AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/06379 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MSY2
[S]
C/
Société EUROPCAR FRANCE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lyon
du 02 Septembre 2019
RG : 17/02226
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 07 AVRIL 2023
APPELANT :
[J] [S]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Valérie BOUSQUET de l'AARPI JAKUBOWICZ ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société EUROPCAR FRANCE
[Adresse 5]'
[Adresse 5]
[Localité 2]
représentée par Me Laurence URBANI-SCHWARTZ de la SCP FROMONT BRIENS, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Barbara MOLLET de la SELARL LF AVOCATS, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS substituée par Me Astrid BOUSSAROQUE, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mars 2023
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, président
- Catherine CHANEZ, conseiller
- Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en date du 2 septembre 2019 ;
Vu la déclaration d'appel transmise par voie électronique le 17 septembre 2019 par M. [J] [S] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 10 décembre 2019 par M. [S] ;
Vu l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 4 septembre 2020 prononçant d'office l'irrecevabilité des conclusions déposées le 13 mars 2020 par la SAS Europcar France ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 janvier 2023 ;
Pour l'exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
Attendu que la cour rappelle d'une part qu'en application des dispositions du dernier alinéa de l'article 954 du code de procédure civile la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement, d'autre part que, conformément aux dispositions du 3ème alinéa de l'article 906 du code de procédure civile, les pièces communiquées et déposées au soutient des conclusions irrecevables sont elles-mêmes irrecevables ;
- Sur l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail et le manquement à l'obligation de sécurité :
Attendu que, aucun appel incident n'étant diligenté sur les dispositions du jugement déclarant le conseil de prud'hommes compétent pour statuer sur la demande au titre de l'obligation de sécurité, la cour n'est pas saisie d'une contestation sur ce point, et ce même si ces dispositions sont visées à la déclaration d'appel ;
Que la cour relève toutefois que la compétence de la juridition prud'homale est limitée à l'indemnisation du préjudice qu'a pu subir le salarié du fait du manquement à l'obligation de sécurité préventive qui impose à l'employeur de mener en amont des actions afin de protéger la santé et la sécurité de ses salariés ; qu'en effet le préjudice subi du fait de l'accident du travail est quant à lui indemnisé par le Pôle social du tribunal judiciaire ; qu'en l'espèce M. [S] a effectivement saisi cette juridiction et la cour d'appel de Grenoble s'est prononcée par un arrêt du 21 octobre 2021 ; que la faute inexcusable de l'employeur a été retenue et une expertise a été ordonnée sur l'indemnisation complémentaire à la majoration de la rente accident du travail ;
Attendu que, selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur a l'obligation de protéger la santé physique et mentale de ses salariés et veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes;
Que l'article L.4121-2 du code du travail édicte neuf principes généraux de prévention':
éviter les risques,
évaluer les risques qui ne peuvent être évités
combattre les risques à la source
adapter le travail à l'homme (')
tenir compte de l'évolution de la technique
remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou moins dangereux
planifier la prévention en y intégrant dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel
prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle
donner des instructions appropriées aux travailleur ;
Qu'il en résulte que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2'du code du travail ;
Attendu qu'en l'espèce M. [S] a été victime de trois agressions sur son lieu de travail, à savoir une agence Europcar située sur l'un des parkings de l'aéroport [6] de [Localité 4];
Attendu qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que la SAS Europcar France aurait pris les mesures nécessaires pour éviter ces agressions, alors même que l'agence, compte tenu de sa situation, ne bénéficie pas des dispositifs de surveillance et de dissuasion des établissements installés dans l'aéroport lui-même ;
Que c'est ainsi que le document unique d'évaluation des risques n'est pas produit et qu'il est donc impossible de savoir si le risque d'agression sur le site avait été identifié ;
Qu'aucune formation ou même information du salarié quant au comportement à adopter en cas d'agression n'est davantage établi ; que M. [S] souligne à cet égard que, si la SAS Europcar France s'est prévalue de l'existence de livrets relatant les règles de sécurité, d'un 'protocole d'intervention en cas de situation de violence externe grave au travail'mis en place en mars 2012 ou encore de notes affichées au sein des agences, il n'est démontré ni la remise des livrets au salarié, ni l'efficacité du prétendu protocole puisque les agressions dont il a été victime sont postérieures ; que les notes se bornent quant à elles à faire mention des numéros de téléphone des supérieurs hiérarchiques à contacter en cas d'incident quel qu'il soit ;
Qu'également ni l'existence d'un bouton anti-agression, ni celle d'un portillon d'accès au comptoir ne constituaient des moyens de protection suffisants, alors même que l'activation du bouton n'entraînait pas d'intervention extérieure rapide et que le portillon pouvait être facilement enjambé - ce qui s'est d'ailleurs passé le 12 juin 2016 ; que le salarié soutient sans être contredit - en l'absence de toute écriture adverse - qu'il n'existait ni vidéo surveillance, ni système d'ouverture/fermeture à distance des portes, ni de sas de sécurité ;
Qu'enfin il ressort du procès-verbal de réunion extraordinaire du comité d'hygiène et de sécurité du 17 juin 2016 que le directeur des ressources humaines a lui-même reconnu l'incapacité de la société à répondre de manière efficace à des situations de danger ;
Attendu que la cour retient dès lors que la SAS Europcar France a failli à son obligation préventive de sécurité : que le préjudice subi à ce seul titre par M. [S] est évalué à la somme de 1 500 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;
- Sur le licenciement :
Attendu qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée ; qu'en effet, dans une telle hypothèse, le licenciement, même s'il est fondé une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, trouve en réalité sa cause véritable dans ce manquement de l'employeur ;
Qu'il appartient par ailleurs à l'employeur dont le salarié, victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité ;
Attendu qu'en l'espèce il est constant que l'inaptitude de M. [S] est la conséquence de l'accident du travail dont il a été victime le 12 juin 2016 ;
Attendu que, ainsi qu'il a été dit plus haut, la survenance de l'accident est en partie liée au manquement de l'employeur à son obligation préventive de sécurité ; que le licenciement de M. [S], en date du 22 décembre 2016, est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que, compte tenu de son ancienneté (11 ans) et de l'effectif de la SAS Europcar France (supérieur à 10 salariés), M. [S] a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'en considération de son ancienneté, de sa rémunération mensuelle brute (3 240,56 euros brut), de son âge (42 ans) et du fait qu'il a été au chômage puis a alterné des contrats à durée déterminée et des période de chômage à partir de septembre 2017, son préjudice est évalué à la somme de 35 000 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;
Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la SAS Europcar France des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;
- Sur la remise tardive des documents de fin de contrat :
Attendu que, si les documents de fin de contrat ont été adressés, non au moment de la rupture du contrat de travail, mais un mois après, l'intéressé ne justifie d'aucun préjudice en lien avec ce retard ; que la demande indemnitaire présentée à ce titre est donc rejetée ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à M. [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité sauf à dire que cette compétence se limite au seul préjudice résultant du manquement à l'obligation préventive de sécurité et sauf en ce qu'il a débouté M. [J] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat et rejeté la demande de la SAS Europcar France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Europcar France à payer à M. [J] [S] les sommes de :
- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du seul manquement à l'obligation préventive de sécurité,
- 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,
ces montants produisant intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
Ordonne le remboursement par la SAS Europcar France des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [J] [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,
Condamne la SAS Europcar France aux dépens de première instance et d'appel,
Le Greffier La Présidente