AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/07552 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MVQK
[P]
C/
Société SITA LYON
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 14 Octobre 2019
RG : 16/02635
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 07 AVRIL 2023
APPELANT :
[X] [P]
né le 30 Mars 1971 à [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Malika BARTHELEMY-BANSAC de la SELARL CABINET D'AVOCATS MALIKA BARTHELEMY BANSAC ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société SITA LYON
Universaône
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représentée par Me Florian GROBON de la SELARL ELECTA JURIS, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON substituée par Me Laetitia LOPEZ, avocat au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mars 2023
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, président
- Catherine CHANEZ, conseiller
- Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon en date du 14 octobre 2019 ;
Vu la déclaration d'appel transmise par voie électronique le 5 novembre 2019 par M. [X] [P] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 31 janvier 2020 par M. [P] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 30 avril 2020 par la SAS Sita Lyon ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 janvier 2023 ;
Pour l'exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
Attendu que M. [P] sollicite l'indemnité minimum de douze mois de salaire prévue à l'article L. 1226-15 du code du travail dans sa rédaction applicable en invoquant une méconnaissance de l'obligation de reclassement et une faute de l'employeur à l'origine de son inaptitude ; que toutefois seul le premier manquement ouvre droit à l'indemnité susvisée, le second étant quant à lui sanctionné par l'indemnité prévue à l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction en vigueur - soit pour un salarié de plus de deux ans d'ancienneté employé dans une entreprise de plus de dix salariés une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'il y a donc lieu d'examiner tout d'abord le premier moyen et seulement dans un second temps, dans l'hypothèse où le premier serait écarté, le second moyen - la demande de dommages et intérêts devant être regardée également comme tendant au paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 1235-3 susvisé ;
Attendu que, sur le premier point, qu'aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa verson applicable : 'Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. / Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. / L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.'et que, selon l'article L. 1226-12 du même code : ' Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement./ L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions. / S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III.' ;
Que la recherche des possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; que la notion de groupe, qui détermine le périmètre de l'obligation de reclassement, se distingue du groupe au sens du droit commercial, puisque le critère déterminant est la permutabilité du personnel, en sorte que l'existence d'un groupe peut être admise sans qu'aucun lien sociétaire ne fut établi, des liens de fait entre les activités tenant à la personne de l'employeur ou à une gestion commune des diverses sociétés étant suffisants ;
Que c'est à l'employeur qu'il appartient d'établir, par tous moyens, qu'il a fait le nécessaire pour sauvegarder l'emploi du salarié et que sa tentative de reclassement a échoué du fait de l'absence de poste disponible correspondant aux capacités physiques réduites du salarié ;
Attendu qu'en l'espèce l'avis d'inaptitude en date du 26 janvier 2015 est rédigé en ces termes : 'Inapte au poste d'agent de collecte en ordures ménagères confirmée ce jour en 2ème visite et après étude de poste (en date du 14/ 12/2014). Inapte à tout poste demandant de la manutention de charges, des postures contraignantes pour le dos, la conduite de véhicule, la station debout ou assise prolongée ($gt;1h) et l'utilisation d'outils à mains vibrants./Serait apte à un poste d'agent de sécurité (rondier, sédentaire etc...) d'agent d'accueil ou agent de tri (tri de papiers de bureaux, gobelets plastiques, cartouche irnprimante, cannettes vides par exemple).' ;
Attendu que le médecin du travail a adressé un courriel le 30 janvier 2015 à la responsable des ressources humaines de la SAS Sita Lyon afin de lui indiquer notamment que le reclassement de M. [P] au sein de Sita Lyon paraissait extrêmement difficile compte tenu des restrictions indiquées et des compétences actuelles de M. [P] et que les propositions de reclassement évoquées sur la fiche ne seraient pas forcément en lien avec des postes présents et disponibles dans le groupe ;
Que la SAS Sita Lyon a répondu de manière circonstanciée au médecin du travail en précisant notamment que M. [P] n'était pas éligible pour intégrer le dispositif d'insertion Sita Rebond, qui s'adresse aux personnes agréées par Pôle emploi au titre d'un parcours professionnel, mais que la société n'était pas opposée, pendant le temps de la procédure de recherche de reclassernent, à prendre en charge le salaire de M. [P] pendant que ce dernier effectue une formation d'agent de sécurité avec l'association Comete afin de favoriser le cas échéant son reclassement externe, l'entreprise ne disposant pas de postes d'agents de sécurité ;
Que, par un nouveau courriel en date du 16 février 2015, le médecin du travail a répondu bien comprendre les difficultés de reclassement compte tenu des restrictions médicales importantes ;
Que, dans le même temps, la SAS Sita Lyon a demandé à M. [P] de retourner une fiche de recherche de reclassement, ce que l'intéressé a fait en indiquant qu'il acceptait une mobilité limitée à la région sud est ;
Que la SAS Sita Lyon a identifié deux postes d'agent de tri en collecte sélective qu'elle a soumis au médecin du travail et que ce dernier a indiqué que ce type de poste pouvait convenir en l'absence de manutention de bacs et si le travail de tri se faisait sur table ;
Que la SAS Sita Lyon a consulté les délégués du personnel quant aux solutions de reclassement envisagées ;
Que la SAS Sita Lyon a proposé à M. [P] un poste d'agent de tri au sein de la société Val-Jaura à [Localité 4] et un poste d'agent de tri au sein de la socié Sita Centre Ouest à [Localité 5] en y ajoutant une aide à la mobilité ;
Que M. [P] a refusé ces deux postes en indiquant au motif principal qu'il n'acceptait aucune mobilité géographique, ajoutant que ces postes imposaient d'après lui une station debout prolongée qu'il ne serait pas en capacité de supporter ;
Que ces différents éléments tendent à établir une démarche loyale de tentative de reclassement, la SAS Sita Lyon ayant régulièrement échangé avec le médecin du travail, tenu compte de ses avis, proposé des postes correspondant à ses préconisations et même recherché une solution pour une formation d'agent de sécurité sans perte de rémunération; que la cour observe que M. [P] ne soutient pas que la SAS Sita Lyon aurait dû solliciter un nouvel avis du médecin du travail suite à son refus des propositions de reclassement et qu'au demeurant les postes offerts avaient reçu l'aval du médecin ;
Attendu que la SAS Sita Lyon justifie par ailleurs par la production du registre du personnel et des listes de postes à pourvoir au sein de la société et du groupe Suez auquel elle appartient qu'elle ne disposait d'aucun autre poste adapté aux compétences, capacités physiques et souhaits géographiques de M. [P] ; qu'il n'y avait notamment pas de poste d'agent de sécurité ou de rondier ou encore d'agent d'accueil dans la région lyonnaise disponible ;
Attendu que, par suite, la cour retient que la SAS Sita Lyon n'a pas failli à son obligation de reclassement ;
Attendu, sur le second point, qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée ; qu'en effet, dans une telle hypothèse, le licenciement, même s'il est fondé une inaptitude régulièrement constatée par le médecin du travail, trouve en réalité sa cause véritable dans ce manquement de l'employeur ;
Qu'il appartient par ailleurs à l'employeur dont le salarié, victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité ;
Attendu qu'en l'espèce M. [P] a été victime le 27 mars 2014 d'un accident reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie comme étant d'origine professionnelle ; qu'il a été placé en arrêt de travail continu à compter de cette date jusqu'à la déclaration d'inaptitude du 26 janvier 2015 ; que cet accident, survenu alors qu'il soulevait un bac pour le tirer vers lui dans le cadre de la collecte des ordures ménagères, a été à l'origine d'une lombalgie aigüe d'effort ; que les problèmes de santé mis en exergue par le médecin du travail dans son avis d'inaptitude suite à la visite de reprise après accident du travail sont en lien avec les séquelles relevées suite à l'accident puisqu'il lui est notamment interdit tout poste demandant des postures contraignantes pour le dos ; qu'il résulte de ces différents éléments que l'accident du travail est, au moins partiellement, à l'origine de l'inaptitude de M. [P] ;
Attendu que par ailleurs il ne ressort d'aucune pièce du dossier que la survenance de l'accident du 37 mars 2014 serait étrangère à tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que pour sa part M. [P] fait valoir sans être contredit qu'il n'avait jamais bénéficié de formation et n'était pas équipé de ceinture d'aide à la manutention, la SAS Sita Lyon se bornant à répliquer que cette argumentation est inopérante ; que la cour retient dès lors que la SAS Sita Lyon a failli à son obligation de sécurité telle que prévue aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail dans leur rédaction applicable ;
Attendu que, par suite, la cour retient que l'inaptitude est la conséquence d'une faute de l'employeur et que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que, ainsi qu'il a été plus haut, M. [P] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'en considération de son ancienneté (14 ans), de sa rémunération mensuelle brute (1 770,45 euros), de son âge (44 ans au moment du licenciement) et du fait qu'il justifie avoir bénéficié des allocations chômage jusqu'en 2019, son préjudice est évalué à la somme de 20 000 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés ;
Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la SAS Sita Lyon des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [P] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;
Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à M. [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Dit que le licenciement de M. [X] [P] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Sita Lyon à payer à M. [X] [P] les sommes de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l'article 1343-2 du code civil,
Ordonne le remboursement par la SAS Sita Lyon des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [X] [P] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,
Condamne la SAS Sita Lyon aux dépens de première instance et d'appel,
Le Greffier La Présidente