AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 19/07883 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MWIR
[D]
C/
Société CONSTRUCTIONS [C]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE
du 24 Octobre 2019
RG : F 17/00097
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 07 AVRIL 2023
APPELANT :
[H] [D]
né le 28 Janvier 1989 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Nicolas FANGET de la SELARL VEBER ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Cassandre ROULIER, avocat au barreau de LYON
INTIMÉE :
Société CONSTRUCTIONS [C]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Sidonie PRUD'HOMME, avocat au barreau d'AIN
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 03 Mars 2023
Présidée par Béatrice REGNIER, Présidente magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Béatrice REGNIER, président
- Catherine CHANEZ, conseiller
- Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 07 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse en date du 24 octobre 2019;
Vu la déclaration d'appel transmise par voie électronique le 14 novembre 2019 par M. [H] [D] ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 11 février 2022 par M. [D];
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 7 mai 2020 par la SAS Constructions [C] ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 janvier 2023 ;
Pour l'exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
- Sur les heures supplémentaires :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ;
Que, selon l'article L. 3171-3 du même code dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 l'employeur tient à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail - le texte antérieur visant quant à lui l'inspecteur ou le contrôleur du travail - les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié ; que la nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminés par voie réglementaire ;
Que, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ;
Qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires susvisées ;
Qu'enfin le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l'accord au moins implicite de l'employeur, soit s'il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ;
Attendu qu'en l'espèce M. [D] soutient avoir travaillé chaque jour de 7h30 à 12h et de 13h45 à 17h45 et avoir ainsi accompli 7,5 heures supplémentaires par semaine durant l'ensemble de la relation contractuelle, soit un solde restant dû correspondant à 157,50 heures déduction faites des heures supplémentaires réglées et des heures correspondant à ses jours d'absence et temps de déplacement non inclus dans le temps de travail effectif ; qu'il fournit un récapitulatif des heures supplémentaires accomplies du 11 janvier au 5 août 2016 et des déductions à opérer - aboutissant à un solde dû de 1 485 euros correspondant à 88 heures supplémentaires non payées - ainsi qu'un courrier postérieur à la rupture en date du 10 janvier 2017 réclamant le paiement des '88 heures supplémentaires que j'ai faites à votre demande et que vous ne m'avez jamais payées' ;
Attendu que le salarié produit ainsi des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande ;
Attendu que la SAS Constructions [C] conteste la réalisation d'heures supplémentaires non rémunérées, explique qu'elle ne peut fournir qu'une partie des feuilles d'heures tenues par les chefs d'équipe du fait du départ précité de la secrétaire comptable avec des pièces de l'entreprise et remarque que M. [D] a intégré dans son décompte le temps de déplacement pour se rendre sur le chantier sur lequel il était affecté alors même qu'il ne s'agit pas d'un temps de travail effectif et qu'il percevait une prime de déplacement ; qu'elle ajoute qu'elle était fermée en août 2016 ; qu'elle verse aux débats :
la plainte pour abus de confiance qu'elle a déposée le 1er janvier 2020 à l'encontre de la secrétaire comptable ;
plusieurs fiches mentionnant le nombre d'heures accomplies quotidiennement par les salariés de l'entreprise, non signées ;
l'attestation de M. [L] [Y], chef d'équipe, qui déclare que les feuilles d'heures de travail mensuelles qu'il remplissait restituaient fidèlement les heures supplémentaires réalisées par son équipe ;
les témoignages de trois salariés, qui attestent que les heures supplémentaires qu'ils ont pu réaliser leur ont toujours été réglées ;
Attendu que la SAS Constructions [C] ne produit aucun décompte des heures de travail de M. [D], les fiches d'heures produites - lesquelles ne concernent au demeurant pas l'intégralité de la période d'embauche - n'étant pas signées de l'intéressé et ne pouvant donc être prises en compte en dépit de l'attestation du chef d'équipe ; qu'elle ne justifie donc pas avoir satisfait à ses obligations en la matière ; que, si elle prétend que dans le calcul du salarié sont intégrés ses temps de trajet, aucun élément ne permet de le retenir alors même qu'il appartenait à l'entreprise de comptabiliser le temps de travail de l'intéressé ; qu'au vu des éléments produits de part et d'autre la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [D] a bien réalisé des heures supplémentaires, mais simplement à concurrence des 88 heures figurant sur son décompte produit en pièce 12 et réclamées dans son courrier du 10 janvier 2017 ; que la demande est donc accuellie à hauteur de la somme de 1 485 euros brut, outre 148,50 euros brut de congés payés ;
- Sur le travail dissimulé :
Attendu qu'aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail : 'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : / 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; / 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; / 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.' ;
Attendu que la volonté délibérée de la SAS Constructions [C] de dissimuler sur les bulletins de paie les heures réellement accomplies par le salarié n'est pas suffisamment caractérisée ; que la demande d'indemnité formée à ce titre est donc rejetée ;
- Sur le licenciement :
- Sur le bien-fondé du licenciement ;
Attendu qu'il convient de rappeler que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ;
Que, selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; que, si un doute subsiste, il profite au salarié ; qu'ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ;
Que par ailleurs la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la rupture immédiate de son contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve pesant sur l'employeur ;
Attendu qu'en l'espèce M. [D] a été licencié par courrier recommandé du 28 octobre 2016 pour les motifs suivants :
'Constatation de votre ébriété avérée sur le chantier de Monsieur et Madame [R] à [Localité 5], le jeudi 20 octobre 2016, où vous aviez pour mission de reprendre les joints d'un mur. Lors de la visite de [S] [C] sur ce chantier, vous étiez complètement ivre. Vous n 'avez pas accepté les remarques faites à votre encontre sur votre état d'une part, et sur la mauvaise qualité de votre travail d'autre part. Vous avez quitté le chantier à 16h30 au lieu de 17h45. [S] [C] s'est rendu sur ce même chantier le samedi 22 octobre afin de reprendre toutes vos malfaçons et effectuer le nettoyage du chantier. / Nous avons escompté des remarques désobligeantes de la part de nos clients et l'image de notre entreprise est remise en cause tant par votre comportement que par le manque de sécurité que vous avez infligé par votre état. / Nous apprenons le 24 octobre 2016 par vous-même que vous venez d'être suspendu de votre permis de conduire pour 4 mois pour conduite en état d'ivresse. / Nous sommes responsables de l'hygiène et de la sécurité de notre entreprise. ll nous appartient de vous protéger de tout éventuel accident, votre comportement ne nous permet plus de vous maintenir en poste.' ;
Attendu que la matérialité des faits du 20 octobre 2016 est établie par deux documents:
le témoignage de de M. [S] [C], conducteur de travaux, qui décrit les faits tels que relatés dans la lettre de rupture ; que la seule circonstance que M. et Mme [R] attestent ne pas avoir, à cette date, vu M. [D] ivre ni constaté la venue de M. [S] [C] n'est pas de nature à ôter toute crédibilité aux déclarations de ce dernier ; qu'en effet les intéressés, âgés, ont pu ne pas se rendre compte de ces deux évènements, alors même que M. [C] n'a rencontré M. [D] que sur le parking extérieur de la maison des époux [R] au moment où celui-ci quittait le chantier ;
un courrier de M. [T] [N] à la SAS Constructions [C] en date du 8 février 2020 dans lequel il est indiqué : 'Par la présente, je viens confirmer que Monsieur [D] dans un état d'alcoolémie avancé ait (sic) bien rentré dans le mur de ma propriété en octobre 2016. / Cet état a été constaté par la gendarmerie de [Localité 6] et cette personne m 'a dit qu 'il quittait son travail. / Il m'avait même laissé son sac à dos contenant des canettes de biéres lorsqu'il est parti à la gendarmerie, sac qu 'il a récupéré le lendemain lorsqu'il est venu faire le constat.' ;
Attendu par ailleurs que deux clients de la SAS Constructions [C] chez qui M. [D] a été amené à travailler attestent avoir constaté que celui-ci pouvait être en état d'ébriété et que son comportement changeait alors puisqu'il devenait agressif avec ses collègues ; que M. [B] [X] estime cet état dangereux au regard des travaux à effectuer ; que le grief portant sur le comportement inadapté - dû à la boisson - de M. [D] lors des chantiers et le mécontentement des clients consécutif est donc établi; que la cour observe que les faits en cause ne sont pas prescrits dans la mesure où les clients datent les chantiers d'octobre 2016 pour l'un et de juillet 2016 pour l'autre et où la procédure disciplinaire a été engagée le 17 août 2016 ; qu'en tout état de cause l'état d'ébriété a été réitéré le 20 octobre 2016 ;
Attendu que la cour observe enfin que M. [D] a fait l'objet de trois avertissements les 24 mars, 22 avril et 8 juillet 2016 pour avoir consommé de l'alcool durant son travail ; que, si le salarié conteste la réalité de ces sanctions, les courriers de sanction portent la signature de l'intéressé ; que, contrairement à ce qu'il soutient, cette signature correspond à celle figurant sur d'autres documents, tels le reçu pour solde de tout compte, la notice valant règlement intérieur ou encore le formulaire de saisine du conseil de prud'hommes et même, en dépit de ce qu'affirme M. [D], le formulaire cerfa de la rupture conventionnelle; que la cour observe en outre que le salarié n'a pas cru devoir déposer plainte pour faux à l'encontre de son employeur ; qu'elle remarque également qu'il lui est habituel de remettre les courriers aux salariés en main propre contre décharge, ayant notamment convoqué selon cette même forme M. [Y], chef d'équipe, le 24 mars 2016 pour une mise en garde - celle-ci concernant au demeurant le fait pour l'intéressé de ne pas avoir informé la direction des comportements non conformes de M. [D] dont il était le supérieur hiararchique ;
Attendu que les deux griefs ci-dessus retenus justifiaient, compte tenu de leur gravité et du passé disciplinaire du salarié, la rupture immédiate de son contrat de travail ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner le grief portant sur la suspension du permis de conduire, la cour retient que le licenciement pour faute grave est fondé ; que les demandes tendant au paiement d'un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, des indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont donc rejetées;
- Sur la régularité du licenciement :
Attendu que la SAS Constructions [C] verse aux débats un courrier du 17 octobre 2016 le convoquant à un entretien préalable en vue d'une mesure de licenciement prévu le 24 octobre suivant, courrier comportant la signature de M. [D] ; que, si celui-ci conteste là encore l'authenticité de sa signature, celle-ci correspond également à celle figurant les documents dont il a été fait état ci-dessus dans le cadre de l'examen de la réalité des sanctions prononcées ; que M. [D] n'est donc pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas été convoqué à un entretien préalable et que la procédure légale de licenciement aurait été méconnue - les textes invoqués à cet égard par le salarié étant erroné ; que sa demande de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier est donc rejetée ;
- Sur l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail :
Attendu que M. [D] ne justifie d'aucun préjudice en lien avec le défaut de règlement de l'intégralité des heures supplémentaires distinct de celui réparé par l'allocation du rappel de salaire y afférent ;
Qu'il ne ressort par ailleurs d'aucune pièce du dossier que la SAS Constructions [C] lui aurait imposé de signer une rupture conventionnelle et qu'en tout état de cause, dans la mesure où il s'est rétracté par la suite, il ne justifie à ce titre d'aucun préjudice ;
Qu'enfin les griefs émis au titre de la régularité et du bien-fondé de son licenciement n'ont pas été retenus comme étant fondés et auraient en tout état de cause été indemnisés dans le cadre de la réparation d'une rupture irrégulière et abusive s'ils avaient été constitués ;
Attendu que, par suite, M. [D] est débouté de sa demande de dommages et intérêts présentée au titre de l'exécution fautive et déloyale du contrat de travail ;
- Sur les frais irrépétibles :
Attendu que, compte tenu de la solution donnée au litige, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté M. [H] [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires impayées et des congés payés afférents, et condamné l'intéressé aux dépens,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Condamne la SAS Constructions [C] à payer à M. [H] [D] les sommes de 1 485 euros, outre 148,50 euros de congés payés, à titre de rappel d'heures supplémentaires,
Déboute M. [H] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel,
Le Greffier La Présidente