunal de commerce après la décision du tribunal correctionnel de Lyon du 26 septembre 2017,
- que si M.[F] n'a pas fait appel de cette décision pénale en raison de ses problèmes de santé, il n'en reste pas moins qu'il a toujours clamé son innocence et qu'aucun des éléments de l'enquête ne permet d'étayer les affirmations de M.[D] selon lequelles il aurait signé les chèques en blanc à la demande de Mme [C], ce que cette dernière a toujours contesté,
- que de même, il n'est nullement démontré que M.[F] aurait conservé les chèques litigieux durant deux années, mais il apparaît au contraire que M.[D] se les était appropriés comme il l'avait fait pour les cinq précédents qui correspondaient à la réservation du 'Kiosque de César' au centre commercial Centre 2 de [Localité 7],
- que la demande de dépose en urgence de l'enseigne 'Le Kiosque de César' en août 2011 au prétexte d'une tentative d'extorsion de fonds vient confirmer que M.[D] savait parfaitement que les chèques allaient prochainement être encaissés, alors qu'il avait tout loisir de faire opposition pour perte ou vol avant le mois de septembre 2011 compte tenu des alertes de son expert-comptable,
- que l'action de la société Bra Holding devant le tribunal de commerce n'était donc pas infondée, ce d'autant qu'à la date de l'assignation, aucune procédure pénale n'était en cours,
- que de son côté, la société ODM Expansion, qui n'en est pas à sa première manoeuvre à l'encontre de la société Bra Holding et M.[F], a relancé la procédure devant le tribunal de commerce en limite de péremption d'instance, de manière abusive et dilatoire, ce qui doit conduire à la confirmation de la décision du tribunal de commerce quant à la condamnation de la société ODM Expansion à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 mai 2020 la Banque Populaire Méditerranée venant aux droits de la Banque Populaire Provençale et Corse demande à la cour :
- de la mettre en hors de cause,
- de condamner la société ODM Expansion ou qui mieux le devra, à lui payer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts,
- condamner la partie succombante à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
La Banque Populaire Méditerranée observe :
- qu'elle est tiers au conflit opposant la société ODM Expansion à la société Bra Holding,
- qu'elle a d'ailleurs été mise hors de cause par le tribunal de commerce,
- qu'il n'est au demeurant formé aucune demande à son encontre,
- que l'appel est donc irrecevable en ce qui la concerne, ou à tout le moins infondé,
- que non seulement cette procédure ancienne a nécessité une gestion longue et onéreuse, mais qu'il est incompréhensible qu'elle ait de nouveau été appelée dans la cause, ce qui justifie l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 29 octobre 2020, les débats étant fixés au 16 novembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient à titre liminaire de préciser que les demandes de constat et dire et juger ne constituent pas des prétentions mais uniquement un rappel des moyens et qu'il n'y a donc pas de lieu de statuer sur ce point, la cour n'en étant pas saisie.
Sur l'amende civile
En vertu de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient être réclamés.
Il est toutefois de principe que la condamnation à une amende civile relève de la seule initiative de la juridiction saisie, les parties ne pouvant avoir aucun intérêt moral au prononcé d'une amende civile à l'encontre de l'adversaire.
La demande formée à ce titre par la société ODM Expansion ne peut donc prospérer.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
Sur la recevabilité de la demande de la société ODM Expansion à ce titre
L'article 122 du code de procédure civile énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Par ailleurs, selon l'article 1351 ancien du code civil, devenu l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
L'étendue de l'autorité de la chose jugée et ses limites sont les mêmes que le jugement sur l'action civile émane d'une juridiction civile ou d'une juridiction pénale.
Il n'y a pas d'identité d'objet si le juge civil est saisi d'une demande qui n'avait pas été présentée au pénal. De même, n'y a t-il pas identité de parties si une personne s'est trouvée dans l'instance pénale en qualité de personne physique, puis dans l'instance civile en qualité de représentant d'une personne morale.
En l'espèce, il y a lieu de relever que l'action civile de la société ODM Expansion devant la juridiction pénale visait à l'indemnisation du préjudice moral, du préjudice économique et du préjudice d'atteinte à l'image qu'elle estimait avoir subis à raison des agissements délictueux dont elle a été victime de la part de M.[G] [F] (pièce n°13 de l'appelante), tandis que la demande de dommages et intérêts qu'elle a formée dans le cadre de la présente procédure est dirigée contre la société Bra Holding, personne morale, et a pour objet la réparation du dommage résultant de l'exercice abusif, par cette société, de son droit d'agir en justice.
En l'absence d'identité de parties et de cause, les conditions posées par l'article 1355 précité ne sont pas réunies, de sorte que le moyen soulevé par la société Bra Holding tiré de l'autorité de la chose jugée doit être écarté et la demande de dommages et intérêts de la société ODM Expansion déclarée recevable, ce qui conduit à l'infirmation du jugement déféré sur ce point.
Sur le bien-fondé de la demande de la société ODM Expansion
L'article 1382 ancien du code civil, devenu l'article 1240 du code civil, dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.
En l'occurrence, il sera observé que M.[D], gérant de la société ODM Expansion, a fait opposition le 15 septembre 2011 au dépôt des chèques n°109 et 110 libellés à l'ordre de la société Bra Holding, d'un montant respectif de 23.900 euros et 17.940 euros, qui avaient été présentés à l'encaissement le 13 septembre 2011, avant de déposer plainte le lendemain, soit le 16 septembre 2011 à l'encontre de Mme [C], de M. [F] et de la société Bra Holding, auprès du commissariat de [Localité 6] pour utilisation frauduleuse d'un moyen de paiement, abus de confiance et tentative d'escroquerie (pièce n°1 de l'appelante).
M. [F] sera entendu sur ces faits dès le 3 octobre 2011. Mais, l'information judiciaire ne sera en revanche ouverte que le 10 avril 2012 par le procureur de la République de Lyon, ainsi qu'il ressort de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel rédigée le 7 septembre 2016 par le juge d'instruction (pièce n° 19 de l'appelante).
Il est donc constant que le 28 octobre 2011, date à laquelle la société Bra Holding a saisi le tribunal de commerce de Lyon en vue d'obtenir le paiement des deux chèques litigieux selon les indications figurant dans le jugement de sursis à statuer du 26 février 2013 (pièce n°23 de l'appelante), l'enquête pénale n'en était qu'à ses prémisses et le Ministère public n'avait pas encore fait connaître les suites qu'il entendait donner à la plainte de M.[D].
Il ne peut dès lors être retenu que l'action engagée par la société Bra Holding l'a été dans le seul but de nuire à la société ODM Expansion, dans la mesure où le caractère frauduleux du comportement de son dirigeant n'était nullement établi à ce stade, ce d'autant que celui-ci a toujours contestés les faits qui lui étaient reprochés.
La société ODM Expansion ne démontrant pas l'existence d'une intention maligne de la part de la société Bra Holding au moment où celle-ci a introduit sa demande devant le tribunal de commerce, sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ne sera pas favorablement accueillie.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Bra Holding
Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal dans les jugements des 15 octobre et 17 décembre 2019, il ne saurait être reproché à la société ODM Expansion d'avoir repris tardivement l'instance dans l'unique objectif de solliciter l'octroi de dommages et intérêts, une fois la condamnation pénale de M.[F] devenue définitive. Il doit en effet être rappelé qu'elle ne faisait que se défendre dans le cadre d'une procédure initiée par la société Bra Holding et que cette dernière ne conteste nullement les affirmations de l'intimée selon lesquelles la copie exécutoire du jugement du tribunal correctionnel de Lyon ne lui a été délivrée que fin avril 2018.
En outre, la société Bra Holding ne peut valablement soutenir que la société ODM Expansion aurait formulé cette demande d'indemnisation dans un esprit d'acharnement procédural et avec pour seul dessein de lui porter préjudice, alors même que cette dernière pouvait nourrir un espoir légitime de succès en se fondant sur le moyen sérieux qu'était la décision rendue par la juridiction répressive.
Le jugement entrepris sera donc infirmé, en ce qu'il a condamné la société ODM Expansion à verser à la société Bra Holding la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts de la Banque Populaire Méditerranée
Faute de caractériser la faute des sociétés Bra Holding et ODM Expansion dans l'exercice respectif de leur droit d'agir en justice et de se défendre, mais également de rapporter la preuve du préjudice qui en résulterait, la Banque Populaire Méditerranée sera elle-aussi déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Il sera à cet égard observé, d'une part que la seule longueur d'une procédure ne suffit pas à elle-seule à établir l'existence d'un abus de droit, d'autre part que les frais occasionnés par la procédure ne peuvent être indemnisés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le rejet prononcé par le tribunal sera par conséquent confirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Bien que chacune des parties succombe en ses prétentions, il y a lieu de mettre les dépens à la seule charge de la société Bra Holding, car elle est à l'origine d'une procédure dont le caractère totalement infondé a été révélé a posteriori suite à la condamnation pénale de son dirigeant.
L'équité commande par ailleurs de condamner la société Bra Holding à verser à la société ODM Expansion la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à payer une indemnité de 1.000 euros à ce titre à la Banque Populaire Méditerranée.
La décision du tribunal sur les dépens et les frais irrépétibles sera par suite infirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant dans les limites de l'appel,
Infirme le jugement du 15 octobre 2019, rectifié par jugement du 17 décembre 2019, en toutes ses dispositions critiquées, sauf en ce qu'il a débouté la Banque Populaire Provençale et Corse aux droits de laquelle vient la Banque Populaire Méditerranée de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une amende civile,
Déboute la SAS ODM Expansion de sa demande dommages et intérêts pour procédure abusive,
Déboute la SARL Bra Holding de sa demande de dommages et intérêts,
Condamne la SARL Bra Holding aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la SARL Bra Holding à payer à la SAS ODM Expansion la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Bra Holding à payer à la Banque Populaire Méditerranée la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE