AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/06699 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MTRN
[F]
C/
Société ALLIANCE MJ
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D [Localité 7]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 02 Septembre 2019
RG : 18/00012
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 25 JANVIER 2023
APPELANT :
[X] [I]
né le 24 Novembre 1980 à [Localité 9] (Allemagne)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON
et ayant pour avocat plaidant Me Valérie PONCIN-AUGAGNEUR de la SELARL JURI SOCIAL, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société ALLIANCE MJ représentée par Me [C] [L], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société D.K.R. EXPRESS
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me François LOYE de la SCP D'AVOCATS JURI-EUROP, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean-philippe VALLON de la SCP PYRAMIDE AVOCATS, avocat au barreau de VIENNE
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'[Localité 7]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représentée par Me Cécile ZOTTA de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 21 Novembre 2022
Présidée par Joëlle DOAT, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 25 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 21 février 2008 soumis à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport, la société Logistic Transport Service (LTS) a embauché Monsieur [X] [F] en qualité de conducteur routier.
Dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire ouverte le 7 février 2013 à l'égard de la société Logistic Transport Service, un plan de cession a été arrêté au profit de la société DRK Express, par jugement du 25 octobre 2013, en vertu duquel la société DRK Express a repris le contrat de travail de M. [F].
Le tribunal de commerce de Vienne a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société DRK Express par jugement du 28 avril 2015, puis arrêté un plan de redressement, par jugement du 15 mars 2016.
Par lettre du 24 mars 2017, Monsieur [F] a démissionné de son emploi.
Par jugement du 2 mai 2017, le tribunal de commerce de Vienne a prononcé la liquidation judiciaire de la société DRK Express.
Par requête en date du 3 janvier 2018, Monsieur [F] a fait convoquer la société Alliance MJ prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société DRK Express et l'Unedic délégation AGS CGEA devant le conseil de prud'hommes de Lyon pour voir prononcer la requalification de sa démission en un licenciement abusif et fixer à son profit diverses créances à titre de dommages-intérêts, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, rappel d'heures supplémentaires, repos compensateur, indemnité pour travail dissimulé, rappel de salaire sur le solde de tout compte et rappel de salaires au titre de l'amplitude.
Par jugement en date du 2 septembre 2019, le conseil de prud'hommes a mis hors de cause l'association Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 8], rejeté les demandes de Monsieur [F] et condamné ce dernier aux dépens.
Monsieur [X] [F] a interjeté appel de ce jugement, le 1er octobre 2019.
Il demande à la cour :
' d'analyser sa démission en une prise d'acte de rupture devant être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse
' de lui allouer la somme de 16'500 euros à titre de dommages et intérêts
' de lui allouer la somme de 4 900,87 euros à titre d'indemnité de licenciement et la somme de 5 485,54 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre l'indemnité de congés payés afférents
' de condamner la société DRK Express à lui verser la somme de 10'410,58 euros au titre des heures supplémentaires, outre l'indemnité de congés payés afférents, et la somme de 428,58 euros au titre des repos compensateurs
' de lui allouer une indemnité au titre du travail dissimulé d'un montant de 16'500 euros
' de condamner la société DRK Express à lui verser la somme de 185,60 euros à titre de rappel de salaire sur le solde de tout compte
' de condamner la société DRK Express à lui verser la somme de 374,18 euros outre l'indemnité de congés payés afférents à titre de rappel de salaires au titre de l'amplitude
' de condamner la société DRK Express à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
' de prononcer l'inscription de l'ensemble de ses créances sur le relevé d'état des créances garanties par l'AGS dans le cadre des dispositions légales et dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société DRK Express.
La société Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DRK Express, demande à la cour :
' de confirmer le jugement
' de condamner Monsieur [F] à lui verser ès qualités la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 7] demande à la cour :
' de confirmer le jugement
subsidiairement,
' de débouter Monsieur [F] de toutes ses demandes
en tout état de cause,
' de dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L3253-6 et L3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19, L3253-20, L3253-21, L3253-15 et L3253-17 du code du travail
' de la mettre hors dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 octobre 2022.
SUR CE :
Sur les demandes de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires et d'indemnité au titre du repos compensateur
Le salarié fait valoir que, alors que son contrat de travail prévoit clairement en son article 5 une rémunération mensuelle de 2197,25 euros pour un temps de service mensuel de 169 heures, cette rémunération lui a été versée pour 186 heures de travail par mois.
Il ajoute qu'il n'a jamais été en mesure de prendre ses journées de repos compensateur dans le délai maximum de trois mois, la société ne l'ayant pas informé des modalités de prise desdits repos. Il sollicite le paiement de quatre jours de repos compensateurs non pris pour les périodes d'octobre-décembre 2014, avril-juin 2015, octobre-décembre 2015 et avril-juin 2016.
Le liquidateur judiciaire ès qualités fait valoir qu'il appartient à Monsieur [F] de justifier que son contrat de travail a été transféré la société DRK Express dans les mêmes conditions initiales et que son contrat n'a pas été modifié, faisant observer qu'il résulte des éléments versés aux débats que Monsieur [F] est passé dans la catégorie conducteur longue distance et qu'il fait état d'avenant à son contrat de travail.
L'Unedic AGS CGEA expose que la convention collective prévoit une durée de travail de 186 heures ne permettant la majoration de salaire qu'au-delà.
****
Le contrat de travail de M. [F] du 21 février 2008 stipule que, pour 169 heures de temps de service mensuel, Monsieur [F] perçoit une rémunération brute de 2 197,25 euros et que le paiement des heures effectuées au-delà de 152 heures est majoré conformément aux dispositions réglementaires et conventionnelles.
Au vu des bulletins de salaire de la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2017, il apparaît que M. [F] a perçu une rémunération de 2 197,25 euros pour 152 heures de base et 34 heures d'équivalence, soit 186 heures au total, en qualité de chauffeur coefficient 150 M.
Le liquidateur judiciaire, ès qualités, ne démontre pas que, dans le cadre du plan de cession du 25 octobre 2013, les clauses du contrat de travail de M. [F] relatives à la rémunération et au temps de travail auraient été modifiées, ce jugement n'étant même pas produit.
Mais de son côté, M. [F] ne verse pas aux débats ses bulletins de salaire antérieurs à la cession qui permettraient leur comparaison avec les bulletins produits dans le cadre de la présente procédure, malgré la demande du liquidateur judiciaire à cet effet, tout en produisant la copie agrandie de l'en-tête d'un bulletin de salaire établi par la société LTS pour le mois d'octobre 2011 mentionnant sa qualification de chauffeur longue distance coefficient 138 M, les autres mentions du bulletin de salaire n'ayant pas été reproduites.
Il justifie lui-même qu'il avait saisi le conseil de prud'hommes le 18 novembre 2013 d'une demande de régularisation de ses salaires contractuels et de fixation à son profit d'une créance à ce titre au passif de la procédure de liquidation judiciaire de son précédent employeur sur la période d'octobre 2010 à octobre 2013, pour un motif identique à celui invoqué dans le cadre de la présente procédure, à savoir qu'il n'avait pas reçu la rémunération mensuelle convenue pour 169 heures de travail, puisque cette même rémunération lui avait été versée pour 186 heures de travail.
Il ne démontre pas néanmoins avoir réclamé à la société DRK Express une telle régularisation pendant le cours de la relation contractuelle et il n'en fait pas état dans sa lettre de démission, bien que tous les bulletins de salaire fassent clairement apparaître le nombre et la qualification des heures rémunérées, les heures supplémentaires au-delà de 186 heures, les taux horaires et les majorations.
Et les 34 heures mentionnées sur les bulletins de salaire sont qualifiées d'heures d'équivalence, de sorte qu'il n'est pas établi que le salarié a accompli au-delà de 152 heures de travail par mois 34 heures de travail effectif (temps de service) dont 17 n'auraient pas été rémunérées.
Dans ces conditions, la créance de rappel de salaire sollicitée n'est pas certaine et c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a rejeté la demande formée de ce chef.
M. [F] qui ne peut non plus prétendre avoir ignoré son droit à repos compensateur dont il avait déjà demandé l'indemnisation dans sa précédente procédure devant le conseil de prud'hommes ne démontre pas qu'il n'a pas bénéficié du nombre de jours de repos compensateur correspondant au nombre d'heures supplémentaires accomplies et rémunérées aux périodes visées par sa demande.
Le rejet de cette demande doit être également confirmé.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
Il n'est pas démontré que la société DRK Express n'a pas déclaré ni payé toutes les heures de travail accomplies par le salarié.
Le jugement qui a rejeté ce chef de demande doit être confirmé.
Sur la demande de régularisation du solde de tout compte
M. [F] fait valoir qu'il aurait dû percevoir la somme de 4 256 euros au titre des congés payés mais qu'il n'a perçu lors de son solde de tout compte que la somme de 4 071, 20 euros.
Il ne justifie pas du calcul de la somme revendiquée, de sorte que sa demande doit être rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur la demande de rappel de salaire au titre de l'amplitude
M. [F] indique dans ses conclusions qu'ayant été reconnu comme grand routier, il aurait dû bénéficier des dispositions prévues à ce titre par l'accord du 12 novembre 1998, puisqu'il a réalisé six découchés mensuels.
Il forme les réclamations suivantes :
- octobre 2014 : 4,95 heures
- janvier 2015 : 8,6 heures
- mars 2015 : 8,65 heures
- février 2016 : 5,64 heures
- août 2016 : 1,67 heures
total : 29,51 x 12,68 = 374, 18 euros.
Toutefois, il n'explique pas comment il obtient ces heures qui ne ressortent pas des bulletins de salaire ni des documents produits.
Il convient de confirmer le jugement qui a rejeté ce chef de demande.
Sur la rupture du contrat de travail
Le salarié fait valoir que sa démission est équivoque puisque résultant de plusieurs manquements graves de la part de son employeur qui ne pouvait ignorer le caractère fautif de son comportement.
Il affirme qu'il n'a eu de cesse de demander le paiement de ses heures et a été fortement pénalisé par le non remboursement en temps et en heure de ses frais, mais que, compte-tenu de la situation difficile dans laquelle se trouvait la société et de l'absence de réponse, il lui était difficile de faire valoir ses droits ou de prendre une décision, qu'il a pu mieux comprendre sa situation à réception de son solde de tout compte et a alors immédiatement écrit à son employeur.
Le liquidateur judiciaire ès qualités fait valoir que le salarié, par son courrier manuscrit du 24 mars 2017, exprime sa volonté claire et non équivoque de démission, sans faire référence à un quelconque différend avec son employeur, qu'il propose lui-même l'exécution du préavis pour une durée qui correspond à celle applicable en matière de démission, que tous ses courriers de réclamation sont postérieurs à cette démission et même à la liquidation judiciaire de la société et qu'aucun lien de causalité ne peut être établi entre la démission de Monsieur [F] et les griefs aujourd'hui invoqués.
L'Unedic délégation AGS CGEA estime que la rupture s'analyse bien en une démission.
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La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
La démission donnée sans réserve n'est pas équivoque.
Toutefois, lorsqu'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission que celle-ci a été donnée en raison de faits que le salarié reproche à son employeur, la démission est nécessairement équivoque, de sorte que si le salarié justifie que les faits invoqués sont établis et suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge doit requalifier cette démission en prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La lettre de démission de Monsieur [F] du 24 mars 2017 est ainsi rédigée :
Madame, veuillez prendre en compte ma démission à compter de ce jour. J'effectuerai mon préavis d'une semaine comme prévu dans mon contrat.
Cette lettre en elle-même est claire et non équivoque.
Le salarié ne justifie d'aucune réclamation, ni différend avec l'employeur antérieurs au 24 mars 2017.
Ses correspondances démontrent qu'il avait connaissance des difficultés économiques rencontrées par son employeur (qui exécutait un plan de redressement), notamment sa lettre adressée au liquidateur judiciaire le 19 mai 2017, deux mois après sa démission, dans laquelle il invoque les faits suivants :
- les salaires étaient versés de plus en plus tard (le 14 ou le 15 du mois au lieu du 10)
- les moyens de paiement mis à la disposition des chauffeurs (carte de gas-oil et télépéage) ne fonctionnaient quasiment plus ou très rarement si bien qu'il devait faire l'avance des frais avec un délai de remboursement aléatoire qui pouvait durer plusieurs semaines.
Il explique que la goutte d'eau fut l'avance d'une facture de gas-oil de 250 euros non remboursée le 24 mars 2017 et que, lassé de ces conditions quotidiennes anormales, il a donné sa démission dont il demande la requalification en licenciement en raison de l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail dans des conditions acceptables.
Cette note de frais en date du 15 mars 2017 a été remboursée le 27 mars 2017.
Les manquements allégués après la démission en ce qui concerne le non-paiement de la rémunération contractuelle et la non prise des repos compensateurs ne sont pas établis ainsi qu'il résulte des énonciations qui précèdent.
Le solde de tout compte a été établi postérieurement à la démission.
Dans ces conditions, le salarié n'ayant pas rapporté la preuve de manquements de l'employeur à ses obligations d'une gravité telle qu'ils rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, il convient de rejeter les demandes aux fins de requalification de la démission en prise d'acte aux torts de l'employeur et de fixation de créances consecutives.
Le jugement doit être confirmé sur ce point.
Il y a lieu de condamner M. [F] dont le recours est entièrement rejeté aux dépens d'appel.
L'équité ne commande pas de le condamner à payer au liquidateur judiciaire, ès qualités, une indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :
CONFIRME le jugement
CONDAMNE M.[X] [F] aux dépens d'appel
REJETTE la demande du liquidateur judiciaire, ès qualités, fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE