AFFAIRE PRUD'HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/00473 - N° Portalis DBVX-V-B7E-MZ7I
Société WARNING
C/
[V]
APPEL D'UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON
du 06 Janvier 2020
RG : 17/01731
COUR D'APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 26 AVRIL 2023
APPELANTE :
Société WARNING
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Laurent BERTIN de la SCP BERTIN & PETITJEAN-DOMEC ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marie-josèphe PETITJEAN-DOMEC, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
[W] [V]
né le 24 Décembre 1980 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 1]
non représenté
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mars 2023
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
- Joëlle DOAT, présidente
- Nathalie ROCCI, conseiller
- Anne BRUNNER, conseiller
ARRÊT : RENDU PAR DÉFAUT
Prononcé publiquement le 26 Avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Suivant contrat de travail à durée indéterminée, M. [W] [V] a été embauché à temps partiel à compter du 16 mai 2016 en qualité de conducteur-livreur VL, Annexe 1 moins de 3,5 tonnes, groupe 3 bis, coefficient 118M, par la société Warning.
A compter du mois de mai 2016, M. [V] a été embauché à temps complet, moyennant une rémunération mensuelle de 1 641,67 euros.
La convention collective des transports routiers était applicable aux relations de travail.
Par courrier recommandé en date du 13 mars 2017, le salarié a été convoqué par son employeur a un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, fixé le 23 mars 2017.
Le 11 avril 2017, le salarié a été victime d'un accident du travail, reconnu et pris en charge par la CPAM.
Par courrier recommandé en date du 18 avril 2017, M. [V] a été licencié pour faute grave pour avoir, le 19 janvier 2017, alors qu'il était affecté à une tournée de livraison sur le secteur d'[Localité 5], appelé l'assistance en raison d'une défaillance du système de freinage, refusé l'immobilisation du véhicule, refusé d'attendre le dépannage qui devait intervenir dans un délai de deux heures et pris la décision de rentrer avec un véhicule inopérant en parcourant un trajet de 140 km sur autoroute, à vitesse réduite. Il était par conséquent reproché à M. [V] d'avoir volontairement manqué à ses obligations de sécurité et fait peser un risque certain sur lui-même ainsi que sur les autres usagers de la route et sur le matériel mis à sa disposition.
Par requête en date du 9 juin 2017, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société Warning à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Par jugement en date du 6 janvier 2020, le conseil de prud'hommes, section commerce, a :
- requalifié le licenciement de M. [V] pour faute grave en licenciement nul,
- condamné la SAS Warning à payer à M. [V] les sommes suivantes :
* 9 800 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
* 1 624 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 162,40 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 1 200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées,
- rappelé qu'aux termes des dispositions de l'article R.1454-28 du Code du travail, sont exécutoires de droit à titre provisoire, les jugements ordonnant la délivrance de toutes pièces que l'employeur est tenu de remettre (bulletins de paie, certificat de travail, ') ainsi que les jugements ordonnant le paiement des sommes au titre des rémunérations et indemnités visées à l'article R. 1454-14 du Code du travail dans la limite de neuf mensualités, étant précisé que le salaire mensuel moyen de M. [W] [V] est fixé à 1 641,67 euros,
- ordonné le remboursement par la SAS Warning à Pôle emploi de deux mois de salaire,
- débouté la SAS Warning de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SAS Warning aux entiers dépens.
La société Warning a interjeté appel de ce jugement, le 17 janvier 2020.
Dans ses conclusions notifiées le 23 mars 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, la société Warning demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel,
- réformer en son entier la décision entreprise,
- dire et juger que le licenciement de M. [V] repose sur une faute grave caractérisée,
- débouter M. [V] de sa demande en nullité du licenciement et de ses demandes indemnitaires afférentes,
- condamner M. [V] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par acte d'huissier en date du 10 mars 2020 remis à son domicile, la société Warning a fait signifier à M. [V] la déclaration d'appel.
La société Warning a fait signifier ses conclusions d'appel à M. [V], par acte d'huissier en date du 9 juillet 2020 remis à l'étude de l'huissier de justice.
M. [V] n'a pas constitué avocat.
Le présent arrêt sera rendu par défaut.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2023.
SUR CE :
La société Warning fait valoir en préambule :
- qu'elle a eu connaissance du degré de gravité des faits fautifs le 24 janvier 2017, et qu'elle a engagé la procédure de licenciement le 13 mars 2017, conformément au délai de deux mois à compter de la connaissance des faits ;
- qu'elle a engagé la procédure de licenciement avant l'accident de travail de M. [V] survenu non pas le 11 mars 2017 mais le 11 avril 2017 ;
- que le licenciement pour faute grave a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril 2017 pour un motif étranger à l'accident du travail.
- Sur le licenciement pour faute grave :
La société Warning fait valoir que :
- le motif du licenciement réside dans les manquements de M.[V] à son obligation de sécurité
- confronté à une défaillance du système de freinage de son véhicule de livraison alors qu'il se trouvait à [Localité 5], M. [V], après avoir appelé l'assistance, a refusé de patienter pendant deux heures en attente de dépannage, préférant rouler pendant 140 kilomètres sur autoroute en laissant le frein à main délibérément tiré ;
- le salarié a mis en danger autrui, et a de surcroît fortement endommagé le véhicule, ainsi qu'en atteste le contenu du mail reçu le 24 janvier 2017 de la société IVECO qui a procédé à la réparation du véhicule ;
- l'employeur a une obligation de sécurité de résultat qui lui impose d'intervenir à titre préventif et de sanctionner un salarié ayant un comportement dangereux, et le licenciement est justifié peu important que le comportement n'ait pas eu de conséquences dommageables,
- le conseil de prud'hommes a conditionné la réalité d'une faute grave à la survenance d'un accident, ce qui est contraire à la jurisprudence, dès lors qu'il est indifférent que le comportement fautif ait eu ou non des conséquences dommageables ;
- le conseil de prud'hommes n'a pas tiré les conséquences de la reconnaissance, par le salarié, d'avoir roulé avec un véhicule présentant un défaut du système de freinage, ce qui caractérise le comportement dangereux.
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Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.
En l'espèce, la société Warning produit :
- un mail de la société IVECO daté du 24 janvier 2017 ainsi libellé :
" Le véhicule précité va être prêt d'ici demain comme prévu, je vous prie de trouver en pièce jointe la pro-forma de réparation restant à votre charge dans l'attente d'un bon de commande.
Je vous rappelle aussi que au vu de l'utilisation anormale du véhicule avec le frein à main tiré, les 2 pneus ar seront à changer car ils présentent un plat important ce qui provoquera une vibration et un bruit de roulement. Il y a un enjoliveur que l'on ne peut remette car il a fondu à l'arg
J'en profite pour vous joindre les photos avant dépose des dégâts.
Dans l'attente de votre bon de commande (') "
- les photographies jointes
- un échange de courriels du 12 septembre 2016 ainsi libellés :
*" En plus de la casse générée par Monsieur [V], ci-dessous le retour du parc concernant son véhicule.
On peut prendre des dispositions à son sujet ' "
* " Prime-3 mois ou pas de prime sur STC pour choc aile ARD sur [Immatriculation 6]
De plus le mois dernier je l'ai envoyé récupérer un camion dans une agence de location (assistance) il n'avait pas ces papiers (permis de conduire'.obligé de retourner chez lui les récupérer) "
Il s'agit des seuls éléments versés aux débats et force est de constater, d'une part que la gravité des dégâts constatés par la société IVECO sur le véhicule ne permet pas d'apprécier les manquements à la sécurité reprochés au salarié dès lors que la société Warning ne fournit aucun élément objectif sur les circonstances des faits supposés fautifs commis le 19 janvier 2017 au départ d'[Localité 5].
Et, en l'absence de toute autre pièce, l'aveu prétendu de M. [V] d'avoir sciemment roulé avec un véhicule endommagé, ne saurait résulter des termes de la lettre de licenciement.
D'autre part, les faits antérieurs de plusieurs mois, évoqués dans l'échange de courriels du 12 septembre 2016, ne sont pas davantage circonstanciés et la société Warning ne justifie d'aucune observation, rappel à l'ordre ou avertissement adressé à son salarié à propos de ces faits.
Enfin, il est constant que M. [V] a poursuivi son activité professionnelle jusqu'à la notification de son licenciement, qu'aucune mesure de mise à pied n'a été mise en 'uvre contre lui, de sorte que ces circonstances démontrent que le maintien du salarié, y compris pendant la durée du préavis, n'était pas impossible.
La preuve de la faute grave qui repose exclusivement sur l'employeur, n'est en l'espèce pas rapportée par la société Warning.
En outre, il résulte des dispositions des articles L 1226-7 et L 1226-9 du code du travail, qu'en l'absence de faute grave du salarié, le licenciement prononcé pendant la période de suspension provoquée par un accident du travail, quand bien même il serait intervenu après l'entretien préalable, est nul en raison de l'origine professionnelle de l'accident.
En l'espèce, il est constant que M. [V] a été victime d'un accident du travail le 11 avril 2017, soit postérieurement à sa convocation à un entretien préalable et postérieurement à l'entretien préalable fixé le 23 mars 2017. Et le licenciement notifié le 18 avril 2017 est intervenu pendant la suspension du contrat de travail du 11 avril 2017 au 17 mai 2017.
Les premiers juges qui ont considéré que le licenciement était nul pour être intervenu durant une période de suspension protégée ont fait une juste application des principes sus-visés.
La cour confirme en conséquence le jugement en ce qu'il a dit le licenciement de M. [V] entaché de nullité et confirme en outre les sommes allouées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des dommages-intérêts, la société Warning ne remettant pas en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles ces montants ont été fixés.
- Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société Warning les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué à M. [V] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Warning, partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et par défaut,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
DÉBOUTE la société Warning de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,
CONDAMNE la société Warning aux dépens d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE