ARRÊT n°22/00511
05 juillet 2022
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N° RG 20/02328 -
N° Portalis DBVS-V-B7E-FMU5
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Conseil de Prud'hommes de HAGUENAU
Décision du 29 juin 2018
Cour d'Appel de COLMAR
Arrêt du 14 mars 2019
Cour de cassation
Arrêt du 21 octobre 2020
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
RENVOI APRÈS CASSATION
ARRÊT DU
Cinq juillet deux mille vingt deux
DEMANDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE - APPELANT :
Monsieur [J] [W]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Cédric D'OOGHE, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2020/8893 du 29/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)
DEMANDEUR À LA REPRISE D'INSTANCE :
Maître [T] [K] ès qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de M. [J] [W]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Cédric D'OOGHE, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant
DÉFENDERESSE À LA REPRISE D'INSTANCE - INTIMÉE :
S.E.L.A.R.L. CLINIQUE VETERINAIRE DE L'OUTRE FORET prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Sébastien JAGER, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Emmanuel BERGER, avocat au barreau de STRASBOURG, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
PRÉSIDENT :Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre
ASSESSEURS :Mme Anne FABERT, Conseillère
Mme Laetitia WELTER, Conseillère
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Madame Catherine MALHERBE
DATE DES DÉBATS : En application des dispositions de l'article 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 février 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère et Mme Laetitia WELTER, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour pour l'arrêt être rendu le 23 mai 2022. A cette date, le délibéré a été prorogé pour l'arrêt être rendu le 25 juillet 2002
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Anne FABERT, Conseillère, substituant la Présidente de Chambre régulièrement empêchée et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Monsieur [W] et Monsieur [N] se sont connus en 1995 au sein de la clinique vétérinaire de [Localité 8].
Au cours de l'année 2000 Monsieur [N] informe Monsieur [W] qu'une clinique située à [Localité 9] était à vendre et lui propose de s'en porter acquéreur.
Le 25 août 2017, Monsieur [W] saisissait le Conseil de prud'hommes de Haguenau aux fins de :
- Dire et juger qu'il était lié à la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt par un contrat de travail
En conséquence
- Condamner la SELARL CLINIQUE Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt à lui payer :
* 6 340,09 € bruts à titre de rappel de salaire
* 15 480 € bruts au titre d'un rappel d'ancienneté
* 15 480 € bruts au titre des congés payés
* 14 914,80 € bruts au titre des gardes et astreintes
- Dire et juger que la rupture des relations entre les parties s'analyse comme un licenciement
sans cause réelle et sérieuse
En conséquence
- Condamner la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt à lui payer :
* 12 900 € bruts au titre du préavis et 1 290 € bruts de congés payés afférents
* 120 400 € bruts à titre de dommages et intérêts
- Condamner la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt à régulariser sa situation vis-à-vis des caisses de retraite du 31 mars 2003 au 21 septembre 2015 sous astreinte de 500 € par jour à compter du 15ème jour suivant la notification du jugement à intervenir ;
- Condamner la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt à lui payer 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Déclarer le jugement à intervenir exécutoire par provision.
Par jugement du 29 juin 2018, le Conseil de prud'hommes de Haguenau :
- S'est déclaré incompétent matériellement au profit de la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Strasbourg ;
- Dit que le dossier sera adressé à la juridiction compétente après expiration du délai de contredit conformément à l'article 97 du code de procédure civile
- Réservé les dépens.
Le 9 août 2018, Monsieur [W] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 14 mars 2019, la Cour d'appel de Colmar a :
- Infirmé le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- Dit que le conseil de prud'hommes de Haguenau est matériellement compétent pour connaître du litige opposant Monsieur [W] à la SELARL Clinique vétérinaire
d'Outre Forêt en ce qui concerne l'emploi de vétérinaire exercé par Monsieur [W] au sein de l'entreprise ;
- Dit n'y avoir lieu à évocation de l'affaire ;
- Renvoyé l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Haguenau
- Débouté la SELARL Clinique vétérinaire d'Outre Forêt de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la SELARL Clinique vétérinaire d'Outre Forêt aux dépens de première instance et d'appel.
Par arrêt du 21 octobre 2020, la Cour de Cassation, a :
- Cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mars 2019 par la cour d'appel de Colmar ;
- Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie
devant la cour d'appel de Metz ;
- Condamné M. [W] aux dépens ;
- Rejeté les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au visa de l'article L 1221-1 du Code du Travail, la cour de cassation, après avoir rappelé les conditions de l'existence d'un contrat de travail, soulignait « Pour dire la juridiction prud'homale compétente, l'arrêt retient que, bien que le contrat de travail n'ait pas été versé aux débats, il est constant que M. [W] a été lié à la clinique par un contrat de travail en qualité de vétérinaire, qu'aux termes d'une résolution prise lors d'une assemblée générale de la société du 15 mars 2003, il a été nommé co-gérant et qu'occupant des fonctions techniques distinctes de celles découlant de sa qualité de co-gérant, le cumul entre son contrat de travail et son mandat social était possible de sorte que ce contrat de travail n'a pas été suspendu après sa prise de fonction en qualité de cogérant.
En se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée si M. [W] avait effectivement rempli ses fonctions sous la subordination de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Par jugement du 7 décembre 2020, le Tribunal judiciaire de Strasbourg prononçait la liquidation judiciaire de M. [W]. Me [T] [K] était désigné mandataire liquidateur.
Le 22 décembre 2020, Monsieur [W] saisissait régulièrement la cour d'appel de renvoi.
Par ses dernières conclusions du 06 mai 2021, M. [W] demande à la Cour de:
- Donner acte à Monsieur [W] et à Maître [T] [K], es qualité de mandataire
liquidateur de Monsieur [W], de leur déclaration de reprise d'instance après cassation et ce fait,
- Recevoir l'appel de Monsieur [W] et de Maître [T] [K], es qualité de
mandataire liquidateur de Monsieur [W], et le dire bien fondé,
- Infirmer le jugement du Conseil de Prud' Hommes de Haguenau du 29 juin 2018 notifié le 31 juillet 2018 en tant qu'il s'est déclaré incompétent matériellement au profit de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Strasbourg
Statuant à nouveau
- Juger que Monsieur [W] est lié à la SELARL Clinique Vétérinaire de l'Outre Forêt par un contrat de travail ;
En tout état de cause
- Constater l'existence d'un contrat de travail jusqu'au 31 mars 2003 ;
- Constater que M. [W] a continué à exercer des fonctions techniques sous la subordination de Monsieur [N] après sa nomination en tant que cogérant ;
En conséquence
- Juger que le contrat de travail de Monsieur [W] s'est poursuivi postérieurement au 31 mars 2003 ;
En tout état de cause
- Constater l'existence d'un contrat de travail jusqu'au 31 mars 2003 suspendu lors de la nomination en tant que cogérant ;
- Juger que la révocation du 21 octobre 2015 de Monsieur [W] a mis fin à la suspension du contrat de travail ;
- Juger qu'à compter du 21 octobre 2015 Monsieur [W] bénéficiait d'un contrat de travail ;
En conséquence en toutes hypothèses
- Dire et juger que le Conseil de Prud'hommes de Haguenau est matériellement compétent
pour connaître du litige ;
- Renvoyer l'affaire et les parties devant le Conseil de Prud'hommes de Haguenau pour qu'il soit statué sur le fond des demandes
- Condamner la SELARL Clinique Vétérinaire de l'Outre Forêt aux entiers frais et dépens
d'instance et d'appel ainsi qu'à payer à à Monsieur [W] et à Maître [T] [K], es qualité de mandataire liquidateur de Monsieur [W], la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions du 26 mars 2021, la société Clinique Vétérinaire de l'Outre Forêt demande à la Cour de :
- Confirmer le jugement du 29 juin 2018 ;
En tout état de cause :
- Constater l'absence de lien de subordination entre la SELARL Clinique Vétérinaire de l'Outre Forêt et M. [W] ;
- En conséquence se déclarer incompétente matériellement au profit de la chambre commerciale du Tribunal Judiciaire de Strasbourg ;
- Débouter M. [W] de toutes ses demandes ;
- Condamner M. [W] à payer à la SELARL Clinique Vétérinaire de l'Outre Forêt un montant de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Le condamner aux entiers frais et dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2021.
Il convient en application de l'article 455 du Code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
MOTIVATION
Aux termes de l'article L 1221-1 du code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter.
Il résulte de ce texte que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
A titre liminaire, M. [W] se prévaut de l'existence d'un contrat de travail auprès de la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt à compter du 31 mars 2003, contrat qui se serait poursuivi ensuite, voire qui n'aurait été que suspendu lors de sa nomination en qualité de cogérant et qui aurait repris ses effets lors de sa révocation de ce mandat le 21 octobre 2015.
Toutefois, il s'agit du raisonnement qui avait été suivi par la cour d'appel de Colmar et qui a spécialement été cassé par la cour de cassation : « Pour dire la juridiction prud'homale compétente, l'arrêt retient que, bien que le contrat de travail n'ait pas été versé aux débats, il est constant que M. [W] a été lié à la clinique par un contrat de travail en qualité de vétérinaire, qu'aux termes d'une résolution prise lors d'une assemblée générale de la société du 15 mars 2003, il a été nommé co-gérant et qu'occupant des fonctions techniques distinctes de celles découlant de sa qualité de co-gérant, le cumul entre son contrat de travail et son mandat social était possible de sorte que ce contrat de travail n'a pas été suspendu après sa prise de fonction en qualité de cogérant.
En se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée si M. [W] avait effectivement rempli ses fonctions sous la subordination de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».
Il convient donc de déterminer s'il existait, ou non, un lien de subordination entre M. [W] et la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt.
L'appelant souligne qu'il ne détenait pas la signature sociale, n'avait pas de pouvoir sur les comptes bancaires, pas de pouvoir de représentation vis à vis des banques, pas de pouvoir de gestion, d'administration et de direction de la société et n'avait pas de pouvoir sur le personnel. Il précise encore que toute la comptabilité relevait de M. [N], qu'il n'avait procédé à aucune embauche, pas même celle de Mme [G] qui l'assistait à [Localité 9], et qui était sous l'autorité de M. [N], et qu'il n'avait enfin aucun pouvoir disciplinaire.
Toutefois, tous ces éléments sont relatifs à l'existence ou non d'un mandat social, mais n'indiquent aucunement l'existence d'un lien de subordination entre M. [W] et la société, seul point permettant de caractériser l'existence d'un contrat de travail.
M. [W] affirme encore avoir travaillé selon les instructions et ordre reçus du Dr [N]. Il précise qu'il n'avait aucun pouvoir, répondait et exécutait les ordres reçus.
Il souligne encore que le Dr [N] fixait d'autorité le montant de sa rémunération, ayant même tenté de la supprimer totalement.
M. [W] se prévaut de nombreuses attestations qui, selon lui, confirment le lien de subordination l'unissant au Docteur [N].
Toutefois, aucune de ces attestations n'exposent de situations circonstanciées dans lesquels M. [W] aurait été amené à suivre un ordre donné.
Ainsi, son fils, M. [V] [W] ne fait que relater les diverses missions accomplies par son père sans indiquer d'éléments laissant présumer l'existence d'un quelconque lien de subordination vis à vis du Dr [N].
De même, Mme [O] [L], compagne du fils de M. [W] indique que celui-ci a souvent « été appelé en urgence et a dû nous quitter pour aller travailler ». Cela ne démontre en rien l'existence d'un lien de subordination avec la société intimée, mais uniquement la nécessité qu'avait l'appelant d'accomplir son travail, parfois en urgence.
Les autres témoins procèdent par voie d'affirmations, sans préciser davantage les motifs de leurs assertions : « toutes ces prestations ont été exécutées selon l'ordre du Dr [N] par M. [W] qui était parfaitement sous subordination du Dr [N] » (M. [S] [W], ayant un lien de parenté non précisé avec l'appelant). L'attestation ne précise pas en quoi consistait « l'ordre » adressé par le Dr [N], et pourquoi M. [W] aurait été sous la subordination du Dr [N].
M. [W] affirme qu'il était sous la subordination de M. [N] dans la mesure où celui-ci aurait, unilatéralement, décidé de le priver de rémunération.
En, effet, le 1er mai 2015 s'est tenue une assemblée générale au sein de la Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt où la seule et unique résolution qui devait être prise était : « l'assemblée générale décide de ne plus allouer de rémunération à M. [J] [W] au titre de son mandat de cogérant de la société et ce avec effet au 1er mai 2015 ».
Toutefois, il n'est pas question de la rémunération versée à M. [W] au titre de son métier de vétérinaire qu'il aurait exercé sous la subordination de M. [N], mais uniquement de la rémunération qu'il aurait perçu « au titre de son mandat de cogérant de la société ».
Enfin, M. [W] affirme que le Dr [N] a voulu le révoquer, avant de finalement baisser sa rémunération le 1er septembre 2015.
Il produit ainsi le rapport de la gérance à l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement le 1er septembre 2015 dont les termes sont clairs : « nous vous proposons d'entériner sa rémunération mensuelle de 1 000 € au titre du mois de juin 2015 et de fixer sa rémunération mensuelle avec effet au 1er juillet 2015.
Nous vous proposons de réduire sa rémunération mensuelle compte tenu du faible chiffre d'affaires généré par la clinique [7] à [Localité 9] gérée par M. [W] d'une part, et en raison du fait qu'il refuse de faire les visites extérieures et les visites rurales d'autre part.
En conséquence, nous vous proposons de fixer la rémunération mensuelle de M. [W] au titre de son mandat de cogérant de la société à 3 000 € à compter du 1er juillet 2015 ».
Toutefois, il est encore question de la rémunération de M. [W] au titre de son mandat de cogérant, et pas au titre de sa qualité prétendue de salarié.
Par conséquent, M. [W] échoue à rapporter la preuve qui lui incombe de l'existence d'un lien de subordination entre lui et la SELARL Clinique Vétérinaire d'Outre Forêt. La preuve de l'existence d'un contrat de travail n'est donc pas rapportée.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré le conseil de prud'hommes matériellement incompétent.
Sur les autres demandes
Il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement rendu le 29 juin 2018 par le conseil de prud'hommes de Haguenau ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Réserve les dépens.
Le GreffierP/La Présidente régulièrement empêchée
La Conseillère