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04/09/2024 | FRANCE | N°22/01428

France | France, Cour d'appel de Metz, Chambre sociale-section 1, 04 septembre 2024, 22/01428


Arrêt n° 24/00317



04 septembre 2024

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N° RG 22/01428 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FYAB

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Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

Jugement du 02 mai 2022

21/00285

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE METZ



Chambre Sociale-Section 1







ARRÊT DU



Quatre septembre deux mille vingt quatre







APPELANT

E :



SARL KYOU 2 prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-Luce KOLATA-MERCIER, avocat au barreau de METZ







INTIMÉ :



M. [D] [E] [T]

[Adresse 1...

Arrêt n° 24/00317

04 septembre 2024

---------------------

N° RG 22/01428 -

N° Portalis DBVS-V-B7G-FYAB

-------------------------

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de THIONVILLE

Jugement du 02 mai 2022

21/00285

-------------------------

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE METZ

Chambre Sociale-Section 1

ARRÊT DU

Quatre septembre deux mille vingt quatre

APPELANTE :

SARL KYOU 2 prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-Luce KOLATA-MERCIER, avocat au barreau de METZ

INTIMÉ :

M. [D] [E] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Christelle MERLL, avocat au barreau de METZ

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/005685 du 09/02/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 octobre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre

Mme Anne FABERT, Conseillère

M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Catherine MALHERBE

ARRÊT : Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;

Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Selon contrat à durée indéterminée et à temps complet, M. [D] [E] [T] a été embauché à compter du 1er février 2019 par la SARL Kyou 2, en qualité de cuisinier, statut employé niveau I échelon 3, moyennant une rémunération mensuelle de 2 226,26 euros brut, y compris les majorations pour heure supplémentaire de la 36e à la 39e heure pour 169 heures par mois.

La convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants était applicable à la relation de travail.

Le 25 janvier 2020, M. [E] [T] a été victime d'un accident de travail, à la suite duquel il a été placé en arrêt jusqu'au 10 mars 2020.

Le salarié a ensuite été en arrêt pour maladie à compter du 5 août 2020.

Par courrier du 15 septembre 2020, M. [E] [T] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, reprochant notamment à son employeur l'absence de paiement des heures supplémentaires, ainsi que le défaut de remise des bulletins de paie des mois de juillet et août 2020.

Dans sa correspondance du 25 septembre 2020, la société Kyou 2 a contesté ces griefs.

Estimant que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu'il n'avait pas été rempli de ses droits en matière d'heures supplémentaires, M. [E] [T] a saisi, le 17 décembre 2020, la juridiction prud'homale.

L'affaire a été radiée par décisions des 25 juin 2021 et 11 octobre 2021, puis l'instance reprise.

Par jugement contradictoire du 2 mai 2022 assorti de l'exécution provisoire hormis sur les dépens, la formation paritaire de la section commerce du conseil de prud'hommes de Thionville a :

- constaté la rupture du contrat de travail ;

- requalifié la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société Kyou 2, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M. [E] [T] les sommes suivantes :

* 8 347,33 euros brut au titre des heures supplémentaires ;

* 834,73 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

* 5 000 euros net au titre des dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

* 395,53 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

* 1 977,69 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 197,76 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

* 1 000 euros net au titre de la réparation pour absence de transmission des documents de fin de contrat ;

* 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société Kyou 2, prise en la personne de son représentant légal, de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Kyou 2, prise en la personne de son représentant légal, aux "entiers frais et dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution du présent jugement".

Le 2 juin 2022, la société Kyou 2 a interjeté appel par voie électronique.

Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 25 août 2022, la société Kyou 2 requiert la cour :

- de réformer le jugement dans son intégralité ;

statuant à nouveau,

à titre principal,

- de débouter M. [E] [T] de l'ensemble de ses demandes ;

- de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail s'analyse comme une démission ;

- de condamner M. [E] [T] à lui rembourser la somme de 1 054,45 euros au titre des salaires indûment payés pour la période du 16 septembre 2020 au 5 octobre 2020 ;

- de condamner M. [E] [T] à lui payer le montant du préavis qu'il n'a pas effectué, soit un montant de 1 113,13 euros ;

subsidiairement,

- de fixer le montant des heures supplémentaires qu'elle devrait au salarié pour les années 2019 et 2020 à la somme de 1 342,36 euros brut et de l'indemnité de congés payés liée à la somme de 134,24 euros brut ;

- d'ordonner la compensation entre les sommes dues par chaque partie ;

- de constater que M. [E] [T] a été en absence injustifiée pour la période du 1er au 4 août 2020;

- de rejeter la demande d'indemnisation pour travail dissimulé ;

- d'ordonner la remise des documents de fin de contrat à compter de l'arrêt à intervenir et de rejeter toute demande indemnitaire à ce titre ;

- de condamner M. [E] [T] à lui verser la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A l'appui de son appel, elle expose :

- qu'elle a contesté la prise d'acte du salarié par courrier officiel du 25 septembre 2020 auquel M. [E] [T] n'a jamais donné suite ;

- que les plannings de M. [E] [T] n'ont été produits qu'en cours de procédure et ne sont pas de nature à prouver la réalité des heures effectuées ;

- qu'elle n'a jamais accepté de payer des heures supplémentaires à l'intimé, bien que celui-ci l'ait sollicité à plusieurs reprises ;

- que M. [E] [T] ne justifie nullement qu'elle lui ait demandé d'effectuer ces heures, ne produisant ni message ni attestation de témoins à ce sujet ;

- que le paiement en retard des heures supplémentaires, à supposer celles-ci effectivement réalisées, ne constitue pas une cause de rupture du contrat de travail ;

- que les bulletins de salaire étant quérables, il appartenait à M. [E] [T] de se déplacer ou de mandater une tierce personne pour venir les récupérer ;

- qu'elle remet mensuellement une fiche de paie aux salariés directement sur le lieu de travail ;

- que les bulletins de salaire des mois de juillet et août 2020 ont été fournis au mois de septembre 2020 ;

- qu'aucun agissement fautif ne peut lui être reproché.

Elle ajoute :

- que la prise d'acte de M. [E] [T] s'analyse comme une démission ;

- que le salarié est redevable du préavis qu'il avait l'obligation d'effectuer ;

- que, dans la mesure où le contrat a pris fin le 16 septembre 2020, M. [E] [T] a indûment bénéficié d'un maintien de salaire pour le mois de septembre 2020, puis du 1er au 5 octobre 2020, et doit remboursement des montants ainsi perçus ;

- que la réalité des heures supplémentaires étant contestée, elle ne saurait être condamnée pour travail dissimulé.

A titre subsidiaire, elle fait valoir :

- que M. [E] [T] bénéficiait d'une pause de 30 minutes à chaque service du midi et du soir afin de pouvoir se nourrir ;

- qu'elle conteste la validité du calcul d'heures réclamées par le salarié ;

- qu'il existe un décalage entre les horaires de travail de M. [E] [T] et les heures supplémentaires prétendument effectuées ;

- que le salarié a été en absence injustifiée du 1er au 4 août 2020, ce dernier n'ayant jamais nié s'être absenté de son poste de travail sans motif ;

- que cela a nécessairement causé un préjudice à l'entreprise qui a été désorganisée par cette absence et a dû veiller à la réorganisation de son personnel pour maintenir son activité ;

- qu'elle a sollicité des explications par courrier officiel du 3 février 2021, mais que le salarié n'a jamais jugé utile d'y répondre.

Dans ses conclusions déposées par voie électronique le 5 septembre 2022, M. [E] [T] sollicite que la cour :

- confirme le jugement dans toutes ses dispositions ;

- condamne la société Kyou 2 à lui verser la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il réplique :

- qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont pas été payées ;

- qu'il n'a pas reçu, en temps utile, ses bulletins de paie des mois de juillet et août 2020;

- qu'il a sollicité à plusieurs reprises son employeur pour obtenir lesdits bulletins en lui envoyant directement des messages qui sont restés sans réponse ;

- que la société Kyou 2 a toujours refusé de lui payer les heures supplémentaires et tenté, par la contrainte, de lui faire signer une rupture conventionnelle du contrat de travail ;

- que le seul désaccord existant entre l'employeur et lui-même réside dans le nombre d'heures supplémentaires effectuées et non payées ;

- qu'il n'était pas en absence injustifiée du 1er au 4 août 2020, puisqu'il était en congé le 1er août, qu'il ne travaillait pas le dimanche 2 août, qu'il se trouvait en congé le 3 août et qu'il a travaillé le 4 août 2020 ;

- qu'à partir du 5 août 2020, il était en arrêt de travail ;

- qu'il a toujours transmis ses arrêts de travail en temps utile ;

- qu'avant la rupture, il s'était manifesté à plusieurs reprises auprès de son employeur pour obtenir le paiement des heures supplémentaires ;

- qu'en raison des manquements de la société Kyou 2, il a pris acte de la rupture de son contrat par courrier du 15 septembre 2020, reprochant à la société le non-paiement des heures supplémentaires, l'absence de délivrance des bulletins de salaire, ainsi que la pression exercée sur lui pour qu'il signe une rupture conventionnelle.

Le 4 janvier 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture.

MOTIVATION

Sur les heures supplémentaires

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le juge ne peut pas se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter sa demande, mais doit examiner les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés et que l'employeur est tenu de lui fournir.

En l'espèce, M. [E] [T] verse aux débats, dans ses conclusions d'appel, un décompte mensuel des heures supplémentaires dont il sollicite la rémunération pour un total de 512,50 heures effectuées entre les mois de février 2019 et juin 2020, déduction faite des heures déjà payées.

Le salarié joint à sa demande des relevés de ses horaires de travail, qui détaillent, pour chaque jour, l'heure de début de service, l'heure de fin de service, ainsi que le nombre d'heures travaillées chaque semaine (sa pièce n° 4). Ces relevés précisent, le cas échéant, que le salarié se trouvait en congé, en arrêt pour maladie ou en activité partielle. La dernière fiche de chaque mois récapitule le nombre total d'heures accomplies.

Au vu de ces pièces, la cour estime que M. [E] [T] présente des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires pour permettre à l'employeur de répliquer.

En réponse, l'employeur produit six éléments :

- le contrat de travail de M. [E] [T] ;

- les arrêts de travail et courriers envoyés par la caisse primaire d'assurance maladie;

- les fiches de paie de M. [E] [T] des mois de février 2019 à octobre 2020 ;

- le courrier de prise d'acte du salarié du 15 septembre 2020 ;

- la réponse officielle du 25 septembre 2020 adressée par son mandataire ;

- la correspondance officielle du 3 février 2021 envoyée par son avocat.

La circonstance que l'employeur n'ait pas formellement demandé au salarié d'accomplir des heures supplémentaires ou que celui-ci n'ait pas obtenu l'autorisation préalable de l'employeur n'interdit pas au salarié d'en réclamer le paiement (jurisprudence : Cour de cassation, chambre sociale, 2 juin 2010, pourvoi n° 08-40.628).

Les éléments du dossier démontrent que la nature des tâches et la charge de travail supportée par le salarié impliquaient la réalisation d'heures supplémentaires pour lesquelles l'employeur avait donné, à tout le moins, son accord tacite. En effet, l'employeur avait nécessairement connaissance de l'exécution d'heures supplémentaires par M. [E] [T], puisque les fiches de paie révèlent que le salarié a perçu, à plusieurs occasions (novembre 2019, décembre 2019, janvier 2020, mai 2020 et juin 2020) le paiement d'heures supplémentaires dépassant les heures 'structurelles' fixées dans son contrat de travail.

La société Kyou 2 fait aussi état, dans ses écritures d'appel, de "demandes répétées du salarié" en paiement d'heures supplémentaires auxquelles elle s'est toujours opposée (page 6), mais sans justifier d'un refus avant le courrier du 25 septembre 2020, postérieur à la période pour laquelle M. [E] [T] sollicite un rappel.

Aucun élément de contrôle permettant de déterminer les heures de travail réellement exécutées par M. [E] [T] n'est versé aux débats par l'employeur. Il n'y a dès lors pas lieu non plus de déduire les temps de pause évoqués par la société Kyou 2 qui ne prouve pas que le salarié a effectivement pu en bénéficier.

La société Kyou 2 considère que le salarié lui est redevable de la moitié des heures supplémentaires payées au titre du mois de septembre 2020 et de l'intégralité de celles versées au titre du mois d'octobre 2020, eu égard à la date de la rupture du contrat de travail découlant de la prise d'acte, soit le 15 septembre 2020. Toutefois, il s'agit d'heures supplémentaires 'structurelles', c'est-à-dire incluses dans l'horaire de travail de 39 heures, conformément à l'article 6 du contrat de travail. Il n'y a donc pas lieu de les examiner séparément de la demande - sur laquelle il sera statué ci-dessous - de remboursement de l'indu de maintien du salaire 'normal' de la période du 16 septembre au 5 octobre 2020.

Comme le souligne à juste titre la société Kyou 2, les décomptes d'heures repris par le salarié dans ses écritures diffèrent, pour certains mois, des relevés hebdomadaires dont il se prévaut. Pour le mois d'avril 2019, M. [E] [T] revendique le paiement de 210 heures, alors que son relevé n'indique qu'un total de 192 heures 40. A l'inverse, pour le mois de février 2019, le salarié n'a demandé que l'indemnisation de 185 heures dans ses conclusions, quand son relevé laisse apparaître un nombre total s'élevant à 213 heures 40.

Dès lors, les quelques différences constatées dans les calculs s'équilibrent et n'ont pas d'incidence sur le résultat global obtenu par le salarié, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'écarter, fût-ce partiellement, la demande de M. [E] [T] pour ce motif.

En revanche, concernant le mois de mars 2020, le salarié ayant été en arrêt de travail jusqu'au 10 mars, puis ayant bénéficié du dispositif de l'activité partielle à compter du 17 mars, il n'a pas pu effectuer les 45 heures supplémentaires non rémunérées comme mentionné dans ses conclusions, une confusion s'étant manifestement produite, au vu du relevé quotidien, entre le nombre d'heures travaillées au mois de mars 2020 et le nombre d'heures supplémentaires effectuées.

L'employeur a appliqué les bonnes majorations au regard des dispositions de la convention collective, mais sa base de calcul est erronée, puisqu'il a déduit des temps de pause dont il ne justifie pas. La cour ne peut ainsi pas se fonder sur les calculs opérés par l'employeur dans ses écritures.

S'agissant des opérations effectuées par le salarié, ce dernier a retenu la majoration légale de 25%, non applicable en l'espèce au regard des mêmes dispositions de la convention collective, pour toutes les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement. Mais, si le salarié a pu demander une majoration supérieure à celle applicable pour les heures effectuées entre la 40e et la 43e heure, à savoir 20%, il n'a pas demandé la majoration de 50% à laquelle il pouvait prétendre pour les heures à partir de la 44e, le relevé démontrant pourtant qu'il a régulièrement accompli des heures de travail au-dessus de 44 heures hebdomadaires.

En définitive, la cour a acquis la conviction que M. [E] [T] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées, mais dont le quantum doit être évalué à un montant légèrement plus faible que la demande, en raison des quelques incohérences exposées ci-dessus.

En conséquence, il est octroyé au salarié la somme de 7 500 euros brut au titre des heures supplémentaires effectuées, outre 750 euros brut au titre des congés payés y afférents, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur l'absence injustifiée du salarié

L'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile dispose que "La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion".

En l'espèce, la société Kyou 2 ne formule pas de réelle demande dans le dispositif de ses écritures concernant l'absence injustifiée de M. [E] [T], se contentant de retranscrire le moyen développé dans la discussion en sollicitant de la cour de "constater que M. [E] [T] [D] a été en absence injustifiée pour les périodes du 1er au 4 août 2020", étant observé que l'employeur n'en tire aucune conséquence particulière.

La formule ci-dessus ne constitue pas une prétention, mais un moyen ne saisissant pas la cour, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'absence injustifiée.

Sur les effets de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par lui constituent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, soit d'une démission dans le cas contraire.

Il appartient donc au juge de vérifier si les faits invoqués par le salarié sont établis et, dans l'affirmative, s'ils caractérisent des manquements d'une importance telle qu'ils empêchaient la poursuite des relations contractuelles, la rupture étant alors imputable à l'employeur et produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C'est au salarié qui prend l'initiative de la rupture qu'il appartient d'établir la réalité de ces manquements, à charge pour le juge d'en apprécier la gravité, et si un doute subsiste la rupture produit les effets d'une démission.

Le juge se doit enfin d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié, sans se limiter aux griefs mentionnés dans la lettre de rupture.

En l'espèce, par courrier du 15 septembre 2020, M. [E] [T] a mis fin à la relation contractuelle, dans les termes suivants :

" (...) M. [E] [T] travaille au sein de votre société en qualité de chef cuisinier dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à temps complet, sur la base d'un salaire mensuel brut de 1 977,69 euros.

Il s'avère que Monsieur [E] a effectué de nombreuses heures supplémentaires qui ne lui ont jamais été payées. En effet, Monsieur [E] est payé sur la base de 169 heures effectuées, alors qu'il effectue plus de 200 heures chaque mois.

De même, Monsieur [E] n'a toujours pas reçu ses bulletins de paie du mois de juillet et août 2020.

Vous avez demandé à deux reprises à Monsieur [E] de signer une rupture conventionnelle laquelle ne comportait pas le paiement des heures supplémentaires effectuées.

Par la présente, je vous informe que Monsieur [E] entend prendre acte de la rupture du contrat à vos torts et qu'il saisira le Conseil de Prud'hommes d'une demande visant à faire dire et juger que la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse (...)".

La société Kyou 2 a répondu à la prise d'acte du salarié par courrier officiel du 25 septembre 2020 rédigé comme suit :

" Vous évoquez de " nombreuses heures supplémentaires " " plus de 200 heures chaque mois " que Monsieur [E] aurait effectué sans qu'elles aient été payées.

Or vous ne chiffrez pas précisément le nombre d'heures prétendument effectuées ni le salaire qui serait dû à ce titre et vous ne joignez aucun justificatif à l'appui de votre thèse.

(') Mon client sera en mesure de produire en justice tous les justificatifs nécessaires si votre client devait croire utile d'intenter une action prud'homale.

En l'état nous ne pouvons qu'opposer une fin de non-recevoir à votre demande.

Sur les bulletins de paie du mois de juillet et août 2020 : je vous les joins.

En ce qui concerne la prise d'acte de la rupture de contrat de travail aux torts de l'employeur, cette demande ne saurait pas plus prospérer en l'absence de faute commise par l'employeur.

Votre courrier devra donc s'analyser comme une démission puisque votre client n'entend pas donner suite à la proposition de rupture conventionnelle du contrat de travail qui lui a été formulée à deux reprises comme vous le reconnaissez dans votre lettre".

M. [E] [T] souligne notamment le non-paiement de nombreuses heures supplémentaires exécutées entre les mois de février 2019 et juin 2020 pour justifier du bien-fondé de sa prise d'acte.

Il ressort des développements qui précèdent que la carence de l'employeur en matière de rémunération des heures supplémentaires est établie.

La cour retient, sans qu'il soit utile d'examiner les autres reproches formulés par M. [E] [T], que ce seul manquement de l'employeur - qui concerne son obligation essentielle de rémunération du salarié - est suffisamment grave, au regard du montant des heures supplémentaires impayées et de la persistance de la carence malgré les réclamations du salarié, pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle.

Dès lors, la prise d'acte notifiée à société Kyou 2 est parfaitement justifiée et s'analyse comme une rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents et l'indemnité de licenciement

Aux termes de l'article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée est calculée en fonction de l'ancienneté de services continus dont il justifie chez le même employeur.

Il résulte de l'article L. 1234-9 du code du travail que le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement et de l'article R. 1234-2 du même code, en sa version applicable à l'espèce, que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans et un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

En l'espère, l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents et l'indemnité de licenciement sont contestées dans leur principe, mais non dans les montants alloués par le conseil de prud'hommes, de sorte que le jugement est confirmé s'agissant de ces trois indemnités.

Sur les éléments de rémunération indûment perçus par le salarié

A la lecture des fiches de paie des mois de septembre et octobre 2020, il apparaît qu'en dépit de la prise d'acte du 15 septembre 2020 qui a entraîné la cessation immédiate du contrat de travail, le salaire de M. [E] [T] a été totalement maintenu sur la période du 1er septembre au 5 octobre 2020.

La société Kyou 2 réclame le remboursement des sommes versées à ce titre postérieurement à la rupture.

M. [E] [T] ne prend pas position en réplique.

En conséquence, il est fait droit à hauteur de 1 054,45 euros brut à la demande de remboursement du trop-perçu de salaire pour la période du 16 septembre au 5 octobre 2020.

Sur le travail dissimulé

Conformément aux articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, lorsqu'il y a eu travail dissimulé caractérisé par une volonté manifeste de l'employeur de frauder, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, l'intention de la société Kyou 2, qui est une petite entreprise, de dissimuler les heures supplémentaires effectuées par M. [E] [T] n'est pas établie, dès lors qu'elle a partiellement rémunéré ces heures dont elle n'avait pas forcément connaissance du nombre exact.

En conséquence, la demande d'indemnité pour travail dissimulé est rejetée, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat

L'article R. 1234-9 du code du travail dispose que l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

L'article L. 1234-19 du même code dispose qu'à l'expiration du contrat de travail, l'employeur délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire.

L'article L. 1234-20 ajoute que le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

En l'espèce, il ressort du dossier de première instance, notamment du procès-verbal de l'audience du 13 décembre 2021, que les documents de fin de contrat n'avaient toujours pas été obtenus par le salarié à cette date, le mandataire de M. [E] [T] indiquant qu'il en avait fait la demande depuis le mois de septembre 2020, ce qui correspondait à plus d'une année.

L'employeur ne donne aucune indication sur la date des documents de fin de contrat et a fortiori n'en justifie pas.

Cette remise tardive a causé un préjudice au salarié, puisqu'il devait transmettre l'attestation Pôle emploi à cet organisme afin de bénéficier d'un revenu de remplacement.

En conséquence, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a octroyé à M. [E] [T] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Sur la compensation

L'article 1347 du code civil prévoit que la compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes. Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions sont réunies.

En l'espèce, M. [E] [T] et la société Kyou 2 détenant des créances réciproques aux termes de cette décision, il convient d'ordonner la compensation entre celles-ci à hauteur de la plus faible d'entre elles.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les dispositions du jugement sont confirmées s'agissant de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance.

Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La société Kyou 2 est condamnée aux dépens d'appel, sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- fixé le montant des heures supplémentaires dues par la SARL Kyou 2 à M. [D] [E] [T] à la somme de 8 347,33 euros brut, outre la somme de 834,73 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- condamné la SARL Kyou 2 à verser à M. [D] [E] [T] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la SARL Kyou 2 à verser à M. [D] [E] [T] les sommes de 7 500 euros brut au titre des heures supplémentaires restées impayées et de 750 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

Déboute M. [D] [E] [T] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

Condamne M. [D] [E] [T] à verser à la SARL Kyou 2 la somme de 1 054,45 euros brut correspondant au maintien de salaire perçu à tort postérieurement à la rupture du contrat de travail ;

Ordonne la compensation entre les créances réciproquement dues par les parties à hauteur de la plus faible d'entre ces sommes ;

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la SARL Kyou 2 aux dépens d'appel.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : Chambre sociale-section 1
Numéro d'arrêt : 22/01428
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;22.01428 ?
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