RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 20/01538 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FKRR
Minute n° 22/00168
S.A.R.L. LOGIBAT
C/
Société KUPELI MUSTAPHA
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 31 Juillet 2020, enregistrée sous le n° RG 18/01988
COUR D'APPEL DE METZ
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 05 JUILLET 2022
APPELANTE :
S.A.R.L. LOGIBAT
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Elise SEBBAN, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE :
EIRL KUPELI MUSTAPHA,
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Patrick VANMANSART, avocat au barreau de METZ
DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 24 Mars 2022 tenue par Mme Laurence FOURNEL, magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 05 Juillet 2022, en application de l'article 450 alinéa 3 du code de procédure civile,
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme FOURNEL,Conseillère
Mme BIRONNEAU, Conseillère
ARRÊT : Contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Flores, Présidente de Chambre et par Mme Cindy Nondier, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Logibat était titulaire en tant qu'entrepreneur principal d'un marché conclu avec la société Logi-Est concernant la construction de dix-sept pavillons à [Localité 5].
La SARL Logibat a confié la sous-traitance de travaux de plâtrerie à l'EIRL Kupeli Mustafa, qui a édité un devis le 29 avril 2016 pour un montant de 24 000 euros hors taxes, accepté par la SARL Logibat le 14 juin 2016.
Par courrier électronique du 19 septembre 2016, la SARL Logibat a sollicité l'EIRL Kupeli Mustafa pour qu'elle modifie son devis en prévoyant la fourniture et pose de dalles de BA13 en plafond sur ossature métallique.
Le 27 octobre 2016, l'EIRL Kupeli Mustafa a transmis un devis avec travaux supplémentaires pour un montant total de 33 353 euros hors taxe, accepté par la SARL Logibat le 28 octobre 2016.
Par courrier recommandé du 17 novembre 2016, confirmé par un second courrier du 6 février 2017, la SARL Logibat a informé l'EIRL Kupeli Mustafa de l'annulation de l'ensemble du marché, au motif du refus de l'EIRL Kupeli Mustafa de maintenir son offre de prix de prestations du lot plâtrerie.
L'EIRL Kupeli Mustafa a contesté cette annulation par courrier recommandé du 26 janvier 2017.
Par acte d'huissier du 13 décembre 2018, l'EIRL Kupeli Mustafa a fait assigner la SARL Logibat devant le tribunal d'instance de Metz afin de solliciter l'indemnisation de son préjudice résultant de l'annulation de la commande.
La SARL Logibat a constitué avocat, demandé à la juridiction de constater la nullité du contrat et de débouter l'EIRL Kupeli Mustafa de l'ensemble de ses demandes.
Par jugement du 31 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Metz a :
condamné la SARL Logibat à payer à l'EIRL Kupeli Mustafa la somme de 4 020 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;
débouté les parties de toutes les demandes plus amples ou contraires ;
condamné la SARL Logibat à payer à l'EIRL Kupeli Mustafa la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la SARL Logibat aux dépens.
Au visa des articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version applicable au présent litige, le tribunal a considéré que c'était en toute connaissance de cause que la SARL Logibat avait accepté un premier devis signé le 14 juin 2016 puis un second devis comprenant des travaux supplémentaires signé le 28 octobre 2016, que la SARL Logibat ne justifiait d'aucune raison pour motiver l'annulation de la commande et qu'elle a commis une faute contractuelle génératrice de responsabilité.
S'agissant des dommages et intérêts, le tribunal a retenu la somme de 3 300 euros correspondant au manque à gagner à hauteur de 10% du marché outre la somme de 720 euros correspondant à la perte du temps passé pour la réalisation de l'étude des travaux et l'élaboration du devis.
Par déclaration enregistrée auprès du greffe de la cour le 1er septembre 2020, la SARL Logibat a interjeté appel du jugement aux fins d'annulation sinon d'infirmation, en ce qu'il l'a condamnée à payer à l'EIRL Kupeli Mustafa la somme de 4 020 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à compter du présent jugement, en ce qu'il a débouté les parties de toutes les demandes plus amples ou contraires, en ce qu'il a condamné la SARL Logibat à payer à l'EIRL Kupeli Mustafa la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la SARL Logibat aux dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 6 décembre 2021, auxquelles il est expressément référé pour l'exposé de ses moyens, la SARL Logibat demande à la cour de :
infirmer le jugement ;
statuant à nouveau,
débouter l'EIRL Kupeli Mustafa de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
la condamner aux entiers dépens et à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL Logibat expose que l'EIRL Kupeli Mustafa a établi le 19 septembre 2016 un second devis pour un montant de 28 330,70 euros HT et que ce devis complémentaire avait pour effet de porter les travaux de plâtrerie à la somme totale de 52 330,70 euros HT, ce qui engendrait une modification majeure du coût du chantier.
Elle indique que c'est la raison pour laquelle elle a été contrainte d'annuler la totalité de la commande et de s'adresser à une autre entreprise qui n'aurait jamais accepté d'intervenir sur un chantier commencé par une autre entreprise et de se voir confier la réalisation des seuls travaux complémentaires.
Elle en déduit qu'elle avait un motif légitime pour annuler la commande, étant comme toute entreprise tenue par des exigences financières et comptables.
Elle estime qu'il appartenait à l'EIRL Kupeli Mustafa de chiffrer dès le premier devis l'intégralité des travaux nécessaires pour mener à bien sa mission, ce qui n'a pas été fait, raison pour laquelle une demande de devis complémentaire s'est avérée nécessaire.
Elle ajoute que l'EIRL Kupeli Mustafa ne pouvait pas profiter du devis complémentaire pour multiplier par plus de deux le montant du marché initial.
L'appelante indique aussi qu'elle s'est adressée à la société Sinergy laquelle, pour la totalité des travaux, commande initiale et travaux complémentaires, a chiffré le coût du lot plâtrerie à la somme totale de 30 900 euros HT et qu'iI ne peut être exigé de Logibat qu'elle paie des travaux excessivement plus chers que leur valeur réelle et que le marché devienne pour elle déficitaire.
Elle affirme que pour un autre chantier sur Verdun, le lot plâtrerie lui a été retiré en raison du devis excessif de la société Kupeli et que le comportement déloyal de l'EIRL Kupeli Mustafa a donc eu des répercussions sur les contrats de la SARL Logibat.
S'agissant du devis versé aux débats par la partie adverse et portant sur la somme de 33 533 euros hors taxes, la SARL Logibat fait valoir qu'elle ne l'a pas accepté car il était plus élevé que celui de la société Synergy.
A titre subsidiaire, la SARL Logibat fait valoir que l'EURL Kupeli ne rapporte pas la preuve de la « perte de temps pour la réalisation d'une étude des travaux et l'élaboration d'un devis » et que la rédaction d'un devis ne peut pas être considérée comme une étude.
Elle ajoute que le calcul du premier juge concernant le prétendu manque à gagner est totalement faussé, dès lors qu'il est établi que le coût des travaux a été surévalué par l'EIRL Kupeli Mustafa.
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 décembre 2020, auxquelles il est expressément référé pour l'exposé de ses moyens, l'EIRL Kupeli Mustafa demande à la cour de :
déclarer l'appel mal fondé et le rejeter ;
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
condamner la SARL Logibat, appelante, aux entiers dépens outre le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée considère que la SARL Logibat dénature complètement les faits du litige.
Elle assure que lorsqu'elle a accepté le premier devis du 29 avril 2016, la SARL Logibat savait qu'elle ne confiait pas la réalisation des plafonds à l'EIRL Kupeli Mustafa, l'examen de ce devis révélant que seuls des travaux de finition avaient été confiés à l'entreprise intimée, laquelle devait intervenir sur des supports réalisés par un autre professionnel.
Elle affirme que l'entreprise qui devait réaliser les travaux d'installation des plaques de BA13 en plafond a été défaillante et c'est la raison pour laquelle il lui a été demandé de modifier son devis.
Elle relève que la société Logibat passe sous silence le fait que l'EIRL Kupeli Mustafa a renoncé à son devis complémentaire du 19 septembre 2016 pour y substituer celui du 27 octobre 2016 qui proposait de réaliser l'ensemble des travaux (initiaux et complémentaires) pour un coût de 33 353 euros hors taxe et qu'elle se garde également de préciser qu'elle a accepté ce devis et a passé commande pour les travaux que celui-ci prévoit.
Selon l'EIRL Kupeli Mustafa, la thèse soutenue par la SARL Logibat n'est pas crédible lorsqu'elle prétend qu'elle aurait eu le droit de résilier le contrat valablement conclu entre les parties pour confier la réalisation des travaux à une autre entreprise qui aurait proposé un coût moins élevé, alors qu'il résulte de ses propres pièces que l'entreprise finalement choisie a négocié la réalisation des travaux à 35 000 euros, contre 33 353 euros s'agissant de l'EIRL Kupeli Mustafa.
Elle en déduit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a considéré qu'il n'existait aucune raison motivant l'annulation du contrat unissant les parties et que la SARL Logibat avait commis une faute contractuelle génératrice de responsabilité pour laquelle elle doit indemnisation.
Sur les montants alloués par la juridiction de première instance, l'EIRL Kupeli Mustafa expose que la somme de 3 300 euros correspond au bénéfice net qu'aurait procuré le marché à l'entreprise et que la somme de 720 euros correspond au temps qu'a passé le conducteur de travaux chargé de l'étude soit douze heures pour un coût horaire de soixante euros.
MOTIFS DE LA DECISION
Vu les conclusions déposées le 6 décembre 2021 par la SARL Logibat et le 10 décembre 2020 par l'EIRL Kupeli Mustafa, conclusions auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile ;
Vu l'ordonnance de clôture du 14 décembre 2021 ;
I- Sur le caractère abusif de la rupture des relations contractuelles par la SARL Logibat
L'article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
A l'appui de sa demande en paiement, l'EIRL Kupeli Mustafa verse aux débats le devis le 29 avril 2016 pour un montant de 24 000 euros hors taxes, qui comporte la mention « bon pour commande », le cachet de la SARL Logibat et la signature du représentant de cette dernière, à la date du 14 juin 2016, ainsi que le devis du 27 octobre 2016 sur lequel des travaux supplémentaires sont mentionnés pour un marché d'un montant total de 33 353 euros hors taxe.
La SARL Logibat soutient qu'elle n'a pas accepté ce devis qui comporte pourtant, comme le devis initial, le cachet de la SARL Logibat et la signature de son représentant, à la date du 28 octobre 2016, avec la mention « bon pour commande paiement direct Logi Est -5% retenue de garantie ». La SARL Logibat ne conteste pas la véracité de ce document.
La preuve de l'existence d'un marché de travaux entre l'EIRL Kupeli Mustafa et la SARL Logibat fondée sur les deux devis précités est donc rapportée.
Pour s'opposer à la demande en paiement de l'EIRL Kupeli Mustafa, la SARL Logibat fait toutefois valoir le « comportement déloyal de l'EIRL Kupeli Mustafa qui ne lui a pas laissé d'autre choix que de lui retirer le marché ».
Elle entend donc se prévaloir de l'article 1184 du code civil dans sa version applicable au présent litige, dont il se déduit que la gravité du comportement d'une partie à un contrat peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls.
Mais en aucun cas la fixation d'un prix trop élevé de la prestation, selon les allégations de la SARL Logibat, ne peut s'analyser comme étant un comportement déloyal de la part de son co-contractant, car la SARL Logibat, elle-même professionnelle du secteur, avait librement accepté les prix fixés aux deux devis.
De même, la SARL Logibat ne peut pas prétendre qu'après la signature du premier devis, l'EIRL Kupeli Mustafa l'aurait contrainte à solliciter des travaux supplémentaires concernant la pose de BA13 en plafond, dès lors que le premier devis ne faisait mention que de « finitions de plafonds », ce dont il se déduit que ce marché de travaux ne comportait pas la pose des plafonds eux-mêmes, ce que la SARL Logibat ne pouvait ignorer.
En conséquence, la résiliation unilatérale du marché de travaux effectuée à l'initiative de la SARL Logibat n'était pas justifiée et l'EIRL Kupeli Mustafa est fondée à réclamer l'indemnisation du préjudice résultant pour elle de cette résiliation fautive.
II- Sur l'indemnisation de l'EIRL Kupeli Mustafa
L'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
La demande en paiement de la somme de 3 300 euros correspond à 10% du prix du marché hors taxes, proportion qui semble effectivement correspondre au manque à gagner de l'entreprise sur ce marché de travaux. Il y a lieu de rappeler que la SARL Logibat ne peut pas se plaindre d'une évaluation faussée du manque à gagner au motif du coût trop élevé des travaux, dès lors qu'elle a accepté les devis des 29 avril et 27 octobre 2016 aux prix demandés par l'EIRL Kupeli Mustafa.
La prétention au titre du manque à gagner sera donc retenue.
S'agissant de la demande en paiement de la somme de 720 euros, elle repose sur une attestation de l'expert-comptable de l'EIRL Kupeli Mustafa selon laquelle le conducteur de travaux dont le coût horaire est de 60 euros a consacré douze heures à « l'étude du marché et de la préparation y compris la visite du chantier ».
Néanmoins, ce descriptif n'est pas très précis, étant observé qu'habituellement, les devis ne sont pas facturés aux clients lesquels de toute façon n'y donnent pas nécessairement suite. De plus, les frais de personnel engagés après la signature du marché sont pris en considération pour fixer le prix de la prestation.
Cette demande n'apparaît donc pas justifiée.
En conséquence, la cour infirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL Logibat à payer à l'EURL Kupeli Mustafa la somme de 4 020 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et statuant à nouveau, condamne la SARL Logibat à payer à l'EURL Kupeli Mustafa la somme de 3 300 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement et rejette la demande de l'EURL Kupeli Mustafa en paiement de la somme de 720 euros au titre de la perte du temps passé à l'étude du marché et de la préparation y compris la visite du chantier.
III- Sur les dépens et les frais irrépétibles
La cour confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SARL Logibat à payer à l'EIRL Kupeli Mustafa la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la SARL Logibat aux dépens.
L'EIRL Kupeli Mustafa qui succombe partiellement sera condamnée aux dépens de l'appel.
Aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait droit à l'une ou l'autre demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 31 juillet 2020 par le tribunal judiciaire de Metz en ce qu'il a condamné la SARL Logibat à payer à l'EURL Kupeli Mustafa la somme de 4 020 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
le CONFIRME pour le surplus ;
et statuant à nouveau,
CONDAMNE la SARL Logibat à payer à l'EURL Kupeli Mustafa la somme de 3 300 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance ;
REJETTE la demande de l'EURL Kupeli Mustafa en paiement de la somme de 720 euros au titre de la perte du temps passé à l'étude du marché et de la préparation y compris la visite du chantier ;
y ajoutant,
CONDAMNE l'EIRL Kupeli Mustafa aux dépens de l'appel ;
REJETTE les demandes de la SARL Logibat et de l'EIRL Kupeli Mustafa en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La greffière La Présidente de chambre