AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/07148 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MUQF
[N]
C/
Société PASCALE CHANEL & [C] [H]
Société. AB SERVE
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LYON
du 24 Septembre 2019
RG : F 16/00057
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 07 AVRIL 2023
APPELANTE :
[U] [N]
née le 15 Juin 1982 à [Localité 4]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Stéphane TEYSSIER de la SELARL TEYSSIER BARRIER AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Erika COUDOUR, avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
Société PASCALE CHANEL & [C] [H] représentée par Me [C] [H], ès qualités d'Administrateur Judiciaire de la SAS AB SERVE
intervenant volontaire
représentée par Me Philippe NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Nicolas BRAUN, avocat plaidant inscrit au barreau de BRIEY
Société AB SERVE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Nicolas BRAUN, avocat plaidant inscrit au barreau de BRIEY
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 26 Janvier 2023
Présidée par Régis DEVAUX, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, président
- Catherine CHANEZ, conseiller
- Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La S.A.S.U. AB SERVE, dont le siège social se trouve en Moselle, exerce une activité de prestataire en qualité et logistique industrielle. Elle applique la convention collective nationale des industries et du commerce de la récupération (IDCC 637) et emploie plus de dix salariés. Elle a embauché Mme [U] [N] à compter du 16 août 2010, en qualité de responsable de site (emploi d'agent de maîtrise classifié conventionnellement niveau IV - échelon B), dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Son lieu de travail était fixé au sein des locaux de la société Renault Trucks à [Localité 7] (Rhône).
Mme [N] était placée en arrêt de travail à compter du 21 mars 2011, puis se trouvait en congé maternité du 31 décembre 2011 au 21 avril 2012. Elle n'a pas repris le travail.
Le 6 avril 2012, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, soutenant qu'elle avait été victime de harcèlement moral.
Par lettre recommandé du 30 mai 2012, la société AB SERVE a convoqué Mme [N] à un entretien préalable à son licenciement, fixé au 11 juin 2012. Celle-ci ne s'est pas présentée à l'entretien. Par lettre recommandée avec accusé réception du 14 juin 2012, Mme [N] a été licenciée pour faute grave.
Le 28 septembre 2015, l'affaire a été radiée du rôle du conseil de prud'hommes. Le 6 janvier 2016, Mme [N] l'a fait réenregistrer.
Par jugement du 24 septembre 2019, le conseil des prud'hommes de Lyon en sa formation de départage a :
- dit que le licenciement de Mme [U] [N] est fondé sur une faute grave ;
- débouté Mme [U] [N] de l'intégralité de ses demandes ;
- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;
- dit qu'il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [U] [N] aux dépens de l'instance.
Le 16 octobre 2019, Mme [N] a interjeté appel de ce jugement, en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes, qui étaient expressément rappelées.
Le 23 août 2022, la société AB SERVE a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz. La SCP Chanel et [H] a été nommée en qualité d'administrateur judiciaire et intervenait volontairement à l'instance.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 décembre 2022, Mme [U] [N] demande à la Cour de :
- réformer intégralement les chefs du jugement du conseil de prud'hommes l'ayant déboutée de ses demandes,
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la Société AB SERVE,
A titre subsidiaire,
- constater que le contrat de travail était suspendu, faute pour l'employeur d'organiser une visite de reprise à la médecine du travail à l'issue de l'arrêt maladie et du congé maternité,
- dire et juger que son licenciement pour faute grave est nul ou à tout le moins dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
- condamner la société AB SERVE à lui verser :
- son indemnité compensatrice de préavis,
- son indemnité de licenciement,
- des dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,
- des dommages et intérêts pour procédure irrégulière,
- des dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- des dommages et intérêts pour le non-respect de l'obligation de sécurité résultat,
- des dommages et intérêts pour défaut d'information du DIF,
- des dommages et intérêts pour défaut d'information sur la portabilité de la prévoyance,
- ordonner la remise des documents de rupture et bulletin de salaire rectifié et ce sous astreinte,
- article 700 du Code de procédure civile,
Statuer à nouveau sur ces chefs du jugement,
A titre principal,
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société AB SERVE produisant les effets d'un licenciement nul et en faire remonter les effets au 14 juin 2012,
A titre subsidiaire,
- dire et juger son licenciement nul ou, à tout le moins, sans cause réelle et sérieuse
En tout état de cause,
- condamner la SAS AB SERVE à lui payer les sommes suivantes, outre les intérêts au taux légal à compter de la demande en justice (article 1153-1 du Code civil devenu 1231-7 du code civil) :
- 37 512 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse
- 2 500 euros de dommages-intérêts pour procédure irrégulière de licenciement,
- 6 252 euros d'indemnité compensatrice de préavis,
- 625 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 560 euros d'indemnité de licenciement,
- 30 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 15 000 euros de dommages et intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de protection de la santé de la salariée
- ordonner la capitalisation des intérêts en vertu de l'article 1154 du code civil devenu l'article 1343-2,
- condamner la SAS AB SERVE à lui remettre un bulletin de salaire et des documents de rupture conformes à la présente décision, et passé un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision, sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
- se réserver le contentieux de la liquidation de l'astreinte,
- condamner la SAS AB SERVE à lui payer une indemnité de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SAS AB SERVE aux dépens de l'instance.
Au soutien de sa demande en résiliation judiciaire, Mme [N] soutient qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral sous forme de méthodes de gestion inadaptées. Elle fait valoir qu'elle a été confrontée à une surcharge de travail insupportable, que l'employeur ne respectait pas les durées légales maximales de travail et ne lui rémunérait pas ses heures supplémentaires, que le site Renault Trucks [Localité 7] était désorganisé, qu'elle n'a pas reçu de formation interne spécifique à l'entreprise ni son plan de formation, que ses missions n'étaient pas clairement définies, que l'employeur ne lui a pas remis les moyens adaptés et nécessaires à l'exécution de ses tâches et qu'elle s'est retrouvée prise au piège dans un conflit entre ses deux supérieures hiérarchiques. Elle ajoute que ces faits sont à l'origine de la dégradation de son état de santé. Subsidiairement, Mme [N] conteste son licenciement et fait valoir que l'employeur n'a pas organisé de visite médicale de reprise à l'issue de son arrêt maladie suivi d'un congé maternité, permettant de mettre fin à la suspension de son contrat de travail, qu'en conséquence le licenciement prononcé pour abandon de poste qui n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, est nul.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 décembre 2022, la société AB SERVE et la SCP Pascale Chanel & [C] [H] demandent à la Cour de :
- prendre acte de l'intervention volontaire dans la procédure de la SCP Pascale Chanel & [C] [H], ès qualité d'Administrateurs Judiciaires de la SAS AB SERVE,
- dire et juger que le licenciement pour faute grave de Mme [U] [N] repose sur une cause réelle et sérieuse et confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lyon dans toutes ses dispositions,
- débouter Mme [U] [N] de l'ensemble de ses prétentions,
- condamner Mme [U] [N] aux entiers dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société AB SERVE réplique que la salariée est défaillante dans la démonstration de l'existence de faits de harcèlement moral et fait valoir que son embauche en qualité de responsable de site avait pour objectif de réorganiser le site Renault Trucks, qu'elle a effectué des heures supplémentaires sans l'accord de la société car elle rencontrait des problèmes d'organisation dans son travail. La société AB SERVE ajoute que le réel motif de la résiliation judiciaire de son contrat de travail était le refus de la société de lui régler ses congés payés, en l'absence de rupture de son contrat de travail. Elle fait encore valoir qu'elle était sans nouvelle de la salariée depuis la déclaration de son état de grossesse le 11 août 2011, malgré l'envoi d'un courrier le 24 avril 2012. Elle ajoute que la salariée ne lui a pas permis d'organiser une visite médicale de reprise, car elle ne l'a pas informée de la date de reprise effective du travail, ce qui constituait une faute grave justifiant son licenciement.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 10 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du non-respect de l'obligation de sécurité et de protection de la santé de la salariée
Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
En l'espèce, la société AB SERVE ne justifie pas avoir organisé au bénéfice de Mme [N] une visite médicale d'embauche, ni une visite médicale de reprise après un arrêt de travail pour cause de maternité.
Toutefois, Mme [N] ne démontre pas que l'absence de visite médicale d'embauche lui ait causé préjudice. Elle n'a par ailleurs pas répondu à son employeur, qui l'interrogeait par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 10 avril 2012, pour connaître la date effective de son retour en entreprise et pouvoir organiser la visite médicale de reprise (pièce n° 6 de l'intimée), sans expliquer, dans ses conclusions, cette absence de réponse. Dès lors, Mme [N] ne peut pas reprocher à son employeur un manquement à ce sujet.
La société AB SERVE justifie avoir pris une disposition en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, en application de l'article L. 1152-4 du code du travail, en demandant expressément à Mme [N], par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 avril 2011, si son récent arrêt de travail trouvait sa cause dans ses conditions de travail, afin de pouvoir, le cas échéant, intervenir en urgence (pièce n° 17 de l'appelante). Mme [N] n'allègue pas avoir répondu à ce courrier et elle ne peut pas reprocher à son employeur un manquement à ce sujet.
La société AB SERVE ne conteste pas que Mme [N] a travaillé au cours de certaines semaines plus de 48 heures (Mme [N] faisant état de cinq semaines au cours desquelles une telle situation s'est produite), atteignant notamment un temps de travail de 63 heures pour la semaine allant du 7 au 11 février 2011, ni du fait qu'elle n'a pas bénéficié d'un repos obligatoire d'une durée minimale de 11 heures les 8 et 9 février 2011 (fin du travail le 8 février 2011 à 19 h 30 et reprise le lendemain à 6 h 00) (pièces n° 6-2 de l'appelante). Elle soutient que Mme [N] n'a jamais été autorisée à effectuer les heures supplémentaires en question et que la salariée rencontrait en réalité un problème pour s'organiser dans son travail.
Toutefois, il appartient à l'employeur d'assurer le contrôle du nombre d'heures travaillées par le salarié, sans notamment que ce dernier ait l'obligation de solliciter une autorisation écrite pour effectuer des heures supplémentaires : le respect de la prise d'un repos suffisant constitue une garantie de sécurité et de santé des travailleurs. Les moyens de la société AB SERVE sont donc inopérants, celle-ci a manqué à son obligation de sécurité sur ce point précis.
Le seul constat du dépassement de la durée maximale du travail ouvre droit à réparation, en ce qu'il a créé nécessairement un préjudice pour le travailleur (selon le principe retenu par la Cour de cassation : Cass. Soc., 26 janvier 2022 - pourvoi n° 20-21.636).
En l'espèce, le préjudice ainsi causé à Mme [N] sera justement indemnisé par le versement de la somme de 3 000 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral
En application des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-3 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance de ces dispositions, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
L'article 1154-1, dans sa rédaction applicable au litige, précise le régime probatoire en matière de harcèlement moral. Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, Mme [N] soutient que les agissements constitutifs de harcèlement moral qu'elle impute à son employeur correspondaient à la mise en 'uvre de méthodes de gestion inadaptées. Elle désigne, au titre de ses agissements, les événements et comportements suivants :
- le fait qu'il existait déjà, dans les semaines qui ont suivi son embauche, des dysfonctionnements internes à l'entreprise,
- sa surcharge de travail, au regard du nombre d'heures supplémentaires effectuées,
- le non-respect des durées maximales de travail,
- le retard de l'employeur à rémunérer les heures supplémentaires : il a ainsi payer en mai 2011 les heures supplémentaires travaillées en décembre 2010
- le fait qu'elle n'a pas reçu de formation interne spécifique, alors que son plan de formation ne lui a été adressé que le 21 février 2011
- le fait que son employeur n'a pas défini précisément les tâches qui lui étaient confiées, alors que le nombre de ces dernières n'a cessé de croître
- le fait que son employeur n'a pas mis à sa disposition des moyens adaptés pour travailler : pas de véhicule de service, alors qu'elle pouvait être amenée à beaucoup circuler, pas de bureau ; la convention collective, le règlement intérieur de l'entreprise, la grille des salaires ne lui ont été remis qu'en février 2011
- le fait que l'ambiance de travail était dégradée, du fait d'un conflit entre ses deux supérieurs hiérarchiques, Mme [D] et M. [G].
Mme [N] ne produit aucune pièce de nature médicale, en particulier concernant son arrêt de travail qui a couru du 21 mars 2011 au 30 décembre 2011.
La Cour retient, après analyse des éléments présentés par Mme [N], que, s'il est établi par plusieurs courriels qu'elle produit (pièces n° 23 de l'appelante), que, au cours de l'automne 2010, plusieurs actions correctives étaient engagées au sein de l'entreprise, sur le site de [Localité 7], la salariée n'était pas mise en cause et ces courriels ne sauraient s'analyser comme ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail. Il en va de même s'agissant des courriels échangés au sujet d'un conflit survenu entre deux autres salariés, Mme [D] et M. [G] (pièces n° 11 et 14 de l'appelante). De même, si l'employeur a effectivement proposé à Mme [N] une formation pour accéder aux fonctions de responsable de site pour Volvo en février 2021, six mois après son embauche (pièce n° 5 de l'appelante), ce comportement n'a pas eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de celle-ci.
Au-delà de ses seules affirmations (pièce n° 18 de l'appelante), Mme [N] ne démontre pas que son employeur avait l'obligation de mettre à sa disposition un véhicule de service, ni qu'il l'a privée de bureau. Il en va de même s'agissant de la convention collective, le règlement intérieur de l'entreprise et la grille des salaires, qui au demeurant étaient à disposition au siège social de l'entreprise.
S'il est exact que sa fiche de mission ne lui a été adressée, parmi d'autres, que le 16 février 2011 (pièce n° 4 de l'appelante), le contrat de travail Mme [N] détaillait ses attributions; au demeurant, il est précisé, sur la fiche de mission, que son contenu ne se substitue pas pas au contrat de travail. Au-delà de ses seules affirmations (pièce n° 7 de l'appelante), Mme [N] ne démontre pas qu'elle a assumé, en plus de ses propres fonctions, celles de chef d'équipe et de secrétaire. Quant au fait de s'occuper, en plus du site de [Localité 7], d'un second site de AB SERVE situé à [Localité 6] (Rhône), cela entrait dans les prévisions du contrat de travail.
En revanche, le nombre important d'heures supplémentaires effectuées, qui a entraîné le non-respect des durées maximales de travail, le paiement en avril 2011 d'une partie des heures supplémentaires effectuées en décembre 2010 sont des faits établis par Mme [N] (pièces n° 6-1 et 6-2 de l'appelante).
Toutefois, ce seul dépassement des durées maximales de travail n'est, en l'absence de toute pièce de nature médicale, pas constitutif d'agissements répétés de harcèlement moral, susceptibles d'avoir pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors, la demande de dommages et intérêts de Mme [N] pour harcèlement n'est pas fondée, le rejet de cette prétention sera confirmé.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
En application des articles 1224 et 1227 du code civil, en cas d'inexécution suffisamment grave de ses obligations par une partie à un contrat, le juge peut prononcer la résolution de ce contrat.
De manière plus particulière, le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur si ce dernier a commis des manquements suffisamment graves à ses obligations de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail (telle est la condition énoncée par la jurisprudence de la Cour de cassation : Cass. Soc., 26 mars 2014 ' pourvoi n° 12-21.372 ; Cass. Soc., 26 mars 2014 ' pourvoi n° 12-35.040).
Par principe, la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si le contrat de travail fait l'objet d'une résiliation judiciaire motivée par des manquements de l'employeur à ses obligations, par ailleurs constitutifs de harcèlement moral, les effets d'un licenciement nul sont attachés à la résiliation du contrat (Cass. Soc., 20 février 2013 ' pourvoi n° 11-26.560)
S'agissant de la charge de la preuve, il appartient au salarié, demandeur à l'action en résiliation du contrat de travail, de démontrer la matérialité des manquements imputés à l'employeur.
En l'espèce, Mme [N] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en imputant à son employeur des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral, qui s'avèrent être exactement les mêmes que ceux qu'elle a mentionnés à l'appui de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.
Or la Cour a retenu que les comportements imputés par Mme [N] à son employeur n'étaient pas des agissements répétés constitutifs de harcèlement moral.
En revanche, Mme [N] démontre qu'elle a effectué un nombre important d'heures supplémentaires, travaillant 45 à 66 heures par semaine, ce qui a entraîné le non-respect des durées maximales de travail : elle a travaillé 57,5 heures au cours de la semaine du 6 au 10 décembre 2020, 58,5 heures au cours de la semaine du 3 au 7 janvier 2021, 61 heures au cours de la semaine du 24 au 28 janvier 2021, 63 heures au cours de la semaine du 7 au 11 février 2021.
Il s'agit de manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, qui sont suffisamment graves pour motiver le prononcé de la résiliation du contrat de travail, les règles relatives au respect des durées maximales de travail et des durées minimale de repos étant d'ordre public.
Dans la mesure où le contrat de travail de Mme [N] a été rompu entretemps, la résiliation judiciaire de contrat prend effet à la date de son licenciement, soit le 14 juin 2012 (en application d'un principe dégagé par la Cour de cassation : Cass. Soc., 21 septembre 2016 ' pourvoi n° 14-30.056).
La résiliation du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En conséquence, Mme [N] a droit au versement de l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'elle le sollicite à titre de subsidiaire.
En premier lieu, en application tant de l'article 1234-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au 14 juin 2012 que de l'article 78 de la convention collective nationale des industries et du commerce de la récupération, la durée du préavis était fixé, compte tenu de l'ancienneté de Mme [N], à 1 mois.
Mme [N] a droit à une indemnité compensatrice de préavis d'un montant égal à un mois de salaire, soit 2 357,85 euros, outre 235,78 euros au titre des congés payés afférents.
En second lieu, l'article R.1234-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au 14 juin 2012, dispose que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de 10 ans d'ancienneté.
Par ailleurs, il résulte de l'article 79 de la convention collective de la convention collective nationale des industries et du commerce de la récupération que le licenciement de tout salarié ayant au moins 8 mois d'ancienneté ininterrompue dans l'entreprise, donne lieu, hors les cas d'une faute grave ou lourde, au versement dune indemnité, équivalente à 1/4 de mois de salaire par année, pour les 10 premières années d'ancienneté dans l'entreprise.
Mme [N], dont l'ancienneté était de 1 an et 9 mois, a donc droit à une indemnité de licenciement d'un montant de : 1,75 x 1/4 x 2 357,85 = 1 031,55 euros.
En considération de la situation particulière de Mme [N], notamment de son âge (30 ans) et de son ancienneté au moment de la rupture, des circonstances de celle-ci, de sa capacité à retrouver un emploi compte tenu de sa formation (son curriculum est versé aux débats), il y a lieu de condamner la société AB SERVE à lui verser la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L 1235-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au jour de la résiliation du contrat de travail.
Les créances à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande, soit le 16 Avril 2012, date de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation .
Les conditions de l'article 1154 ancien du code civil qui, en application de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, sont applicables à la présente instance en ce qu'elle a été engagée avant le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de ladite ordonnance, étant remplies, il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts formée par le salarié dans les conditions de ce texte.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure irrégulière de licenciement
Mme [N] ne développe aucun moyen à l'appui de sa demande de dommages et intérêts et ne précise pas quelle irrégularité aurait marqué la procédure de son licenciement.
Dès lors, le rejet de sa demande indemnitaire pour procédure irrégulière de licenciement mérite d'être confirmé.
Sur la remise de documents de fin de contrat de travail
Il y a lieu d'ordonner à la société AB SERVE de remettre à Mme [N] une attestation Pôle emploi, rectifiée conformément au présent arrêt, dans le mois qui suit la notification de ce dernier, sans qu'il soit nécessaire de prévoir une astreinte.
Sur les dépens
La société AB SERVE, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
La demande de la société AB SERVE au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.
La société AB SERVE sera condamnée à payer à Mme [N] 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Infirme le jugement rendu 24 septembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Lyon, en ses dispositions déférées, sauf en ce qu'il a débouté Mme [U] [N] de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour procédure de licenciement irrégulière ;
Statuant sur les dispositions infirmées et ajoutant,
Prononce la résiliation du contrat de travail de Mme [U] [N], aux torts de la société AB SERVE ;
Dit que la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [U] [N] produit les effets, à la date du 14 juin 2012, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société AB SERVE à payer à Mme [U] [N] :
- avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;
- avec intérêts au taux légal à compter du 16 Avril 2012, la somme de 2 357,85 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 235,78 euros au titre des congés payés afférents ;
- avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, la somme de 1 031,55 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne la capitalisation des intérêts ;
Ordonne à la société AB SERVE de de remettre à Mme [U] [N] une attestation Pôle emploi rectifiée conformément au présent arrêt, dans le mois qui suit la notification de celui-ci;
Condamne la société AB SERVE aux dépens de première instance et de l'instance d'appel ;
Rejette la demande de la société AB SERVE au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société AB SERVE à payer à Mme [U] [N] 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier La Présidente