Minute n° 23/00105
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au Nom du Peuple Français
R.G : N° RG 20/01221 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FJXH
[O]
C/
[S]
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE DE LA FAMILLE
ARRÊT DU 24 JANVIER 2023
APPELANT
Monsieur [M] [O]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Marie VOGIN, avocat à la Cour
INTIMÉE
Madame [I] [S] divorcée [O]
[Adresse 4]
[Localité 3] (ALLEMAGNE)
Représentée par Me Christine SALANAVE, avocat à la Cour
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/000658 du 19/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
PRÉSIDENT : Mme Martine ESCOLANO, président de chambre
ASSESSEURS : Mme Claire-Agnès GIZARD, conseiller
Mme Marie HIRIBARREN, conseiller r
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS ET AU PRONONCÉ DE L'ARRÊT : Madame Véronique FELIX
DATE DES DÉBATS : à l'audience tenue hors la présence du public en date du 06 septembre 2022, l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 18 octobre 2022. Ce jour venu, le délibéré a été prorogé au 08 novembre 2022 puis au 15 novembre 2022, au 13 décembre 2022, au 10 janvier 2023 puis au 24 Janvier 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe selon les dispositions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
ARRET CONTRADICTOIRE
Exposé du litige :
M. [M] [O] et Mme [I] [S] se sont mariés le 28 octobre 1988 à Forbach (57), sans contrat de mariage préalable.
Par jugement du 08 octobre 2015, le tribunal de grande instance de Sarreguemines a notamment :
- prononcé le divorce de M. [M] [O] et de Mme [I] [S],
- dit que les effets du divorce entre les époux remonteront au 08 avril 2013,
- ordonné la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux,
- débouté M. [M] [O] et Mme [I] [S] de leur demande de prestation compensatoire.
Par ordonnance du 30 août 2016, le tribunal d'instance de Saint-Avold a ordonné l'ouverture de la procédure de partage judiciaire de l'indivision [O]-[S] et a renvoyé les parties devant Mme [E] [L], notaire.
Le 15 mai 2013, Mme [E] [L], notaire, a dressé un procès-verbal de difficultés et a invité les parties à saisir un tribunal pour trancher les difficultés.
Par acte notifié dans les conditions prévues par le règlement européen 1393/2007, M. [M] [O] a assigné Mme [I] [S] devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines afin de voir trancher des difficultés relatives au partage judiciaire.
Par jugement du 30 juin 2020, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a notamment :
- débouté M. [M] [O] de sa demande de production de justificatifs au titre du contrat de tontine de juillet 1995,
- dit que Mme [I] [S] doit une récompense à la communauté d'un montant de 13 840,50 euros au titre du contrat de tontine,
- dit que la communauté est redevable d'une somme de 181 550,33 euros à Mme [U] [O], sous réserve de sa reconnaissance par Mme [U] [O] ou d'une décision judiciaire en fixant définitivement le montant,
- débouté M. [M] [O] de sa demande de récompense au titre des factures acquittées,
- débouté M. [M] [O] de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné M. [M] [O] et Mme [I] [S] à se partager les dépens par moitié,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
-o0o-
Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Metz du 21 juillet 2020, M. [M] [O] a interjeté appel de ce jugement aux fins d'annulation et subsidiairement d'infirmation en ce qu'il :
- l'a débouté de sa demande de production de justificatifs au titre du contrat de tontine de juillet 1995,
- a dit que Mme [I] [S] doit une récompense à la communauté d'un montant de 13 840 euros au titre du contrat de tontine,
- l'a débouté de sa demande de récompense au titre des factures acquittées,
- l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts,
- l'a condamné avec Mme [I] [S] à se partager les dépens par moitié,
- a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 19 janvier 2021, Mme [I] [S] a formé appel incident et demandé à la cour d'appel de :
- rejeter l'appel de M. [M] [O],
et au contraire accueillant son appel incident,
- débouter M. [M] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- dire et juger que le contrat de tontine constitue un bien propre à elle,
- dire et juger que la communauté a procédé au règlement des primes dudit contrat de mars 2005 à décembre 2010,
- dire et juger qu'il appartiendra au notaire de calculer la récompense correspondant à la plus faible des sommes entre la dépense effectuée et le profit subsistant,
- condamner M. [M] [O] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [M] [O] aux dépens.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions du 24 mars 2022, M. [M] [O] demande à la cour d'appel de :
- faire droit à l'appel,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il le déboute de sa demande de production de pièces au titre de la tontine, en ce qu'il a dit que Mme [I] [S] doit une récompenses de 13 840,50 euros et en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts,
et statuant à nouveau,
- enjoindre Mme [I] [S] à produire le contrat de tontine, le courrier de déblocage des fonds et de justifier des montants perçus et réemployés, sous astreinte journalière de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
- en tant que de besoin, ordonner la prise d'un renseignement d'office auprès de la société à forme tontinière 'Les associations mutuelles le conservateur' afin que soient communiqués ces renseignements,
- dire et juger qu'en tout état de cause les fonds recelés par l'épouse la priveront de toute portion,
à titre infiniment subsidiaire sur ce point,
- dire et juger que Mme [I] [S] devra récompense de la somme de 21 548,95 euros et sera privée de toute portion à ce titre,
- infirmer le jugement en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages et intérêts et y faire droit,
- condamner Mme [I] [S] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- débouter Mme [I] [S] de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes,
- confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
- condamner Mme [I] [S] au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts outre les entiers frais et dépens d'instance et d'appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [M] [O] affirme que le premier juge a commis une erreur à laquelle il a été induit par le conseil de Mme [I] [S] qui indiquait dans une lettre officielle de procédure du 09 mars 2016 que l'assurance vie a été alimentée le 1er décembre 1995, soit avant le mariage, alors même que Mme [I] [S] ne pouvait ignorer la date de son propre mariage. Il considère que Mme [I] [S] a voulu exploiter l'erreur commise dans le jugement de divorce. Il estime que les dispositions de l'article 1437 du code civil ne s'applique pas à la tontine qui n'est pas un bien propre pour avoir été souscrite en juillet 1995, soit 8 ans après le mariage. Il relève qu'à défaut de contrat de mariage préalable à leur union, les époux étaient mariés sous le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts.
Il souligne connaître désormais le montant débloqué par le conservateur de 21 54,95 euros. Il précise que ce placement n'a pas été effectué pour que Mme [I] [S] puisse en bénéficier seule alors même que lui non plus ne se versait pas de salaire.
Il affirme que le contrat est un bien commun puisqu'il a été souscrit du temps de la communauté, sauf à démontrer pour la partie qui affirme le contraire qu'il s'agit d'un propre. Il précise que le placement a été approvisionné avec des deniers du ménage, tantôt par lui, tantôt par Mme [I] [S]. A l'appui de son allégation, il produit aux débats les extraits de ses comptes au sein de la BPL justifiant des primes qu'il a versées au conservateur, à savoir 242,39 euros, quatre fois par an pendant cinq ans entre 2005 et 2010, soit 1 000 euros environ par an. Il énonce que ce placement donne droit à récompense dès lors que seul un époux a obtenu la libération du placement entre ses mains, ce que lui rappelait d'ailleurs le conservateur dans son courrier du 19 décembre 2017. Il invite la cour d'appel à apprécier les contradictions qui émanent des différents courriers et leur incohérences avec la réalité des faits.
Il souligne que Mme [I] [S] a utilisé ce placement à des fins personnelles, puisqu'elle a reconnu dans ses conclusions d'intimé avoir fait débloquer les fonds pour en utiliser une partie et faire un remploi d'une partie pour le placer sur une autre tontine. Il relève que si Mme [I] [S] affirme avoir procédé au remboursement d'une dette commune auprès de la Sparkasse, elle produit un document, au demeurant non traduit, qui ne prouve pas le remboursement de l'emprunt avec l'argent de la tontine.
Il considère que seule la production du contrat permettra de déterminer les conditions de rémunération du placement de la tontine, le montant du remploi et le montant du recel.
Il réfute les allégations de Mme [I] [S] relatives à son absence de revenu, en indiquant que lors de l'exploitation du Coffee-Shop à Forbach, elle avait des revenus et pour preuve, elle s'était financé son permis moto, avait acheté une moto et une voiture neuve ainsi qu'un bien immobilier en Allemagne. Il affirme en revanche que Mme [I] [S] avait refusé de cotiser pour une caisse de retraite car ce n'était pas obligatoire et en raison du montant des cotisations qui impactait trop les résultats de l'exploitation. Il ajoute que cela a permis d'accroître leurs résultats et donc leur apport dans l'acquisition de l'hôtel restaurant en Allemagne. Il conteste avoir ponctionné 25 000 euros mais il affirme que quatre prélèvement de 4 000 euros ont été effectués pour rembourser l'obligation hypothécaire, dont ses parents étaient cautions.
Il estime que Mme [I] [S] a privé la communauté de la somme de 21 548,95 euros, voire même d'une chance d'avoir un placement complet, plus élevé, avec un meilleur rendement. Il en déduit la nécessité de disposer du contrat afin de connaître ces éléments et de chiffrer sa demande de récompense à la communauté. Il forme une demande chiffrée à titre subsidiaire.
S'agissant du recel, il relève que seul le conseiller de la mise en état est compétent pour statuer sur le caractère nouveau d'une demande. Il ajoute que la demande n'est pas nouvelle puisqu'elle est une conséquence de la demande formée initialement. Il relève que Mme [I] [S] affirme qu'elle n'a jamais voulu dissimuler quoi que soit, alors même que le notaire lui en avait fait injonction. Il considère que les courriers envoyés au Conservateur n'ont été établis que pour les besoins de la cause. Il estime que le recel peut se déduire de l'attitude du copartageant postérieurement à l'action en justice. Il affirme que les courriers adressés par Mme [I] [S], postérieurement à son appel, démontrent l'existence de sa mauvaise foi. Il en déduit que l'élément intentionnel ne fait aucun doute.
Il s'estime fondé à solliciter des dommages et intérêts compte tenu des mensonges de Mme [I] [S] qui a exploité une erreur de frappe du jugement de divorce pour s'approprier une épargne constituée avec les deniers du ménage. Il considère que son attitude est constitutive d'une escroquerie au jugement et que Mme [I] [S] devrait être privée de tout droit à récompense au titre de la tontine. Il indique que les affirmations péremptoires relatives à un prétendu détournement de sa part d'une somme de 25 000 euros sont dépourvues de tout fondement.
Par conclusions du 13 décembre 2021, Mme [I] [S] demande à la cour d'appel de :
- rejeter l'appel de M. [M] [O],
et au contraire accueillant son appel incident,
- débouter M. [M] [O] de l'ensemble de ses demandes,
- dire et juger que le contrat de Tontine constitue un bien propre à elle,
- dire et juger que la communauté a procédé au règlement des primes dudit contrat de mars 2005 à décembre 2010,
- dire et juger qu'il appartiendra au notaire de calculer la récompense correspondant à la plus faible des sommes entre la dépense effectuée et le profit subsistant,
- condamner M. [M] [O] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [M] [O] aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [I] [S] fait valoir une erreur de plume de son mandataire en indiquant qu'elle ne peut contester à l'évidence la date de son mariage. Elle reconnaît que le contrat a bien été souscrit après le mariage.
Elle estime que la demande de M. [M] [O] fondée sur les dispositions de l'article 1477 du code civil est irrecevable pour avoir été présentée pour la première fois à hauteur de cour. Elle relève en outre que le recel de communauté ne peut résulter que de la dissimulation d'effets de la communauté, de sorte que la tontine litigieuse n'est pas concernée puisqu'il s'agit d'un bien propre à elle. En tout état de cause, elle affirme qu'il appartient à M. [M] [O] de rapporter la preuve de ce qu'elle aurait commis un acte de nature à le priver de sa part de la communauté, avec l'intention de porter atteinte à l'égalité du partage.
Elle indique qu'elle n'a pas tenté d'induire en erreur le notaire ou le premier juge et elle relève que la date du mariage est facilement vérifiable.
Elle précise qu'elle a eu le statut de conjoint collaborateur non rémunéré durant 20 années pendant lesquelles son mari et elle ont exploité un coffee shop à Forbach à compter de 1992 puis un hôtel en Allemagne. Elle affirme qu'elle n'a jamais été rémunérée et n'a jamais cotisé pour sa retraite, ce qui explique qu'elle a souscrit la tontine. Elle soutient qu'en janvier 2012, M. [M] [O] a quitté l'hôtel en emportant la somme de 25 000 euros correspondant à la recette des derniers mois et a donc détourné un actif de la communauté.
Elle précise avoir trouvé un emploi dans une clinique ainsi qu'un appartement en février 2012. Elle indique que l'hôtel a été vendu en avril 2012 et que le produit de la vente a pu couvrir le crédit contracté à la Sparkasse. Elle affirme qu'elle a fait un crédit de 6 000 euros en mai 2012 auprès de la Sparkasse pour régler les factures courantes de l'hôtel.
Elle indique que son contrat de tontine prévoyait une cotisation annuelle de 6 000 francs et devait arriver à terme le 1er janvier 2015. Elle affirme ne pas disposer du certificat d'adhésion et n'avoir plus de souvenir de signature du contrat. Elle précise qu'elle ne s'oppose pas à ce qu'un renseignement d'office soit pris auprès de l'organisme 'le conservateur' et justifie des difficultés qu'elle a pour obtenir copie du contrat de tontine. Elle relève qu'il résulte du procès-verbal de débats du 30 mai 2017 qu'elle avait donné tout pouvoir au notaire pour demander les pièces justificatives et du procès-verbal du 15 mai 2018 que son mandataire avait adressé au notaire un courrier de la Sparkasse et du conservateur. Elle en déduit qu'il était possible pour le notaire de solliciter de manière directe des pièces complémentaires. Elle estime que sa bonne foi est totale.
Elle conteste les allégations de M. [M] [O] selon lequel les fonds auraient été débloqués entre les mains de Mme [I] [S] avant l'introduction de la procédure de divorce ou avant son échéance et qu'elle aurait souscrit un autre contrat anonyme pour brouiller les pistes. Elle soutient que les calculs effectués par M. [M] [O] quant au rendement de la tontine sont fantaisistes. Elle précise que chacun des époux avait un compte séparé jusqu'en 2004 et qu'elle a supprimé son compte personnel en 2005 tandis que M. [M] [O] a conservé le sien. Elle indique que la somme trimestrielle de 242,39 euros correspond à la cotisation de la tontine qui a été prélevée du 1er décembre 1995 jusqu'en décembre 2004 sur son compte personnel puis de mars 2005 jusqu'en décembre 2010 sur le compte personnel de M. [M] [O]. Elle ajoute que les cotisations trimestrielles ont été prélevées de juin 2011 à juin 2012 sur un compte personnel qu'elle a ouvert auprès de LCA, époque au cours de laquelle elle avait des revenus. Elle précise qu'elle a arrêté le paiement des primes en juin 2012 en raison d'un manque de ressources, ainsi que le confirme le conservateur dans sa lettre du 28 février 2018. Elle en déduit que de 2012 au 1er janvier 2015, terme de l'adhésion, aucun des époux n'a effectué de versement.
Elle énonce que par lettre du 12 juin 2015, soit postérieure à l'ordonnance de non conciliation du 08 avril 2013, le conservateur l'a informée de ce qu'il lui revenait la somme totale de 21 548,95 euros. Elle affirme avoir procédé au remboursement des dettes communes, à savoir le crédit d'un montant de 6 000 euros souscrit à la Sparkasse, et avoir effectué des réparations sur sa voiture, lui permettant d'aller travailler. Elle déclare qu'il lui restait une somme de 15 000 euros qu'elle a souhaité replacer auprès de l'association 'le conservateur', avec un contrat souscrit le 1er mai 2016 pour un montant de 13 840,50 euros après déduction des frais.
Elle soutient que la tontine constitue un bien propre puisqu'il a été alimenté par ses fonds propres et que de mars 2005 à décembre 2010, il a été alimenté par les fonds de la communauté et non par M. [M] [O] seul.
En tout état de cause, elle indique que la communauté n'a droit à récompense que pour la plus faible des deux sommes entre la dépenses effectuée, c'est à dire les primes payées et la plus-value apportée au bien, soit le profit subsistant, c'est à dire le capital versé à Mme [I] [S].
Elle relève qu'elle n'a commis aucun acte malveillant, justifiant sa condamnation à des dommages et intérêts. Elle affirme avoir justifié de tous les documents en sa possession.
-o0o-
L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 septembre 2022.
Motifs de l'arrêt :
Vu les conclusions sus-mentionnées des parties, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, en application des articles 455 et 954 du code de procédure civile,
Sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel
Attendu qu'en vertu de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel ne défère à la cour d'appel que la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ;
Que l'article 954 du code de procédure civile prévoit notamment que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine et les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ;
Que la déclaration d'appel de M. [M] [O] évoque les dispositions du jugement relatives au rejet de sa demande de production de justificatifs au titre du contrat de tontine de juillet 1995, à la fixation de la récompense due à la communauté par Mme [I] [S] d'un montant de 13 840 euros au titre du contrat de tontine, au rejet de sa demande de récompense au titre des factures acquittées, au rejet de sa demande de dommages et intérêts, à sa condamnation à supporter les dépens par moitié, et au rejet de sa demande tendant à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Qu'il ressort toutefois du dispositif de ses dernières conclusions du 24 mars 2022 que M. [M] [O] sollicite, outre l'infirmation du jugement entrepris, :
- d'enjoindre à Mme [I] [S] de produire des documents relatifs au contrat de tontine,
- d'ordonner la prise d'un renseignement d'office auprès de la société à forme tontinière 'Les associations mutuelles le conservateur' afin que soient communiqués ces renseignements,
- de dire et juger qu'en tout état de cause les fonds recelés par l'épouse la priveront de toute portion, et à titre infiniment subsidiaire sur ce point, de dire et juger que Mme [I] [S] devra récompense de la somme de 21548,95 euros et sera privée de toute portion à ce titre,
- de condamner Mme [I] [S] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- de condamner Mme [I] [S] au paiement de la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts outre les entiers frais et dépens d'instance et d'appel ;
Qu'il convient donc de relever que M. [M] [O] ne forme aucune prétention à hauteur de cour quant au rejet de sa demande de récompense au titre des factures acquittées et de sa demande tendant à la condamnation de Mme [I] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dont il a pourtant interjeté appel, de sorte que la cour d'appel n'en est pas saisie conformément à l'article 954 du code de procédure civile sus-visé ;
Que Mme [I] [S] a formé appel incident par conclusions du 13 décembre 2021 et a sollicité l'infirmation du jugement entrepris et de débouter M. [M] [O] de l'ensemble de ses demandes, de dire et juger que le contrat de tontine constitue un bien propre à elle, de dire et juger que la communauté a procédé au règlement des primes dudit contrat de mars 2005 à décembre 2010, de dire et juger qu'il appartiendra au notaire de calculer la récompense correspondant à la plus faible des sommes entre la dépense effectuée et le profit subsistant, et de condamner M. [M] [O] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens ;
Que la cour d'appel est donc saisie du litige demeurant entre les parties s'agissant de la demande de pièces formée par M. [M] [O], de la récompense due par Mme [I] [S] quant au contrat de tontine, du recel de communauté invoqué par M. [M] [O], de la demande de dommages et intérêts formée par M. [M] [O], outre les demandes relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ;
Sur la demande tendant à enjoindre à Mme [I] [S] de produire des pièces
Attendu que selon l'article 11 du code de procédure civile, les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus ; que si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte ; qu'il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime ;
Attendu que M. [M] [O] et Mme [I] [S] s'opposent sur la récompense due par cette dernière au titre du contrat de tontine souscrit le 1er janvier 1995 ;
Que si M. [M] [O] soutient que Mme [I] [S] ne produit aucun document relatif à ce contrat, il convient de relever qu'elle produit désormais à hauteur de cour, le certificat d'adhésion, la lettre de déblocage des fonds du 1er janvier 2015 et les courriers adressés à la compagnie Le Conservateur afin d'obtenir le contrat initial ; qu'elle précise n'avoir eu aucun retour de la compagnie quant au contrat initial dont elle affirme au surplus n'avoir aucun souvenir ;
Qu'il apparaît que la cour d'appel dispose de suffisamment d'informations pour statuer sur les demandes des époux, de sorte que la demande de M. [M] [O] doit être rejetée ;
Sur la liquidation du régime matrimonial
Attendu que le régime matrimonial auquel sont soumis Mme [I] [S] et M. [M] [O] est le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts pour s'être mariés le 28 octobre 1988 à Forbach (57), sans contrat de mariage préalable ;
Attendu que l'article 1402 du code civil dispose que tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de la communauté si l'on ne prouve qu'il est propre à l'un des époux par application d'une disposition de la loi ;
Que selon l'article 1405 du code civil, restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, ou qu'ils acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs ;
Que selon l'article 829 du code civil, en vue de leur répartition, les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu'elle est fixée par l'acte de partage, en tenant compte, s'il y a lieu, des charges le grevant; que cette date est la plus proche possible du partage ;
Attendu que le contrat de tontine a été souscrit auprès de la société Les Associations Mutuelles le Conservateur, le 1er septembre 1995 ainsi qu'il ressort du certificat d'adhésion produit par Mme [I] [S] ; qu'il n'est pas fait mention d'un placement initial mais de cotisations trimestrielles versées au cours des mois de septembre, décembre, mars et juin pour un montant annuel de 6 000 francs, soit un montant mensuel de 1 500 francs et donc 228,67 euros ;
Que si Mme [I] [S] soutient que le contrat de tontine constitue un bien propre pour avoir été ouvert par elle et alimenté pour partie au moyen de son compte personnel, ce contrat a été souscrit postérieurement au mariage, sans qu'elle ne démontre qu'il a été alimenté au moyen de fonds lui appartenant en propre, à savoir obtenu avant mariage ou reçus par successions, dons ou legs conformément à l'article 1405 du code civil ; que le seul fait d'avoir un compte bancaire ouvert à son seul nom ne suffit pas à échapper au caractère commun des fonds déposés au crédit de ce compte ; que de même, les allégations de Mme [I] [S] quant à l'objectif du placement tontinier, à savoir combler des revenus non perçus du fait de sa qualité de conjointe collaboratrice, ne peut induire une qualification de bien propre ;
Que Mme [I] [S] admet dans ses écritures que les versements ont cessé au mois de juin 2012, ainsi que le confirme la société Le Conservateur dans son courrier du 28 février 2018, soit avant la date d'effet du divorce entre les époux, fixée au 08 avril 2013 par le jugement du 08 octobre 2015 ;
Qu'il s'en déduit que le contrat de tontine constitue un actif dépendant de la communauté ;
Attendu que l'article 1475 du code civil dispose que le partage s'effectue par moitié entre les époux ;
Attendu qu'il ressort du procès-verbal de débats dressé le 30 mai 2017 par Mme [E] [L], notaire commis aux termes de l'ordonnance rendue le 30 août 2016 par le tribunal d'instance de Saint-Avold, que le contrat de tontine demeure le seul actif de la communauté ;
Attendu que la date de jouissance divise n'a été fixée par aucun des procès-verbaux dressés par Mme [E] [L] ; que cette date n'a fait l'objet d'aucune demande des parties ;
Qu'il convient dès lors d'évaluer les biens à ce jour, date la plus proche du partage ;
Qu'il convient de relever que Mme [I] [S] n'a pas interrompu le placement en cours, comme le soutient M. [M] [O], mais que le placement est arrivé à échéance le 1er janvier 2015 ainsi qu'il ressort du certificat d'adhésion ; que M. [M] [O] ne peut donc soutenir que le fruit du placement aurait pu être supérieur que celui perçu à l'échéance par Mme [I] [S] ;
Que s'il ressort du courrier de la société Le conservateur du 28 février 2018 que des versements ont été effectués pour une somme totale de 15 549,56 euros, le courrier du 12 juin 2015 établit que Mme [I] [S] a perçu la somme de 21 548,95 euros au terme du contrat ;
Que si Mme [I] [S] soutient avoir effectué le remboursement d'une dette commune au moyen de la somme reçue, en soldant notamment un crédit souscrit pour un montant de 6 000 euros pour des dettes resultant du restaurant qui appartenait à la communauté et en payant des réparations de son véhicules, elle ne fournit aucun justificatif à l'appui de ses allégations ; que le seul document produit à cet égard, daté du 21 juin 2017, est rédigé en langue allemande sans qu'une traduction ne soit produite à l'appui, de sorte qu'il ne peut être analysé par la cour d'appel ;
Que s'agissant d'un contrat dont Mme [I] [S] était personnellement bénéficiaire, il n'est pas contestable que le versement ait été effectué à son profit ;
Qu'il est également acquis que Mme [I] [S] a perçu les fonds et en a versé une partie sur un nouveau contrat de tontine souscrit le 1er mai 2016; que ce second contrat de tontine constitue un bien exclu de la communauté pour avoir été souscrit par Mme [I] [S] postérieurement au divorce;
Que l'indisponibilité des fonds reçus par Mme [I] [S] ne s'oppose toutefois pas à la prise en considération dans les opérations de partage de la somme revenant à M. [M] [O] au titre de la communauté ;
Que compte tenu des éléments précédemment exposés, les sommes appartenant à la communauté à ce jour correspondent au montant versé à Mme [I] [S] à l'échéance du 1er janvier 2015 du contrat de tontine dépendant de la communauté, soit la somme de 21 548,95 euros ;
Que s'agissant d'un bien commun, il n'y a pas lieu d'évoquer une quelconque récompense et donc d'effectuer un choix entre la plus faible somme entre les sommes dépensées et le profit subsistant, comme le soutiennent M. [M] [O] et Mme [I] [S] ;
Que cette somme de 21 548,95 euros constitue un actif de la communauté qui revient donc pour moitié à chacun des époux, en application des dispositions de l'article 1475 du code civil ; qu'il appartiendra au notaire commis de prendre en considération cet actif de communauté dans les opérations de liquidation et partage ;
Sur le recel de communauté
Attendu que l'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumette à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ;
Que si Mme [I] [S] soutient dans ses écritures que la demande de M. [M] [O] au titre d'un recel de communauté est irrecevable comme étant nouvelle, il convient de relever qu'elle ne forme aucune demande à cet égard au sein du dispositif de ses dernières conclusions ;
Qu'il convient de préciser que le caractère nouveau d'une demande constitue un moyen de défense au fond, pouvant être soulevé en tout état de cause, contrairement à ce que soutient M. [M] [O] ;
Qu'en tout état de cause, il est acquis que si la demande de M. [M] [O] tendant à la reconnaissance d'un recel de communauté n'a pas été formée en première instance, elle tend à s'opposer aux prétentions de Mme [I] [S] ayant pour objet de reconnaître que le contrat de tontine est bien propre à elle ;
Que la demande de M. [M] [O] tendant à admettre que Mme [I] [S] a recelé des effets de la communauté est donc recevable ;
Attendu que l'article 1477 du code civil dispose que celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté, est privé de sa portion dans lesdits effets ;
Que si M. [M] [O] soutient que Mme [I] [S] avait l'intention frauduleuse de cacher les fonds versés au profit du contrat de tontine, il est acquis qu'il avait connaissance de l'existence de contrat et des versements effectués, pour avoir lui même versé des fonds sur la période de mars 2005 à décembre 2010 ; qu'il ne peut donc être soutenu que Mme [I] [S] avait l'intention de cacher l'existence de ces fonds ;
Que le manque de coopération de Mme [I] [S] qui n'a pas fourni les documents suffisants en première instance ne constitue pas une action manifestant son intention de porter atteinte à l'égalité du partage dès lors qu'elle ne contestait pas l'existence même dudit contrat et des versements effectués ; qu'il convient de relever que M. [M] [O] a pu obtenir des informations quant aux versements effectués et qu'une mesure de renseignement pouvait être ordonnée ainsi qu'il l'avait sollicité en première instance ;
Que la motivation de Mme [I] [S] tendant à une qualification du contrat de tontine en bien propre au sein de ses conclusions ne saurait traduire une intention frauduleuse ;
Que de même, l'erreur de qualification commise par le premier juge, induite par une erreur matérielle du jugement de divorce énonçant une date de mariage en 1998 et non 1988, ne peut être imputable à Mme [I] [S], étant relevé que les procès-verbaux dressés par Mme [E] [L], notaire, mentionnaient la date effective du mariage ;
Qu'il convient en conséquence de débouter M. [M] [O] de sa demande tendant à dire que Mme [I] [S] sera privée de la portion lui revenant sur les fonds dépendant du contrat de tontine ;
Sur la demande de dommages et intérêts de M. [M] [O]
Attendu que selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ;
Que si M. [M] [O] soutient que Mme [I] [S] a menti et exploité l'erreur de frappe sur laquelle le premier juge s'est fondé pour qualifier la tontine de bien propre à elle et qu'elle s'est également abstenue de communiquer les documents relatifs à la tontine, il ne justifie d'aucun préjudice puisque le présent arrêt fait droit à sa demande de qualification de bien commun ;
Qu'il est constant que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être compensés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Que s'il soutient que la résistance de Mme [I] [S] a empêché le partage de la communauté, il ressort du procès-verbal de débats dressé par Mme [E] [L], le 30 mai 2017, que la tontine ne constituait pas le seul point de désaccord du partage, étant relevé que le jugement entrepris a statué également sur une dette commune ;
Que le comportement de Mme [I] [S] dénoncé par M. [M] [O] n'est donc pas l'unique raison de la présente action ;
Qu'il convient de relever que Mme [I] [S] produit, outre le certificat d'adhésion et les couriers de la société Le Conservateur, deux courriers qu'elle a adressés à la société Le conservateur afin d'obtenir le contrat, de sorte qu'elle démontre avoir effectué des démarches afin d'obtenir les pièces sollicitées par M. [M] [O] ;
Que ce comportement ne traduit pas une résistance abusive de Mme [I] [S] ;
Qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [M] [O] de sa demande de dommages et intérêts ;
Sur les dépens'et l'article 700 du code de procédure civile
Attendu qu'aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie;
Que le sens de la présente décision commande de condamner Mme [I] [S] aux dépens de l'appel ;
Que l'équité commande également de rejeter la demande de Mme [I] [S] tendant à condamner M. [M] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après débats hors la présence du public et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement rendu 30 juin 2020 par le tribunal judiciaire de Sarreguemines en ce qu'il a :
- dit que Mme [I] [S] doit une récompense à la communauté d'un montant de 13 840,50 euros au titre du contrat de tontine,
Et statuant à nouveau,
Dit que le contrat de tontine est un bien de la communauté et doit être évalué à la somme de 21 548,95 euros,
Renvoie les parties devant le notaire en charge de la procédure pour clôture des opérations de liquidation et partage,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- débouté M. [M] [O] de sa demande de production de justificatifs au titre du contrat de tontine de juillet 1995,
- débouté M. [M] [O] de sa demande de dommages et intérêts,
Y ajoutant,
Rejette la demande de M. [M] [O] tendant à dire que Mme [I] [S] sera privée de toute portion au titre du contrat de tontine,
Rejette la demande de Mme [I] [S] tendant à la condamnation de M. [M] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [I] [S] aux dépens de l'appel.
Le greffier, Le président de chambre,