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05/07/2022 | FRANCE | N°20/00661

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 05 juillet 2022, 20/00661


Arrêt n° 22/00510



05 juillet 2022

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N° RG 20/00661 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FIEH

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

11 février 2020

19/00303

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1



ARRÊT DU



CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX





APPELANTE :



Mme [W] [P]

[Adress

e 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Cécile CABAILLOT, avocat au barreau de METZ





INTIMÉES :



Association UNEDIC DELEGATION AGS DE [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 7]
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Arrêt n° 22/00510

05 juillet 2022

---------------------

N° RG 20/00661 -

N° Portalis DBVS-V-B7E-FIEH

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de METZ

11 février 2020

19/00303

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX

APPELANTE :

Mme [W] [P]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Cécile CABAILLOT, avocat au barreau de METZ

INTIMÉES :

Association UNEDIC DELEGATION AGS DE [Localité 4] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me François BATTLE, avocat au barreau de METZ

SELARL GANGLOFF ET [N], prise en la personne de Maître [U] [N], mandataire judiciaire de la SAS AUSTRASIE

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Pierre-Yves NEDELEC, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 janvier 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne-Marie WOLF, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, présidente de chambre

Mme Anne FABERT, conseillère

Mme Laëtitia WELTER, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne FABERT, Conseillère, substituant la Présidente de chambre régulièrement empêchée et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS

Mme [W] [R], épouse [P] a été embauchée à compter du 23 juillet 2012 en contrat à durée indéterminée par la SAS Hatrize Poids Lourds en qualité d'employée administrative. Ce contrat de travail a été transféré, après modification du lieu de travail acceptée par la salariée, à la SAS Austrasie avec laquelle Mme [P] a signé un nouveau contrat de travail le 1er juillet 2013.

Elle a été promue à compter du 1er décembre 2016 au poste de gestionnaire de paie ' assistante de la directrice des ressources humaines, catégorie agent de maîtrise.

Son dernier salaire mensuel moyen s'est établi à 3 310,16 euros bruts pour l'année 2017.

Par courrier du 13 octobre 2017, la SAS Austrasie a proposé à Mme [P] un changement de poste pour celui d'acheteuse, à l'appui d'un avenant qu'elle a refusé de signer.

Le 11 octobre 2017, l'Union Locale des syndicats CGT de [Localité 8] et environs a adressé un courrier au « Groupe Austrasie », désignant Mme [P] comme représentante de la section syndicale de ce groupe avec ses établissements.

Par lettre remise en mains propres le 18 décembre 2017, Mme [P] était mise à pied à titre conservatoire pour des faits graves dans l'exercice de ses fonctions, puis elle était convoquée à un entretien préalable, qui s'est tenu le 10 janvier 2018.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 janvier 2018, Mme [P] a été licenciée pour faute grave pour des faits de harcèlement à l'encontre de ses collègues de travail.

Par requête en date du 14 mars 2018, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Metz pour demander l'annulation de son licenciement en raison de la violation de son statut protecteur, subsidiairement qu'il soit dit que ce licenciement est sans cause réelle et sérieuse et en dernier lieu la fixation de diverses créances indemnitaires au passif de la SAS Austrasie, qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire par jugement en date du 5 septembre 2019 du Tribunal de commerce de Briey, Me [N], membre de la SELARL Gangloff & [N], ayant été désigné en qualité de mandataire liquidateur et l'Unédic, délégation AGS-CGEA de [Localité 4] appelée dans la cause (se référer au jugement pour le détail des demandes).

Par jugement en date du 11 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

dit que Mme [P] [W] n'a pas le statut de salariée protégée,

dit que le licenciement de Mme [P] [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

fixé la créance de Mme [W] [P] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Austrasie, représentée par la SELARL Gangloff & [N] és qualités de mandataire liquidateur aux montants de :

6 620,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 662,03 euros bruts pour les congés payés afférents,

2 794,91 euros bruts au titre du salaire durant la mise à pied et 279,49 euros bruts pour les congés payés afférents,

4 965,24 euros nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

19 860,97 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

débouté Mme [P] de sa demande de nullité du licenciement, de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur et de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

dit le jugement opposable au CGEA de [Localité 4] dans la limite de sa garantie.

Mme [W] [R], épouse [P] a interjeté appel le 10 mars 2020 et, par dernières conclusions en date du 25 novembre 2020, elle demande l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes en nullité du licenciement et de fixation au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Austrasie des sommes de :

19 860,97 euros en raison de la nullité du licenciement,

99 304,80 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la violation de son statut protecteur,

9930,48 à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

demandes qu'elle reprend dans le cadre de son appel.

Elle demande la confirmation du jugement sur les montants fixés au titre du préavis, de l'indemnité légale de licenciement et de la mise à pied conservatoire, subsidiairement sur l'absence de cause réelle et sérieuse au licenciement et les dommages et intérêts fixés à ce titre, sollicitant aussi que Me [N], ès qualités, soit condamné aux dépens et à lui payer une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions d'appel incident datées du 31 août 2021, la SELARL Gangloff & [N], ès qualités de liquidateur de la SAS Austrasie, demande l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur les créances fixées en faveur de Mme [P], dont il demande qu'elle soit déboutée, sa confirmation sur le surplus et la condamnation de Mme [P], outre aux dépens de l'instance, à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions en date du 4 juin 2020, l'Unédic, délégation AGS-CGEA de [Localité 4], demande que Mme [P] soit déboutée de son appel et que le jugement soit confirmé en toutes ses dispositions, rappelant subsidiairement les conditions et limites de sa garantie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2021.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le statut protecteur

Pour prétendre bénéficier du statut protecteur attaché à la qualité de délégué syndical, Mme [P] produit une lettre recommandée avec accusé de réception, mais sans preuve de la réception, adressée le 11 octobre 2017 par L'Union Locale des syndicats CGT de [Localité 8] et environs au « Groupe Austrasie, [Adresse 2] », rédigée en ces termes :

« Monsieur,

Nous avons l'honneur de vous informer de la création d'une section syndicale CGT dans votre Groupe Austrasie.

L'Union Locale CGT de [Localité 8] désigne Madame [P] [W] comme Représentante de la Section Syndicale pour votre Groupe Austrasie comprenant les établissements suivants :

[Localité 10] Poids Lourds, PIERRARD Poids Lourds, MVI ([Localité 8] Véhicules Industriels), [Localité 9] Véhicules Industriels, AUSTRASIE, HATRIZE LOCATION et MCS (Maintenance Carrosserie Service).

Nous vous demandons de bien vouloir prévoir les moyens prévus par les textes (heures de délégation pour la Représentante, local, droits syndicaux, tableau d'affichage). (...) »

Il résulte clairement de ce courrier que la désignation de Mme [P] ne concernait pas son seul employeur, à savoir la SAS Austrasie, mais un ensemble de sociétés désignées comme « établissements » d'un groupe portant ce même nom d'Austrasie, or aux termes des articles L.2142-1 et suivants du code du travail une section syndicale ne peut être créée qu'au sein d'une entreprise ou d'un établissement comptant au moins 50 salariés et aux termes de l'article L. 2143-3 du même code, cette condition d'effectif s'apprécie, pour la désignation d'un délégué syndical, également au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, l'existence d'un établissement pouvant être caractérisée par le regroupement de salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.

La jurisprudence reconnaît aussi que, malgré le silence de la loi, la notion d'unité économique et sociale de personnes morales juridiquement distinctes s'applique en matière de désignation des délégués syndicaux.

En l'espèce, il n'est pas discuté que les sociétés visées par le courrier de la CGT ne constituaient pas des établissements d'une même société, remplissant chacun la condition d'effectif imposée par la loi, ni que la SAS Austrasie, société juridiquement distincte des six autres, remplissait cette même condition, le liquidateur de cette société, Me [N], indiquant dans ses conclusions qu'elle comprenait moins de onze salariés.

L'intimé, ès qualités, précise aussi dans ces mêmes conclusions, sans être contredit sur ce point par l'appelante, que, même si les diverses sociétés, toutes juridiquement distinctes, se présentaient comme faisant partie d'un groupe (Mme [P] relève que certains des courriers lui ont été adressés à l'en-tête « Groupe Austrasie »), elles ne constituaient pas une unité économique et sociale.

Il s'en suit que le courrier susvisé a été adressé à un destinataire qui n'existait pas, n'étant ni une société, ni un établissement ou une unité économique et sociale répondant aux exigences de la loi pour la création d'une section syndicale ou la désignation d'un délégué syndical, et qui de surcroît n'était pas l'employeur de la salariée.

Ce courrier, dont la réception par le « Groupe Austrasie » n'est au surplus pas justifiée, doit dès lors être considéré comme étant dépourvu de toute portée et de tout effet, soit comme étant nul et non avenu, de sorte que Mme [P] ne peut se prévaloir d'une désignation comme déléguée syndicale et du bénéfice du statut protecteur attaché à cette désignation.

L'argument de Mme [P] selon lequel sa désignation aurait du être contestée selon les modalités prévues à l'article L. 2143-8 du code du travail et serait à défaut purgée de tout vice ne peut par ailleurs pas prospérer, puisque la SAS Austrasie n'a pas été mise en mesure d'exercer le recours qui lui était offert par la loi en n'ayant pas régulièrement eu connaissance de cette désignation, considérée comme nulle et non avenue, même si la salariée produit un mail qu'elle a adressé le 16 octobre à M. [V] [B], dirigeant de la SAS Austrasie, pour l'informer de l'affichage du courrier de la CGT la nommant « Représentante de la Section Syndicale pour le Groupe AUSTRASIE ».

Le jugement entrepris sera donc confirmé pour avoir débouté Mme [P] de sa demande de nullité du licenciement et de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement de Mme [W] [P], qui fixe les limites du litige, énonce que :

«  (') Nous sommes contraints de vous informer que nous avons décidé de prononcer votre licenciement pour faute grave.

Les 17 novembre 2017 et 15 décembre 2017, il a été porté à notre connaissance des faits de harcèlement dont vous seriez à l'origine à l'encontre de vos collègues de travail.

Nous avons été destinataires de plusieurs plaintes de différents salariés. Les plaintes vous mettent directement en cause et relatent à votre encontre des faits répétés de harcèlement tant moral que physique : réponses très sèches, regards assassins, moqueries indirectes, interventions désobligeantes dans les conversations qui ne vous regardent pas, bousculades, croche-pied, agressivité verbale et physique.

Suite à une enquête interne, il apparaît que les faits décrits par ces salariés sont parfaitement avérés.

Nous vous rappelons que le 12 octobre 2017, nous avions organisé une réunion suite à une altercation entre vous et d'autres salariés et que suite à celle-ci vous avez été rappelée à l'ordre sur votre comportement à l'égard de vos collègues de travail.

Malgré cette injonction, vous persistez dans votre attitude.

Votre maintien au sein de la société est devenu impossible. En effet, la conservation de la santé physique et mentale des salariés victimes de vos agissements est primordiale. Votre attitude à leur encontre est absolument inacceptable. ('.) »

La Cour rappelle que lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La Cour rappelle aussi que l'article L. 1152-1 du Code du travail stipule qu'«aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.»

Le harcèlement moral s'entend en l'occurrence selon sa définition commune d'agissements malveillants envers un subordonné ou un collègue en vue de le déstabiliser, le tourmenter ou l'humilier.

L'employeur est tenu en vertu de l'article L. 1152-4 du code de travail de prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral et en vertu de l'article L. 4121-1 du même code d'une obligation générale considérée de moyens renforcés d'assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

En l'espèce, la SAS Austrasie, représentée par son liquidateur, produit à titre de preuve des faits reprochés à Mme [P] :

un courrier adressé le 23 mars 2017 par Mme [L] [J] à Mme [Y] [T], directrice des ressources humaines, le 23 mars 2017, évoquant une réunion qui s'est tenue entre elles deux, Mme [P] et Mme [M], directrice administrative et financière, au cours de laquelle Mme [M] a évoqué une réoganisation de certaines tâches au sein du service comptabilité et Mme [P] s'en est alors prise à elle en tenant des «propos menaçants devant témoins», à savoir «en dehors de la société tu serais mon ennemie», Mme [J] expliquant qu'elle s'est sentie blessée et menacée par ces termes et que depuis elle se sent angoissée et ressens un lourd mal-être ;

un courrier adressé par Mme [A] [F] à M. [B] le 3 avril 2017 pour lui exposer qu'elle n'a pas voulu traiter avec Mme [P], avec qui elle avait déjà été en litige en juillet 2016, mais uniquement avec Mme [T] au sujet de sa grossesse, que Mme [P] s'est emportée, a quitté l'établissement en claquant la porte et hurlant «tu te fous de moi», puis a tenu une «réunion sauvage» sur le parking devant le bâtiment avec d'autres membres du personnel, Mme [F] ajoutant que Mme [P] et beaucoup trop impulsive et ameute le personnel.

Elle précise que Mme [T] l'a ensuite convoquée dans son bureau pour une confrontation avec Mme [P] qui «a dérivé sur un règlement de compte à mon égard et en ma défaveur», avant de conclure «face à tous ces événements et vu mon état, j'ai peur pour ma santé (physique et morale) ainsi que pour celle de mon futur enfant» ;

un document intitulé «CR réunion 12/10/2017», avec pour objet une «discussion sur une altercation survenue le matin du 12/10/2017 entre Mmes [P] - [J] et [S]» , établi et signé par Mme [T], Mme [M], M. [K] [B] et M. [D] [C], lequel expose qu'une réunion s'est tenue entre ces quatre personnes et les trois salariées concernées par l'altercation en question, dont l'exposé est assez confus (Mmes [J] et [S] seraient allées dans le bureau de Mme [P] prendre des factures et Mme [S] aurait dit à Mme [J] de faire attention parce qu'il arrivait que des factures soient mal classées, à quoi Mme [P] aurait répliqué qu'elle n'avait qu'à les classer elle-même, puis il y aurait eu une explication à ce sujet et Mme [J] en partant aurait dit à Mme [P] qu'il «y en a qui sont payés à rien foutre» et Mme [P] aurait confirmé).

Il est précisé que M. [C] a demandé aux trois intéressées de faire des efforts en matière de communication professionnelle, que Mme [J] et Mme [S] ont indiqué être d'accord, mais que Mme [P] a répondu «je ne sais pas, j'attend de voir», puis que Mme [T] a expliqué que le but de l'entretien était d'apaiser les tensions et qu'elle n'admettra plus d'altercation et ne laissera plus passer un problème de mauvais comportement, suite à quoi, Mme [J] a reconnu qu'elle pouvait être sanguine et impulsive, mais en dehors du travail, où elle savait se tenir et Mme [P] l'a immédiatement reprise en disant «des menaces, des menaces '' un témoin, deux témoins, trois témoins... »

Ce document indique encore qu'après le départ de Mme [J], énervée, et de Mme [S], M. [C] a fait observer à Mme [P] que ses collègues étaient prêtes à faire des efforts, mais qu'avec le comportement qu'elle venait d'avoir elle avait ravivé le feu ;

un courrier commun de Mmes [S] et [J] en date du 17 novembre 2017, qui expose que depuis la confrontation du 12 octobre la situation a empiré avec Mme [P], que le simple fait de les voir dans le couloir de la société l'a met hors d'elle, que «elle nous regarde en nous ''fusillant des yeux'' et marche vers nous d'un pas déterminé, à tel point qu'à plusieurs reprises elle m'a piétiné et m'a bousculé jusqu'à me claquer sa veste dans le visage», les deux salariées précisant qu'elles en sont au point où elles préfèrent raser les murs et ne plus parler dans les couloirs de peur de sa réaction, estimant que son but est de les provoquer et de les pousser à bout, et concluant que venir travailler dans ces conditions «avec la peur, c'est très difficile» ;

un courrier de Mme [S] en date du 15 décembre 2017, exliquant qu'«à ce jour la situation reste inchangée», qu'il existe toujours un malaise malgré la réunion où elles (les comptables) et Mme [P] se sont engagées à faire des efforts, Mme [S] ajoutant «tout déplacement dans la société me stresse de peur de la croiser, de subir de nouveaux affronts ou ses agissements» et qu'elle n'est toujours pas sereine dans son travail ;

enfin, un long document intitulé «CR Réunion» établi et signé par M. [K] [B], qui se présente comme Contrôleur Général de Gestion et Auditeur Interne (et dont le lien avec le PDG de la société Austrasie et signataire de la lettre de licenciement, [V] [B], n'est pas précisé) lequel commence par un rappel des faits (la réunion du 12 octobre, puis les deux courriers postérieurs, enfin la mise à pied conservatoire de Mme [P] le 18 décembre 2017 le temps d'obtenir des informations complémentaires), puis évoque des entretiens qu'il a menés avec diverses personnes entre le 18 et le 29 décembre 2017 :

un entretien avec Mme [H] [S], qui a évoqué des actes «verbaux et comportementaux» de la part de Mme [P] : réponses très sèches, regards assassins, moqueries indirectes, interventions dans des conversations ne la regardant pas, actes faussement involontaires tel un manteau enfilé sans faire attention, une bousculade à la machine à café, la salariée indiquant ne pas avoir voulu répliquer et préferer partir de la société plutôt que venir travailler dans ces conditions,

un entretien avec Mme [J] [L], qui a parlé de «piques» de Mme [P] et d'actes verbaux et comportementaux, dont un croche pied dans un couloir, l'intéressée évoquant aussi un surnom dégradant dont elle a été affublée, mais qu'elle n'a pas voulu révéler.

M. [B] précise à la suite du compte rendu de cet entretien qu'un membre du personnel désirant garder l'anonymat lui a indiqué que ce surnom de Mme [J] était PP «petite pute», du à un style vestimentaire jugé trop provocateur, élément restant cependant à confirmer et à ne pas prendre en compte selon lui en l'état,

un entretien avec Mme [M], qui a indiqué à M. [B] que la situation n'était pas récente, se référant aux courriers de Mme [J] et [F] du début d'année, Mme [M] ayant qualifié le comportement de Mme [P] d'intolérable et s'étant étonnée qu'aucune sanction n'avait été prise alors qu'elle avait référé de ces courriers à Mme [T], Mme [M] ajoutant qu'un clan soutenait Mme [P], qui profiterait de son poste d'assistante RH pour faire fuiter de nombreuses informations sensibles et privées sur les salariés,

un entretien avec Mme [T], DRH, supérieur hiérarchique de Mme [P], qui a infirmé les propos tenus par les autres salariés et par les courriers et a dit ne jamais avoir été témoin d'altercations, ajoutant que certains se plaignaient aussi du comportement de Mmes [S] et [J].

M. [B] émet un long commentaire suite à cet entretien, qu'il indique avoir été très bref, sur le possible manque d'objectivité de Mme [T]

un entretien avec M. [D] [I], occupant le bureau voisin du service achats où Mme [P] a travaillé quelques semaines suite à son acceptation verbale, qui a dit avoir entendu plusieurs altercations entre des voix féminines, mais a dit ne pas être allé voir ce qui se passait et n'a pu préciser de qui il s'agissait

enfin un entretien avec Mme [O] [E], responsable achats & ventes, qui a eu pour mission de former Mme [P] au métier d'acheteur et a parlé d'une personne très virulente, qui a refusée à plusieurs reprises d'exécuter des tâches et n'a pas voulu reconnaître des erreurs commises alors que les documents portaient son nom et sa signature.

De l'ensemble de ces éléments, la Cour retient qu'un conflit a quasi exclusivement opposé Mme [P] aux deux comptables de l'entreprise, Mme [J] et Mme [S], et non à tous ses collègues de travail, dont l'origine est incertaine, mais dont il apparaît au moins pour l'incident du 12 octobre 2017 qu'il a été du à une certaine provocation de Mme [J] (reproche sur factures mal classées, «payée à rien foutre»), que certes Mme [P] n'a pas cherché à apaiser ce conflit, faisant montre d'un caractère peu commode et peu conciliant, mais que, pour autant, en dehors des déclarations faites par les deux principales protagonistes des faits à M. [B], qui ne sont pas des témoignages en bonne et due forme, et des courriers adressés par elles à la direction, des faits précis, datés et circonstanciés de harcèlement moral de Mme [P] à leur encontre ne sont pas sérieusement caractérisés, les propos tenus par ces salariées, qu'aucun témoin direct n'est venu confirmer, étant à prendre avec la circonspection qui s'impose compte tenu du contexte des faits.

Il faut relever que l'employeur n'a apparemment pas réagi aux premiers courriers des 23 mars et 3 avril 2017, non visés par la lettre de licenciement, et que, si la réunion du 12 octobre 2012 a eu valeur d'avertissement pour les trois salariées relativement à l'incident du même jour, les faits postérieurs ne ressortent que des dires de Mmes [J] et Mme [S], qui ont été infirmés par le supérieur hiérarchique de Mme [P], Mme [T], pour laquelle le commentaire subjectif de M. [B] quant à son impartialité fait douter de la portée de l'enquête que ce dernier a mené en y ajoutant de nombreux commentaires personnels.

Il apparaît ainsi au final que les faits repris dans la lettre de licenciement sont uniquement ceux évoqués par Mme [J] et Mme [S] et ne reposent que sur les courriers ou les déclarations faites à M. [B] par ces dernières, en conflit avec Mme [P] pour un motif ignoré et pas entièrement exemptes elles mêmes de tout reproche sur leur comportement à l'égard de leur collègue.

Dans ces circonstances, il existe un doute sur les faits imputés à Mme [P], donc sur la cause réelle et sérieuse de la rupture du contrat de travail, et la sanction qui lui a été infligée, un licenciement à effet immédiat pour faute grave, paraît au surplus disproportionnée, même si la salariée n'a apparemment pas fait preuve de bonne volonté pour apaiser ses relations de travail avec les deux intéressées.

Il est précisé que, même si l'employeur doit assurer la sécurité et la santé au travail des salariés placés sous sa responsabilité, il doit user avec clairvoyance de son pouvoir disciplinaire et préférer le recours à des moyens d'information et de prévention.

En l'occurrence, Mme [P] prouve qu'elle s'est par divers messages ou mails des mois de mars et avril 2017 et même un courrier adressé à M. [V] [B] daté du 30 mai 2017 et remis en mains propres à Mme [T], plainte elle-même de la dégradation de ses conditions de travail, dont ses relations tendues avec le service comptabilité, qui la « traite comme une pestiférée » ou l'appelle « Pénis » au lieu de [P], alors que Mme [M] lui avait demandé de s'occuper de la facturation des achats/ventes, qui n'entrait pas dans son travail principal aux ressources humaines, déplorant l'inaction de M. [B] face à cette situation, malgré son devoir de santé et de sécurité en tant que Président de l'entreprise.

La société Austrasie ne justifie d'aucune réaction à ces alertes de Mme [P], qui indique s'être vue proposer une rupture conventionnelle qu'elle a refusé et produit deux arrêts de travail qu'elle a subis au cours de l'année 2017 pour état dépressif.

Le licenciement de Mme [P], qui produit par ailleurs plusieurs attestations d'anciens collègues ou relations de travail en sa faveur, dont l'une de Mme [E] remettant en cause son appréciation négative à son égard et fustigeant le fait qu'on avait voulu la faire témoigner contre l'appelante d'un comportement instable et violent qu'elle n'avait jamais constaté, dans le but de la congédier, apparaît d'autant plus contestable dans ce contexte.

Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris pour avoir dit que le licenciement de Mme [P] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et pour avoir fixé diverses créances en sa faveur au titre du préavis, de l'indemnité légale de licenciement et de la mise à pied conservatoire, dont le calcul et le montant ne sont pas contestés par la partie intimée ou par l'Unédic, qui n'a pas formé d'appel incident.

Ce jugement sera aussi confirmé sur les dommages et intérêts fixés en faveur de la salariée, correspondant à six mois de son salaire mensuel moyen, conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au jour du licenciement.

Il sera de même confirmé pour avoir débouté Mme [P] de sa demande supplémentaire de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, faute de preuve d'un préjudice distinct et certain à ce titre, ainsi que pour avoir retenu que les créances devaient être garanties par l'Unédic, délégation AGS-CGEA de [Localité 4], selon les conditions et les limites applicables en matière de garantie des salaires.

Ce jugement sera complété et partiellement amendé s'agissant des dépens et de l'application de l'article 700 du code de procédure civile, qui ne donne pas lieu à fixation de créance.

Les dépens des deux instances accroîtront les frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Austrasie et la SELARL Gangloff & [N], ès qualités, sera tenue en équité de payer à Mme [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux instances.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

DIT que les dépens de première instance et d'appel seront traités comme frais privilégiés de la procédure de liquidation judiciaire de la SAS Austrasie, représentée par son liquidateur, la SELARL Gangloff & [N], es qualité :

CONDAMNE la SELARL Gangloff & [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS Austrasie, à payer à Mme [W] [R], épouse [P] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les deux instances.

Le Greffier, P/ La Présidente de chambre régulièrement empêchée

La Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/00661
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-05;20.00661 ?
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