La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2022 | FRANCE | N°20/00477

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 19 juillet 2022, 20/00477


Arrêt n° 22/00549



19 Juillet 2022

---------------------

N° RG 20/00477 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FHT3

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

09 Janvier 2020

F 18/00175

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



dix neuf juillet deux mille vingt deux







APPELANTE :


>Mme [P] [O]

[Adresse 1]

Représentée par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ







INTIMÉE :



Société KEOLIS VENANT AUX DROITS DE LA SPL TRANS FENSCH

[Adresse 2]

Représentée par Me Xavier IOCHUM, avocat...

Arrêt n° 22/00549

19 Juillet 2022

---------------------

N° RG 20/00477 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FHT3

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

09 Janvier 2020

F 18/00175

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

dix neuf juillet deux mille vingt deux

APPELANTE :

Mme [P] [O]

[Adresse 1]

Représentée par Me Bernard PETIT, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE :

Société KEOLIS VENANT AUX DROITS DE LA SPL TRANS FENSCH

[Adresse 2]

Représentée par Me Xavier IOCHUM, avocat au barreau de METZ

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laëtitia WELTER, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Anne-Marie WOLF, Présidente de Chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

Madame Laëtitia WELTER, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX

ARRÊT :

Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne FABERT, conseillère pour la Présidente de Chambre régulièrement empêchée, et par Mme Hélène BAJEUX, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS

Mme [P] [O] a été embauchée par la société publique locale TRANS FENSCH, aux droits de laquelle est ultérieurement venue KEOLIS, selon contrat à durée indéterminée, à compter du 8 février 2005, en qualité de conductrice.

La convention collective applicable est celle des réseaux de transports publics urbains.

Par avenant du 1er juillet 2014, le temps de travail de Mme [O] a été réduit à 28 heures par semaine.

Mme [O] percevait une rémunération mensuelle brute de 1.639,88 €.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 mars 2018, Mme [O] a été convoquée à un entretien préalable pour un éventuel licenciement fixé le 28 mars 2018. Elle a par la suite été convoquée devant le Conseil de discipline de la société le 13 avril 2018.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 19 avril 2018, Mme [O] a été licenciée pour faute grave.

Par acte introductif enregistré au greffe le 06 septembre 2018, Mme [O] a saisi le Conseil de prud'hommes de Thionville aux fins de voir :

- Dire et juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- Condamner la partie défenderesse à lui verser les sommes suivantes :

'Indemnité compensatrice de préavis : 3 279,76 € brut,

'Congés payés sur préavis : 327,97 € brut,

'Indemnité de licenciement : 5 836,50 € net,

- Dire que ces sommes produiront intérêts légaux à compter du jour de la demande et ordonner l'exécution provisoire sur ces sommes par application des dispositions de l'article R 1454-28 du code du travail,

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 16 398,80 € Net,

- Dire que cette somme produira intérêts légaux à compter du jour du jugement à intervenir et ordonne l'exécution provisoire sur cette somme par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- Article 700 du code de procédure civile : 1.500 €

- Condamner la défenderesse aux entiers frais et dépens et dépens.

Par jugement du 09 janvier 2020, le Conseil de prud'hommes de Thionville, section commerce a statué ainsi qu'il suit :

- Requali'e le licenciement prononcé par la SPL Trans Fensch à l'encontre de Mme [P] [O], pour faute grave, en licenciement pour cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- Condamne la SPL Trans Fensch à payer à Mme [P] [O] les sommes suivantes :

'3.279,76 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

'327,97€ bruts au titre des congés payés sur préavis,

'4.919,64 € nets au titre de. l'indemnité de licenciement,

Dit que ces sommes produiront intérêts légaux à compter du jour de la demande, soit le 6 septembre

2018,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile,

- Condamné la SPL Trans Fensch à payer à Mme [O] la somme de 1.400€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Conformément à l'article R 1235-1 du code du travail, alinéa 2, prévoyant que lorsqu'un licenciement est jugé comme ne résultant pas d'une faute grave ou lourde, une copie du jugement est transmise à Pôle Emploi dans les conditions prévues à l'article R 123 5-2, il convient d'ordonner qu'une copie du présent jugement sera adressée à cet organisme par le Greffe du Conseil de céans,

- Met les dépens à la charge de la SPL Trans Fensch.

Par déclaration formée par voie électronique le 14 février 2020, Mme [O] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ses dernières conclusions datées du 12 mai 2020, enregistrées au greffe le jour même, Mme [O] demande à la Cour de :

- Dire et juger l'appel interjeté par Mme [O] recevable et bien fondé,

En conséquence,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Requalifié le licenciement prononcé par la SPL Trans Fensch à l'encontre de Mme [O] pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- Débouté Mme [O] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 16.398,80 euros nets

- Limité à 4.919,64 euros nets l'indemnité de licenciement

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Condamné la SPL Trans Fensch à payer à Mme [P] [O] les sommes suivantes :

3279,76 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

327,97 euros bruts au titre des congés payés sur préavis

1400,00 euros au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile

Statuant à nouveau

- Dire et juger le licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

- Condamner la SPL Trans Fensch à payer à Mme [O] les sommes suivantes :

5 836,50 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement

Avec intérêts de droit à compter du jour de la demande.

16.398,80 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Avec intérêts de droit à compter du jour de la décision à intervenir.

- La condamner au paiement d'une somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers frais et dépens.

Par ses dernières conclusions datées du 15 juillet 2020, enregistrées au greffe le jour même, la SPL Trans Fensch demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement entreprise en ce qu'il a :

- Requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse

- Condamné la SPL Trans Fensch à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

'3279,76 € bruts au titre de l'indemnité de préavis, outre les congés payés

'4919,64 € bruts au titre de l'indemnité de licenciement

'1400 € au titre des frais irrépétibles.

- Débouter Mme [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions indemnitaires.

A titre subsidiaire, sur l'appel principal,

- Confirmer le jugement entrepris

En tout état de cause,

- Condamner Mme [O] à payer à la SPL Trans Fensch la somme de 2500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 septembre 2021.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions respectives des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS

Sur le licenciement

La lettre de licenciement envoyée par la SPL Trans Fensch à Mme [O] le 19 avril 2018, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :

« Les explications recueillies auprès de vous lors de l'entretien préalable, ainsi que le rapport du Président du Conseil de Discipline et les éléments recueillis lors de l'enquête interne que nous avons immédiatement initiée dès connaissance des faits et de vos premières explications nous obligent malheureusement à vous licencier pour faute grave.

Nous vous rappelons ci-après les faits :

 Le 8 mars 2018, vous assuriez le plan de travail, n°3107, ligne 4 avec le véhicule, n°3502. Vers 9h45 à l'arrêt FOCH, alors qu'une cliente s'apprêtait à monter dans le bus, après avoir laissé descendre une personne en déambulateur, vous avez abruptement fermé la porte du véhicule, en démarrant celui-ci. La cliente, Mme [L], a dû toquer à la vitre, afin de signaler sa présence. Lorsque vous avez enfin daigné ouvrir les portes du bus, au bout de quelques instants, la cliente vous a ouvertement reproché votre comportement, sans pour autant vous manquer de respect à aucun moment. Vous avez alors rétorqué 'tu fermes ta gueule !', à plusieurs reprises, en sommant Mme [L] de s'installer à l'arrière du bus.

Lorsque vous êtes arrivée à proximité de l'arrêt 'Arc-en-ciel' à [Localité 3], où la cliente devait descendre, vous avez sciemment modifié votre itinéraire afin de ne pas céder desservir l'arrêt en question. La cliente s'est alors approchée de votre poste de conduite, en vous signalant que vous avez dépassé son arrêt. Elle a insisté, en larmes, pour que vous ne vous arrêtiez. Non seulement vous avez refusé sa demande, mais, qui plus est, vous avez rétorqué : 'vous n'avez pas demandé l'arrêt, vous n'avez pas à me donner des ordres ! Vous descendez là-bas ! C'est bon votre baratin ! J'en ai rien à foutre !' Lorsque le bus est arrivé à l'arrêt suivant, Mme [L] vous a sollicité à nouveau afin que vous fassiez demi-tour, pour la déposer à son arrêt. Vous vous êtes bornés à refuser sa demande, en continuant à circuler. La cliente est finalement descendue du bus dès lors qu'elle a eu la possibilité.

Votre comportement a conduit la cliente à alerter notre service réclamation, d'autant plus que ce n'est pas la première fois qu'elle se sentait outrée par vos propos (réclamation du 20/07/2017). Mme [L] a notamment indiqué qu'elle n'en pouvait plus de votre attitude, et qu'en votre présence, elle prenait le bus avec 'la boule au ventre'. Elle a ajouté qu'elle serait prête à attendre le bus suivant, la prochaine fois qu'elle vous verrait au volant.

Lors du conseil de discipline qui s'est tenu le vendredi 13 avril 2018, vous avez nié la plupart des faits qui vous sont reprochés, malgré notamment le témoignage tangible d'une de nos salariés qui avait assisté, par téléphone, aux échanges que vous aviez eus avec Mme [L]. Vous avez notamment nié l'ensemble des propos grossiers tenus face à la cliente, ainsi que toute préméditation dans le fait de dévier de votre itinéraire initial.

En revanche, vous avez reconnu comme seuls torts de votre part, de ne pas avoir desservi l'arrêt arc-en-ciel, malgré l'insistance de la cliente, et d'avoir dévié de l'itinéraire initial. Selon vous, ces agissements n'étaient pas intentionnels.

Nous ne pouvons tolérer un comportement aussi irrespectueux et grossier de la part d'une de nos salariés qui, au delà du fait qu'il va à l'encontre des principales valeurs que nous tenons à propager dans le cadre de l'exécution du service public, enfreint les dispositions de la note interne n°90/13, en date du 3 septembre 2013, qui stipule notamment : « ['] Accueil de la clientèle : la politesse est de rigueur, ainsi aucun client ne pourra être désobligeant à votre égard (regarder le client lorsqu'il monte dans le véhicule, le saluer, adopter une attitude et un ton adapté) font partie du rôle commercial du conducteur [...] »

Par ailleurs, en déviant de votre itinéraire initial, vous avez transgressé les dispositions de la même note interne n°90/13, en ce qui concerne notamment le respect des plans de travail : ['] Nous vous demandons de porter une attention particulière à la lecture de vos plans de travail, afin d'éviter toutes confusions ou erreurs qui porteraient préjudice à notre clientèle ['] A aucun moment, il ne peut être dérogé aux instructions de travail portées sur les documents [...] »

Enfin, nous regrettons qu'au cours de la procédure, malgré plusieurs opportunités, vous n'avez exprimé aucun regret quant aux faits qui vous sont reprochés, ni reconnu les propos grossiers que vous aviez tenus à la cliente. Au contraire, vous avez soutenu ne les avoir jamais prononcés et cela malgré l'évidence des faits et la tangibilité des éléments de preuve.

Les faits du 08 mars 2018 sont constitutifs d'une faute grave et rendent impossible votre maintien dans l'entreprise. (...) »

La salariée conteste ce licenciement tant au regard de la procédure préalable suivie devant le conseil de discipline que des faits qui lui sont reprochés.

Sur la procédure préalable devant le conseil de discipline

Mme [O] conteste la régularité de son licenciement, invoquant le non-respect de la procédure qui devait être tenue devant le conseil de discipline en application de la convention collective. Elle en déduit que, à défaut pour l'employeur de justifier, d'une part, de l'avis du conseil de discipline et, d'autre part, de la communication des éléments du dossier par le chef de service chargé de l'instruction, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La procédure de licenciement peut être renforcée par les conventions collectives ou le règlement intérieur ou les statuts de l'employeur. L'employeur est alors tenu d'en respecter les conditions et en cas de méconnaissance de garanties de fond ainsi accordées, le licenciement se trouve privé de cause réelle et sérieuse.

Ainsi, la consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

La convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986, étendue par arrêté du 25 janvier 1993, prévoit dans ses articles 51 et suivants la procédure suivie devant le Conseil de discipline qui examine les « fautes des agents de l'entreprise susceptibles de comporter une sanction du deuxième degré ».

L'article 52 prévoit : « Lorsqu'un agent titulaire doit être déféré devant le conseil de discipline, son dossier ainsi que les pièces relatives aux faits qui lui sont reprochés sont transmis au chef de service qui est chargé de l'instruction. Celui-ci examine le dossier, avise l'intéressé, fait les enquêtes complémentaires qu'il juge nécessaires, réunit tous les documents susceptibles d'éclairer le conseil de discipline et fait un rapport.

Le chef de service chargé de l'instruction entend l'intéressé et lui donne communication de son dossier et des pièces relatives aux faits reprochés. Le chef de service dresse, séance tenante, un procès-verbal de l'audience qu'il fait signer par l'agent et par l'assistant de celui-ci, après leur en avoir donné lecture.

L'agent est autorisé à prendre des notes en vue de sa défense.

Tout agent déféré au conseil de discipline peut, avant de comparaître devant le conseil, demander à être entendu par le directeur du réseau ou son représentant ; celui-ci fixe le jour et l'heure de l'audience à laquelle peut assister le chef de service de l'agent. »

En l'espèce, la SPL Trans Fensch a convoqué Mme [O] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 28 mars 2018.

Elle justifie également d'avoir ensuite convoqué Mme [O] à un entretien tenu le 11 avril 2018 par M. [B] [J], en qualité de chef de service en charge de l'instruction, et ce, en vue de sa convocation ultérieure devant le conseil de discipline de la société le 13 avril 2018.

Lors de l'entretien avec M. [J], Mme [O] était assistée de M. [Y].

Le compte-rendu de cet entretien, rédigé par M. [J], est signé par ce dernier, Mme [O] et M. [Y].

Il y est indiqué en première page : « M. [J] communique à Mme [O] les documents relatifs aux faits qui lui sont reprochés :

-le plan de travail de Mme [O] du jeudi 8 mars 2018

-Réclamation de la cliente

-Rapport de M. [V] suite à l'entretien avec Mme [O]

-Témoignage de [H] [I]

-La main courante déposée par la cliente. »

Il est ensuite indiqué que M. [J] a exposé les faits litigieux, puis que Mme [O] a pu prendre la parole pour apporter des explications.

A la lecture de ce document, il est établi que la procédure prévue par l'article 52 précité a bien été respectée. Le grief tenant à l'absence de preuve de la communication des éléments du dossier par le chef de service chargé de l'instruction est particulièrement infondé, la Cour rappelant que le compte-rendu qui fait mention de cette communication a été signé par l'appelante.

Le grief tenant à l'imprécision de l'ordre du jour indiqué sur les convocations au conseil de discipline, à savoir « Affaire [O] [P] » n'est pas davantage fondé, cet ordre du jour étant suffisamment précis pour informer les membres du conseil de discipline qui ont ensuite, lors du conseil, eu connaissance des faits et du compte-rendu d'instruction dressé par M. [J]. Une information préalable des membres du conseil quant aux faits précisément reprochés à Mme [O] n'était ni nécessaire, ni prévu par la convention collective applicable.

Mme [O] était quant à elle suffisamment avisée de l'objet de ce conseil de discipline et des faits reprochés puisqu'elle avait été reçue à un premier entretien préalable le 28 mars 2018 puis par M. [J] le 11 avril suivant.

Enfin, la procédure prévue par la convention collective applicable ne prévoit pas davantage la communication de l'avis du conseil de discipline à l'agent concerné, l'article 54 stipulant uniquement « Le président recueille les voix sans voter lui-même et transmet l'avis du conseil de discipline du réseau qui détermine la sanction à appliquer ». L'article 55 prévoit ensuite que « La notification à l'agent de la mesure disciplinaire décidée à son égard est faite par écrit et motivée conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur. »

La SPL Trans Fensch produit également aux débats les échanges internes entre son directeur général, M. [Z] et le président du conseil de discipline, M. [D], ce dernier relatant le déroulé du conseil et le vote de ses membres. Cet envoi de M. [D] constitue bien la transmission de l'avis du conseil de discipline. En outre, sa production dans la présente instance permet à Mme [O] de contester en toute connaissance de cause son licenciement devant les juridictions prud'homales.

Dans ce cadre, en l'absence de toute démonstration d'une irrégularité de la procédure suivie devant le conseil de discipline et de toute atteinte aux droits de la défense de Mme [O], il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de requalification du licenciement en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur la faute grave

Lorsque l'employeur invoque une faute grave du salarié pour prononcer un licenciement avec effet immédiat, il lui incombe d'apporter la preuve des griefs avancés dans les termes énoncés par la lettre de licenciement, à charge ensuite pour le juge d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces griefs et de rechercher s'ils constituaient une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

En l'espèce, le licenciement de Mme [O] est motivé par les faits qui se sont déroulés le 08 mars 2018 à bord d'un bus qu'elle conduisait, faits ayant conduit une passagère à déposer une réclamation auprès de l'employeur et, le lendemain, une main courante auprès des services de police.

La salariée expose contester les faits qui lui sont reprochés. L'attestation de M. [N], qui l'a assistée lors de l'entretien préalable du 23 mars 2018, confirme que Mme [O] n'a pas reconnu les propos qu'elle a tenus envers la passagère, Mme [L]. Il ressort également du compte-rendu de la réunion du 11 avril 2018, dressé par M. [J], que Mme [O] n'a pas reconnu avoir tenu de tels propos.

Elle a toutefois reconnu n'avoir pas effectué l'arrêt « Arc-en-ciel », ayant indiqué qu'elle se pensait alors seule dans le bus.

Les explications données par Mme [O] sur le déroulé des faits sont cependant très lacunaires et parfois incohérentes, la conductrice indiquant notamment qu'elle se croyait seule dans le bus alors qu'elle reprochait juste avant à la cliente d'avoir manifesté son mécontentement à toute la clientèle et indiquait que certains clients lui auraient dit de se taire.

La salariée ajoute dans ses conclusions que « l'usage est que s'il n'y a personne à cet arrêt ou que personne ne le demande, le rond-point est effectué par le bus pour rejoindre les autres arrêts ».

Or cette explication n'est pas cohérente avec le tracé du trajet de la ligne de bus, tel qu'il ressort notamment du plan produit par l'intimée, puisque ce tracé nécessite de sortir du rond-point pour aller desservir l'arrêt et recueillir d'éventuels nouveaux passagers et ce, même si aucun usager ne se trouve dans le bus ou ne demande l'arrêt.

En outre, si Mme [O] justifie son attitude par une erreur de la cliente qui n'a pas demandé l'arrêt, une telle explication n'est pas pertinente puisqu'il incombait à la conductrice de se rendre devant l'arrêt pour y récupérer, le cas échéant, d'autres passagers, ce qu'elle ne soutient pas avoir fait.

Il ressort d'ailleurs des explications cohérentes de Mme [L], tant dans la réclamation écrite que dans l'enregistrement de son appel au service client, qu'elle n'était pas encore assez proche de l'arrêt pour appuyer sur le bouton et que Mme [O] n'a, en tous les cas, pas emprunté le trajet menant à l'arrêt et n'est pas sortie du rond-point. Cette version des faits est confortée par l'explication précitée de Mme [O] qui confirme qu'elle a « effectué » le rond-point et n'en est donc pas sortie.

L'enregistrement produit aux débats par l'employeur fait ensuite ressortir le fait que, malgré les demandes répétées de la cliente, et alors que Mme [O] n'avait pas emprunté le trajet qu'elle se devait de respecter, la salariée a fait le choix de ne pas déposer la cliente à son arrêt de destination et a poursuivi sa route, indifférente à la détresse psychologique manifeste de la cliente.

L'enregistrement permet également d'entendre, comme l'a relaté dans son attestation Mme [I] qui était en ligne avec la cliente à ce moment là, que Mme [O] a effectivement été violente verbalement et vulgaire envers la cliente, qui se trouvait alors en larmes, en proférant l'ensemble des propos relatés dans la lettre de licenciement, dont notamment « c'est bon votre baratin ! » et « j'en ai rien à foutre ! ».

Enfin, la cliente n'a ensuite pu sortir du bus que plusieurs arrêts après sa destination initiale.

Il ressort de l'ensemble es éléments qui précèdent que la réalité des faits imputés à la salariée est bien établie, contrairement à ce que soutient cette dernière.

Comme rappelé par la SPL Trans Fensch dans la lettre de licenciement, de tels faits constituent un double manquement aux obligations pesant sur Mme [O] dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, tant en matière de politesse et respect des usagers du service public de transport que de bon suivi des itinéraires imposés pour l'exécution de ce service.

Ils ont occasionné, chez la passagère victime de ce comportement, un état de stress particulièrement décelable à l'écoute de l'enregistrement versé aux débats, ainsi qu'un traumatisme la conduisant à signaler à l'employeur la nécessité d'adopter un comportement d'évitement pour ne pas se trouver dans un bus conduit par l'appelante. Comme le souligne l'employeur dans la lettre de licenciement, cette cliente avait en outre déjà adressé une réclamation au service client au cours de l'année 2017, faisant alors référence à de multiples incidents liés au comportement impoli de la conductrice à son égard.

En dépit de cela, et malgré l'existence d'un enregistrement et d'une attestation corroborant la version de la cliente, Mme [O] n'a ni reconnu, ni a fortiori regretté les propos qu'elle a tenus. Elle n'a pas davantage reconnu avoir empêché la cliente de descendre à son arrêt de destination, alors qu'il ressort des faits de la cause qu'elle avait volontairement passé l'arrêt et qu'elle a par la suite refusé de s'y rendre à nouveau.

Les faits ainsi reprochés à la salariée ont gravement porté atteinte à l'intégrité psychologique d'une usagère du bus ainsi qu'au bon fonctionnement et à l'image du service public de transport.

Le comportement de la salariée avait également, au préalable, été préjudiciable aux usagers et à la SPL Trans Fensch ainsi qu'en attestent les nombreuses réclamations visant Mme [O] et émanant de différents clients (20 en 2 ans contre une moyenne de 2,4 par an par chauffeur) pour des comportements similaires, à savoir une attitude désagréable inadaptée envers les usagers et le non-respect des arrêts à desservir.

Si ces réclamations pour des faits d'une ampleur moindre que les faits fautifs motivant le licenciement n'avaient pas donné lieu à des poursuites et sanctions disciplinaires, l'employeur est cependant fondé à les faire valoir pour étayer l'existence de la faute grave reprochée à Mme [O], notamment quant à son comportement antérieur et, par conséquent, au fort risque de réitération de la part de cette dernière.

Les explications fournies par Mme [O] dans ses conclusions, en réponse à chacune des réclamations, démontrent encore que cette dernière ne procède à aucune remise en question de son attitude professionnelle mais rejette systématiquement la faute sur les usagers qu'elle transporte.

Dans ce cadre, eu égard à la gravité des faits survenus le 08 mars 2018, ainsi qu'au fort risque de réitération qui accompagnait un tel comportement fautif en raison de l'exercice quotidien, par Mme [O], de son travail au contact du public, accentué par l'absence de tout regret et réflexion exprimée par la salariée quant à son attitude, c'est à bon droit que l'employeur a considéré que le maintien de la salariée dans l'entreprise et la poursuite de son contrat de travail même pendant la durée limitée de son préavis étaient impossibles. La faute grave est ainsi suffisamment caractérisée.

Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a requalifié le licenciement en licenciement pour cause réelle et sérieuse et a fait droit partiellement aux demandes de Mme [O] en conséquence.

Le licenciement de Mme [O] étant motivé par une faute grave, la salariée ne peut pas prétendre au préavis, à l'indemnité compensatrice de préavis et à une indemnité de licenciement, et sera donc déboutée de l'ensemble de ses prétentions d'indemnisation mal fondées compte tenu de l'issue de l'appel.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement dont appel statuant sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées.

Mme [O] qui succombe devant la Cour sera condamnée aux dépens d'instance et d'appel.

Compte tenu de la disparité de situation économique entre les parties, les demandes formées par les parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [P] [O] est fondé sur une faute grave ;

Déboute en conséquence Mme [P] [O] de toutes ses demandes ;

Condamne Mme [P] [O] aux dépens d'instance et d'appel ;

Déboute la SPL Trans Fensch, aux droits de laquelle est venue la société Kéolis, de sa demande au titre des frais irrépétibles.

La GreffièreP/ La Présidente régulièrement empêchée

La Conseillère


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 20/00477
Date de la décision : 19/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-19;20.00477 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award