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05/04/2023 | FRANCE | N°19/07171

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 05 avril 2023, 19/07171


AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE



N° RG 19/07171 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MUR4



[F]

C/

Société BOCCARD

Société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS ' LIP



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 17 Septembre 2019

RG : 17/01804



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 05 AVRIL 2023





APPELANT :



[G] [F]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Anna

bel PASCAL de la SARL LCR AVOCAT, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean FAYOLLE de la SELARL CABINET JEAN FAYOLLE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





INTIMÉES :



Société BOCCARD

[Adresse...

AFFAIRE PRUD'HOMALE : COLLÉGIALE

N° RG 19/07171 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MUR4

[F]

C/

Société BOCCARD

Société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS ' LIP

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 17 Septembre 2019

RG : 17/01804

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 05 AVRIL 2023

APPELANT :

[G] [F]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Annabel PASCAL de la SARL LCR AVOCAT, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Jean FAYOLLE de la SELARL CABINET JEAN FAYOLLE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMÉES :

Société BOCCARD

[Adresse 3]

[Localité 6]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Christian BROCHARD de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON,

Société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS venant aux droits de la société LES INTERIMAIRES PROFESSIONNELS 13

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Olivier FOURMANN de la SELARL FOURMANN & PEUCHOT, avocat au barreau de LYON substitué par Me Nathalie BOYER-SANGOUARD, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 07 Février 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Joëlle DOAT, Présidente

Nathalie ROCCI, Conseiller

Anne BRUNNER, Conseiller

Assistés pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffière.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 Avril 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Joëlle DOAT, Présidente, et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

M. [F] a été engagé par la société Les Intérimaires Professionnels 13 (ci après dénommée LIP), entreprise de travail temporaire, du 11 juillet 2011 au 10 juin 2016 pour être mis à la disposition de la société Boccard en qualité de soudeur dans le cadre de missions temporaires.

Par acte du 13 juin 2017, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande de requalification de l'ensemble de ses contrats de mission en contrat à durée indéterminée, d'une demande de dommages-intérêts au titre d'une rupture sans cause réelle et sérieuse survenue le 10 juin 2016, action dirigée contre la société Boccard .

Parallèlement, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Martigues des mêmes chefs de demandes dirigées contre la société LIP 13.

Par jugement rendu le 12 mars 2018, le conseil de prud'hommes de Martigues a constaté la situation de litispendance entre les deux litiges pendants devant le conseil de prud'hommes de Martigues et le conseil de prud'hommes de Lyon opposant M. [F] à la société LIP et à la société Boccard et s'est dessaisi au profit du conseil de prud'hommes de Lyon.

Par jugement du 17 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

- ordonné pour une bonne administration de la justice, la jonction des instances RG 17/01804 et RG 18/01159

- dit et jugé que l'action n'est pas prescrite

- mis hors de cause la société LIP13

- requalifié les 53 contrats de mission successivement conclus entre M. [F] et la société Boccard durant la période allant du 11 juillet 2011 au 10 juin 2016, en un contrat de travail de droit commun à durée indéterminée

- condamné en conséquence la société Boccard à verser à M. [F] les sommes suivantes:

* 5 000 euros à titre d'indemnité de requalification

* 6 677,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 667,71 euros au titre des congés payés afférents

* 3 338,56 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

* 3 556,70 euros à titre de rappel de salaire pour non respect du temps de travail, outre la somme de 355,67 euros à titre de congés payés afférents

- condamné la société Boccard à verser à M. [F] les sommes suivantes:

* 22 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

* 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et repos hebdomadaire

* 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné la délivrance à M. [F], sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à compter du mois suivant la mise à disposition du présent jugement, les documents relatifs à la rupture du contrat de travail rectifiés :

- Dit que le conseil se réserve le droit de liquider l'astreinte en cas de besoin

- Ordonné d'office à la société Boccard de rembourser à Pôle Emploi trois mois d'indemnités de chômage versées à M. [F] du jour de son licenciement au jour du jugement

- débouté M. [F] du surplus de ses demandes ainsi que la société Boccard et la société LIP 13 de leurs demandes respectives fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société Boccard aux entiers dépens d'instance et aux éventuels frais d'exécution forcée.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 17 octobre 2019 par M. [F].

Dans ses conclusions d'appel notifiées le 15 janvier 2020, M. [F] a demandé à la cour de lui donner acte de son désistement d'appel à l'égard de la société Boccard .

Suivant une ordonnance du 11 juin 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident soulevé par la société Boccard et a déclaré recevable l'appel subsidiaire en garantie formé par la société LIP 13 à l'égard de la société Boccard .

Suivant une ordonnance de mise en état du 13 janvier 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d'appel principal de M. [F] en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la société Boccard et a dit que M. [F] et la société Boccard supporteront la charge des dépens respectivement engagés.

Par conclusions notifiées le 12 janvier 2023, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, M. [F] demande à la cour de :

- Lui donner acte de son désistement d'appel principal à l'encontre de la Société Boccard ; - Confirmer les dispositions du jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Lyon le 17 septembre 2019 relatives à la Société Boccard ;

- L'infirmer en ce qu'il :

- a fixé sa moyenne mensuelle à la somme de 3 338,56 euros

- a mis hors de cause la Société Les Intérimaires Professionnels

- l'a débouté de toutes ses demandes à l'encontre de la Société Les Intérimaires Professionnels ;

Et, statuant à nouveau,

- Requalifier les contrats de mission successivement conclus en un contrat de travail à durée indéterminée, envers la société Les Intérimaires Professionnels ;

- Dire la rupture du contrat à durée indéterminée intervenue le 10 juin 2016 être sans cause réelle et sérieuse ;

- Fixer la moyenne des salaires à la somme de 3 614,54 euros ;

- Condamner la société Les Intérimaires Professionnels à lui verser les sommes suivantes : * indemnité compensatrice de préavis : 7 229,08 euros, subsidiairement : 3 614,54 euros

* congés payés afférents : 722,90 euros, subsidiairement 361,45 euros

* indemnité légale de licenciement : 3 614,54 euros, subsidiairement 903,64 euros

* indemnité pour irrégularité de procédure : 3 614,54 euros

*dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail : 30 000 euros

*dommages et intérêts pour maintien abusif dans la précarité : 10 000 euros

*dommages et intérêts pour inégalité de traitement au titre des congés payés : 5 000 euros

* dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire : 9 000 euros

* dommages et intérêts pour travail dissimulé : 20 934,78 euros

- Condamner la société Les Intérimaires Professionnels à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Assortir les condamnations des intérêts au taux légal, avec capitalisation, à compter de la

convocation initiale de la société Les Intérimaires Professionnels, soit le 13 juin 2017 ;

- Condamner la société Les Intérimaires Professionnels aux entiers dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution à intervenir.

Par conclusions notifiées le 24 décembre 2020, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, la société Les Intérimaires Professionnels demande à la cour de :

A titre principal :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Conseil de Prud'hommes de Lyon, et par voie de conséquence,

- Mettre hors de cause la société Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13,

- Débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions dirigées contre elle

- Condamner M. [F] au paiement de la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [F] aux entiers dépens

A titre subsidiaire,

1°- Sur la requalification des contrats de mission :

- Dire que M. [F] compte une ancienneté de 13 mois,

- Limiter le montant de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3 338,56 euros, outre 333,85 euros au titre des congés payés y afférents, et à titre infiniment subsidiaire, à 6 677,12 euros bruts, outre 667,71 euros bruts au titre des congés payés afférents, prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP13 et Boccard, et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

- Limiter le montant de l'indemnité légale de licenciement à hauteur de 725,45 euros et à 3 285,14 euros à titre infiniment subsidiaire, prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard, et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

- Limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à hauteur de 6 677,00 euros, et à titre infiniment subsidiaire à hauteur de 20 031,36 euros, prononcer la condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard, et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés,

-Limiter le montant de l'indemnité pour irrégularité de procédure à hauteur de 3 358,56 euros, dans le cas où l'ancienneté de M. [F] serait retenue à moins de deux ans, prononcer la

condamnation solidaire des sociétés Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13 et Boccard, et fixer la répartition des condamnations à hauteur de 50% à la charge de chacune des sociétés, et le débouter de cette demande en cas d'ancienneté retenue depuis le 10 juillet 2011.

2°) Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail :

A titre principal :

- Débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire,

- Condamner la société Boccard à la garantir du paiement intégral des condamnations qui pourraient être prononcées pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire et pour travail dissimulé,

- Condamner la société Boccard à garantir la société Les Intérimaires Professionnels-LIP venant aux droits de LIP 13 à hauteur de 50% de condamnations qui pourraient être prononcées pour inégalité de traitement au titre des congés payés et pour maintien abusif dans la précarité.

Par conclusions régulièrement notifiées le 7 juillet 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société Boccard demande à la cour de :

A titre liminaire

- Dire et juger que la société Boccard accepte le désistement de M. [F]

À titre principal

- Dire et juger que les demandes de M. [F] sont infondées

Par conséquent,

- Débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes

- Confirmer le jugement rendu le 17 septembre 2019 par le Conseil de prud'hommes de Lyon

À titre subsidiaire

- Dire et juger que la société Boccard ne peut être condamnée deux fois au titre d'un même poste de préjudice

- Dire et juger que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 17 septembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Lyon fait obstacle à ce que la société Boccard soit appelée en garantie des condamnations éventuellement prononcées au profit de l'appelant

Par conséquent,

- Rejeter la demande de la société LIP tendant au prononcé de condamnations solidaires entre les deux sociétés intimées

- Rejeter la demande formulée par la société LIP tendant à la condamnation de la société Boccard à garantir la société LIP du paiement intégral des condamnations qui pourraient être prononcées pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire et pour travail dissimulé ;

- Rejeter la demande de la société LIP tendant à la condamnation de la société Boccard à garantir la société LIP à hauteur de 50 % des condamnations qui pourraient être prononcées pour inégalité de traitement au titre des congés payés et pour maintien abusif dans la précarité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023.

MOTIFS

- Sur la demande de requalification des contrats de mission :

M. [F] sollicite la requalification de ses contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée en invoquant d'une part, l'inobservation par la société de travail temporaire du délai de carence prévu par l'article L. 1251-36 du code du travail, d'autre part, sa mise à disposition régulière et exclusive auprès de la société Boccard pour pourvoir un poste unique en prés de cinq années.

Il expose que sa demande de requalification à l'égard de l'entreprise de travail temporaire n'est pas fondée sur l'article L. 1251-40 du code du travail qui prévoit la sanction des manquements des entreprises utilisatrices, mais sur la jurisprudence qui est venue combler une lacune du législateur afin de sanctionner les manquements des entreprises de travail temporaire à l'occasion de la conclusion des contrats de mission.

M. [F] conclut que pour l'avoir réservé à l'usage exclusif et régulier de la société Boccard, la société LIP a agi de concert avec elle pour contourner l'interdiction faite à l'entreprise utilisatrice, sa cliente, de recourir au travail temporaire et que ces circonstances caractérisent une entente frauduleuse au sens de l'article L. 1251-6 du code du travail.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription partielle, M. [F] fait valoir d'une part, que par l'effet de la requalification en un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié est réputé avoir occupé l'emploi à durée indéterminée depuis le premier jour de sa première embauche, ce dont il résulte que le délai de prescription, aussi loin que puisse remonter le premier contrat de mission, ne court qu'à compter du terme du dernier contrat.

Il fait valoir d'autre part que la requalification, même si elle concerne plusieurs blocs de contrats espacés de plusieurs années, doit s'analyser en un seul et unique contrat de travail à durée indéterminée.

M. [F] conclut qu'il disposait par conséquent d'un délai de deux ans à compter du terme du dernier contrat de mission , soit à compter du 11 juin 2016, pour engager son action et qu'il a bien saisi le conseil de prud'hommes dans ce délai, le 13 juin 2017.

La société LIP s'oppose à cette demande et conclut à la confirmation de sa mise hors de cause par le conseil de prud'hommes en soutenant à titre principal, que le non -respect du délai de carence n'a pas pour effet d'entraîner la requalification des contrats de mission en contrat de travail à durée indéterminée.

La société LIP fait valoir que :

- dans sa liste de contrats, M. [F] ne vise pas seulement les contrats de mission initiaux mais également l'ensemble des avenants de renouvellement alors qu'il ne saurait faire valoir un quelconque délai de carence entre un contrat initial et son avenant de renouvellement ;

- les contrats de mission ne se sont pas succédés de manière ininterrompue, certains contrats étant espacés par des périodes significatives de plusieurs mois, voire plusieurs années ;

- aucun contrat de mission n'a été conclu entre elle et M. [F] entre le 30 avril 2012 et le 21 mars 2014, soit une interruption de toute activité pendant une période de prés de deux ans ;

- en matière de contrats de mission, à l'inverse de la réglementation relative aux contrats de travail à durée déterminée, aucune sanction de requalification n'a été prévue par les textes en matière de non respect du délai de carence ;

- quand bien même un motif de requalification pourrait être opposé à l'entreprise utilisatrice, aucun manquement aux obligations mises à sa charge par les dispositions de l'article L. 1251-16 du code du travail ne saurait être retenue contre elle en sa qualité d'entreprise de travail temporaire ;

- pour la première fois en cause d'appel, M. [F] développe un nouveau moyen tiré du non respect des dispositions des articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail interdisant de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice par un contrat de mission.

A titre subsidiaire, la société LIP fait valoir que :

- seule une condamnation solidaire pourrait être prononcée entre la société de travail temporaire et la société utilisatrice

- au visa de l'article L. 1471-1 du code du travail aux termes duquel toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans, l'action est partiellement prescrite pour les contrats de mission antérieurs au 15 juin 2015. Elle conclut que les effets de la requalification ne pourront donc porter que pour les contrats de mission depuis le 4 mai 2015, date du début du contrat de mission arrivé à son terme, après renouvellement, le 30 juin 2015, de sorte que M. [F] ne pourra faire valoir qu'une ancienneté qui ne pourra débuter qu'au début de cette mission, du 4 mai 2015 au 10 juin 2016, soit une ancienneté de 13 mois.

La société Boccard conclut qu'il ne peut plus être contesté que :

- M. [F] était lié par un contrat de travail à durée indéterminée à la société Boccard du 11 juillet 2011 au 10 juin 2016 ;

- la rupture a été considérée comme abusive ;

- M. [F] a été rempli de ses droits à ce titre.

La société Boccard conclut que M. [F] ne peut plus prétendre avoir été lié par un CDI à la société LIP pendant la même période pour en déduire de nouvelles demandes indemnitaires.

****

Le désistement de M. [F] étant limité à l'appel formé contre la société Boccard, ce désistement est sans effet sur l'appel dirigé contre la société LIP qui est dés lors recevable à former, à titre subsidiaire, un appel en garantie contre la société Boccard, laquelle n'est pas fondée à invoquer l'autorité de chose jugée attachée au jugement déféré dans ses relations avec la société LIP.

1°) La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription.

Selon les dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat de mission en contrat à durée indéterminée, fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs court à compter du premier jour d'exécution du second de ces contrats.

Mais en l'espèce, M. [F] invoque également le non respect de l'interdiction de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ainsi que l'entente frauduleuse entre les deux sociétés. Dans ce cas, l'action étant fondée sur un vice de fond, le point de départ de l'action en requalification est le terme du dernier contrat de mission, soit en l'espèce, le 10 juin 2016.

M. [F] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 13 juin 2017 , soit dans le délai de deux ans à compter du 10 juin 2016, est par conséquent fondé à solliciter la requalification de ses contrats de mission, laquelle prend effet à compter du premier contrat de mission.

2°) Les dispositions de l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui sanctionnent l'inobservation par l'entreprise utilisatrice des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7 , L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 relatives aux conditions de recours au contrat de mission et L. 1251-35 du même code, n'excluent pas la possibilité pour le salarié d'agir contre l'entreprise de travail temporaire.

Par ailleurs, il résulte de l'article L. 1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et de l'article L. 1251-37 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que l'entreprise de travail temporaire ne peut conclure, avec un même salarié, sur le même poste de travail, des contrats de missions successifs, qu'à la condition que chaque contrat en cause soit conclu pour l'un des motifs limitativement énumérés par le second de ces textes au nombre desquels ne figure pas l'accroissement temporaire d'activité.

En l'espèce, il résulte des débats que la société LIP a conclu plusieurs contrats de mission au motif d'un accroissement temporaire d'activité, sans respect du délai de carence. Or, le non-respect du délai de carence caractérise un manquement par l'entreprise de travail temporaire aux obligations qui lui sont propres dans l'établissement des contrats de mission.

La société LIP soutient que M. [F] n'est pas fondé à invoquer le non-respect d'un quelconque délai de carence entre un contrat initial et son avenant de renouvellement. Mais il résulte de l'article L. 1251-35 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2015-994 du 17 août 2015, en vigueur jusqu'au 24 septembre 2017, que :

'Le contrat de mission est renouvelable deux fois pour une durée déterminée qui ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale prévue à l'article L. 1251-12.

Les conditions de renouvellement sont stipulées dans le contrat ou font l'objet d'un avenant soumis au salarié avant le terme initialement prévu.'

Or, la société LIP ne justifie d'aucun avenant qui aurait été soumis au salarié avant le terme initialement prévu, dans les conditions de l'article L. 1251-35 du code du travail sus-visé, de sorte que le grief qui est opposé à M. [F] de ne pas distinguer, dans sa demande de requalification, les contrats de mission et leurs avenants de renouvellement est sans objet.

Enfin, le fait que les contrats de mission en cause ne se soient pas succédés de manière ininterrompue est sans effet sur la demande de requalification.

La succession des contrats de mission de M. [F] pendant une période particulièrement longue, entre le 11 juillet 2011 et le 10 juin 2016, le visa des motifs de recours au contrat de mission suivants: 'Renfort d'équipe lié impératifs à respecter', 'travaux de soudure nécessitant un renfort d'équipe en atelier', 'renfort d'équipe suite à des travaux supplémentaires à réaliser pour le client Arcelor', 'renfort d'équipe lié à des travaux supplémentaires ne pouvant être traités par le personnel permanent de l'EU', ou encore 'nouveau carnet de commande nécessitant un renfort d'équipe', ainsi que la mention d'une même caractéristique de poste , à savoir la remise en état d'éléments de tuyauterie ou la soudure sur pièces inox, sont autant d'éléments démontrant que les contrats de mission de M. [F] ont servi à pourvoir durablement un poste relevant de l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Et l'entreprise de travail temporaire, ne peut mettre à disposition d'une entreprise utilisatrice dans le cadre de missions successives un même salarié pour occuper le même poste, que pour les motifs strictement prévus par l'article L1251-37 du code du travail.

Il apparaît donc que la société LIP a proposé à M. [F], pendant 5 années, des missions au sein de la même entreprise utilisatrice, réservant ainsi ce salarié à l'usage exclusif de la société Boccard, ce dont il résulte que la société de travail temporaire a agi de concert avec l'entreprise utilisatrice pour contourner l'interdiction faite à cette dernière de recourir au travail temporaire afin de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente.

Il en résulte que M. [F] est fondé à solliciter, à l'égard de la société LIP la requalification des 53 contrats de mission successivement conclus entre lui et la société LIP en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 11 juillet 2011.

La requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminée est définitive à l'égard de la société Boccard, de sorte que chacune des deux sociétés supporte les conséquences de la requalification, à l'exception de l'indemnité de requalification dont l'entreprise utilisatrice est seule débitrice.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société LIP.

- Sur la rupture de la relation contractuelle et les demandes subséquentes :

La requalification des contrats de mission successifs en une relation de travail à durée indéterminée confère un caractère abusif à la rupture du contrat de travail par l'arrivée du terme.

La rupture s'analyse par conséquent comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et M. [F] est fondé à solliciter des indemnités de rupture et des dommages-intérêts à ce titre.

Le premier juge a fixé l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de licenciement, le rappel de salaires pour non respect des temps de travail, ainsi que les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base d'un salaire moyen brut de 3 338, 56 euros.

M. [F] demande de fixer le salaire de référence à la somme de 3 614,54 euros sur la base des douze derniers mois pleins ayant précédé la rupture du dernier contrat de travail.

La société LIP s'oppose à cette demande au motif que M. [F] inclut dans son calcul des indemnités de fin de contrat et de congés payés versées au terme de chacun des contrats de mission.

Aux termes de l'article L.1243-8 du code du travail, 'lorsqu'à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles de travail ne se poursuivent pas par un contrat à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de contrat destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % de la rémunération totale brute due au salarié. Elle est versée à l'issue du contrat en même temps que le dernier salaire et figure sur le bulletin de salaire correspondant'.

Il en résulte que l'indemnité de précarité prévue par l'article L.1243-8 du code du travail, qui compense, pour le salarié, la situation dans laquelle il est placé du fait de son contrat à durée déterminée, n'est pas due en cas de requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, même si cette indemnité reste acquise en cas de requalification

demandée ultérieurement à la perception de celle-ci.

La société LIP propose en pièce n°12 un calcul détaillé du salaire de référence de M. [F] excluant les indemnités de précarité, lequel est conforme à l'application de l'article L. 1243-8 du code du travail.

Le jugement déféré est par conséquent confirmé en ce qu'il a fixé le salaire de référence à la somme de 3 338,56 euros.

- sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis :

L'argumentation de la société LIP relative à la prescription partielle de l'action en requalification étant écartée, M. [F] peut se prévaloir d'une ancienneté du 11 juillet 2011 au 10 juin 2016, soit quatre ans et onze mois, de sorte qu'il peut prétendre au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à deux mois de salaire.

C'est à juste titre que le jugement a fixé l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 6 677,12 euros outre 667,71 euros de congés payés afférents.

- sur l'indemnité de licenciement :

L'article R 1234-2 du code du travail dans sa version issue du décret n°2008-715 du 18 juillet 2008, applicable en l'espèce énonce que: 'L'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoute deux quinzièmes de mois par année au delà de dix ans d'ancienneté.'

Le calcul proposé par la société LIP, soit 1/5 x 3 338,56 x 4,92, étant conforme aux dispositions de l'article R 1234-2 du code du travail, la cour adopte ce calcul et fixe l'indemnité de licenciement à la somme de 3 285,14 euros.

- sur les dommages-intérêts au titre de la rupture abusive du contrat de travail :

Il y a lieu de faire application des dispositions des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, dans leur version antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.

M. [F] ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [F] âgé de 55 ans lors de la rupture, de son ancienneté de quatre années et onze mois, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture a été justement évalué par les premiers juges. Le jugement qui a alloué au salarié la somme de 22 000 euros à titre de dommages-intérêts a exactement évalué le préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement.

Il convient de condamner la société LIP qui est déclarée responsable vis à vis du salarié des conséquences de la requalification des contrats de travail temporaire à payer à M. [F] les sommes ci-dessus déterminées.

Chacune des sociétés devant être déclarée responsable à concurrence de moitié des conséquences de la requalification, la société Boccard sera condamnée à garantir la société LIP à hauteur de 50 % des condamnations prononcées au titre de la rupture.

- sur l'indemnité pour inobservation de la procédure :

M. [F] sollicite une indemnité de 3 338,56 euros à titre d'indemnité pour inobservation de la procédure de licenciement en soutenant que s'agissant d'un licenciement abusif, la règle du non cumul d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement ne s'applique pas.

La société LIP expose que dans le cas où l'argument de la prescription partielle devrait être écarté, M. [F] dont l'ancienneté excéderait deux ans, ne pourrait cumuler les indemnités versées à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse avec des indemnités pour irrégularité de la procédure.

****

Il résulte de dispositions de l'article L 1235-2 du code du travail que le juge ne peut sanctionner les irrégularités de procédure que s'il considère le licenciement comme motivé par une cause réelle et sérieuse. En l'absence de cause réelle et sérieuse les irrégularités de procédure ne peuvent pas être sanctionnées et le salarié dont l'ancienneté est supérieure à deux années dans une entreprise employant habituellement plus de onze salariés ne peut prétendre au cumul de l'indemnité pour irrégularité de procédure et aux dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [F] sera par conséquent débouté de cette demande.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage :

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation; le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

- Sur les demandes relatives à l' exécution de la relation de travail :

a) sur la demande de dommages-intérêts pour inégalité de traitement au titre des congés payés :

M. [F] soutient que la société LIP l'a placé dans une situation de précarité illicite et permanente et l'a aussi privé de son droit à bénéficier des congés payés acquis et pris selon les normes en vigueur dans l'entreprise pour les salariés titulaires d'un CDI.

Il soutient ainsi qu'il n'a pu bénéficier que d'une seule semaine de repos sur les 20 derniers mois d'activité, ce qui implique un quasi renoncement à toute vie sociale et familiale.

La société LIP s'oppose à cette demande en faisant valoir qu'elle a respecté les dispositions relatives aux congés payés dés lors qu'elle a versé systématiquement, au terme de chaque contrat, dans le cas où M. [F] n'aurait pu bénéficier de repos au titre de ses congés payés, une indemnité compensatrice de congés payés.

La société LIP conclut à titre infiniment subsidiaire qu'une condamnation à ce titre ne pourra être prononcée qu'in solidum entre elle et la société Boccard, en fixant la répartition à hauteur de 50% pour chacune des sociétés, ou à tout le moins que la société Boccard sera condamnée à la garantir de toute condamnation à hauteur de 50%.

****

Il résulte des dispositions de l'article L. 1251-19 du code du travail que le salarié temporaire a droit à une indemnité compensatrice de congés payés pour chaque mission qu'il effectue, quelle qu'en ait été la durée (...).

M. [F] qui ne justifie pas du non respect, par la société LIP, de ses obligations en application des dispositions de l'article L. 1251-19 du code du travail, ni de son préjudice, n'est pas fondé à sa demande d'indemnisation à ce titre.

b) sur la demande de dommage-intérêts pour maintien abusif dans la précarité :

M. [F] expose que les manquements de la société LIP caractérisent une faute grave à l'origine d'un préjudice spécifique, distinct et sollicite à ce titre la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

La société LIP conclut au rejet de la demande au motif d'une part, que le préjudice que M. [F] pourrait faire valoir à ce titre a déjà été indemnisé par l'indemnité de requalification qui lui a été accordée en première instance, d'autre part, qu'il a perçu au terme de chacun de ses contrats de mission, une indemnité de précarité visant précisément à compenser la situation précaire dont il pourrait justifier.

La société LIP conclut à titre infiniment subsidiaire qu'une condamnation à ce titre ne pourra être prononcée qu'in solidum entre elle et la société Boccard, en fixant la répartition à hauteur de 50% pour chacune des sociétés, ou à tout le moins que la société Boccard sera condamnée à la garantir de toute condamnation à hauteur de 50%

****

L'article L. 1251-32 du code du travail énonce :

' Lorsque, à l'issue d'une mission, le salarié ne bénéficie pas immédiatement d'un contrat de travail à durée indéterminée avec l'entreprise utilisatrice, il a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité de fin de mission destinée à compenser la précarité de sa situation.

Cette indemnité est égale à 10% de la rémunération totale brute due au salarié.(...)'

Cette indemnité expressément destinée à compenser la précarité de la situation du salarié , reste acquise au salarié nonobstant la requalification du contrat de travail temporaire en contrat de travail à durée indéterminée. Il en résulte que M. [F] ne justifie pas d'un préjudice distinct au titre du maintien dans une situation de précarité, qui n'aurait pas été intégralement compensé par cette indemnité.

M. [F] est en conséquence débouté de cette demande.

c) sur la demande de dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire

M. [F] invoque le non respect des dispositions de l'article 4.1.6 de la convention collective et notamment :

- le non respect de la durée maximale de travail quotidienne de 10 heures, à plusieurs reprises ( 29 mai 2015, 2 mars 2016, 15 mars 2016)

- ainsi que le non respect de la durée maximale hebdomadaire de 48 heures (70 heures de travail au cours de la semaine 48 de l'année 2015; 79 heures de travail au cours de la semaine 11 de l'année 2016 ou encore 66 heures de travail au cours de la semaine 12 de l'année 2016)

- le non respect du repos obligatoire de 11 heures entre deux journées de travail.

Le salarié produit en pièces n° 29, 30 et 31, des tableaux récapitulatifs des heures de travail qu'il a effectuées au mois de mars 2016, lesquels révèlent plusieurs dépassements de la durée maximale quotidienne de travail de 10 heures et le dépassement systématique de la durée maximale de 48 heures au cours d'une même semaine.

Il produit en outre en pièce n°28 un document intitulé 'attachement tenant lieu de préfacturation' établi par la société Boccard à destination de la société LIP pour le mois de juin 2015 révélant également plusieurs dépassements de la durée maximale journalière de travail.

La société LIP fait valoir que la société Boccard lui transmettait, sans autre précision, le nombre d'heures de travail réalisé par jour, de sorte qu'elle ne pouvait que prendre acte de la durée et du rythme de travail pratiqué au sein de la société Boccard sans être en mesure d'intervenir sur les éventuels dépassements des maximums légaux qui étaient imposés à M. [F], ni de vérifier le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires.

La société LIP conclut à titre principal, à la confirmation de la seule condamnation de la société Boccard, en sa qualité d'entreprise utilisatrice.

A titre infiniment subsidiaire, la société LIP demande à être garantie à 100% par la société Boccard.

****

L'article L. 4121-1 du code du travail énonce :

' L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

En ce qui concerne les conditions de travail, l'article L. 1251-21 du code du travail énonce :

' Pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, telles qu'elles sont déterminées par les dispositions légales et conventionnelles applicables au lieu de travail.

Pour l'application de ces dispositions, les conditions d'exécution du travail comprennent limitativement ce qui a trait :

1° A la durée du travail

2° Au travail de nuit

3° Au repos hebdomadaire et aux jours fériés

4° A la santé et la sécurité au travail

5° Au travail des femmes, des enfants et des jeunes travailleurs.'

Il résulte des dispositions combinées de ces deux textes que l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise utilisatrice sont tenues, à l'égard des salariés mis à disposition, d'une obligation de sécurité de résultat dont elles doivent assurer l'effectivité, chacune au regard des obligations que les textes mettent à leur charge en matière de prévention des risques.

Et l'article L. 1251-21 du code du travail met expressément à la charge de la seule entreprise utilisatrice les obligations relatives à la durée du travail et au repos hebdomadaire, de sorte que M. [F] n'est pas fondé en sa demande de dommages-intérêts pour violation des dispositions relatives au repos compensateur et au repos hebdomadaire, en ce que cette demande est dirigée contre la société LIP

d) des dommages-intérêts pour travail dissimulé :

L'article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l'article L 8 221-5 2° du même code dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures inférieur à celui réellement accompli.

Au terme de l'article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours en commettant les faits prévus à l'article L 8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Toutefois la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle et l'élément intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.

****

M. [F] soutient qu'en l'absence de mention des heures de travail réellement accomplies sur les bulletins de salaires, de façon à dissimuler les fréquents dépassements du temps légal de travail, le travail dissimulé est caractérisé. Il établit un lien entre le versement régulier de primes exceptionnelles et l'accomplissement d'heures supplémentaires non comptabilisés.

Mais il résulte de la lecture des bulletins de salaire que de nombreuses heures supplémentaires ont été rémunérées au salarié, majorées à 25%, 50% et 100%, concomitamment à l'attribution de primes exceptionnelles et que M. [F] n'établit pas, pour l'ensemble de la période, un décompte des heures qui auraient été occultées et compensées par les primes exceptionnelles, de sorte qu'il ne démontre pas l'existence d'un travail dissimulé.

- Sur les demandes accessoires :

La cour ordonne à la société LIP de remettre à M. [F] les bulletins de salaire rectifiés, ainsi que les documents de fin contrat rectifiés, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.

La cour fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Les dépens de première instance et d'appel, suivant le principal, seront supportés par la société LIP, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement :

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a mis hors de cause la société LIP 13 aux droits de laquelle vient la société LIP

STATUANT à nouveau sur ce chefs et y ajoutant

REJETTE la fin de non recevoir tirée de la prescription partielle de la demande de requalification

ORDONNE la requalification des contrats de mission successifs en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 11 juillet 2011 à l'égard de la société Les Intérimaires Professionnels

CONDAMNE la société Lip à payer à M. [F] les sommes suivantes :

- 3 285,14 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 6 677,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 667,71 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents

- 22 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture du contrat de travail

CONDAMNE la société Boccard à relever et garantir la société LIP à hauteur de 50% de ces condamnations

DÉBOUTE M. [F] de ses demandes d'indemnité pour irrégularité de la procédure, pour inégalité de traitement au titre des congés payés, pour maintien abusif dans la précarité, pour non respect du repos hebdomadaire et compensateur et au titre du travail dissimulé

ORDONNE à la société LIP de remettre à M. [F] un certificat de travail, une attestation destinée au Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes au présent arrêt dans un délai de deux mois à compter de sa signification,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil

CONDAMNE la société LIP à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société LIP aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 19/07171
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;19.07171 ?
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