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04/09/2024 | FRANCE | N°21/02934

France | France, Cour d'appel de Lyon, Chambre sociale a, 04 septembre 2024, 21/02934


AFFAIRE PRUD'HOMALE



RAPPORTEUR



N° RG 21/02934 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NRG3



[K]

C/

Société EPSILOG



APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 22 Mars 2021

RG : 18/01152



COUR D'APPEL DE LYON



CHAMBRE SOCIALE A



ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024







APPELANT :



[F] [K]

né le 04 Juin 1984 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par

Me Roxane MATHIEU de la SELARL MATHIEU AVOCATS, avocat au barreau de LYON









INTIMÉE :



Société EPSILOG

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au ...

AFFAIRE PRUD'HOMALE

RAPPORTEUR

N° RG 21/02934 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NRG3

[K]

C/

Société EPSILOG

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 22 Mars 2021

RG : 18/01152

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024

APPELANT :

[F] [K]

né le 04 Juin 1984 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Roxane MATHIEU de la SELARL MATHIEU AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société EPSILOG

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Olivier COCHARD de la SELARL JURI SOCIAL, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 06 Mai 2024

Présidée par Nathalie ROCCI, Conseillère magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Catherine MAILHES, Présidente et par Malika CHINOUNE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La Société Epsilog (la société) est spécialisée dans le transport routier de fret de proximité.

Elle est organisée en différentes agences et applique la convention collective des transports routiers.

M.[F] [K] (le salarié) a été engagé par la société Epsilog, suivants sept contrats à durée déterminée du 22 mai 2012 au 9 juin 2012, en qualité de conducteur routier de nuit.

La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée à compter du 27 juillet 2012.

Le salarié a fait l'objet des procédures disciplinaires suivantes :

24 mars 2014 : un avertissement suite à deux dénonciations pour conduite dangereuse ;

du 6 au 8 janvier 2016 : mise à pied de trois jours suite à une nouvelle dénonciation d'un usager de la route pour comportement dangereux et mise en danger de la vie d'autrui, ainsi que pour un excès de vitesse commis le 28 novembre 2015.

Le 27 mai 2016, M.[K] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement en date du 6 juin 2016 et a été mis à pied à titre conservatoire dans l'attente de la décision définitive.

Par lettre du 9 juin 2016, la société a notifié à M. [K] son licenciement pour faute grave, dans les termes suivants :

' (...)

Par conséquent nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, dont les motifs, expliqués lors de notre entretien, sont repris ci-après.

Le 27 mai 2016, après avoir fait lecture de votre carte de chronotachygraphe,

Monsieur [L] [B], votre responsable camionnage, vous a demandé de vous expliquer sur vos temps de travail et les dépassements de votre durée de travail à nouveau constatés sur la journée du mardi 24 mai 2016.

Cela fait plusieurs semaines que Monsieur [B] vous signale quotidiennement son mécontentement concernant votre irrespect des consignes d'horaire de prise de poste et des heures supplémentaires injustifiées qui en découlent.

N'obtenant aucune explication acceptable de votre part sur le constat de toutes ces heures, Monsieur [B] vous a demandé de le suivre dans le bureau de

Mme [Y], directrice des Ressources Humaines afin de clarifier la situation.

Mme [Y] a écouté vos commentaires et ceux de votre responsable hiérarchique et a ensuite vérifié devant vous votre relevé d'heure des deux derniers mois. Il ressort de ces relevés que vous quittez l'entrepôt près de 30 minutes après que la semi-remorque ait été chargée et ce alors même que vous prenez déjà plus de 15 minutes pour réaliser vos contrôles de sécurité. Or, vos collègues pour effectuer les mêmes opérations quittent l'entrepôt seulement 20 minutes après le chargement de la semi-remorque. Madame [Y] vous a alors questionné sur cette différence et vous avez répondu que la semi-remorque n'était probablement pas prête. [D] [S] qui passait juste à ce moment-la dans le couloir a été interpellé par Madame [Y] pour vérifier vos propos. Pour l'ensemble de ces jours, la semi-remorque était bien prête et chargée pour

19 heures et rien ne justifiait que vous partiez une demi-heure plus lard, laissant la carte de chronotachygraphe, générant ainsi du temps de travail fictif que vous vous faites rémunérer à tort.

Madame [Y] à la lecture de vos temps, vous a également demandé pourquoi vous ne respectiez pas les consignes horaires de votre supérieur hiérarchique en citant notamment l'exemple du vendredi ou vous vous présentez plus d'une heure en moyenne avant votre heurede prise de poste, insérant votre carte dans le lecteur. Vous lui avez alors répondu que vous aimiez bien venir plus tôt le vendredi.

Face à un constat aussi accablant du non-respect délibéré des consignes de votre hiérarchie, et à la manipulation frauduleuse du chrono-numérique dans le but de vous faire rémunérer de manière indue des heures de travail, Madame [Y] n'a eu d'autres choix que de vous signifier votre convocation avec mise à pied conservatoire.

Votre attitude a alors atteint son paroxysme à la remise de cette convocation. En effet, alors que Madame [Y] vous a demandé de restituer le téléphone portable mis à votre disposition pour un usage professionnel, vous vous êtes catégoriquement opposé cette restitution en indiquant :

'il y a toutes mes photos perso, mon répertoire, mes texto il n'est pas question que je le rende». Madame [Y], vous a rappelé que ce téléphone ne vous appartenait pas, et que votre contrat de travail interdisait très clairement son utilisation à des fins personnelles, et que nous devions le récupérer pour la bonne marche du service le temps de la procédure.

Après un très long échange durant lequel vous vous êtes obstiné à refuser de restituer le matériel de l'entreprise, vous avez fini par accepter de rendre le téléphone portable à condition d'en vider totalement le contenu ce que Madame [Y] n'a eu d'autre choix d'accepter devant cette situation inextricable. Cette attitude se passe de commentaire.

Compte tenu de votre comportement, nous avons analysé les relevés téléphoniques du téléphone mis a votre disposition. ll en ressort une consommation moyenne de 17 heures mensuelles alors que vous êtes conducteur de nuit et que vous n 'appelez aucun client. Il est évident que la plus grande de ces appels sont passés à titre privé.

Lors de l'entretien préalable, vous n'avez pas nié les faits reprochés mais vous nous avez dit ne pas considérer nous ' voler des heures' et être plutôt très consciencieux dans votre travail, ce pourquoi vous veniez plus tôt. Nous vous avons alors fait lecture de vos relevés d 'heures et vous redonnons quelques exemples.

Le 01/04/16 : ordre de prise de poste 18/140-arrivée réelle 1 7/151- Départ 20/129

Le 08/04/16 : ordre de prise de poste 18/140- arrivée réelle 1 7/149- Départ 19/107

Le 15/04/16 : ordre de prise de poste 18h40- arrivée réelle 1 7/13 0- Départ 19/126

Le 29/04/16 : ordre de prise de poste 18/140- arrivée réelle 17h51- Départ 191101

Le 02/05/16 : ordre de prise de poste 18h40 A arrivée réelle 18/110- Départ 19h18

Le 03/05/16 : ordre de prise de poste 18h40 - arrivée réelle 18h21- Départ 19h39

Le 13/05/16 : ordre de prise de poste l8h40 - arrivée réelle 17h26 - Départ 191117 etc.

Nous vous avons rappelé que là ou tous les autres conducteurs mettaient 15 à 20 minutes pour saluer, boire leur café, contrôler la sécurité de l'ensemble routier et du chargement, vous mettiez 45 minutes à 1H15 pour effectuer ces mêmes opérations, alors même que votre camion est encore 'chaud ' (puisqu'il a roulé toute la journée avec le conducteur du jour), qu'il n 'y a pas de papier à établir (puisque vous êtes affecté à la navette de nuit) et que vous n 'avez pas approvisionné le véhicule gasoil et en adeblue (tâches affectées au conducteur de jour).

Nous vous avons demandé à quoi vous occupiez ce temps rémunéré, vous nous avez répondu textuellement 'je mets ma carte et je fais mes chichis', ce qui manifestement n'a rien de professionnel et démontre une attitude désinvolte. Vous avez également indiqué que vous consacriez du temps à des recherches pour les contrôles des marchandises ADR, et ce, alors même que vous venez tout juste de renouveler votre formation ADR en janvier et que ces contrôles pour ce type d 'ADR colisage dits de base sont des plus simples.

Ces explications très légères ne peuvent justifier les dépassements excessifs de vos horaires

de travail.

Lors de l'entretien préalable, il vous a été également rappelé que par deux fois au cours de ces deux derniers mois [U] [J], Directeur des Operations France vous a questionné sur votre présence dans l'entreprise à 1 7h3 0 alors que vous aviez reçu de [L] l'instruction de venir à 18h 30. Il vous a rappelé à l'ordre et demandé de respecter cet horaire, en vain.

Là encore aucune explication de votre part ne nous a permis de comprendre pourquoi vous ne respectiez pas votre horaire de prise de poste à 18h 40, et par la même les instructions de votre chef . Pourtant vous savez pertinemment qu'il ne sert à rien de venir avant 18h40 puisque nous avions déjà décalé votre horaire habituel de prise de poste à 20 minutes plus tard constatant que votre camion n'était jamais prêt avant 1 9h00.

Encore plus accablant, lors de l'entretien, votre conseiller, lui-même conducteur routier professionnel, vous a invité à quatre reprises à considérer qu'une demi-heure maximum suffisait pour saluer les collègues, prendre le café et vérifier son ensemble routier, vous conseillant ainsi de 'faire un effort'.

Ainsi, rien ne permet d'expliquer de tels écarts d'horaires si ce n'est votre volonté d'obtenir

le paiement des heures injustifiées.

Votre comportement est d'autant plus grave que nous vous avions déja alerté en mars 2014

sur le non-respect des consignes relatives aux horaires de travail.

A ce stade, et après toutes les mises en garde que nous avons pu vous faire, nous considérons

que refuser de respecter les instructions de son responsable et générer volontairement des heures supplémentaires injustifiées, est révélateur d'une attitude rendant impossible votre maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constitue une faute grave justifiant votre licenciement immédiat.

Votre contrat de travail sera rompu à la date du 9 juin 2016. Nous vous adressons dans les

prochains jours les documents de rupture (attestation ASSEDIC, certifcat de travail et solde

de tout compte) par LRAR (...).'

Le 22 juillet 2016, M.[K] a saisi le Conseil de prud'hommes pour contester le bien-fondé de son licenciement.

L'affaire a été radiée le 19 février 2018.

M. [K] a fait ré-enrôler l'affaire.

La société a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 11 août 2016.

Par jugement du 22 mars 2021, le Conseil de prud'hommes de Lyon a :

- dit que le licenciement de M.[K] était caractérisé par une cause réelle et sérieuse,

- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

- condamné la Société Epsilog, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M.[K] les sommes suivantes :

2 391,22 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

5 978,04 euros au titre de l'indemnité compensatoire de préavis,

5 97,80 euros au titre des congés payés afférents,

189,98 euros au titre de la mise à pied conservatoire,

18,99 euros au titre des congés payés afférents,

1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté M. [K] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Débouté M. [K] de ses autres demandes ;

- Débouté la Société Epsilog de ses demandes reconventionnelles ;

- Condamné la Société Epsilog aux entiers dépens ;

- Rappelé que le jugement était exécutoire de droit à titre provisoire dans la limite des dispositions de l'article R. 1454-28 du Code du travail ;

- Dit et jugé que toutes les sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 26 avril 2021, M. [K] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 22 mars 2021, en ce que son licenciement pour faute grave a été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce que sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse a été rejetée.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le

20 juillet 2021, M. [K] demande à la cour de :

- Accueillir son appel partiel,

-Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a jugé que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ;

- Dire et juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;

- Dire et juger que les motifs de son licenciement ne sont pas constitutifs d'une faute grave;

En conséquence,

-Condamner la société Epsilog au paiement des sommes suivantes :

189,98 euros + 10 % au titre des congés payés soit 18,98 euros,

29 890 euros à titre de dommages et intérêts,

2 391,22 euros au titre de 1'indemnité légale de licenciement,

5 978,04 + 10 % pour les congés payés soit 597,80 euros au titre de l'indemnité de préavis,

2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

1 200 euros au titre de l'article 700 de première instance ;

Pour le surplus,

-Débouter la société Epsilog de toutes ses prétentions.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le

12 juillet 2021, la SAS Epsilog, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M.[K] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- Reformer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Lyon en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

En conséquence, et statuant à nouveau,

- Dire et juger que le licenciement de M.[K] est bien fondé sur une faute grave,

- Constater que la Société s'est acquittée par chèque du paiement des condamnations exécutoires ordonnées par le jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du

22 mars 2021 pour la somme de 7 872,73 euros,

- Ordonner à M. [K] le remboursement de la somme de 7 872,73 euros reçue en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Lyon du 22 mars 2021,

- Débouter M.[K] de sa demande de 2 391,22 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- Débouter M.[K] de sa demande de 5 978,04 euros au titre de l'indemnité compensatoire de préavis, outre 597,80 euros au titre des congés payés afférents,

- Débouter M. [K] de sa demande de 189,98 euros au titre de la mise à pied conservatoire, outre 18,99 euros au titre des congés payés afférents,

- Débouter M.[K] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la Société à 1 200 euros au titre del'article 700 du code de procédure civile et a débouté la Société de sa demande reconventionnelle d'article 700 du code de procédure civile,

- Débouter M.[K] de sa demande de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la phase de première instance

- Condamner M.[K] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la phase d'appel,

- Condamner M.[K] aux entiers dépens.

La clôture des débats a été ordonnée le 28 mars 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur le licenciement

Il résulte des dispositions de l'article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié; aux termes de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis.

En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société a licencié le salarié pour faute grave en invoquant le non respect des consignes horaires et la manipulation frauduleuse du chrono-numérique et des heures supplémentaires injustifiées qui en découlent d'une part, l'utilisation démesurée, à des fins personnelles, du téléphone professionnel, d'autre part.

Le salarié conteste la réalité de ces griefs.

a) Sur le grief relatif au non-respect des consignes horaires du supérieur hiérarchique

Le salarié ne dément pas qu'il se rendait plus tôt sur son lieu de travail et le justifie par la rigueur qu'il apportait aux contrôles de sécurité d'usage impératifs. Il soutient que :

- il disposait de très peu de temps pour effectuer ces contrôles et pour faire face aux chargements de dernière minute, étant précisé que les vérifications sécuritaires étaient particulièrement longues puisqu'elles portaient aussi bien sur la répartition de la marchandise que sur la détention de la carte grise ou plus généralement sur l'état du véhicule ;

- l'organisation des tournées se faisait par sms et au dernier moment, avec des variations d'horaires importantes, en sorte que l'employeur ne peut aujourd'hui remettre en cause les heures supplémentaires ;

- les chauffeurs subissaient une pression venant de la hiérarchie au sujet des contrôles de sécurité ;

- l'employeur ne démontre pas le caractère excessif des heures supplémentaires qu'il effectuait et la lecture de ses fiches de paie en 2015 et 2016 fait apparaître un nombre fixe d'heures supplémentaires majorées de 25 % toujours à hauteur de 17 heures, ce qui laisse donc supposer une récurrence de ces heures et les heures majorées à 50 % incluent le repos compensateur.

La société fait valoir que :

- les opérations de contrôle avant la prise de poste prenaient entre 20 et 37 minutes au

plus ;

- le salarié a persisté à ne pas respecter ses horaires malgré les mises en garde et notamment l'avertissement du 24 mars 2014 ;

- le salarié se présentait volontairement sans motif légitime dans la seule intention de 'générer' des heures supplémentaires ;

- le salarié n'a demandé en première instance ni l'annulation de cet avertissement, ni n'a prétendu qu'il était infondé.

b) Sur le grief concernant l'utilisation démesurée du téléphone mis à disposition par la société d'une moyenne de 17 heures mensuelles

Le salarié expose que :

- en quatre ans de relation contractuelle, l'employeur n'a jamais fait état d'une utilisation abusive du téléphone portable mis à disposition par l'entreprise ;

- il utilisait principalement le téléphone en question pour prévenir les autres collègues de l'état de la route sur laquelle celui-ci circulait ;

- le constat d'huissier de Me [V] (pièce n°12) permet largement de démontrer que leur responsable de site ne communiquait qu'avec le portable pour les prévenir du contenu des tournées, des horaires de prises de poste, des congés des autres chauffeurs.

La société invoque les factures du téléphone affecté au salarié :

25h30 d'appels passés en février 2016

plus de 24 heures d'appels en mars 2016

plus de 25 heures d'appels en avril 2016, étant précisé que pour cette période, le volume des appels vers les mobile Bouygues Telecoms qui est l'opérateur des téléphones de la société atteint seulement 17 minutes.

****

Le premier grief relatif au non respect des consignes horaires n'est pas contesté par le salarié, dès lors qu'il le justifie par le fait que le temps qui lui était imparti était insuffisant pour procéder aux différents contrôles du véhicule. Mais cette justification ne repose sur aucun élément précis, le témoignage de M. [R], ancien agent de quai de la société évoquant dans des termes excessivement vagues, la durée du travail 'ainsi que les temps courts qui nous étaient ordonnés créaient une cadence démesurée et un stress abusif.'

Le salarié conteste en outre l'existence d'un horaire de prise de poste invariablement fixé à 18h40 en s'appuyant sur une extraction par un huissier de justice de messages par sms reçus sur son téléphone entre le 19 août 2015 et le 27 mai 2016, dont il ressort que le salarié était parfois appelé à prendre son service plus tôt (2 messages en ce sens).

Si la société conteste la valeur probante de ce constat d'huissier en soulignant, à juste titre, que l'huissier rédacteur n'a pas vérifié l'identité de l'expéditeur des messages, elle ne conteste pas en revanche qu'il pouvait expressément être demandé au salarié de se présenter avant 18h40 pour sa prise de service.

Sur la matérialité du grief, la société produit en pièces n°12-1 et 12-2 des relevés d'heures dont il résulte qu'entre le 8 avril 2016 et le 13 mai 2016 , le salarié a pris son poste à sept reprises entre 50 minutes et 1h40 avant 18h40 ; mais faute de tout élément permettant de confirmer que 18h40 était effectivement l'heure de la prise de poste à ces dates, la cour n'est pas en mesure d'apprécier la nature exacte de ce grief et notamment de déterminer si le salarié a effectivement pris son poste avec une avance de 1h15 en moyenne ou seulement de quelques minutes.

Par ailleurs, la société invoque l'avertissement du 24 mars 2014 sur la question des horaires ; il était reproché au salarié, de 'préférer partir plus tard du dépôt et rattraper le temps perdu en roulant plus franchement par la suite', car il détestait perdre du temps dans les bouchons.

La lecture de cet avertissement révèle que le motif principal était la conduite dangereuse et le respect des règles de sécurité et en aucun cas, le fait d'augmenter artificiellement le nombre d'heures de travail en se présentant trop tôt au dépôt, étant précisé que l'employeur fait expressément le lien entre la pratique du salarié et la volonté de manipuler le chrono-numérique pour obtenir des heures supplémentaires indues. Or, ce point n'a jamais donné lieu à un avertissement ou rappel à l'ordre.

Il en résulte que ce grief est insuffisamment établi par les éléments du débat.

S'agissant du second grief, la société produit en pièce n°17, des factures éditées par Bouygues, service clients entreprises, les 27 février 2016, 27 mars 2016 et 27 avril 2016 attribuées à l'utilisateur ' 69 [F]', dont il ressort un volume important d'appels vers des mobiles autres que les mobiles Bouygues Telecom, soit 13h11mn et 40 secondes en février, 22h 54minutes et 38 secondes en mars et 18h 29 minutes et 30 secondes en avril.

Faute de tout autre élément relatif à l'utilisation du téléphone portable et notamment de critère objectifs pour quantifier le volume d'appel jugé démesuré par l'employeur, ce grief n'est pas établi par les pièces du dossier.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les griefs imputés au salarié ne sont pas établis ; ils ne sauraient dès lors caractériser la faute grave justifiant le licenciement qui se trouve donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement est par conséquent confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de M.[K] n'est pas fondé sur une faute grave et infirmé en ce qu'il l'a requalifié en un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

- Sur les indemnités de rupture

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu'à une indemnité conventionnelle légale de licenciement ; aucune des parties ne remet en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud'hommes a liquidé les droits du salarié; le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer au salarié les sommes de :

2 391,22 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

5 978,04 euros au titre de l'indemnité compensatoire de préavis,

597,80 euros au titre des congés payés afférents.

- Sur les dommages- intérêts

En application des articles L.1235-3 et L.1235-5 du code du travail, dans leur version applicable au litige, le salarié ayant eu une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement 11 salariés au moins, peut prétendre, en l'absence de réintégration dans l'entreprise, à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

La société s'oppose à cette demande d'indemnisation aux motifs que :

- le salarié ne rapporte pas la preuve d'un préjudice justifiant l'octroi d'une indemnité équivalent à dix mois de salaire ;

- le salarié a retrouvé un emploi dés le 30 octobre 2017 pour un salaire moyen de

2 800 euros, soit un salaire supérieur de plus de 18% à la moyenne des salaires perçus chez Epsilog.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, dont il n'est pas contesté qu'il est habituellement de plus de onze salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié âgé de 32 ans lors de la rupture, de son ancienneté de plus de quatre années, de ce qu'il justifie de sa situation au regard de pôle emploi à la date du

23 juin 2020, la cour estime que le préjudice résultant pour ce dernier de la rupture doit être indemnisé par la somme de 18 000 euros, sur la base d'un salaire moyen mensuel de

2 989,02 euros ; en conséquence, le jugement qui l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au caractère abusif du licenciement doit être infirmé en ce sens.

- Sur le rappel de salaires

En l'absence de licenciement pour faute grave, la société est redevable des salaires dont elle a privé le salarié durant la période de mise à pied conservatoire du 27 mai 2016 au

9 juin 2016, date de réception de la lettre de licenciement pour la somme de 189, 98 euros outre la somme de 18,99 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement déféré sera confirmé sur la condamnation au titre du rappel de salaire.

- Sur le remboursement des indemnités de chômage

En application de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnisation.

- Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis à la charge de la société les dépens de première instance et en ce qu'il a alloué au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société qui succombe en ses demandes, sera condamnée aux dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel dans la mesure énoncée au dispositif.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement notifié par la société Epsilog à M. [K] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Epsilog à payer à M. [K] la somme de 18 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte d'emploi ;

RAPPELLE que les sommes allouées par la cour sont exprimées en brut ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature salariale courent à compter de la demande, soit à compter de la notification à la société Epsilog de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes le 11 août 2016 ;

DIT que les intérêts au taux légal sur les créances de nature indemnitaires courent à compter du présent arrêt ;

ORDONNE le remboursement par la société Epsilog à Pôle Emploi des indemnités de chômages versées à M. [K] du jour de son lienciement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;

CONDAMNE la société Epsilog à verser à M. [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Epsilog aux dépens de l'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Chambre sociale a
Numéro d'arrêt : 21/02934
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;21.02934 ?
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