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23/07/2024 | FRANCE | N°22/01997

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 3, 23 juillet 2024, 22/01997


Arrêt n° 24/00349



23 Juillet 2024

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N° RG 22/01997 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZN2

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Pole social du TJ de METZ

18 Juillet 2022

21/190

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale





ARRÊT DU



vingt trois Juillet deux mille vingt quatre





APPELANT :



Monsieur [D] [N]

[Adresse 3]

[Loca

lité 1]

représenté par l'association [5], prise en la personne de Mme [E] [W], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial





INTIMÉS :



L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et finan...

Arrêt n° 24/00349

23 Juillet 2024

---------------

N° RG 22/01997 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZN2

------------------

Pole social du TJ de METZ

18 Juillet 2022

21/190

------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE SOCIALE

Section 3 - Sécurité Sociale

ARRÊT DU

vingt trois Juillet deux mille vingt quatre

APPELANT :

Monsieur [D] [N]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représenté par l'association [5], prise en la personne de Mme [E] [W], salariée de l'association munie d'un pouvoir spécial

INTIMÉS :

L'AGENT JUDICIAIRE DE l' ETAT (AJE)

Ministères économiques et financiers Direction des affaires juridiques

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représenté par Me Cathy NOLL, avocat au barreau de MULHOUSE

CAISSE AUTONOME NATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE DANS LES MINES - CANSSM

ayant pour mandataire de gestion la CPAM de Moselle prise en la personne de son directeur

et pour adresse postale

L'Assurance Maladie des Mines

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Mme [Z], munie d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne FABERT, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Anne FABERT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Monsieur Philippe ERTLE, Président de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] [N], né le 2 septembre 1959, a travaillé pour le compte des Houillères du Bassin de Lorraine (HBL) devenues l'établissement public Charbonnages de France (CDF) du 17 septembre 1979 au 5 octobre 2003.

Par formulaire du 3 décembre 2018, M. [N] a déclaré à l'Assurance Maladie des Mines (ci-après la Caisse ou AMM) une pathologie sous forme de silicose inscrite au tableau n°25, en joignant à sa demande de reconnaissance un certificat médical initial établi par le Docteur [R] le 6 novembre 2018.

Par décision du 28 mai 2019, la Caisse a pris en charge la maladie « silicose » de M. [N] au titre du tableau n°25, relatif aux affections dues à la silice cristalline, aux silicates cristallins, au graphite ou à la houille.

Le 24 septembre 2019, la Caisse a notifié à M. [N] un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, lui laissant le choix entre une indemnité en capital de 1 977,76 euros et l'allocation d'une rente annuelle de 5 180,55 euros, à la date du 19 août 2018.

Après échec de la tentative de conciliation introduite devant l'Assurance Maladie des Mines par courrier du 17 novembre 2020, M. [N] a, par requête déposée au greffe le 19 février 2021, saisi le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz d'une action visant à reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur dans la survenance de sa maladie professionnelle et à bénéficier des conséquences indemnitaires en découlant.

Il convient de préciser que l'établissement public Charbonnages de France a été définitivement liquidé le 31 décembre 2017, ses droits et obligations étant transférés à l'État, représenté par l'Agent Judiciaire de l'État (AJE).

Par ailleurs, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle (CPAM) qui agit pour le compte de la Caisse Autonome Nationale de la Sécurité Sociale dans les Mines (CANSSM) depuis le 1er juillet 2015, a également été mise en cause.

Par jugement du 18 juillet 2022, le Pôle social du tribunal judiciaire de Metz a :

déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,

déclaré recevable en la forme le recours de M. [N],

dit que l'existence d'une faute inexcusable des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, aux droits desquels vient l'Agent Judiciaire de l'Etat, dans la survenance de la maladie professionnelle de M. [N] inscrite au tableau n°25, n'est pas établie,

débouté M. [N] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et de ses demandes subséquentes,

déclaré en conséquence sans objet les demandes de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, agissant au nom et pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,

débouté M. [N] de ses demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [N] aux entiers frais et dépens de l'instance,

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

Par courrier recommandé daté du 1er août 2022, M. [N], par l'intermédiaire de son représentant, l'Association de Défense des Victimes d'Accident du Travail, de l'Amiante et des Maladies Professionnelles ([5]), a interjeté appel de cette décision qui lui avait été notifiée par LRAR datée du 20 juillet 2022 dont l'accusé de réception ne figure pas au dossier de première instance.

Par conclusions datées du 20 juin 2023, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son représentant, M. [N] demande à la cour de :

infirmer intégralement le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

juger que la silicose dont souffre M. [N] est due à la faute inexcusable de l'employeur représenté par l'Agent Judiciaire de l'Etat,

ordonner la majoration de rente ou du capital à son taux maximal,

juger qu'en cas d'aggravation ultérieure, le taux de rente sera indexé au taux d'IPP et en cas de décès imputable, que la rente de conjoint sera majorée à son taux maximum et que la Caisse devra verser l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale,

condamner l'AJE à payer à M. [N] :

la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral,

la somme de 20 000 euros au titre du préjudice physique,

la somme de 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

augmentées des intérêts au taux légal à compter du jour de la décision à intervenir,

condamner l'AJE à payer à M. [N] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner l'AJE aux entiers frais et dépens.

Par conclusions datées du 9 avril 2024, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, l'AJE demande à la cour de :

confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 18 juillet 2022,

PAR CONSEQUENT :

A TITRE PRINCIPAL :

débouter M. [N] et l'Assurance Maladie des Mines de l'ensemble de leurs demandes formulées à l'encontre de l'AJE,

A TITRE SUBSIDIAIRE : si par extraordinaire la faute inexcusable venait à être retenue :

réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires,

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

rejeter la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

dire n'y avoir lieu à dépens.

Par courrier du 23 avril 2024 repris oralement lors de l'audience de plaidoirie par son représentant, la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, a informé la juridiction qu'elle ne déposera pas d'écritures, et a indiqué s'en remettre à la cour quant à la reconnaissance de la faute inexcusable et aux montants susceptibles d'être alloués sur cette base, sollicitant la condamnation de l'employeur au remboursement de l'intégralité des sommes qu'elle devra avancer dans l'hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures des parties et à la décision entreprise.

SUR CE

SUR LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR :

M. [N] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que l'existence d'une faute inexcusable à l'encontre de l'employeur n'était pas établie. Il soutient que les éléments constitutifs de la faute inexcusable sont réunis en l'espèce. Il allègue notamment que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque lié aux poussières de silice cristalline, du fait des connaissances scientifiques de l'époque, la silicose ayant été inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles par une ordonnance du 2 août 1945, de la réglementation applicable, de la taille de l'organisation et des moyens considérables dont disposait l'entreprise, mais qu'il s'est abstenu de mettre en 'uvre les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, avec un défaut d'information et une insuffisance des moyens de protection individuels et collectifs. Il ajoute que les manquements de l'employeur sont établis par les attestations complétées qu'il produit en cause d'appel.

L'AJE sollicite la confirmation du jugement entrepris et expose que si les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, avaient bien conscience du risque encouru par les salariés, ils ont mis en 'uvre tous les moyens nécessaires pour protéger ces derniers des risques connus à chacune des époques de l'exploitation, tant sur le plan collectif qu'individuel. Il ajoute que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, ont parfaitement satisfait à leur obligation de prévention et de sécurité et qu'aucun défaut d'information ne peut leur être reproché.

Il critique la qualité des attestations des témoins ayant déposé en faveur de M. [N] en ce qu'elles sont stéréotypées, imprécises, et lacunaires, mais également en ce que les témoins ne justifient pas avoir travaillé directement avec M. [N]. L'AJE estime enfin que les nombreuses pièces générales produites par ses soins viennent contredire les affirmations du salarié et de ses témoins.

La Caisse s'en remet à la sagesse de la cour.

***********************

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.

Les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail mettent par ailleurs à la charge de l'employeur une obligation légale de sécurité et de protection de la santé du travailleur.

Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La preuve de la faute inexcusable de l'employeur incombe à la victime. La faute inexcusable doit s'apprécier en fonction de la législation en vigueur et des connaissances scientifiques connues ou susceptibles de l'avoir été par l'employeur aux périodes d'exposition au risque du salarié.

En l'espèce, le caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [N], ainsi que la réunion des conditions du tableau n°25 des maladies professionnelles ne sont pas contestées. L'AJE indique dans ses écritures que l'Agence Nationale de Garantie des Droits des Mineurs (ANGDM) a reconnu l'exposition au risque du tableau n°25 des maladies professionnelles de M. [N] durant toute la durée de son activité professionnelle au sein des chantiers du fond des HBL, soit du 17 septembre 1979 au 30 avril 2003, dans une attestation établie le 16 janvier 2019.

L'AJE reconnaît en outre que les Houillères du Bassin de Lorraine, devenues Charbonnages de France, avaient conscience du danger constitué par l'inhalation de poussières de silice et fait état de cette conscience dans ses écritures.

Seules sont discutées l'existence et l'efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l'employeur afin de préserver le salarié du danger auquel il était exposé, ainsi que la délivrance d'une information sur les risques encourus par le salarié lors de son activité professionnelle.

Ces mesures de protection sont déterminées par le décret n°51-508 du 04 mai 1951 portant règlement général sur l'exploitation des mines, reprenant les dispositions générales des décrets du 10 juillet 1913 et du 13 décembre 1948 prévoyant l'évacuation des poussières ou, en cas d'impossibilité, la mise à disposition de moyens de protection individuelle.

L'article 187 dudit décret dispose que lorsque l'abattage, le chargement, le transport ou la manipulation du charbon peuvent entraîner la mise en suspension ou l'accumulation de poussières, des mesures efficaces doivent être prises pour s'y opposer ou y remédier.

L'instruction du 30 octobre 1956 prescrit des mesures de protection collective (arrosage et humidification des poussières) et individuelle (port du masque) précises et devant être efficaces.

S'agissant des masques, on peut lire dans l'instruction de 1956 que « seuls les masques à pouvoir d'arrêt élevé pour les particules de moins de 5 microns et à résistance faible à la respiration peuvent être pris en considération. La protection individuelle ne saurait être admise en remplacement d'une protection collective possible qui aurait été négligée. Elle ne doit être appliquée qu'en complément de la prévention collective qui doit toujours être poussée aussi loin que possible ».

En l'occurrence, il résulte du relevé de périodes et d'emplois de M. [N] établi le 30 novembre 2020 (pièce n°2 de l'ADEVAT-AMP), que ce dernier a travaillé au sein des Houillères du Bassin de Lorraine, devenues les Charbonnages de France, en débutant au fond du 15 septembre 1979 au 30 avril 2003, avant d'être affecté au jour du 1er mai 2003 au 5 octobre 2003.

Durant cette période, il a occupé les postes suivants au fond :

du 17/09/1979 au 14/10/1979 : apprenti-mineur,

du 15/10/1979 au 30/04/1981 : abatteur-boiseur,

du 01/05/1981 au 30/11/1985 : boiseur,

du 01/12/1985 au 31/10/1990 : conducteur de machine dressant,

du 01/11/1990 au 30/06/1991 : piqueur d'élevage en préparation au remblayage hydraulique dressant,

du 01/07/1991 au 29/02/1992 : conducteur de machine d'abattage dressant,

du 01/03/1992 au 31/07/1992 : piqueur d'élevage en préparation au remblayage hydraulique dressant,

du 01/08/1992 au 30/04/2003 : conducteur de machine d'abattage dressant.

M. [N] produit les attestations rédigées par trois anciens collègues de travail, à savoir Mrs [X], [I] et [T] (pièces n°6, 7 et 8 de l'ADEVAT-AMP), les témoins ayant complété leurs attestations initiales en cause d'appel et joint leurs relevés de carrières respectifs à leurs témoignages. L'AJE critique les témoignages produits au motif qu'il n'est pas possible d'établir que les témoins et M. [N] ont bien travaillé ensemble et, qu'en tout état de cause, les attestations sont stéréotypées ne sont pas suffisamment détaillées quant aux moyens de protection, étant notamment rédigées en termes généraux.

La cour relève que les trois témoins allèguent avoir travaillé directement aux côtés de M. [N], ce qui est confirmé par les relevés de carrière joints à leurs témoignages (pièce n°6A, 7A et 8A de l'ADEVAT-AMP), de sorte qu'il est retenu que les témoins étaient des collègues de travail directs de M. [N], cette information n'étant pas utilement contredite par l'AJE.

Par ailleurs, contrairement aux critiques formulées par l'AJE, il apparaît que les témoignages produits aux débats ne sont pas stéréotypés, dès lors que les trois attestations sont distinctes et comportent des passages qui leur sont propres.

M. [X] déclare « la seule protection contre les poussières de charbon et silice (roche) était les masques en papier et l'arrosage peu efficace dans de telles conditions. La durée maximum du masque était de 30 minutes, suite aux conditions difficiles (chaleur-transpiration), le masque n'était plus efficace ['] Après chaque fin de poste, M. [N] toussait et crachait noir » (pièce n°6 de l'ADEVAT-AMP).

M. [I] expose « nous étions dans un puits « entrée d'air » donc avec un air sec avec peu ou pas d'humidité pour abattre les poussières. Comme conducteur de machine d'abattage (DRESMATIC ou ANF), M. [N] était constamment exposé aux poussières de silice. Pendant les phases de havage, M. [N] était noyé sous les poussières à son poste de conduite. Les haveuses étaient équipées d'un système « rudimentaire » d'arrosage des poussières, peu, voire pas efficace. Ce n'est que pendant les toutes dernières années, juste avant la fermeture que l'arrosage par eau filtrée et pressurisée s'améliora. M. [N] portait bien un masque mais avec la sueur, la chaleur ambiante et la poussière, le masque devenait vite inutilisable car saturé et était remplacé par un simple foulard. Pendant des années, M. [N], comme tout mineur, ne percevait qu'un seul masque/poste. Ce n'est que les dernières années, juste avant la fermeture, que les masques étaient distribués plus largement » (pièce n°7 de l'ADEVAT-AMP).

M. [T] expose « toutes ces poussières néfastes (charbon, roche, silice, fumées de tirs à l'explosif') pour la santé et surtout pour nos poumons remontaient aussi par l'aération du chantier, car au fond de la mine, il y a les poussières créées en amont d'aérage et elles passent par tous les chantiers jusqu'au puits de retour d'air en aval. L'aérage du chantier où travaillait M. [N], moi-même et les autres mineurs, était déjà chargé de ces poussières énumérées ci-dessus, avant d'aérer notre chantier du fond de la mine. Il y avait bien un système d'arrosage sur la haveuse que manipulait M. [N], mais c'était surtout pour éviter la surchauffe et le blocage des pics d'abattage de la haveuse, et pendant l'abattage du charbon et la silice (roche) contenus dans la veine, je ne voyais pas M. [N] à une distance d'environ 3 mètres tellement les poussières étaient épaisses, il n'y avait que la lampe du casque que je pouvais voir. Il y avait bien à notre disposition à la descente pour aller vers notre chantier fond, uniquement un masque à poussières en papier par poste de travail mais, inefficace après l'avoir porté entre 30 à 45 minutes au chantier, avec la chaleur, l'humidité, la transpiration et toutes ces poussières, il s'obstruait rapidement et même souvent les fixations cassaient, alors impossible de continuer à porter le masque, il était bon à jeter, nous avons continué à travailler sans masque le reste de notre présence au fond de la mine » (pièce n°8 de l'ADEVAT-AMP).

Il résulte des témoignages circonstanciés une absence de mise en place par l'employeur d'un moyen de protection collective efficace, laquelle résulte des propos des témoins qui indiquent que les chantiers du fond dégageaient d'importantes quantités de poussières, M. [I] indiquant notamment qu'il n'arrivait pas à voir M. [N] qui se trouvait à environ 3 mètres de lui, ce qui confirme l'inefficacité des systèmes d'arrosage et de ventilation. De même, les témoins font tous état de l'inefficacité des masques respiratoires délivrés par l'employeur, ces derniers n'étant pas distribués en quantité suffisante et n'étant pas adaptés aux conditions de travail difficiles des chantiers du fond, se bouchant rapidement en raison de la chaleur, de l'humidité et de l'environnement de travail fortement empoussiéré. M. [X] relate que les expectorations de M. [N] étaient noires à la fin de la journée de travail, de qui confirme que ce dernier avait inhalé des poussières au cours de son poste.

Ces témoignages ne sont pas utilement contestés par l'AJE qui ne verse aux débats aucun élément de nature à élever des doutes sur la sincérité des témoins et sur le caractère authentique des faits qu'ils relatent.

Si l'AJE indique dans ses écritures que les Houillères du Bassin de Lorraine puis les Charbonnages de France ont placé la santé de leurs employés en tête de leurs priorités en ne cessant de trouver des moyens pour améliorer le système d'arrosage, l'aération des galeries, et en mettant à la disposition des mineurs des masques de plus en plus efficaces, il développe uniquement des considérations d'ordre général qui ne comportent aucun élément sur les conditions de travail concrètes de M. [N], ni sur la qualité des moyens de protection réellement mis à la disposition du salarié.

Aussi, l'ensemble des éléments qui précèdent confirment que l'employeur qui avait conscience du danger auquel M. [N] était exposé n'a pas pris les mesures nécessaires afin de protéger ce dernier des dangers liés à l'inhalation des poussières de silice, ceci alors qu'il n'a pas mis en place de mesures de protection collective (aération-arrosage) et individuelle (port du masque) suffisantes et efficaces.

Partant, il s'ensuit que la maladie professionnelle inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles dont souffre M. [N] doit être déclarée comme résultant de la faute inexcusable commise par l'employeur à son égard.

Le jugement entrepris sera donc infirmé quant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

SUR LES CONSEQUENCES FINANCIERES DE LA FAUTE INEXCUSABLE :

Sur la majoration de l'indemnité en capital

M. [N] demande la majoration de l'indemnité en capital ou de la rente dont il bénéficie aux termes du code de la sécurité sociale suite à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

La CPAM et l'AJE ne formulent pas d'observations à ce titre.

*******************

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a le droit à une indemnisation complémentaire.

Aux termes de l'article L.452-2, alinéas 1, 2 et 6, du code de la sécurité sociale, « dans le cas mentionné à l'article précédent [faute inexcusable de l'employeur], la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre. Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité. ['] La majoration est payée par la caisse, qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ».

Il est constant que la Caisse a notifié à M. [N], le 24 septembre 2019, un taux d'incapacité permanente partielle de 5%, lui laissant le choix entre une indemnité en capital de 1 977,76 euros et l'allocation d'une rente annuelle de 5 180,55 euros, à la date du 19 août 2018. Il n'est pas contesté que M. [N] a opté pour l'indemnité en capital.

Aucune discussion n'existe à hauteur de cour concernant la majoration au maximum de l'indemnité versée à M. [N], par conséquent ladite indemnité sera majorée au maximum conformément aux conditions définies par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, étant admis que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle résultant d'une aggravation de l'état de santé de M. [N], et que le principe de la majoration restera acquis pour le calcul de la rente de conjoint survivant en cas de décès de l'assuré consécutivement à la maladie professionnelle dont il souffrait.

Cette majoration sera versée par la Caisse directement à M. [N].

Sur l'indemnité forfaitaire

La question de l'indemnité forfaitaire de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale apparaît en l'état prématurée, en l'absence de litige né et actuel sur l'allocation de cette indemnité forfaitaire et alors qu'il est constant que le taux d'incapacité de M. [N] imputable à sa maladie professionnelle, est actuellement de 5%.

Sur les préjudices personnels de M. [D] [N]

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale qu'« indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. [...] La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur ».

Sur les souffrances physiques et morales

M. [N] sollicite l'indemnisation de ses préjudices comme suit : 20 000 euros au titre du préjudice moral, et 20 000 euros pour ses souffrances physiques.

L'AJE sollicite le rejet des demandes présentées par M. [N] en indiquant que ce dernier ne peut se prévaloir de l'existence de préjudices, physique et moral, antérieurs à la date de consolidation, dans la mesure où cette dernière coïncide avec la date de la première constatation médicale, ceci d'autant qu'il ne produit aucun élément pour en justifier. L'AJE ajoute qu'il appartient à la victime qui se prévaut de souffrances physiques et morales postérieures à la date de consolidation de prouver ces dernières. Il relève que M. [N] ne produit aucune pièce médicale et que les attestations testimoniales ne sont pas suffisantes pour appuyer ses déclarations.

Il demande, à titre plus subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires présentées par M. [N].

La Caisse s'en remet à la sagesse de la cour.

*******************

Comme indiqué, il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé.

En considération du caractère forfaitaire de la rente au regard de son mode de calcul tenant compte du salaire de référence et du taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation juge désormais, par un revirement de jurisprudence, que la rente versée par la caisse à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent (Cour de cassation, Assemblée plénière 20 janvier 2023, pourvoi n°21-23947). En conséquence, les souffrances physiques et morales de la victime peuvent être indemnisées.

En l'espèce, la victime, en application de l'article L.434-1 du code de la sécurité sociale, s'est vue attribuer une indemnité en capital, son taux d'incapacité permanente partielle étant inférieur à 10%. Il y a lieu d'admettre, eu égard à son mode de calcul, son montant étant déterminé par un barème forfaitaire fixé par décret en fonction du taux d'incapacité permanente, que cette indemnité ne répare pas davantage le déficit fonctionnel permanent.

Dès lors la victime est recevable en sa demande d'indemnisation des souffrances physiques et morales subies par elle sous réserve qu'elles soient caractérisées.

S'agissant des souffrances physiques subies par M. [N], celui-ci ne produit aucune pièce médicale, appuyant sa demande par des témoignages de proches (pièces n°9 à 12 de l'ADEVAT-AMP). Si les attestations laissent apparaître que M. [N] s'essouffle lorsqu'il fait un effort, et se fatigue facilement, elles ne sont pas suffisantes, en l'absence de document médical, pour rattacher les constats des témoins à la maladie professionnelle dont souffre M. [N].

M. [N] sera donc débouté de sa demande d'indemnisation des souffrances physiques.

S'agissant du préjudice moral, M. [N] était âgé de 59 ans lorsqu'il a appris qu'il était atteint d'une silicose. Ses proches décrivent son anxiété liée au fait de se savoir atteint d'une maladie irréversible liée à l'inhalation de poussières de silice et aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance.

Le préjudice moral est donc caractérisé en l'espèce et sera réparé par l'allocation d'une somme de 16 000 euros de dommages-intérêts eu égard à la nature de la pathologie en cause, et à l'âge de M. [N] au moment de son diagnostic.

Sur le préjudice d'agrément

L'indemnisation de ce poste de préjudice suppose qu'il soit justifié de la pratique régulière par la victime, antérieurement à sa maladie professionnelle, d'une activité spécifique sportive ou de loisir qu'il lui est désormais impossible de pratiquer.

En l'espèce, M. [N] sollicite l'octroi d'une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément, en indiquant qu'il n'est plus en mesure de pratiquer certaines activités, notamment la marche à pied qu'il pratiquait avec son épouse, le jardinage, ainsi que la pêche.

L'AJE s'oppose à l'indemnisation du préjudice d'agrément en indiquant que M. [N] ne produit pas d'éléments susceptibles de justifier d'un tel préjudice.

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Les proches de M. [N] déclarent que ce dernier se promenait régulièrement avec son épouse dans le voisinage, qu'il s'occupait de son jardin, toujours bien entretenu, et aimait faire des activités variées avec ses petits-enfants, mais qu'il n'est plus en mesure de s'adonner à ses loisirs depuis la découverte de sa pathologie.

Le témoignage de la fille de M. [N] (pièce n°12 de l'ADEVAT-AMP) décrit que son père se rendait régulièrement à la pêche, en y emmenant notamment ses petits-enfants lors de leurs séjours, mais qu'il a cessé de pêcher depuis l'annonce de sa maladie et les symptômes induits par cette dernière.

Dès lors, le préjudice d'agrément de M. [N] est établi et sera réparé par l'allocation d'un montant de 1 000 euros.

SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE :

Aux termes de l'article L.452-3-1 du code de la sécurité sociale, applicable aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduites devant les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2013, il apparaît « quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L.452-3 du même code ».

En outre, les articles L.452-2, alinéa 6, et D.452-1 du code de la sécurité sociale, applicables aux décisions juridictionnelles relatives aux majorations de rentes et d'indemnités en capital rendues après le 1er avril 2013, prévoient en outre que le capital représentatif des dépenses engagées par la Caisse au titre de la majoration est, en cas de faute inexcusable, récupéré dans les mêmes conditions et en même temps que les sommes allouées au titre de la réparation des préjudices mentionnés à l'article L.452-3.

La CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM, est fondée à exercer son action récursoire à l'encontre de l'AJE.

Par conséquent, l'AJE doit être condamné à rembourser à la CPAM de Moselle, les sommes qu'elle sera tenue d'avancer au titre de la majoration de l'indemnité en capital, ainsi que des préjudices extrapatrimoniaux subis par M. [N].

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :

L'issue du litige conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement entrepris ayant condamné M. [N] aux dépens de la première instance.

L'AJE sera condamné à verser 2 500 euros à M. [N] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la première instance et de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME le jugement entrepris du 18 juillet 2022 du Pôle social du tribunal judiciaire de Metz, sauf en ce qu'il a :

déclaré le jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines,

déclaré recevable en la forme le recours de M. [D] [N],

Statuant à nouveau sur les points infirmés,

DIT que la maladie professionnelle déclarée par M. [D] [N] inscrite au tableau n°25 des maladies professionnelles est due à la faute inexcusable de son employeur, l'EPIC Charbonnages de France, anciennement Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits duquel vient l'Agent Judiciaire de l'Etat (AJE),

ORDONNE la majoration au maximum de l'indemnité en capital allouée à M. [D] [N] au titre de sa maladie professionnelle n°25 dans les conditions telles que définies à l'article L.452-2 alinéas 1 et 2 du code de la sécurité sociale,

ORDONNE à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de Moselle, intervenant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, de verser cette majoration directement à M. [D] [N],

DIT que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente partielle de M. [D] [N] en cas d'aggravation de son état de santé due à sa maladie professionnelle du tableau n°25,

DIT qu'en cas de décès de M. [D] [N] résultant des conséquences de sa maladie professionnelle du tableau n°25, le principe de la majoration de l'indemnité en capital restera acquis pour le calcul de la rente du conjoint survivant,

DIT n'y avoir lieu à statuer sur l'indemnité forfaitaire,

FIXE l'indemnité en réparation du préjudice moral de M. [D] [N] à la somme de 16 000 euros (seize mille euros),

FIXE l'indemnité en réparation du préjudice d'agrément de M. [D] [N] à la somme de 1 000 euros (mille euros),

DIT que ces sommes, qui porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision, devront être versées à M. [D] [N] par la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, et si besoin l'y CONDAMNE,

DEBOUTE M. [D] [N] de sa demande au titre des souffrances physiques,

CONDAMNE l'AJE à rembourser à la CPAM de Moselle, agissant pour le compte de la CANSSM ' l'Assurance Maladie des Mines, les sommes, en principal et intérêts, qu'elle aura versées à M. [D] [N] au titre de la majoration de l'indemnité en capital et des préjudices extrapatrimoniaux de la victime, sur le fondement des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale,

CONDAMNE l'AJE à payer à M. [D] [N] la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'AJE aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 3
Numéro d'arrêt : 22/01997
Date de la décision : 23/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-23;22.01997 ?
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