La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/01/2023 | FRANCE | N°19/05505

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 27 janvier 2023, 19/05505


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 19/05505 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQXB





Société JRT INDUSTRIE

C/

[R]







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOURG EN BRESSE

du 18 Juin 2019

RG : F 17/00273











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 27 JANVIER 2023







APPELANTE :



Société JRT INDUSTRIE

[Adres

se 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]



représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat postulant inscrit au barreau de LYON,

et représentée par Me Valery GAUTHE de la SELARL JUDISOCIAL, avocat plaidant inscrit au barreau de MACON/CHAROLLES


...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/05505 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQXB

Société JRT INDUSTRIE

C/

[R]

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOURG EN BRESSE

du 18 Juin 2019

RG : F 17/00273

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 27 JANVIER 2023

APPELANTE :

Société JRT INDUSTRIE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 5]

représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat postulant inscrit au barreau de LYON,

et représentée par Me Valery GAUTHE de la SELARL JUDISOCIAL, avocat plaidant inscrit au barreau de MACON/CHAROLLES

INTIMÉ :

[J] [R]

né le 24 Janvier 1986 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Sylvaine CHARTIER de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Sophie FREYCHET de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Novembre 2022

Présidée par Régis DEVAUX, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, président

- Catherine CHANEZ, conseiller

- Régis DEVAUX, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La S.A.S. JRT Industrie exerce une activité de fabrication de pièces de tôlerie ou de mécano-soudure. Elle applique la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 5 janvier 1994 (IDCC 1790). Elle emploie moins de vingt salariés sur son site de [Localité 5] (Ain). Elle a embauché M. [J] [R] en qualité de responsable de production et qualité ' catégorie ingénieur, niveau II coefficient 100, à compter du 1er septembre 2009, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

Par lettre remise en main propre le 3 octobre 2017, M. [J] [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 11 octobre 2017. Par lettre recommandée avec accusé réception du 18 octobre 2017, il a été licencié pour motif personnel. Il était dispensé de travailler pendant la période de préavis.

Le 24 novembre 2017, M. [J] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse.

Par jugement du 18 juin 2019, le conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse a :

- débouté M. [R] de sa demande de rappel de salaire et de congés payés afférents ;

- fait droit à sa demande d'heures supplémentaires et condamné la S.A.S. JRT Industrie à lui payer la somme de 30 544,08 euros et 3 054,41 euros au titre des congés payés afférents;

- fait droit à la demande de dommages et intérêts pour repos compensateur non pris et a condamné la S.A.S. JRT Industrie à régler la somme de 2 000 euros à ce titre ;

- débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

- débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

- dit et jugé que le licenciement de M. [R] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et a condamné ainsi la S.A.S. JRT Industrie à lui verser la somme de 39 159,04 euros à titre de dommages et intérêts ;

- débouté la S.A.S. JRT Industrie de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire, ni les intérêts de droit à compter du jour de la demande ;

- condamné la S.A.S. JRT Industrie à payer à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la S.A.S. JRT Industrie aux entiers dépens.

Le 29 juillet 2019, la société JRT Industrie a interjeté appel de ce jugement, par déclaration avec mise au rôle. L'acte d'appel précise qu'il est demandé l'infirmation du jugement, en ce qu'il a :

- fait droit à la demande de M. [R] d'heures supplémentaires et condamné la S.A.S. JRT Industrie à lui payer la somme de 30 544,08 euros et 3 054,41 euros au titre des congés payés afférents ;

- fait droit à la demande de dommages et intérêts pour repos compensateur non pris et a condamné la S.A.S. JRT Industrie à régler la somme de 2 000 euros à ce titre ;

- dit et jugé que le licenciement de M. [R] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et a condamné ainsi la S.A.S. JRT Industrie à lui verser la somme de 39 159,04 euros à titre de dommages et intérêts ;

- condamné la S.A.S. JRT Industrie à payer à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la S.A.S. JRT Industrie aux entiers dépens.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, notifiées le 28 juillet 2020, la société JRT Industrie demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a rejeté les demandes de M. [R] relatives au rappel de salaire pour les heures travaillées durant ses congés, à des dommages et intérêts pour travail dissimulé, à des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [R] un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, ainsi qu'une somme d'argent au titre des congés payés afférents, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de droit ouvert au titre des repos compensateurs

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et l'a condamnée à payer à M. [R] des dommages et intérêts à ce titre

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [R] une somme d'argent en application de l'article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau de ces chefs réformés,

- à titre principal, débouter M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- à titre subsidiaire, ramener le montant de la condamnation à payer à M. [R] des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à la somme de 14 684,40 euros ou, à tout le moins, à de plus justes proportions

- débouter de M. [R] de toutes ses autres demandes

Y ajoutant,

- condamner M. [R] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [R] entiers dépens de première instance et d'appel.

La société JRT Industrie soutient que M. [R] ne démontre pas, au-delà de ses seules assertions, qu'il a accompli des heures supplémentaires, ni qu'elle a exécuté de manière fautive le contrat de travail. Elle soutient que les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement sont tous établis et imputables à M. [R].

Dans ses conclusions récapitulatives, notifiées le 3 octobre 2022, M. [J] [R] demande à la Cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a condamné la société JRT Industries à lui payer un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de droit ouvert au titre des repos compensateurs

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société JRT Industries à lui payer des dommages et intérêts à ce titre

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a rejeté ses demandes relatives au rappel de salaire pour les heures travaillées durant ses congés, à des dommages et intérêts pour travail dissimulé, à des dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- condamner la société JRT Industries à lui payer les sommes suivantes :

- 971,98 € à titre de rappel de salaire pour les heures non rémunérées et travaillées durant les congés du salarié en 2015 et 2016, outre 97,20 € au titre des congés payés afférents

- 29 369,28 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la dissimulation du travail

- 29 369,28 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution fautive du contrat de travail

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il a rejeté sa demande relative aux intérêts de droit et dire et juger que les condamnations porteront intérêt de droit à compter du jour de sa demande

- condamner la société JRT Industrie à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [R] fait valoir qu'il a travaillé en 2015 et 2016 31,5 heures alors qu'il était en congé, qui n'ont pas été rémunérées en tant que telles, qu'il a en outre effectué, entre 2014 et 2017 des heures supplémentaires, qui n'ont pas non plus été payées et qui, pour la part qui dépassait le contingent annuel, n'ont pas donné lieu à une contrepartie en repos. Il maintient qu'à travers divers comportements, son employeur a exécuté de manière déloyale le contrat de travail, avant de le licencier de manière totalement injustifiée.

La clôture de la procédure est intervenue le 11 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de rappel de salaire pour les heures travaillées durant les congés

M. [R] rappelle que son contrat de travail prévoyait une durée effective de travail de 35 heures par semaine. Il verse aux débats un tableau récapitulatif des heures effectivement travaillées (pièce n° 2.1 de l'intimé), où il fait apparaître qu'il a travaillé, dans le volume hebdomadaire de 35 heures :

- les 3 et 4 août 2015, un total de 9,75 heures alors qu'il était censé être en congés payés

- les 1er, 2 et 3 août 2016, un total de 21,75 heures alors qu'il était censé être en congés payés.

Toutefois, M. [R] ne produit pas ses bulletins de salaire pour les mois d'août 2015 et d'août 2016 ; il ne démontre pas qu'il était en congés payés aux dates mentionnées ci-dessus, non plus, à plus forte raison, qu'il a travaillé sans être rémunéré ces jours là. Dès lors, le rejet de sa demande de rappel de salaire à ce titre mérite d'être confirmé.

Sur les demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour repos compensateur non pris

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. (selon l'interprétation faite par la Cour de cassation de cette disposition légale : Cass. Soc., 18 mars 2020 - pourvoi n° 18-10.919).

En l'espèce, M. [R] rappelle que son contrat de travail prévoyait une durée effective de travail de 35 heures par semaine, « réparties selon l'horaire applicable dans l'entreprise ». Il précise qu'il a noté quotidiennement ses horaires de travail dans un carnet (pièce n° 2.7 de l'intimé) et qu'en outre, il s'est référé aux relevés des horaires d'activation et de désactivation de l'alarme équipant l'entreprise (pièce n° 2.3 de l'intimé), pour les journées où il était le premier à arriver ou le dernier à partir. Il verse ainsi aux débats un tableau récapitulatif (pièce n° 2.1 de l'intimé), d'où il ressort qu'il a effectué :

- en 2014, 37,5 heures majorées à 25 % et 6,5 heures majorées à 50 %

- en 2015, 206,5 heures majorées à 25 % et 20,75 heures majorées à 50 %

- en 2016, 271,75 heures majorées à 25 % et 89 heures majorées à 50 %

- en 2017, 95,25 heures majorées à 25 % et 34,50 heures majorées à 50 %

Ainsi, le salarié présente, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

La société JRT Industrie ne produit aucun élément propre en réponse, dans la mesure où elle ne fait que critiquer la pertinence des pièces versées aux débats par M. [R], outre la production du procès-verbal de constat d'un commissaire de justice, établi le 3 juillet 2018, concernant l'historique du navigateur du poste de travail de M. [R] (pièce n° 15 de l'appelante).

La société JRT Industrie, qui devait pourtant assurer le contrôle des heures de travail effectuées, conclut même que M. [R] n'était pas soumis à son pouvoir de direction quant à la fixation de ses horaires de travail et de ses journées de travail, et qu'il bénéficiait d'une autonomie dans la gestion de son emploi du temps, en contradiction avec les termes mêmes du contrat de travail.

Dès lors, la Cour a la conviction que M. [R] a accompli des heures supplémentaires dans un volume tel qu'il convient de faire droit à sa demande de rappel de salaire et de paiement des congés payés afférents ; le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

En outre, M. [R] a effectué un nombre total d'heures supplémentaires, en 2015 et en 2016, qui dépassait le contingent annuel fixé conventionnellement à 220 heures. En application de l'article L. 3121-30 du code du travail, il avait donc à une contrepartie obligatoire sous forme de repos, qui ne lui a pas été accordé. C'est à juste titre que les premiers juges ont fixé à 2 000 euros le montant des dommages et intérêts dus en réparation de l'absence de repos compensateur.

Sur la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 2°du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

Le caractère intentionnel ne peut pas se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

En l'espèce, si la société JRT Industrie s'est révélée défaillante dans le contrôle des heures de travail effectuées par M. [R], il n'est pas établi que c'est intentionnellement qu'elle a omis de mentionner les heures supplémentaires effectuées : M. [R] ne lui a jamais expressément signalé qu'il réalisait des heures supplémentaires et conclut, sans produire une quelconque pièce, que son employeur était parfaitement informé de cette situation.

En conséquence, le rejet de la demande de M. [R] en dommages et intérêts pour travail dissimulé mérite d'être confirmé.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

M. [R] reproche à son employeur d'avoir exécuté de mauvaise foi le contrat de travail, en ne payant pas les heures supplémentaires effectuées, en l'obligeant à travailler deux années consécutives au cours de ses congés, ou encore en ne formalisant pas par un avenant sa prise de l'emploi de directeur opérationnel, ni une fiche de poste afférente à cette fonction, en n'organisant jamais d'entretien annuel.

Toutefois, M. [R] ne démontre pas qu'il a subi un préjudice, distinct de celui qui est déjà réparé, du fait d'avoir travaillé des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées, éventuellement au cours de ses congés.

S'agissant de l'absence de formalisation d'un avenant et d'une fiche de poste, lorsque M. [R] a pris les fonctions de directeur opérationnel, ces seuls faits ne suffisent pas à caractériser le caractère déloyal de l'employeur quant à l'exécution du contrat de travail.

S'agissant de l'absence d'organisation d'un entretien annuel, M. [R] ne précise pas le type d'entretien auquel il se réfère. Le qualificatif d'annuel induit qu'il évoque un entretien d'évaluation mais l'organisation de ce dernier ne fait pas l'objet d'une obligation légale ou conventionnelle pour l'employeur.

Dès lors, la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail n'est fondée en aucune des moyens invoqués par M. [R]  ; le rejet de celle-ci sera confirmé.

Sur le bien fondé du licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 18 octobre 2017 notifiée à M. [J] [R] fixe ainsi les limites du litige :

« (') Nous vous informons de notre décision de procéder à votre licenciement pour motif personnel.

A l'appui de notre décision, nous avons notamment relevé les faits qui sont rappelés ci-après. (')

Plus précisément, nous avons objectivement constaté un laisser-aller qui s'est installée dans l'exercice de votre poste, un comportement routinier, des initiatives malheureuses et contraires à nos consignes et surtout une incapacité à vous remettre en question, soit autant d'éléments qu'il nous est impossible de laisser perdurer, sauf à menacer très gravement le bon fonctionnement de notre société.

Surtout, compte tenu de l'absence de toute explication donnée lors de l'entretien préalable, vous n'avez à aucun moment exprimé une quelconque volonté de redresser la situation, confortant ainsi notre vision des choses sur la dégradation de votre professionnalisme, laquelle s'illustre notamment au travers des points suivants :

- Délais et taux de service :

Alors même que votre fiche de poste énonce clairement le fait que le respect des délais de livraison vous incombe, nous avons été alertés fin septembre par notre client, la société [I], groupe Legris industries à ce sujet.

Nous avons ainsi été contactés par le responsable achats de la société [I] qui nous a fait part de son plus vif mécontentement sur les taux de service et qualité affichés par notre société.

A notre demande, le client nous a adressé un extrait de leurs statistiques fournisseurs concernant notre société, lesquelles démontrent de manière édifiante que nous ne sommes pas du tout en ligne avec les objectifs de performance fixés par le client, avec notre accord il y a un an.

Sur le mois d'août 2017, le responsable achats souligne que notre taux est de 0 % de pièces livrées à date d'accusé de réception de commande (ARC).

En tout dernier lieu, et compte tenu de notre taux de service mais également du manque de qualité, [I] nous a finalement signifié sa décision de nous retirer la production de pièces d'ici fin 2017 et le fait qu'elle ne consultera plus à l'avenir. Elle ne nous consulte déjà plus sur de nouvelles pièces depuis 6 mois.

Cette décision entraîne ainsi un manque à gagner de 200 k€ de chiffre d'affaires.

Malheureusement, le non-respect des délais et taux de service chez ce client est loin d'être un cas isolé, ce qui lui donne un aspect structurel particulièrement préoccupant.

En effet, en dépit de vos annonces sur l'amélioration de délais et du taux de service depuis maintenant trois ans, force est de constater qu'aucun de ces deux indicateurs ne s'améliore.

A la réception de commandes de certains clients (exemple Aquilus), vous repoussez systématiquement le délai de livraison de 5 à 12 jours, voire plus. Et en dépit de ce report, il apparaît bien souvent que la livraison finale intervient au-delà du report annoncé.

Cette situation préjudiciable pour le sérieux de notre société est d'autant moins tolérable que notre société a répondu favorablement à plusieurs de vos demandes, tant sur le plan des ressources humaines que sur les moyens matériels à mettre en 'uvre, pour tenter d'améliorer ces deux critères.

Ainsi, et sans que cette liste soit exhaustive, nous vous avons accordé :

- une refonte de l'équipe à votre demande (départs d'un salarié aux méthodes et du responsable technique)

- un plan d'investissement pour la réparation et l'entretien des poinçonneuses, pour un budget global de 150 k€

- l'agrandissement du bâtiment pour faciliter le stockage, pour un budget de 450 k€.

Toutefois, en dépit des mesures prises sur vos préconisations, les critères des délais et taux de service n'ont connu aucune amélioration. Pire, ceux-ci sont en constante dégradation.

Ces éléments, malgré l'accompagnement dont vous avez bénéficié et la patience dont nous avons fait preuve quant à l'attente de l'amélioration promise, ne sont plus acceptables de la part d'un cadre de votre niveau de formation, de responsabilités et d'expérience et mettent en évidence votre insuffisance dans la prise en charge de cette mission.

- Non-renouvellement de la norme ISO 9001 :

Dans le cadre de vos fonctions,la qualité constitue une attribution fondamentale qui vous incombe.

Ainsi, votre fiche de poste stipule précisément le fait que le renouvellement et le maintien de la certification ISO 9001 relevait de votre responsabilité.

Or il s'avère dernièrement que cette certification n'a pas été renouvelée, compte tenu du fait que le dossier de renouvellement qui vous incombait a été particulièrement mal conduit.

Ce non-renouvellement traduit ainsi une défaillance objective de votre part dans la réalisation de cette mission.

Ce fait démontre, là encore, une insuffisance dans l'exercice des responsabilités qui vous étaient confiées.

- Non-respect de l'inventaire physique

Depuis 25 ans, une procédure de deux inventaires physiques chaque année est établie. Un premier inventaire a lieu fin juin lors de l'établissement d'une situation comptable en forme de bilan, et le second fin décembre pour le bilan fiscal.

Or, cette année, vous avez délibérément pris la décision de ne pas procéder à un inventaire physique fin juin 2017, sans en référer [à M. [W] [G]], le mettant devant le fait accompli en septembre.

Pourtant, à plusieurs reprises, il vous avait été demandé de ne pas intervenir dans le domaine de la comptabilité.

Alors que votre contrat souligne le fait que l'ensemble de vos tâches doivent s'effectuer en étroite collaboration avec la direction de l'entreprise que vous devez tenir informée en permanence, vous avez pris une initiative qui dépassait le cadre de vos attributions et de surcroît à notre insu.

Nous ne pouvons dès lors tolérer ce type de comportement, qui illustre bien un changement radical dans votre comportement au travail et dans votre rapport à la hiérarchie.

- Comportement inapproprié dans le dossier de Monsieur [D] :

M. [D] a été engagé en septembre dernier en qualité de poinçonneur au sein de notre société.

Compte tenu d'éléments tenant au marché de l'emploi pour ce profil de poste, le recrutement de M. [D] a donné lieu à la négociation d'un salaire d'embauche sur la base d'un taux horaire supérieur à celui de ses collègues sur ce type de poste.

Lors d'un entretien en présence de M. [P], nos vous avions dès lors expressément demandé de rencontrer M. [D] afin de lui signifier de ne pas évoquer son taux horaire à ses collègues poinçonneurs, et ce afin de ne pas générer de polémiques inutiles envers les salariés.

Or, en dépit de notre demande, non seulement vous n'avez pas rencontré M. [D], mais vous avez poussé le vice jusqu'à annoncer aux autres poinçonneurs que le taux horaire de M. [D] était supérieur aux leurs.

Ce comportement est objectivement révélateur d'une certaine déloyauté.

Pire, vous avez même poussé plus loin votre attitude totalement inconséquente en vous targuant de cette révélation inappropriée auprès du personnel administratif.

Un tel fait est véritablement de nature à nous interroger quant à vos intentions, étant en effet établi que vous avez délibérément cherché à semer le désordre parmi l'équipe.

Ces éléments nous conduisent à vous notifier votre licenciement (...) »

Il en résulte qu'il s'agit d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l'employeur reprochant à M. [J] [R] une série de faits, qui à l'analyse se révèlent de deux natures différentes :

- une inaptitude professionnelle, caractérisée par le fait que les délais et taux de service ne se sont pas améliorés depuis trois ans, malgré les moyens alloués à M. [R] et les annonces faites par celui-ci à ce sujet, et également par le fait que M. [R] a mal conduit le dossier constitué en vue d'obtenir le renouvellement de la norme ISO 9001

- un double comportement fautif : d'une part, en décidant, alors que cela ne relevait pas de ses attributions, de ne pas faire procéder à un inventaire physique fin juin 2017 ; d'autre part, en ne respectant pas les consignes données par l'employeur quant à la discrétion à conserver au sujet du taux horaire de la rémunération de M. [D].

S'agissant de l'insuffisance professionnelle reprochée à M. [R], la fiche de poste de ce dernier, telle que rédigée le 1er septembre 2009 (pièce n° 3 de l'appelant) mentionne qu'il est chargé d'assurer le suivi des commandes et le respect des délais de livraison, de vérifier l'efficacité du système de management de la qualité, notamment par la mesure de satisfaction client, d'assurer le renouvellement et le maintien de la certification ISO 9001.

Concernant l'absence d'amélioration des délais et taux de service, la société JRT Industrie verse aux débats deux mails émanant d'un client, la société [I], qui relevait le faible taux de service sur le premier semestre 2016 et le mois d'août 2017 en particulier (pièces n° 17 et 18 de l'appelante), un mail d'un autre client, la société Ormazal, daté du 17 mai 2017, qui dénonce le fait qu'une fois de plus, le délai de livraison n'est pas respecté (pièce n° 19 de l'appelant). En outre, M. [G], dirigeant de la société JRT Industrie, a alerté M. [R] par mail du 30 septembre 2016 sur la nécessité de « réduire le taux de service et le nombre de jours », en précisant qu'il ne voulait « pas d'explication mais de l'action » (pièce n° 21 de l'appelant). La société JRT Industrie produit également ses tableaux journaliers des taux de service après le licenciement de M. [R] (pièces n° 44 et 45 de l'appelant), les enquêtes de satisfaction de sa clientèle en 2015, 2016 et 2018 (pièces n°32, 33 et 34 de l'appelant).

Ces éléments sont parcellaires et ne permettent pas d'apprécier la réalité de l'évolution des taux de service et de délai de manière globale entre 2015 et 2017 (la lettre de licenciement comportant une appréciation du travail accompli par M. [R] dans ce domaine depuis trois ans), d'autant plus que la société JRT Industrie omet de produire les tableaux journaliers des taux de service concernant cette période, alors qu'elle le fait pour l'année 2018. La matérialité du premier grief formulé dans la lettre de licenciement n'est donc pas établie.

Concernant le non-renouvellement de la certification ISO 9001, le rapport d'audit de certification, rédigé le 21 février 2017 (pièce n° 41 de l'appelant) relève une non-conformité majeure et trois non-conformités mineures. La non-conformité majeure réside dans le fait que « le président ne participe pas aux revues de direction, déléguées au directeur des opérations, qui ne possède pas les responsabilités, moyens et autorités pour fixer les objectifs et priorités, dégager les moyens nécessaires, arbitrer si besoin, et finalement apprécier si le SMQ [système de management de la qualité] est adapté et cohérent avec la politique ». Le responsable d'audit précise que ce sujet a déjà été signalé à l'audit de décembre 2014, que la preuve de l'engagement de la direction au développement et à la mise en 'uvre du SMQ n'est pas apportée, alors que la direction était absente des trois derniers audits réalisés dans l'entreprise. (page 9 du rapport d'audit).

Dès lors, le non-renouvellement de la certification ISO 9001 est motivée principalement par un défaut d'engagement de la direction de l'entreprise au développement et à la mise en 'uvre du SMQ, fait qui par nature, n'est pas imputable à M. [R], d'autant plus que ce dernier a, par mail du 27 février 2017, immédiatement relayé au directeur de l'entreprise la demande du responsable d'audit afin de pouvoir le rencontrer (pièce n° 4-3 de l'intimé). La matérialité du deuxième grief formulé dans la lettre de licenciement n'est donc pas établie, l'employeur échoue à démontrer l'insuffisance professionnelle alléguée de M. [R].

Concernant la décision fautive de M. [R] de ne pas faire procéder à un inventaire physique courant juin 2017, l'employeur a eu nécessairement connaissance au début du mois de juillet 2017 du fait que cet inventaire n'avait pas été accompli, à cause du comportement imputé à M. [R]. Toutefois, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, l'employeur disposait d'un délai de deux mois pour sanctionner en conséquence ce dernier. Or il a convoqué M. [R] à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier du 3 octobre 2017 et il ne rapporte pas la preuve qu'il n'a eu connaissance de la décision prétendument fautive dans les deux mois qui ont précédé cette date. Par l'effet de la prescription, ce fait fautif ne pouvait pas donner lieu au licenciement finalement décidé.

Concernant le non-respect des consignes données par l'employeur quant à la discrétion à conserver au sujet du taux horaire de la rémunération de M. [D], la société JRT Industrie ne produit strictement aucune pièce susceptible d'établir la réalité de ce grief, que ce soit les consignes de discrétion qui auraient été données à M. [R], la non-transmission de ces consignes à M. [D] ou même la divulgation du taux horaire de la rémunération de ce dernier auprès de ses collègues de travail. La matérialité du quatrième grief formulé dans la lettre de licenciement n'est donc pas établie.

En définitive, c'est à bon droit que les premiers juges ont dit que le licenciement de M. [R] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En vertu de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 en vigueur jusqu'au 1er avril 2018, applicable à la présente espèce compte tenu de la date du licenciement, en l'absence de réintégration comme tel est le cas en l'espèce, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre trois mois de salaire brut et huit mois de salaire brut pour huit années d'ancienneté complètes.

Le montant d'un mois de salaire brut retenu par les parties dans leurs écritures s'élève à 4 894,88 euros

En considération de la situation particulière de M. [R], notamment de son âge (31 ans) et de son ancienneté (8 ans) au moment de la rupture du contrat de travail, des circonstances de celle-ci, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation (il est justifié qu'il a retrouvé un emploi dès le 22 janvier 2028), il y a lieu de confirmer la condamnation de la société JRT Industrie à lui verser la somme de 39 159,04 euros, correspondant à huit mois de salaire brut, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du même code qui l'imposent et sont donc dans le débat, d'ordonner d'office à l'employeur de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens

La société JRT Industrie, partie perdante, sera condamné aux dépens

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La demande de la société JRT Industrie en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Pour un motif tiré de l'équité, la société JRT Industrie sera condamnée à payer à M. [R] 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse du 18 juin 2019, en toutes ses dispositions déférées ;

Ajoutant,

Ordonne à la société JRT Industrie de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [J] [R], dans la limite de six mois d'indemnités

Condamne la société JRT Industrie aux dépens de l'instance d'appel ;

Condamne la société JRT Industrie à payer à M. [J] [R] 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en appel.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/05505
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;19.05505 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award