La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/01/2023 | FRANCE | N°19/05538

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale b, 27 janvier 2023, 19/05538


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR





N° RG 19/05538 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQZS





[Y]

C/

Société NOVA NAUTIC







APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'OYONNAX

du 16 Juillet 2019

RG : 17/00083











COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE B



ARRÊT DU 27 JANVIER 2023



APPELANT :



[G] [Y]

né le 04 Novembre 1977 à [Localité 6] (92)

[Adresse 3]

[Localité 1]



représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON

et représenté par Me Carine AMOURIQ de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat plaidant ins...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 19/05538 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MQZS

[Y]

C/

Société NOVA NAUTIC

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'OYONNAX

du 16 Juillet 2019

RG : 17/00083

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 27 JANVIER 2023

APPELANT :

[G] [Y]

né le 04 Novembre 1977 à [Localité 6] (92)

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON

et représenté par Me Carine AMOURIQ de la SCP REVEL MAHUSSIER & ASSOCIES, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,

INTIMÉE :

Société NOVA NAUTIC

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat postulant inscrit au barreau de LYON

et représentée par Me Xavier BLUNAT, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON,

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 16 Novembre 2022

Présidée par Régis DEVAUX, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Béatrice REGNIER, président

- Catherine CHANEZ, conseiller

- Régis DEVAUX, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La S.A.S. Nova Nautic exerce une activité de fabrication et de distribution d'équipements portuaires (tels que pontons, catways et passerelles). Elle emploie plus de dix salariés, qui sont soumis à la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1992 (IDCC 1702). M. [G] [Y] a été embauché par la société Poralu PVC, une filiale de Nova Nautic, en qualité de cadre ' position C, coefficient 130, responsable des achats / supply chain, à compter du 1er septembre 2009, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée signé le 29 avril 2009.

Au cours de l'année 2014, M. [Y] s'est vu confier, en sus du service achats et innovations, la responsabilité de l'activité CEI de l'entreprise (c'est à dire le développement de solutions environnementales pour le traitement des eaux et effluents des plaisanciers et des professionnels de la mer).

Par lettre remise en main propre le 9 juin 2017, M. [G] [Y] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 20 juin 2017, avec prononcé d'une mise à pied conservatoire. Par lettre recommandée avec accusé réception du 27 juin 2017, il a été licencié pour faute grave.

Le 8 juillet 2017, M. [G] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes d'Oyonnax, afin notamment de contester le bien-fondé de son licenciement.

Par jugement du 16 juillet 2019, le conseil de prud'hommes d'Oyonnax a :

- dit et jugé que M. [G] [Y] est bien fondé de solliciter un rappel de prime variable pour l'exercice 2016/2017 ;

- condamné la société Nova Nautic au paiement des sommes suivantes : 6 000 euros à titre de rappel de salaire sur variable, outre 600 euros de congés payés afférents ; 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que le licenciement de M. [G] [Y] repose sur une faute grave ;

- dit et jugé que la société Nova Nautic a exécuté son contrat de travail avec M. [Y] de manière loyale ;

- débouté M. [Y] de l'ensemble de ses autres chefs de demandes ;

- débouté la société Nova Nautic de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

- condamné la société Nova Nautic aux entiers dépens.

Le 29 juillet 2019, M. [G] [Y] a interjeté appel de ce jugement, par déclaration formulée par voie électronique. L'acte d'appel précise que M. [Y] demande l'infirmation du jugement, en ce qu'il a dit que son licenciement repose sur une faute grave et que la société Nova Nautic a exécuté le contrat de travail de manière loyale, également en ce qu'il l'a débouté de toutes ses autres demandes, qui sont expressément rappelées.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, notifiées le 10 octobre 2022, M. [G] [Y] demande à la Cour de :

- infirmer le jugement déféré, en ce qu'il a dit qu'il n'avait pas accompli d'heures supplémentaires, que la société Nova Nautic avait exécuté loyalement le contrat de travail et que son licenciement était fondé sur une faute grave, et, statuant à nouveau, de condamner la société Nova Nautic à lui payer les sommes suivantes :

- 98 844,68 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 9 884,46 euros de congés payés afférents

- 58 755 euros à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur

- 25 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

- 3096,60 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire abusive, outre 309,66 € de congés payés afférents

- 18 472,14 € d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 847,21 € de congés payés afférents

- 14 469,83 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 90 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse

- confirmer le jugement déféré, en ce qu'il a condamné la société Nova Nautic au règlement d'un rappel de prime variable, et juger qu'il est bien fondé à solliciter un rappel de prime variable pour l'exercice 2016/2017 à hauteur de 6 000 euros à titre de rappel de salaire, outre 600 euros de congés payés afférents

Dans tous les cas,

- condamner la société Nova Nautic au règlement de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Nova Nautic aux dépens de première instance et d'appel

A titre subsidiaire,

- confirmer les termes du jugement de première instance.

M. [Y] fait valoir que, pleinement impliqué dans son activité professionnelle, compte tenu de ses attributions de responsable des achats et du projet CEI, il travaillait en moyenne 55 heures par semaine, ce qui impliquait 16 heures supplémentaires qui n'étaient pas rémunérées. Il estime qu'il a atteint deux des cinq objectifs qui lui étaient fixés pour la période 2016/2017 et qu'il a donc droit à une prime d'objectif, d'un montant fixé en conséquence. De manière plus générale, il soutient que son employeur a, de plusieurs manières différentes, exécuté de manière déloyale le contrat de travail. Il conteste tout comportement déloyal envers son employeur, tel que celui est spécifié dans la lettre de licenciement.

Dans ses dernières conclusions uniques, notifiées le 3 octobre 2022, la société Nova Nautic, intimée, demande à la Cour de :

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [Y] de l'intégralité de ses prétentions, à l'exception de celle portant sur sa prime d'objectif et l'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile

- réformer le jugement du conseil de prud'hommes, en ce qu'il l'a condamnée au paiement des sommes de 6 000 euros à titre de rappel de salaire sur variable, outre 600 euros de congés payés afférents ; 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner la restitution des sommes réglées en exécution du jugement attaqué

- reconventionnellement, condamner M. [Y] à lui payer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner M. [Y] aux entiers dépens.

La société Nova Nautic prétend que M. [Y] n'a pas accompli d'heures supplémentaires, et qu'il n'a rempli aucun objectif susceptible de lui donner droit à une prime. Elle conteste la réalité des comportements que M. [Y] lui impute pour affirmer son caractère déloyal dans l'exécution du contrat de travail. Elle estime établir la réalité des griefs articulés à l'encontre du salarié, mentionnés dans la lettre de licenciement.

La clôture de la procédure est intervenue le 25 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demande en rappel de salaire pour heures supplémentaires et en paiement d'indemnité compensatrice de repos compensateur :

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant. (selon l'interprétation faite en dernier lieu par la Cour de cassation de cette disposition légale : Cass. Soc., 18 mars 2020 - pourvoi n° 18-10.919).

En l'espèce, le contrat de travail de M. [G] [Y] prévoyait un horaire de travail mensuel de 169 heures dont compris un temps de pause considéré hors travail effectif.

M. [Y] explique qu'il réalisait de nombreux déplacements qui augmentaient son temps de travail hebdomadaire, que, cumulant les fonctions de responsable des achats du groupe et de responsable de l'activité CEI, il travaillait régulièrement à son domicile le soir ou encore parfois le week-end. M. [Y] verse aux débats trois attestations, celles de M. [Z] [B], qui se présente comme partenaire technique pour le projet Seabin, et de M. [J] [C], skipper, d'où il résulte que M. [Y] se rendait disponible le soir et le week-end pour assurer la réussite du projet (pièces n° 32 et 33 de l'appelant), ainsi que celle de M. [N] [A], directeur du port de plaisance du [Localité 4], qui affirme que M. [Y] a travaillé même certains week-ends pour la réussite de projets communs (pièce n° 34 de l'appelant).

Aucune de ces attestations ne précise toutefois à quelle époque et dans quelles circonstances son auteur a constaté que M [Y] travaillait le soir ou au cours d'un week-end.

M. [Y] conclut qu'il « a pu estimer une moyenne d'environ 55 heures de travail par semaine », pour en déduire que, pour chaque semaine entre août 2014 et le 28 juin 2017, il a travaillé 16 heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées.

M. [Y] a raisonné en estimant une moyenne de durée de travail, qui serait applicable sur 133 semaines, sans aucune distinction, alors même qu'il ne précise pas sur quels éléments factuels il s'appuie pour obtenir une durée moyenne hebdomadaire de 55 heures ; au demeurant, la société Nova Nautic fait observer, sans être contredite, que M. [Y] ne tient pas compte des jours de récupération pris en février et avril 2016 et en mars 2017 (pièces n° 17.1 de l'intimée), ni de la semaine de congés prise en avril 2017 (pièces n° 17.2 de l'intimée).

La Cour en déduit que M. [Y] ne présente pas d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies, ce qui ne permet pas à l'employeur d'y répondre utilement, et a la conviction que M. [Y] a été intégralement rémunéré pour les heures qu'il a travaillées. Dès lors, le jugement déféré sera confirmé, en ce qu'il a rejeté ses demandes en paiement de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, ainsi que de l'indemnité compensatrice de repos compensateur (dû en contrepartie des heures supplémentaires effectuées hors contingent annuel).

Sur la demande en paiement d'une prime d'objectif :

Le contrat de travail de M. [Y] prévoit, en son article 7, qu'il est tenu de réaliser des objectifs personnels, lesquels constituent un élément de l'exécution du contrat de travail. Les objectifs fixés et le montant de la prime versée en cas de réalisation de ces objectifs sont rediscutés chaque année.

L'employeur a, pour la période de référence allant du 1er avril 2016 au 31 mars 2017, fixé les objectifs suivants pour le versement de la prime :

1- réaliser un chiffre d'affaires de 1 100 k€ pour l'activité CEI conformément au budget

2- avoir une activité CEI avec un Rex de 5 % conformément au budget

3- organiser une montée en compétences des équipes en coordination avec les responsables de pôle

4- développement produit Seabin terminé et produit prêt à expédier au 01/04/2017

5- transition achat : maintien du panel + accompagnement nouveau resp achats. (pièce n° 20 de l'appelant).

M. [Y] prétend au versement d'une partie de la prime, pour avoir atteint les objectifs n° 3 et 5.

Précisément, l'objectif n° 3 est défini ainsi :

« - mettre à disposition les outils et former les commerciaux aux produits stratégiques retenus

- mettre à disposition les outils et former les Affaires aux produits stratégiques retenus

- mettre à disposition les outils et former les Opérations aux produits stratégiques retenus

- mettre à disposition les outils et former les Travaux aux produits stratégiques retenus

Validation des plans de formation par les responsables de pôle. Prime de 3 500 € en mode tout ou rien ».

M. [Y] se réfère à un extrait de son agenda, pour la période allant du 2 janvier au 28 mai 2017 (pièce n° 17-2 de l'intimée), et un document informatique, d'origine indéterminée, mentionnant l'organisation de plan de formation des commerciaux CEI le 1er septembre 2016 (pièce n° 41 de l'appelant). La société Nova Nautic conclut que cet objectif n'a pas été atteint, dans la mesure où les responsables de pôle, M. [F] et M. [V], attestent que, si M. [Y] est intervenu devant les commerciaux et au pôle Affaires, il s'agissait d'une présentation des produits CEI, et non pas d'une formation (pièces n° 21 et 22 de l'intimée).

Il n'est donc pas établi que M. [Y] a effectivement mis en 'uvre, en 2016-2017, des plans de formation validés par les responsables de pôle, à destination des commerciaux mais aussi des membres du personnel des Affaires, des Opérations et des Travaux.

Ensuite, concernant l'objectif n° 5, auquel était associée une prime de 2 500 € en mode tout ou rien, s'il n'est pas contesté que M. [Y] a rencontré M. [W], nouveau responsable des achats, pendant un total de 5 heures les 2 et 3 juin 2017, la brièveté de ces échanges ne saurait caractériser la réalité d'un accompagnement du nouvel arrivant. En outre, il n'est pas alléguéi que la condition tenant au maintien du panel, qui faisait pourtant partie de la définition de l'objectif n° 5 ait été remplie.

Dès lors, M. [Y] n'ayant pas rempli les objectifs en question, il n'a pas droit au versement de la prime. Sa demande de ce chef doit être rejetée, le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur :

M. [Y] soutient que son employeur a exécuté de manière déloyale le contrat de travail, parce que :

- il lui a demandé d'occuper deux postes, ce qui a entraîné une surcharge de travail ;

- il ne lui pas alloué les moyens nécessaires pour mener à bien ses missions

- il ne lui a pas payé les heures supplémentaires de travail et la prime d'objectif

- il a manqué à son obligation d'adaptation et de formation à son égard, en lien avec l'évolution de son emploi

- il l'a mis à l'écart de manière progressive par la suppression des fonctions managériales, qui lui étaient auparavant confiées.

Toutefois, M. [Y] ne démontre pas que le fait, pour son employeur, de lui confier en 2014 la responsabilité de l'activité CEI constituait un comportement déloyal, ni qu'il avait droit au paiement d'un rappel de salaire pour des heures supplémentaires, ni au versement de la prime d'objectif en juin 2017. M. [Y] ne produit aucune pièce de nature à objectiver qu'il a dû faire face à une surcharge de travaillait

De même, alors que M. [Y] rappelle qu'il a signalé à son employeur qu'il ne lui accordait pas les moyens nécessaires pour mener à bien le projet Seabin (pièces n° 12 et 43), cette appréciation de M. [Y] apparaît comme une remise en cause du pouvoir de direction de son employeur, qui, pour sa part, n'a jamais reproché à son salarié d'avoir échoué dans sa mission de mener à bien ce projet. Il ne peut donc pas être retenu à cet égard un comportement déloyal de la part de la société Nova Nautic.

M. [Y] indique qu'il n'a plus exercé de fonctions managériales à compter de 2016 et n'a donc plus été évalué à ce sujet à l'occasion de son entretien annuel (pièce n° 12 de l'appelant). Il demandait d'ailleurs, le 5 mai 2017, à retrouver des responsabilités d'encadrement (pièce n° 4 de l'appelant). La société Nova Nautic explique qu'en réalité, M. [Y] n'encadrait plus directement du personnel, parce que l'organisation des services relativement au projet CEI était transverse et M. [Y] n'était donc pas le manager d'une équipe de salariés désignés. Ainsi, au vu de l'ensemble des observations des parties et des pièces versées aux débats, il n'est pas démontré le caractère déloyal du comportement de l'employeur sur ce sujet.

Il affirme mais sans le démontrer qu'il n'a plus été convoqué au comité opérationnel de l'entreprise, ou encore qu'en avril 2017, son bureau a été déplacé près d'une machine de production bruyante. Par mail du 11 mai 2017, M. [Y] dénonçait le fait que son employeur avait décidé de lui retirer la direction du projet Seabin (pièce n° 18 de l'appelant). La Cour note toutefois que ce retrait du projet a été décidé peu de temps avant l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave, prétendument commise à l'occasion du travail de M. [Y] sur ce projet ; il ne saurait donc caractériser un comportement déloyal de la part de l'employeur.

En dernier lieu, s'agissant du respect par l'employeur de son obligation d'adaptation et de formation, s'il n'est pas contesté que M. [Y] a certes refusé de suivre une formation, le 11 mai 2016, concernant la passation et l'exécution des marchés publics (pièce n° 23.2 de l'intimée), il n'est pas démontré que le salarié ait suivi des actions de formation, en interne ou externalisées, au cours des six années durant lesquelles le contrat de travail a reçu exécution. Ces besoins de formation ont pourtant été identifiés à l'occasion des entretiens annuels d'évaluation, comme par exemple en matière de management, de marketing (pour le lancement de nouveaux produits) ou encore de business developpement (pièces n° 7, 8, 9 et 10 de l'appelant).

La société Nova Nautic oppose à M. [Y] le fait qu'il appartient à chacun de ses salariés, qui a obtenu l'accord de la direction pour suivre une formation particulière, de trouver l'organisme adéquat pour dispenser cette formation et qu'en l'occurrence, lui n'a jamais effectué la recherche de cet organisme. Toutefois, ce moyen est inopérant pour apprécier si l'employeur a respecté l'obligation de formation, qui lui est propre.

En conséquence, la société Nova Nautic a exécuté de manière déloyale le contrat de travail, uniquement en manquant à son obligation de formation et d'adaptation du salarié. Elle sera condamnée à payer à M. [Y] 3 000 euros de dommages et intérêts, en réparation du préjudice né de ce manquement.

Sur le bien fondé du licenciement :

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause réelle du licenciement est celle qui présente un caractère d'objectivité. Elle doit être exacte. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite des relations contractuelles.

Aux termes de l'article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail, la lettre de licenciement comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Ces motifs doivent être suffisamment précis et matériellement vérifiables. La datation dans cette lettre des faits invoqués n'est pas nécessaire. L'employeur est en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier des motifs. Si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

En outre, la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement adressée à M. [G] [Y], datée du 27 juin 2017, fixe les limites du litige en ces termes.

« (') Nous avons découvert à l'issue de nombreux échanges avec la société Seabin, que vous avez adopté une attitude d'une gravité intolérable, tant à notre égard qu'à celui de notre partenaire tout au long de ces derniers mois.

Compte tenu des éléments recueillis et des investigations menées à ce sujet, il en ressort que vous n'avez eu de cesse de dénigrer notre entreprise auprès de la société Seabin, mettant en doute notre capacité à honorer notre partenariat avec cette dernière au prix, vous le savez pourtant, de nombreux efforts.

Ces critiques incessantes et manifestement virulentes n'ont pas manqué de générer des troubles particulièrement préjudiciables à la crédibilité comme à l'image de notre structure.

(') Nous avons eu le regret, sinon la stupeur, d'apprendre par le biais d'un mail du 6 avril 2017 qui vous était adressé par M. [L] [O] et dont nous étions destinataires en copie, qu'il entendait remettre en cause les termes de notre partenariat tel que signé initialement, pour nous confier in fine qu'un rôle de simple fabriquant.

Loin d'imaginer les véritables raisons de ce retournement soudain de situation, qui signifiait en somme, pour nous, de perdre l'essence même de ce marché, nous avons pris attache avec M. [O] en vue d'obtenir de plus amples explications.

Dans ce cadre, ce dernier nous a alors révélé que sa volonté de nous amputer de l'essentiel de nos responsabilités dans ce projet résultait directement de votre attitude malhonnête, consistant, d'une part, à jeter le discrédit sur les compétences de Poralu et,d'autre part, à véhiculer de fausses informations auprès de ses propres interlocuteurs.

Plus précisément, ce dernier nous a fait part des mécontentements, reproches et critiques que vous n'avez cessé d'exprimer ouvertement concernant le mode de gestion des projets et les choix stratégiques et opérationnels de la direction, et plus généralement selon vous du manque d'intérêt de Poralu pour les projets que vous présentiez.

Il nous a également informé des informations mensongères que vous leur avez communiquées pour leur faire croire à notre incapacité à assurer et à honorer notre partenariat d'industrialisation et de commercialisation des produits Seabin.

Plus encore, dans la perspective où les missions de vente et de distribution nous étaient ainsi retirés, du fait de vos manigances, vous n'avez pas hésité à leur demander de vous recruter en interne en tant que « project manager » de Seabin.

Pire, votre objectif clairement affiché était de réduire Poralu à un simple rôle de fabriquant et de proposer vos services ainsi que votre soi-disant réseau pour gérer les autres aspects de ce marché, en vous attribuant le leadership pour le mener à son terme.

En cherchant ainsi à nous évincer, et alors même que vous étiez salarié (cadre qui plus est !) de notre entreprise, vous avez osé vous approprier et tenter de détourner à votre profit un projet appartenant à Poralu, d'une importance et d'une envergure considérable pour l'entreprise.

(') Vos critiques mensongères, doublées de vos agissements déloyaux, ont eu des répercussions extrêmement dommageables pour notre entreprise. (...) »

Par mail du 6 avril 2017, M. [L] [O], responsable du projet Seabin, déclarait qu'il lui apparaissait de plus en plus compliqué de finaliser un accord de partenariat avec la société Poralu et qu'il préférait s'orienter vers une autre solution, à savoir : la société Poralu serait chargée de fabriquer les produits de type Seabin, la société Seabin de les distribuer. Il ne faisait alors nullement référence à M. [Y].

M. [I], salarié de la société Nova Nautic, responsable Business Unit, indique qu'il appris, le 10 mai 2017, de M. [O] lui-même que la société Seabin n'avait plus confiance dans la capacité de la société Poralu à mener à bien le projet Seabin, parce que M. [Y] s'était confié à lui au sujet de lourdeurs dasn l'organisation de la société Poralu. M. [O] ajoute que M. [Y] lui a proposé d'intégrer le personnel de la société Seabin, comme product manager. M. [I] a par la suite trouvé un terrain d'entente avec M. [O], qui a posé comme condition à la participation de la société Poralu au projet de Seabin que M. [Y] en soit évincé (pièce n° 14.1 de l'intimée).

M. [O], dans des mails des 10 mai et 1er juin 2017 adressés à M. [I], déclare que M. [Y] l'a contacté au début du mois d'avril 2017, en lui précisant que leurs échanges devaient rester strictement confidentiels. Il a alors expliqué à M. [O] que la société Poralu ne lui donnait pas les moyens de travailler sur des projets intéressants, qu'elle n'était pas en capacité de mener à bien le projet Seabin et qu'il envisageait de quitter l'entreprise, pour travailler en free-lance ou bien directement comme project manager pour le compte de M. [O]. Ce dernier ajoutait qu'il lui avait été difficile de travailler avec M. [Y], qui, il l'avait constaté, avait pu donner de fausses informations à des prestataires, concernant le projet Seabin. M. [O] indiquait que M. [Y] avait par des agissements de cette nature nui à la réputation de la société Poralu, présentée comme une entreprise désorganisée et peu fiable, et que le comportement de ce dernier constituait l'une des raisons pour lesquelles il avait envisagé de rompre les relations avec la société Poralu (pièces n° 14.3, 14.4 et 14.5 de l'intimée).

Sans qu'il y ait lieu de remettre en cause la crédibilité des assertions de M. [O] dans ses mails, malgré les dénégations de M. [Y], il est ainsi établi que, si M. [O] a projeté de mettre fin à la relation de partenariat qui avait été engagée avec la société Poralu concernant le projet Seabin, c'était notamment à cause des déclarations de M. [Y] concernant son employeur. Les attestations versées aux débats par l'appelant, desquelles il résulte pour l'essentiel que leurs auteurs n'ont jamais entendu M. [Y] se montrer dénigrant à l'endroit de la société Poralu (pièces n° 28, 32 et 34 de l'appelant) sont sans emport sur l'appréciation des griefs articulés dans la lettre de licenciement, car ceux-ci découlent tout entier de la discussion téléphonique qui a eu lieu au début du mois d'avril 2017 entre M. [Y] et [O], hors la présence de tout témoin.

En conséquence, le licenciement de M. [Y] pour faute grave est fondé, son comportement à l'égard de M. [O] étant constitutif d'une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, puisque manifestement de nature à nuire gravement aux intérêts de son employeur. Le rejet des demandes fondées sur le caractère abusif du licenciement sera confirmé.

Sur la demande de l'intimée aux fins de restitution des sommes réglées en exécution du jugement attaqué

S'agissant de la demande de restitution des sommes que la société Nova Nautic affirme avoir réglées en exécution de la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes, il y a lieu de rappeler que le présent arrêt, pour partie infirmatif, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées par l'appelant en exécution du jugement de première instance.

Sur les dépens :

M. [G] [Y], partie perdante pour le principal, sera condamné aux dépens, en application de l'article 696 du code de procédure civile.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

La demande de M. [Y] en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

Pour un motif tiré de l'équité, la demande de la société Nova Nautic en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Oyonnax du 16 juillet 2019, en ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a :

- dit et jugé que M. [G] [Y] est bien fondé de solliciter un rappel de prime variable pour l'exercice 2016/2017 ;

- condamné la société Nova Nautic au paiement des sommes suivantes : 6 000 euros à titre de rappel de salaire sur variable, outre 600 euros de congés payés afférents ; 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [G] [Y] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Statuant à nouveau sur les dispositions infirmées et ajoutant,

Rejette la demande de M. [G] [Y] en paiement d'une prime pour l'exercice 2016/2017, outre les congés payés afférents ;

Condamne la société Nova Nautic à payer à M. [G] [Y] 3 000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

Condamne M. [G] [Y] aux dépens de l'instance d'appel ;

Rejette les demandes de M. [G] [Y] et de la société Nova Nautic en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale b
Numéro d'arrêt : 19/05538
Date de la décision : 27/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-27;19.05538 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award